Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Ouverture de la session ordinaire 2019-2020

Démission et remplacement d'un sénateur

Modification de l'ordre du jour

Régression de la place de l'agriculture française sur les marchés internationaux

M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

M. Daniel Gremillet

M. Franck Montaugé

M. Joël Labbé

Mme Noëlle Rauscent

M. Fabien Gay

M. Franck Menonville

Mme Françoise Férat

M. Michel Raison

Mme Victoire Jasmin

M. Jean-Claude Luche

Mme Patricia Morhet-Richaud

M. Yannick Botrel

M. Rémy Pointereau

M. Alain Houpert

M. Cyril Pellevat

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains

Adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux

Explications de vote

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire

Mme Annie Guillemot

M. Jean-Marc Gabouty

M. François Patriat

Mme Cécile Cukierman

M. Alain Fouché

Mme Françoise Férat

M. Serge Babary

Entraves à des libertés, à des événements et activités légales

Discussion générale

M. Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi

M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Mme Josiane Costes

M. François Patriat

Mme Esther Benbassa

M. Alain Marc

M. Loïc Hervé

Mme Laurence Harribey

M. Guillaume Chevrollier

Discussion des articles

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article unique

ARTICLE UNIQUE

Annexes

Ordre du jour du mercredi 2 octobre 2019

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mardi 1er octobre 2019

1re séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : Mme Catherine Deroche, M. Victorin Lurel.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Ouverture de la session ordinaire 2019-2020

M. le président.  - En application de l'article 28 de la Constitution, la session ordinaire 2019-2020 est ouverte.

Démission et remplacement d'un sénateur

M. le président.  - M. Charles Revet a fait connaître à la présidence qu'il se démettait de son mandat de sénateur de Seine-Maritime à compter du 30 septembre 2019 à minuit.

En application de l'article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par M. Pascal Martin, dont le mandat de sénateur a commencé aujourd'hui à 0 heure.

En votre nom à tous je souhaite la plus cordiale bienvenue à notre nouveau collègue.

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - À 15 heures demain, à l'ouverture de la séance, le président du Sénat prononcera un hommage au président Jacques Chirac.

En conséquence, le débat sur les conclusions du rapport d'information : « Sécurité des ponts : éviter un drame » débutera à 17 heures.

Régression de la place de l'agriculture française sur les marchés internationaux

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la régression de la place de l'agriculture française sur les marchés internationaux.

M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.) Qui aurait pu penser que la force exportatrice de la France soit remise en question ? L'excédent de notre balance commerciale agricole a été divisé par deux ces cinq dernières années. Si nous n'y prenons pas garde, nous connaîtrons notre premier déficit en 2023. Qui aurait pu penser que la France qui produisait suffisamment de denrées alimentaires pour son peuple, qui exportait dans le monde entier, qui avait un savoir-faire d'excellence, devienne dépendante d'importations agricoles d'autres pays ?

Les chiffres montrent un déclin de notre agriculture que nous sommes les seuls à connaître. Le nombre des personnes travaillant dans le secteur agricole et alimentaire est passé de 12 % à 5,5 % en quarante ans.

La surface agricole a baissé de 17 %, soit l'équivalent de la région Grand Est, alors que la Chine l'a multiplié par 1,5 et le Brésil par 2.

Le nombre de vaches a été divisé par deux. La France est le pays qui a perdu le plus de parts de marché depuis 2000. Notre pays est passé de la troisième à la sixième place en moins de quinze ans.

De nouvelles puissances émergent telles la Pologne, le Brésil, la Chine et l'Inde. L'effet de compétitivité négative est dû au dumping social des autres pays européens. Le coût horaire du travail en France est 1,7 fois plus élevé qu'en Espagne et 1,5 fois qu'en Allemagne. Ainsi, le kilogramme de porc coûte 10 centimes de moins en Allemagne qu'en France. Les charges de production sont passées de 4 % à 7 % entre 2016 et 2019 alourdies encore par la loi EGalim.

La France surtranspose sans cesse les normes européennes, par exemple le glyphosate interdit dans deux ans en France et cinq ans dans le reste de l'Europe.

L'OCDE classe la France comme le pays où le degré d'exigence est bien supérieur aux autres en matière de normes environnementales. Les zones de non-traitement ne sont que le dernier exemple.

Tous ces éléments, jumelés à l'agribashing, affectent notre production et le moral des agriculteurs - l'un d'entre eux se suicide tous les deux jours.

Depuis 2000, les importations ont presque doublé. Un fruit et un légume sur deux sont importés.

Pas moins de 25 % du porc consommé en France est importé d'Allemagne ou d'Espagne, alors qu'il y a quelques années encore, c'était l'inverse.

Plus d'un jour par semaine, nous consommons des produits importés, bas de gamme, hors foyer, ce qui entre en contradiction avec les messages rassurants que l'on nous délivre.

C'est le cas pour 75 % de la volaille que nous consommons. Avec la montée en gamme, concept que vous défendez, monsieur le ministre, certains consommateurs pourront acheter de la qualité tandis que les autres ne consommeront que des produits importés.

MM. Fabien Gay et Bruno Sido.  - Et oui !

M. Laurent Duplomb.  - Pourtant, la France agricole a, jusqu'à ces dernières années, toujours su préserver l'équilibre entre les produits d'excellence tels que les AOP et les produits dits de « commodités », de tous les jours, avec une attention particulière à leur qualité sanitaire qui les oblige à répondre à une multitude de normes.

Réagissons face à ces voyants alarmants. Avec le déclin de l'agriculture française et l'entrée de produits étrangers de plus en plus massive, nous exposons les Français à plusieurs risques majeurs. Comment expliquer à nos concitoyens qu'un quart des produits importés ne respectent pas nos normes ?

M. Roger Karoutchi.  - Et le CETA !

M. Laurent Duplomb.  - Ils sont moins coûteux que les produits français, ce qui est un paradoxe insoutenable. Le bilan CO2 est pourtant très mauvais. Nous risquons en outre de faire diminuer le revenu des agriculteurs, composé à 25 % d'exportations.

M. Jean-Marc Boyer.  - T'as raison Duplomb ! (Sourires)

M. Laurent Duplomb.  - Nous risquons en outre de détruire de plus en plus d'emplois en France. Comment expliquer que nous aurons à l'avenir détruit nos emplois et que nous aurons toujours les moyens financiers pour acheter notre nourriture ailleurs ?

Il faut sauvegarder notre autosuffisance alimentaire, alors que la planète va bientôt compter 9 milliards d'habitants. Attention à trop de rigueur verte !

En 1604, Sully disait : « Labours et pâturages sont les deux mamelles dont la France est alimentée, les vrais mines et trésors du Pérou ». Dans ce but, Sully proclame la liberté du commerce des grains et abolit un grand nombre de péages. Il ouvre de grandes voies de communication et fait creuser plusieurs canaux, dont le canal de Briare qui relie la Seine à la Loire. Il va pousser les paysans à produire plus que nécessaire afin de vendre aux autres pays.

M. le président.  - Veuillez conclure !

M. Laurent Duplomb.  - Bref, il n'y a plus de pays sans paysan. Tirons la sonnette d'alarme. Nous sommes face à nos responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Merci au Sénat pour ce rapport très intéressant. Je partage beaucoup des conclusions du Sénat mais il aurait fallu ouvrir des perspectives.

M. Bruno Sido.  - C'est à vous de les indiquer !

M. Didier Guillaume, ministre.  - La France est un grand pays agricole.

M. Jean Bizet.  - Qu'elle le reste.

M. Didier Guillaume, ministre.  - La France après la deuxième Guerre Mondiale a beaucoup développé son agriculture, mais l'Allemagne, l'Autriche et la Pologne n'étaient pas des puissances agricoles. Quand elles se sont développées, cela a créé le multilatéralisme agricole. En outre, l'Union européenne a ouvert le secteur agricole à la concurrence. L'équilibre de notre balance commerciale est délicat car nous ne sommes plus seuls sur la terre. La concurrence a beaucoup évolué. Il est vrai que notre solde commercial agricole se dégrade depuis dix ans. Tous mes prédécesseurs se sont vantés de ce que la balance agricole de la France était positive. Certes, mais elle se dégradait année après année, sauf l'année dernière car nous avons exporté du blé dans les pays arabes et dans le Maghreb, ce qui a permis d'engranger un excédent de 1,5 milliard. La diminution de la balance ne peut pas se poursuivre. Cela faisait 17 ans que la Chine avait mis sous embargo notre viande. Les routes sont désormais ouvertes, mais nous n'avons pas réussi à y relancer nos ventes, en dehors du porc, puisque ce pays est frappé par la peste porcine.

Nous ne parvenons pas en France, dans la restauration commerciale et hors foyer, à promouvoir la viande française. Notre objectif est de promouvoir la production française aux échelons français, européen et international.

Le dispositif Travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE) a été maintenu cette année. Nous conservons l'exonération totale du gasoil non routier pour l'agriculture.

M. Jean-Paul Émorine.  - C'est déjà le cas !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Certes, mais c'est une mesure très importante !

Je travaille aussi sur les dossiers de l'eau et l'assurance. Opposer compétitivité, exigence environnementale et sociale et qualité est trop passéiste.

Si on veut que l'agriculture se développe, il faut qu'elle soit connectée, compétitive et qu'elle développe en son coeur la recherche et l'innovation. S'il en va autrement, c'est que nous n'avons rien compris à l'agriculture.

Parallèlement, nous devons mettre en place la transition agro-écologique.

La montée en gamme, voulue par les États généraux, ne résout pas tout. Elle est indispensable dans certaines filières ; dans d'autres, c'est l'organisation et la compétitivité dans le marché intérieur qui comptent.

Quant au dumping, nous sommes dans le marché de l'Union européenne. Nos concurrents - Espagnols, Italiens, Allemands - utilisent beaucoup de travailleurs détachés et nous envoient des produits moins chers qu'en France. Nous ne devons pas nous mettre à leur niveau mais au contraire les faire progresser. Ce travail est à mener à l'échelle européenne. Il ne faut pas opposer compétitivité à l'écologie.

Nos lycées agricoles perdent des élèves. Nous travaillons à leur attractivité. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Brigitte Micouleau applaudit également.)

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 14 mars, la Cour des comptes européenne a une nouvelle fois pointé du doigt les faiblesses des systèmes de contrôle des produits bio. Seuls 40 % du parcours des produits bio est traçable jusqu'au producteur.

En parallèle, la Direction de la concurrence et des fraudes (DGCCRF) constatait que 17 % des contrôles physiques sur les produits issus de l'agriculture biologique importés de pays tiers étaient non conformes en 2017.

Il y a tromperie des consommateurs qui paient 150 % plus cher que les produits traditionnels et croient acheter local.

Comment comptez-vous garantir que chaque denrée alimentaire destinée à la consommation humaine ou animale en provenance d'un pays tiers corresponde strictement aux standards français et européens de production ?

De quelle façon l'Europe entend réellement soumettre les produits bio importés aux règles communautaires ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - En France, nous avons la chance de disposer d'une police sanitaire compétente et plus efficace que celle de nos voisins. Nous voulons une vaste force sanitaire européenne.

Quand il y a eu tromperie sur la viande venue de Pologne, la police a mis 72 h pour remonter la filière. Ne montrons pas du doigt cette police !

Dans les cantines, rien n'a bougé depuis le Grenelle de l'environnement pour ce qui concerne le bio. Effectivement on a besoin de traçabilité. Nous allons continuer à vérifier la traçabilité pour tous les produits bio.

M. Daniel Gremillet.  - Il faut sortir du modèle européen où l'on demande aux paysans français d'être en compétition. Cessons de leur mentir. Il faut rassurer les consommateurs sur le fait que ce qu'ils ont dans l'assiette, c'est ce qu'on a décidé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Montaugé .  - Ce débat est bienvenu. Comment l'agriculture peut-elle contribuer à notre balance commerciale ? Quel regard sur le CETA ? En matière de sécurité sanitaire, les bovins au Canada sont nourris de substances interdites en France.

Une centaine de pays membres de l'OMC ont appelé l'Union européenne en juillet à reconsidérer son approche en matière de réglementation des pesticides, jugée excessivement restrictive au commerce et qui leur porterait un préjudice disproportionné.

L'Union a rappelé que la santé de la population est une priorité, mais la tentation est forte de faire plaisir à nos partenaires commerciaux. Comment faire des concessions sans affaiblir la santé et remettre en cause le principe de précaution ?

Oui : le principe de précaution doit être préservé. Ainsi, il est interdit d'importer des animaux nourris aux farines d'animaux morts. L'Union européenne interdit également l'importation de la viande aux hormones. Pour s'en assurer il faut des contrôles.

Mme Cécile Cukierman et M. Fabien Gay.  - Justement !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Attention à ne pas alimenter les soupçons. Les contrôles fonctionnent bien. (On en doute sur les travées du groupe CRCE.)

Les denrées alimentaires ne doivent contenir aucun résidu de médicaments vétérinaires. Certes, on ne peut pas contrôler tout ce qui entre en France, mais nous considérons qu'ils sont suffisants.

Nous avons une divergence quant au CETA, démarré sous Sarkozy, acté sous Hollande et en train d'être validé sous Macron. Il n'est pas encore mis en place mais des accords avec le Canada existent déjà.

M. Franck Montaugé.  - Je souhaite attirer votre attention sur la participation de l'État français au codex Alimentarius. Il faut aussi être attentif au risque que constitue la nouvelle gouvernance de la PAC en matière de verdissement ; la concurrence entre pays européens risque de s'exacerber.

M. Joël Labbé .  - L'agriculture française souffre d'une concurrence déloyale. Une part bien trop importante de nos aliments est importée et de moindre qualité. Mais la réponse ne repose pas sur un affaiblissement de la réglementation ; au contraire, je fais partie de ceux qui défendent un rehaussement des exigences en matière de sécurité alimentaire. Une partie de la solution réside dans la relocalisation de notre alimentation, à travers un changement sociétal profond. Or, le vote du CETA par l'Assemblée nationale va à l'encontre de cette évolution. Les accords de libre-échange entraînent une course aux prix toujours plus bas et au moins-disant. Les projets alimentaires territoriaux, outils efficaces de relocalisation, sont trop peu nombreux.

Dans le cadre du projet de loi de finances, soutiendrez-vous une augmentation significative du budget de ces projets ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe RDSE)

M. Didier Guillaume, ministre.  - Le codex Alimentarius est important. En mars prochain, la France le présidera.

Monsieur Labbé, je ne soutiendrai pas lors du projet de loi de finances l'augmentation du budget des projets alimentaires territoriaux. On demande toujours plus d'argent, comme une réponse à tout, alors que ces projets ont déjà de quoi fonctionner.

Voilà la troisième année consécutive que la France se voit décerner le prix de la meilleure agriculture durable du monde. Arrêtons de pleurer sans cesse ! Notre agriculture est résiliente et forte. Disons-le pour remonter le moral des agriculteurs. Notre agriculture sûre et saine nous est enviée. Il ne faut pas une agriculture pour les riches et une autre pour les pauvres. Chacun doit s'y retrouver. Notre industrie agroalimentaire est elle aussi capable de mettre en place des circuits courts.

M. Joël Labbé.  - Vous ne serez pas surpris de ma déception. Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont des outils extraordinaires de relocalisation. Pour limiter les importations, il faut gagner les marchés locaux. Nous importons 40 % de notre volaille ! Soyons cohérents. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes RDSE et SOCR)

Mme Noëlle Rauscent .  - L'étiquetage des produits a permis d'assurer une traçabilité selon des normes françaises et européennes. Il a permis de sécuriser les choix du consommateur. Grâce aux multiples applications mobiles qui fleurissent, le consommateur est devenu un « consomme-acteur », agissant de manière autonome et contribuant à la régulation de la société de consommation.

Comment accompagner nos agriculteurs face à la révolution numérique, tout en respectant le droit d'information du consommateur ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Première piste, nous devons informer et éduquer les consommateurs. Que tous ceux qui écrivent des tribunes fassent, au moment d'acheter, acte de patriotisme agricole, économique et d'autosuffisance alimentaire.

M. Bruno Sido.  - Bravo !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Nous y travaillons, notamment en révisant les programmes de nos lycées agricoles.

Deuxième chose, pour bien consommer, il faut être bien informé. Il convient donc de poursuivre notre travail en matière d'étiquetage. Dans les supermarchés, certains produits portent le label français alors qu'une infime partie est produite en France. Voilà ce qu'il faut corriger.

Mme Noëlle Rauscent.  - La traçabilité est essentielle pour le consommateur. Elle doit aussi se faire en fonction des producteurs.

M. Fabien Gay .  - Merci pour ce débat.

La libéralisation du secteur agricole et le libre-échange, tels sont les deux sujets d'actualité dans le domaine agricole. Vous nous racontez une fable sur l'agriculture, puisque vous êtes un fervent partisan du CETA dont la ratification, au demeurant, prévue le 4 novembre, a encore été repoussée. N'est-ce pas signe que le débat est vif ?

En juillet dernier, un rapport sénatorial sur les faux steaks a été publié : il a été impossible de connaître l'origine des 10 000 carcasses : polonaises, néo-zélandaises, brésiliennes ou canadiennes !

Comment me faire croire que les traités de libre-échange permettront de faciliter la traçabilité ? Est-ce une fable ? Y croyez-vous vraiment ? (Applaudissements sur toutes les travées)

M. Didier Guillaume, ministre.  - J'y crois fermement ! Arrêtons de toujours nous faire peur. L'accord avec le Mercosur ne sera pas ratifié. Quant au CETA, j'ai compris que votre assemblée ne le voterait pas... Les applaudissements sont révélateurs... Vous, sénateurs CRCE, avez toujours été opposé aux traités de libre-échange, mais ce n'est pas forcément le cas de la partie droite de l'hémicycle... Pour les faux steaks, le dossier avance bien.

D'après FranceAgriMer, sur 3 193 lots d'animaux vivants contrôlés, trente sont non conformes. Quatre sur 2 721 lots d'aliments pour animaux. Vous nous dites que 25 % des produits contrôlés sont non conformes : nous en sommes loin puisque nous sommes à 1 %.

M. Laurent Duplomb.  - Ce sont les chiffres de la Cour des comptes.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Ce ne sont pas forcément les nôtres... Monsieur Karoutchi, vous n'avez pas toujours accordé crédit aux chiffres de la Cour des comptes !

M. Fabien Gay.  - Vous êtes en train d'installer une agriculture et une alimentation à deux vitesses. Vous évitez de répondre sur le fond, car la traçabilité dans les conditions que vous proposez est impossible. C'est une fable que vous nous racontez. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Menonville .  - La France n'a pas à rougir de son agriculture qui devance l'Allemagne et l'Italie en matière de production animale et végétale, et qui dégage des excédents qui soutiennent notre balance commerciale, laquelle demeure hélas structurellement déficitaire.

La situation de l'agriculture se dégrade néanmoins dangereusement. Nous avons rétrogradé de la troisième à la sixième place en matière d'exportation et la France risque de connaître son premier déficit commercial agricole en 2023.

Les surtranspositions et les mesures franco-françaises dégradent notre compétitivité. Comment l'améliorer ? À quand un choc de compétitivité pour que nos agriculteurs puissent lutter à armes égales avec leurs concurrents européens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)

M. Didier Guillaume, ministre.  - Nous ne voulons pas mettre de boulets aux pieds des agriculteurs, mais libéraliser le plus possible le secteur. Nous avons procédé à une baisse des charges sans précédent en faveur des agriculteurs. Le président de la République nous a demandé de travailler sur un pacte productif. Nous oeuvrons à l'échelle européenne pour une montée en gamme agricole.

L'an dernier, nous avons procédé à 100 000 contrôles. C'est trop pour certains, pas assez pour M. Gay. Pour éviter qu'entrent en France des produits que nous ne souhaitons pas, nous avons prévu d'ouvrir 300 postes de contrôleurs en plus des 100 existants.

Mme Françoise Férat .  - Dans les années quatre-vingt-dix, la France était le deuxième exportateur agricole dans le monde ; elle se classe désormais à la sixième place. Nos parts de marché sont passées de 7,7 % en 2000, à 4,8 % en 2019, soit le plus fort recul mondial en dix ans, alors que l'Allemagne et les Pays-Bas ont maintenu leurs positions. CETA, Mercosur, surtranspositions, surcroît de charges, telles en sont les raisons que nous connaissons bien.

Même si la désinformation va grandissante avec l'agribashing et les approximations des journalistes en herbe, les consommateurs doivent savoir que la France continue de bénéficier de la meilleure agriculture du monde. Informons-les ! D'où la pétition que j'ai signée pour rétablir l'inscription du pays de production des produits alimentaires, dans le cadre de la campagne « Eat originals ».

Si l'on joue au même jeu mais pas avec les mêmes cartes, la partie est perdue. Tous les deux jours, un paysan français se suicide. Il ne s'agit pas d'un jeu. Comment mieux informer et éduquer les consommateurs de la qualité de l'agriculture française ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Didier Guillaume, ministre.  - L'an dernier, plus de 300 agriculteurs se sont suicidés, certes pas uniquement pour des raisons agricoles.

Nous travaillons sur le sujet avec la MSA. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) J'aurais réussi mon passage au ministère si je pouvais réduire ces suicides. La coupure entre ruraux et urbains n'est plus acceptable. Il faut que les urbains cessent de montrer les agriculteurs du doigt.

Quant à la traçabilité, elle est essentielle. La concurrence que nous subissons est, à 95 % interne à l'Union européenne, fruit du dumping social et fiscal. D'où l'importance d'une montée en gamme européenne.

M. Michel Raison .  - L'hebdomadaire The Economist, référence mondiale, nous a classés pour la troisième année consécutive modèle agricole le plus durable. Nous sommes à la 9e position en matière de phytosanitaire à l'hectare. Et on demande toujours plus à nos agriculteurs !

M. Jean Bizet.  - Absolument ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Daniel Dubois et Mme Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)

M. Michel Raison.  - Comment comptez-vous faire pour éviter les distorsions de concurrence qui viennent du fait que le Gouvernement veut bouillir plus blanc que blanc ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean Bizet.  - La concurrence est franco-française.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je ne peux pas vous laisser dire que nous voulons bouillir plus blanc que blanc. Vous avez trop d'expérience pour cela.

M. Jean Bizet.  - C'est la réalité !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Non ! Les sujets sont traités au niveau européen. Cessons d'opposer compétitivité, innovation et recherche. Arrêtons avec la fracture entre urbains et ruraux : trop de paysans se font insulter lorsqu'ils sont sur leur tracteur.

Nous avons une certaine avance : gardons-la. La sortie du glyphosate est actée en France pour le 1er janvier 2021. Tous les pays européens, y compris les pays d'Europe centrale et orientale, y viendront en 2023.

Nous avons l'agriculture la plus durable du monde et les Français sont les seuls à ne pas le savoir. Cessons d'opposer ville et campagne !

M. Michel Raison.  - Mes positions ne sont pas si éloignées, mais comment expliquer que notre agriculture est la plus durable du monde alors que vous ne parlez que de changer ce modèle agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Victoire Jasmin .  - Confronté aux normes européennes, à la concurrence déloyale des filières informelles, aux difficultés de trésorerie, aux risques naturels majeurs, aux maladies répétées dans les filières aviaire et porcine, le métier d'agriculteur n'attire plus. Ne laissons pas les lobbies dicter notre politique. Vous avez décidé de supprimer l'Office de développement de l'économie agricole outre-mer (Odeadom) malgré son utilité pour les outre-mer. Quelles sont vos intentions quant à l'agriculture en général et dans ces territoires en particulier ? (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. Didier Guillaume, ministre.  - Nous avons arrêté la baisse des inscriptions dans nos lycées agricoles : + 500 cette année, contre - 4 000 en dix ans. (M. Jean-Marc Boyer en doute.)

Je ne veux pas supprimer l'Odeadom, mais des strates administratives pour que l'agriculture outre-mer retrouve son efficacité. Il n'est pas normal que les outre-mer dépendent de leurs voisins pour leur alimentation. Les agences employant moins de 100 ETP, dont FranceAgriMer, réintégreront le giron des ministères. Ainsi, nous redonnerons le pouvoir aux élus locaux, aux présidents des chambres d'agriculture, qui ne sont pas les exécutants de la politique nationale. Les outre-mer doivent créer de nouvelles filières agricoles, animales, céréalières, maraîchères, ils y trouveront des sources d'emploi et d'une alimentation encore meilleure.

Mme Victoire Jasmin.  - L'Odeadom doit poursuivre son travail. (M. le ministre approuve.)

M. Jean-Claude Luche .  - Notre agriculture n'est pas concurrentielle : charges, coût de la main-d'oeuvre, de mise aux normes et autres contraintes en sont responsables, même si c'est au bénéfice de la sécurité alimentaire.

Pourtant, il y a bien un domaine où nous sommes compétitifs, c'est sur la qualité de nos produits - et pour le faire savoir davantage, il faut rendre transparente la provenance sur l'étiquetage des produits transformés. Le logo « fabriqué en Aveyron » - qui a tenu son premier salon ce week-end - est pionnier en la matière : il indique au moins 50 % des matières premières en provenance du département.

Cela peut tout changer. Allez-vous faire évoluer les pratiques ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Nous avons tous le même objectif : retrouver de la compétitivité, remplacer les 150 000 agriculteurs qui partiront à la retraite dans la prochaine décennie ; 12 000 nouveaux agriculteurs se sont installés en 2018 - un record ! Mais cela suffira-t-il ?

Monsieur Luche, l'Aveyron a pu mettre en place ce logo grâce à une montée en gamme, avec le roquefort notamment. Mais tous les départements ne peuvent pas se le permettre car il n'y a pas une agriculture ; il y en a plusieurs. Je le dirai demain à la foire de Clermont-Cournon, il faut un étiquetage pour toutes les agricultures.

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'article 44 de la loi EGalim précise les interdictions en matière de consommation humaine et animale. Alors que chaque Français consomme 9 kg de pâtes par an, nous devons importer massivement du blé dur, en particulier le canadien qui est pulvérisé à l'herbicide pour hâter la récolte, pratique interdite dans notre pays.

L'importation de produits d'origine animale, elle, a augmenté de 87 % depuis 2000. Quels contrôles le Gouvernement a-t-il mis en place pour que l'article 44 soit respecté ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - L'Union européenne interdit l'importation de produits qui ne sont pas à ses standards, ceci indépendamment des traités de libre-échange dont nous parlons beaucoup ces temps-ci.

Nous travaillons dans deux directions. D'abord un plan protéines végétales aux niveaux français et européen, pour parvenir à l'autosuffisance dans ce domaine. On ne peut pas continuer à importer des tourteaux de sojas. Au niveau européen, j'ai bon espoir que l'on rassemble une majorité sur ce sujet.

Sur la question du blé durable, que je connais bien, la santé doit primer ; 100 000 contrôles, je l'ai dit, sont conduits chaque année, pour s'assurer que les produits importés sont au standard européen.

M. Yannick Botrel .  - L'excédent de notre balance commerciale agroalimentaire s'érode inexorablement. Cette situation a conduit le Sénat à publier en 2013 un rapport montrant que notre secteur agroalimentaire n'avait pas su s'adapter à l'évolution des marchés mondiaux.

En cause : cinq ministères responsables, des organismes qui s'ignorent, divers freins et blocages qui nous empêchent de faire front commun à l'export - tout ceci faute d'une véritable stratégie.

Monsieur le ministre, quelle est votre analyse de cette situation ? Il convient de définir d'abord des objectifs, puis les moyens pour les atteindre et non l'inverse.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je partage 100 % de votre intervention : la France n'est pas à la hauteur de l'enjeu des exportations agricoles. On le voit au Salon international de l'alimentation (SIAL) ou à d'autres foires comme en Chine, les autres pays chassent en meute.

En France, chacun y va dans son coin, PME par PME, ETI par ETI. Rien à voir avec des pays comme l'Italie ou ceux d'Amérique latine où les acteurs agricoles se présentent ensemble pour pénétrer les marchés. Cependant, nos exportations agroalimentaires ont augmenté de 34 % en deux ou trois ans ; c'est bien que nous avons des entreprises d'excellence. Cette stratégie pour notre agriculture, nous y travaillons. Je préside le comité du Pacte productif sur l'export agroalimentaire, pour aider nos PME à partir à la conquête des marchés étrangers. Ces entreprises doivent s'adresser à nos postes diplomatiques et au ministère pour les aider.

M. Rémy Pointereau .  - Je suis très inquiet pour le devenir de nos jeunes agriculteurs. Notre pays est le premier producteur agroalimentaire de l'Union européenne mais ne cesse de perdre des parts de marché à l'international, pour l'élevage comme pour les céréales. Les raisons sont connues : surabondance de normes, trop-plein de charges ; mais surtout, depuis 2011, les gouvernements successifs ont lâché notre agriculture.

Nous sommes dans un système où coexistent des prix mondialisés et des contraintes européanisées. Sortons de la dépendance du marché de Chicago et mettons en place un équivalent européen. Monsieur le ministre, allez-vous soutenir cette proposition ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Didier Guillaume, ministre.  - Le marché, c'est aussi Euronext. La France est toujours le premier producteur et le premier exportateur de céréales en Europe. Notre avance n'est certes pas aussi importante qu'autrefois, sauf en 2018 grâce à un excédent vendu aux pays du Maghreb.

Aujourd'hui, si l'on ajoute au marché européen la mer Noire, le volume des transactions européennes est supérieur à celui du marché de Chicago. Nous ne sommes pas dans une dépendance commerciale. Si nous mettons davantage Euronext en avant, nous resterons au sommet.

M. Alain Houpert .  - Les accords de libre-échange semblent conduire notre agriculture dans une situation inextricable, avec une libre circulation sans garde-fous. Monsieur le ministre, il est caricatural de dire qu'on ne saurait exporter sans accepter d'importer. Nous refusons tout accord sans engagement sanitaire et phytosanitaire. Nous réclamons un véritable audit européen des contrôles douaniers et vétérinaires aux frontières des pays de l'Union européenne. Aux Pays-Bas, il y a vingt-cinq douaniers pour des flux de 165 milliards de dollars : quelle garantie de sérieux des contrôles, dans de telles conditions ?

Le Premier ministre a mandaté FranceAgriMer pour un audit sur notre compétitivité et la reconquête de nos positions. Le Parlement y sera-t-il associé ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Didier Guillaume, ministre.  - Encore une fois, les accords de libre-échange n'ont pas été ratifiés ; et puis certains secteurs, comme les spiritueux, ne se plaignent pas de nos échanges avec le Canada.

Pour le CETA, les contrôles sont désormais effectués à l'échelle européenne, pour éviter le jeu trouble de certains pays.

Quant à l'audit demandé à FranceAgriMer, oui, nous reviendrons vers le Parlement dès que la méthode aura été définie ; il faut tirer dans la même direction pour mettre en place une agriculture compétitive, qui rémunère ses agriculteurs et qui exporte.

M. Cyril Pellevat .  - Le constat dressé par le rapport d'information de M. Duplomb est alarmant. Les producteurs de fruits et légumes souffrent d'une concurrence déloyale. Exemple : la cerise du Gard et la carotte de Créances. Les producteurs de la première se sont vu interdire d'utiliser le diméthoate contre la mouche Suzukii, au contraire de leurs concurrents turcs. L'importation des cerises traitées est interdite - enfin, espérons que cela soit vrai...

Pour les secondes, c'est le dichloropropène qui est interdit par l'Union européenne, alors que les producteurs italiens et espagnols semblent avoir obtenu des dérogations. Qu'en est-il ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Vous voyez que les choses ne sont pas simples... Le diméthoate a été interdit par un gouvernement précédent. Grâce à la clause de sauvegarde sanitaire, aucun produit traité au diméthoate n'entre en France. (M. Cyril Pellevat en doute.)

Attention au complotisme : si vous soupçonnez que des produits traités entrent dans notre pays, faites un signalement ! La clause de sauvegarde a bien été demandée par la France et mise en oeuvre.

Quant à la carotte de Créances, les producteurs n'ont pas su changer leurs pratiques à temps... Mais nous y sommes finalement parvenus.

À terme, la France va demander la suppression de toutes les dérogations. Les pays du Nord sont sur la même ligne.

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) La tendance de fond justifiait un rapport qui tire la sonnette d'alarme : merci à Laurent Duplomb et à ses collègues du groupe sénatorial d'études « Agriculture et alimentation ». Leur rapport est cité partout sur le terrain. Leur cri d'alarme est entendu dans nos campagnes.

Edgar Pisani, ministre de l'agriculture sous Charles de Gaulle, M. Rocard sous Mitterrand, auraient-ils pu imaginer que la France ne soit plus le premier exportateur agricole européen ? Quand Jacques Chirac nous invitait à manger des pommes, la France n'importait pas la moitié de ses fruits et légumes. C'est la limite de la loi EGalim : ne prendre le problème du revenu agricole qu'à l'aune de la grande distribution ; c'est un peu court.

Comment peut-on s'engager dans une politique environnementale ambitieuse et s'accommoder des importations massives par cargo de produits souvent traités avec des produits interdits en France ?

Merci, monsieur le ministre, de vous être prêté à l'exercice. Mais les accords de libre-échange vont accroître les importations. Le CETA ne pose pas de problème de qualité, mais il met en concurrence des producteurs non soumis aux mêmes modèles de production.

La baisse de la PAC est frappante et doit être comparée avec la hausse des budgets agricoles dans les grands pays. L'agriculture française ne peut plus être la variable d'ajustement de la politique européenne.

Nous sommes un grands pays agricole et nous devons faire face. Notre agriculture est la plus performante du monde pour les enjeux de qualité. Elle peut répondre aux grands défis. (M. Michel Savin renchérit.) La meilleure façon de réaliser ses rêves, c'est de se réveiller, disait Paul Éluard. Alors, réveillons-nous ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

Mme Françoise Férat.  - Bravo !

La séance, suspendue à 16 h 5, reprend à 16 h 10.

Adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi sur l'adoption de règlements locaux de publicité intercommunaux.

Explications de vote

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - La LEC utilisée pour cette proposition de loi, trouve toute son utilité aussi pour accélérer le traitement des textes les plus urgents et très attendus - c'est le cas ici.

La proposition de loi de notre collègue Serge Babary traite des règlements locaux de publicité intercommunaux (RLPi) - sujet quotidien des élus locaux - qui réglementent l'affichage publicitaire dans nos villes. Cette proposition de loi était une demande de longue date des communes et des intercommunalités.

En effet, les élus locaux pâtissent d'une mauvaise articulation entre trois lois, adoptées à quelques années de distance, forçant les élus à s'adapter très rapidement.

Depuis la loi ALUR, les règlements locaux de publicité (RLP) sont passés aux intercommunalités ; or il faut deux à trois ans pour les élaborer. Il existe dès lors quatre types de RLP ; quelque 5 % d'entre eux, seulement, sont intercommunaux, conformes au modèle le plus récent et 1 211 RLP relèvent encore de l'ancien modèle. Dans moins de 10 mois, ils devraient tout bonnement disparaître, la loi ayant prévu une caducité automatique au 14 juillet 2020.

Conséquences : le règlement de base, national, s'appliquera, autorisant des milliers d'affichages sauvages ; le pouvoir de police sera transféré du maire au préfet ; enfin, les collectivités territoriales perdront le revenu du mobilier urbain - à Aix-Marseille, cela représente pas moins de 11 millions d'euros par an de perte...

Autre problème traité par cette proposition de loi : le défaut d'articulation entre les procédures applicables aux PLU et aux RLP, en particulier pour les règlements relevant de territoires infra-communautaires dans une intercommunalité.

Vous mesurez bien que les communes et intercommunalités font face à une double urgence : il faut sécuriser les documents en cours d'élaboration, et cela avant la date de caducité.

Les deux articles relatifs au RLP dans la loi ELAN - dont j'étais rapporteur - ont malheureusement été censurés par le Conseil constitutionnel au titre de cavaliers législatifs.

Cette proposition de loi prolonge le délai de deux ans et considère les RLP comme valables s'ils ont suivi de bonne foi les anciennes normes.

La commission a enrichi la proposition de loi sur trois volets : elle a apporté une protection supplémentaire au tiers, elle a étendu le bénéfice du délai aux EPT, elle a aligné les dates de mise en oeuvre avec les dates de caducité.

Cette proposition de loi doit être adoptée ; il y va de la tranquillité de milliers de communes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire .  - Cette proposition de loi concerne un enjeu fondamental d'attractivité du territoire. L'attente à laquelle elle répond n'est pas inconnue du Gouvernement, qui avait voulu y répondre aux articles 52 et 53 de la loi ELAN. Or le Conseil constitutionnel a censuré ces deux articles. Cette décision ne remet pas en cause leur pertinence ni leur opportunité.

La loi du 12 juillet 2010, dite Grenelle II, a adossé la compétence de RLP à la compétence de PLU. La loi du 24 mars 2014, dite loi ALUR, a prévu le transfert de cette compétence aux EPCI : cela a fait émerger de nouvelles difficultés. Toute élaboration d'un PLU et d'un RLP était valide sur la totalité du territoire. Or la loi Égalité et citoyenneté a prévu que PLU et RLP puissent être infra-communautaires.

Les anciens RLP seront caducs le 14 juillet 2020 - échéance trop courte.

La commission a adopté des améliorations avec l'avis favorable du Gouvernement, telles que l'introduction d'un délai de deux ans pour les professionnels afin qu'ils puissent adapter leur affichage aux nouveaux RLP.

La taxe locale d'affichage ne sera pas pour autant perçue par l'intercommunalité.

Le Gouvernement souhaite que cette proposition de loi soit adoptée dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Mme Annie Guillemot .  - Cette proposition de loi reprend stricto sensu les dispositions des articles 52 et 53 de la loi ELAN, censurés comme cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel.

Depuis sa création dans les années quatre-vingt, les communes élaboraient le RLP. Mais il est désormais aux mains des EPCI, multipliant les types au rythme des réformes : première génération, modèle transitoire, deuxième génération, et, enfin, les RLP intercommunaux.

Sur 1 650 RLP, seuls 82 sont intercommunaux et 1 211 non conformes.

Avec la caducité des règlements non conformes programmée pour juillet prochain, le maire n'aurait plus la police de l'affichage - c'est un risque particulier en période électorale... La collectivité ne percevrait plus les revenus liés à l'affichage sur le mobilier urbain, c'est bien dommageable.

La question posée par Martial Bourquin en commission des affaires économiques est essentielle : les communes ne doivent pas perdre la ressource liée à l'affichage au profit des EPCI, même si ce sont ceux-ci qui désormais élaborent les RLP. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Jean-Marc Gabouty .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Cette proposition de loi entend mettre en cohérence les différentes évolutions législatives successives.

Le RLP est un outil de planification et de réglementation de la publicité, dans un sens plus restrictif que le règlement national, destiné à équilibrer respect du paysage et droit à l'information. Il ne s'agit pas que de publicité commerciale, mais aussi de supports essentiels pour l'information événementielle, en matière culturelle, patrimoniale ou sportive, ou encore pour des manifestations festives. En matière d'environnement, le RLP évite la surcharge des panoptiques publicitaires ou le fléchage sauvage d'établissements commerciaux.

Depuis 2010, l'EPCI compétent en matière de PLU l'est aussi en matière de RLP.

En 2014, le transfert du PLU a été généralisé aux intercommunalités. Les aménagements de la loi de janvier 2017 au bénéfice du PLU n'ont pas été explicitement étendus aux RLP. Cette proposition de loi y remédie.

Nous allons vers un accroissement de la complexité et un allongement des délais. Il ne peut y avoir une économie d'échelle que s'il y a partage des frais fixes.

Le RLP doit rester du cousu main. Quel intérêt pour des intercommunalités XXL ? En l'état, 70 % des RLP élaborés avant 2010 seraient caducs en 2020. Allonger les délais paraît nécessaire. Les recettes des redevances doivent-elles aller à la commune ou à l'EPCI ? La réponse de Mme la ministre n'est pas claire.

La structure qui bénéficiera des recettes adoptera une approche différente. C'est, entre les EPCI et les communes, le pot de terre contre le pot de fer. On dit qu'on encourage les EPCI à adopter un RLP, or c'est une obligation et non une incitation.

Je regrette que parmi les associations d'élus seule France urbaine ait été auditionnée...

M. le président. - Veuillez conclure !

M. Jean-Marc Gabouty.  - Malgré ces réserves, le groupe RDSE votera cette proposition de loi.

M. François Patriat .  - Cette proposition de loi répond à une problématique importante. Je remercie l'auteur de cette proposition de loi, Serge Babary, et le rapporteur Dominique Estrosi Sassone de leur travail. Le Conseil constitutionnel avait censuré les articles concernant les RLP. Il fallait les rétablir. Ce n'est pas un détail technique, mais une mesure essentielle, très attendue par les 1 200 communes concernées.

Ce domaine a connu nombre d'évolutions législatives ces dernières années, cela a été souligné. Il fait aujourd'hui l'objet d'un vide juridique. Le groupe LaREM votera cette proposition de loi. Madame la ministre, vous avez toute notre confiance pour faire adopter cette proposition de loi dans les meilleurs délais. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme Cécile Cukierman .  - Déjà l'an dernier nous étions revenus sur une censure du Conseil constitutionnel dans le cadre d'une saisine de la loi ELAN. Nous devons nous interroger sur le sens d'un cavalier législatif. Pourquoi une mesure relevant de l'urbanisme est-elle considérée comme un cavalier alors qu'elle aurait trouvé sa place dans la loi ELAN ? La jurisprudence du Conseil constitutionnel est toujours plus stricte et interroge la place du législateur.

Rappelons le rôle fondamental des PLU et RLP dans la cohabitation d'intérêts parfois divergents. Les élus doivent disposer d'outils efficaces pour réglementer la publicité sur leur territoire et éviter les abords de ville défigurés.

Il s'agit de protéger les secteurs patrimoniaux et paysages tout en prenant en compte les circonstances particulières et les intérêts locaux.

Produire un RLP à l'échelle locale pose problème quand il n'y a pas d'accord entre les différentes communes.

Les intercommunalités sont choisies et fondées sur un projet commun.

Qu'il s'agisse du PLU ou du RLP, ces compétences doivent être librement transférées - ou non - aux intercommunalités.

Nous voterons cette proposition de loi qui laisse plus de temps aux intercommunalités pour produire un RLP. Elle incitera les élus à s'engager.

Le cadre assoupli évitera que des équipes municipales nouvellement élues en 2020 aient à mettre en oeuvre des RLP décidés par leurs prédécesseurs.

M. Alain Fouché .  - Cette proposition de loi est assez technique. La publicité par affichage est un outil de communication utile qui doit bénéficier à tous. Il est un vecteur utile de l'information locale.

Je suis résolument contre les panneaux des grandes surfaces commerciales ou annonçant des promotions sur les meubles, mais tout à fait favorable à l'information publique, sur les événements culturels ou sportifs, sur les foires-expositions, sur notre patrimoine, sur les zones économiques des collectivités. Toutes ces manifestations font vivre nos collectivités.

Nous ne devons pas restreindre la publicité aux agglomérations.

La France est un pays riche de ses villes, de ses villages, de ses campagnes. Nous devons communiquer sur leurs atouts. Pour autant la publicité ne doit pas défigurer nos paysages - pour cela nous avons les éoliennes ! (Rires et marques d'étonnement à gauche)

M. Roland Courteau.  - Allons bon !

M. Alain Fouché.  - Cette proposition clarifie l'existant. Les RLP sont techniques et complexes. Leur élaboration demande du temps et de l'argent, ce dont nos collectivités territoriales manquent.

Recommencer les procédures est complexe et coûteux en argent et en temps. Si rien n'est fait au 14 juillet 2020, 1 200 EPCI se verront appliquer le règlement national de la publicité moins protecteur et moins adapté. La police de l'affichage serait ainsi assurée par le préfet et non plus par le maire, ce qui ne va pas dans le sens de la proximité de plus en plus demandée.

Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi qui donne du temps et plus de sécurité aux élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Françoise Férat .  - (Quelques applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi, travaillée lors d'une PLEC, peut sembler technique. Elle est néanmoins essentielle. La situation actuelle résulte de l'empilement de lois successives votées par diverses majorités qui ont rarement donné satisfaction aux collectivités territoriales.

L'état d'insécurité juridique est très fort.

Ce texte auquel nous ne pouvons que souscrire, doit nous faire prendre conscience du poids des responsabilités qui pèsent sur les élus locaux et qui les exposent de manière inquiétante.

La question des recettes des redevances, posée en commission, est légitime : il ne faudrait pas pénaliser de manière indirecte les recettes communales déjà installées.

Établir des règles locales, ce n'est pas seulement convaincre mais prévenir les paysages et les entrées de villes.

Il y va de l'harmonie de nos communes. Nous devons fournir des outils aux élus locaux face à la pollution visuelle et à la défense du patrimoine.

J'y avais oeuvré lorsque j'étais à la tête du parc régional de la montagne de Reims.

Le règlement local de publicité est un acte volontariste.

En zone rurale, il faut souvent trouver un équilibre entre pollution visuelle et désenclavement. Nous l'avons fait sur la promotion de produits locaux. Ne revenons pas sur ce compromis. Le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Serge Babary .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'ai déposé cette proposition de loi avec plusieurs de mes collègues. Je les remercie de leur soutien. Cette proposition de loi répond à la demande de nombreux élus locaux après la censure de plusieurs articles par le Conseil constitutionnel qui avaient été adoptés dans les deux Assemblées. Le consensus existe.

Il s'agit d'assurer un équilibre entre préservation du paysage et information du public.

La loi Grenelle II du 12 juillet 2010 avait prévu un parallèle entre RLP et PLU.

Des ajustements ont été effectués par la loi ALUR du 24 mars 2020 et la loi Égalité et citoyenneté de 2017.

L'article premier sécurise l'élaboration des RLP en les alignant totalement sur les aménagements prévus pour les PLU.

L'article 2 aménage l'échéance de caducité des RLP en la repoussant de deux ans.

Les échéances qui avaient été entérinées sont trop courtes. Sur 1 258 EPCI, 125 seulement ont lancé la procédure.

Il est essentiel que les acteurs locaux puissent définir des règles propres à leur territoire. Évitons que le règlement national de la publicité s'applique, que le préfet remplace le maire et les communes perdent les recettes des redevances.

Ainsi, les collectivités territoriales auront deux ans supplémentaires pour élaborer un RLP.

Je remercie la commission pour le travail accompli. Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. Je compte sur le Gouvernement pour l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il est impératif de l'adopter et de la promulguer avant l'été. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

La séance est suspendue quelques instants.

Entraves à des libertés, à des événements et activités légales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l'exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des évènements et à l'exercice d'activités autorisés par la loi, présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe UC) Trois éléments fondamentaux ont présidé à cette proposition de loi. D'abord un récent éditorial : « dans l'esprit de nos contemporains, tout se passe comme si la violence était en passe de devenir un moyen légitime de défendre ses intérêts et de promouvoir ses convictions » ; ensuite l'article 5 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen d'après lequel « Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché ». Enfin une lettre signée par les ministres Fesneau et Wargon, adressée au rapporteur du texte créant l'Office national de la biodiversité, avant la CMP conclusive du 25 juin, par laquelle le Gouvernement reconnaissait que « certaines formes d'action militante contrevenaient au libre exercice d'activités autorisées par la loi », ce qui requérait l'intervention du Parlement. Cette lettre intervenait après l'adoption au Sénat d'un amendement par 222 voix contre 90 qui sanctionnait l'entrave aux activités cynégétiques.

La France rurale souffre. Pas une semaine où l'on ne nous explique que telle ou telle action d'entrave a été menée par un groupe d'activistes : incendie d'abattoirs dans l'Orne, de bâtiments d'élevage dans l'Ain, inscriptions sur les quatre boucheries de Lamotte-Beuvron, dans le Loir-et-Cher, blocage de l'accès des engins à un chantier, stationnement devant les entrées des permanences parlementaires, incendies des sièges des fédérations de chasseurs. Notre société est malade.

Les actions subversives suscitent une forte attente dans le monde rural. J'ai été sollicité à de multiples reprises et les acteurs du monde ruraux - agriculteurs, éleveurs, commerçants de bouche - m'ont expliqué leurs souffrances.

Il était nécessaire de faire évoluer l'arsenal répressif pour s'adapter à ces nouvelles formes de violence. Pour cela, il fallait rendre l'article 431-1 du code pénal plus universel en interdisant le recours à la violence pour faire valoir une opinion.

L'exercice était difficile, pour échapper à la censure constitutionnelle. Je remercie le président Philippe Bas et le rapporteur François Bonhomme, ainsi que nos collègues du groupe centriste. Nous sommes parvenus à un avis qui correspond à un équilibre entre la nécessité de prévoir des sanctions bien identifiées et graduées en fonction de la gravité des entraves et le souci de ne pas s'exposer à la censure constitutionnelle.

Certains ont reproché à ce texte d'être une atteinte aux libertés. Il rend au contraire à chacun la liberté d'agir légalement sans être menacé ni ostracisé, ce qui est le fondement de l'article 5 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen que je citais en introduction.

Je vous invite à le voter en espérant qu'il sera inscrit rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Lors de la CMP sur le texte créant l'OFB, la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, m'avait assuré qu'elle suivrait avec intérêt ce texte issu du Sénat, chambre très proche des territoires et de la ruralité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois .  - Ce texte vise à répondre fermement et efficacement à des infractions qui relèvent d'un phénomène de société. En 2018, la confédération française de la boucherie a recensé cinquante attaques : dégradations contre les vitrines des boucheries ou leurs murs, faux sang répandu dans les boutiques, menaces aux bouchers et à leurs clients au nom de la cause animale et entraves à la chasse. Ces actions sont le fait de groupes extrémistes, animalistes ou vegans, actifs depuis une trentaine d'années, mais dont l'action a récemment pris un tour plus violent, voire dramatique, comme l'incendie criminel d'un bâtiment d'élevage dans l'Orne, il y a quelques jours, accompagnés de messages violents : « Assassins », « Camps de la mort ».

L'incendie d'un abattoir dans l'Ain est aussi à dénoncer.

Est-il nécessaire de réaffirmer ici que la chasse, activité historique s'il en est, est appréciée par au moins 1,1 million de nos concitoyens ? Or les entraves à la chasse ne sont réprimées que par une contravention de 1 500 euros.

Chacun a le droit d'exprimer librement son opinion dans notre pays. Mais notre démocratie exige aussi que nul n'impose son opinion par la violence ou l'intimidation.

Des instructions ont été données pour renforcer la protection autour des commerces de bouche.

La Chancellerie a incité à une plus grande sévérité à l'encontre des auteurs de débordements violents.

Nous avons souhaité aller plus loin en modifiant l'article 431-1 du code pénal qui en l'état punit de 15 000 euros d'amende et un an d'emprisonnement les entraves à la liberté d'expression, d'association, de réunion, de manifestation et à l'exercice d'un travail, et de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende lorsque l'entrave a pris un caractère violent ou de dégradation.

Nous avons proposé de pouvoir sanctionner toute forme d'entrave en élargissant l'article 431-1 du code pénal.

Le Gouvernement a fait part de son intérêt pour ce texte lors de l'examen du texte portant création de l'OFB en avril dernier. Mme Wargon avait souhaité qu'il soit examiné rapidement. Nous lui donnons satisfaction avec l'organisation de ce débat dès le début de la session ordinaire.

La commission des lois n'a pas adopté ce texte, de sorte que nous examinons le texte tel que déposé sur le Bureau du Sénat. Les interrogations ont surtout été d'ordre juridique, notamment des formulations jugées imprécises et génériques. Or une infraction doit être définie de manière précise pour éviter tout arbitraire. Des membres de la commission ont douté de la nécessité de légiférer à nouveau, estimant que les infractions visées étaient déjà réprimées en l'état du droit. En effet, menaces, violences, violation de domicile sont déjà appréhendées par le droit pénal. Cependant, rien n'est prévu en cas d'entrave sans geste de violence.

Il est également nécessaire de rappeler une obligation de fermeté face à ce type d'action.

La commission des lois a adopté l'amendement de réécriture globale déposé par Jean-Paul Prince. Ce texte est attendu par nos concitoyens exaspérés par des comportements contraires au pacte républicain. Il s'agit en vérité d'un texte de liberté conforme à l'esprit de l'article de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Notre droit est protecteur des libertés. C'est un fondement de notre démocratie et nous y sommes tous particulièrement attachés.

Ce texte renforce la protection des droits individuels en visant spécifiquement les entraves à la chasse et les violences à l'égard de certaines professions.

Je condamne, au nom du Gouvernement, très fermement, tout type de violence. Le président de la République et le Premier ministre sont mobilisés sur ce sujet tout comme le ministre de l'Intérieur.

Ce texte modifie l'article 431-1 du code pénal en lui donnant une portée plus générale par la suppression de l'exigence de menaces pour une entrave portant sur la liberté d'expression, de travail, d'association ou de manifestation, et en créant une cinquième forme d'entrave : le fait « d'empêcher la tenue de tout événement ou l'exercice de toute activité autorisée par la loi ».

Ce texte pourrait se révéler contreproductif parce qu'il rend trop flous les éléments constitutifs du délit d'entrave, il risque la censure du Conseil constitutionnel et nous ne pouvons l'approuver.

La création d'une nouvelle cinquième forme d'entraves, extrêmement large et imprécise, laisse place à une part d'arbitraire dangereuse pour l'exercice des droits. Les modifications portées par la proposition de loi ne semblent pas nécessaires au regard du droit existant : les actions comme le fait d'empêcher un commerce de vendre ses produits et les spectateurs d'assister à un spectacle, mais aussi les entraves à la chasse sont déjà réprimées. Ainsi l'article R 428-12-1 du code de l'environnement prévoit déjà la sanction des obstructions à l'acte de chasse.

Je sais que vous craignez la recrudescence des actions violentes menées par les antispécistes.

La gendarmerie nationale et les services de renseignement sont pleinement mobilisés sur ce sujet. Nous assurerons la meilleure protection possible de nos artisans et commerçants, ainsi que des chasseurs. Chasse, consommation de viande, spectacles taurins, toutes ces activités mobilisent pleinement les forces de l'ordre. Des investigations minutieuses sont menées pour identifier les auteurs de violence et les faire condamner. Tel a été le cas à Courdemanges dans la Marne où des antispécistes allemands et belges étaient venus bloquer un élevage de porcs.

Sept militants ont été interpellés alors qu'ils incendiaient un abattoir à Jossigny. Au total, dix individus sont mis en examen sous douze chefs judiciaires. Dans le Nord, les responsables d'attaques contre des boucheries ont été condamnés à des peines allant jusqu'à dix-huit mois de prison.

M. Jean Bizet.  - Avec sursis ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Face à la multiplication des actions d'opposants à la chasse qui cherchent la confrontation - je pense aux chasses à courre en Vendée ou dans l'Oise - la gendarmerie met systématiquement en place un large dispositif de sécurité, avec des patrouilles à cheval.

Même si nous en partageons les objectifs, ce texte est beaucoup trop généraliste pour passer le cap du Conseil constitutionnel. Le droit existant suffit, il s'exerce, les exemples que j'ai cités en attestent.

Mme Josiane Costes .  - Boucheries vandalisées, abattoirs incendiés, les actions violentes de militants antispécistes se multiplient. Le groupe RDSE condamne ces atteintes aux biens qui méritent d'être poursuivis et sanctionnés.

Notre rapporteur a eu confirmation de la Chancellerie que des instructions avaient été passées afin de mieux sanctionner les entraves lorsqu'elles entrent dans le champ de l'article 431-1, ainsi que les intrusions, les vols et violences avérés - signe que l'auteur de la proposition de loi a été entendu.

Nous nous inquiétons de possibles atteintes aux libertés d'expression et de manifestation - qui ont d'ailleurs motivé le rejet du texte en commission - notamment avec l'extension du délit d'entrave et l'expression « par tout moyen » qui pourrait donner lieu à des interprétations très extensives.

En outre, sanctionner de la même manière l'entrave à des activités relevant des libertés fondamentales et à des activités de loisir est contraire au principe de proportionnalité des peines.

Les violences et menaces de violences sont déjà sanctionnées de manière appropriée.

Pour la majorité du groupe RDSE, il n'est pas opportun d'élargir l'application de l'article 431-1 du code pénal. L'amendement Prince, approuvé par la commission des lois ce matin, ne lève pas les inquiétudes, les termes d'intrusion et d'obstruction étant porteurs d'instabilité jurisprudentielle. En outre, il ne restreint pas suffisamment l'application du délit d'entrave aux activités sportives ou de loisir. La notion d'activité « exercées dans un cadre légal » paraît trop vaste.

Le groupe RDSE propose de différer ce débat pour réfléchir aux moyens de mieux indemniser les personnes victimes de ces agissements. Dans une jurisprudence du 5 juillet 2018, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ouvre la voie à l'indemnisation de l'entrave à une activité de loisir comme la chasse.

M. François Patriat .  - Cette proposition de loi est dans la suite logique du texte adopté en juillet qui crée l'AFB, renforçant les prérogatives de cet organisme en matière de police de l'environnement. Cette police unique en Europe, nous la devons aux fédérations de chasseurs et de pêcheurs qui l'ont mise en place il y a plusieurs décennies, avant que l'État en fasse un corps de fonctionnaires sous la double tutelle de l'agriculture et de l'écologie.

Cette police rurale est demandée par tous les gestionnaires du monde rural - agriculteurs, forestiers, élus locaux, chasseurs et pêcheurs. La gendarmerie nationale doit pouvoir s'appuyer sur une police spécialisée dans des espaces naturels de plus en plus fréquentés et dégradés.

Cela, cependant, ne suffit pas à lutter contre les nouvelles formes de violences dans nos campagnes, commises par des groupuscules antispécistes, animalistes ou vegans - et au nom de quoi ? D'un ordre moral qu'ils prétendent opposer à des activités parfaitement légales et largement pratiquées. Certes, chacun peut essayer de convaincre ses concitoyens de changer leurs habitudes alimentaires, mais dans le respect d'autrui, non par la violence et l'intimidation !

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. François Patriat.  - Ces délits de ce type doivent être réprimés efficacement, et c'est ce qui justifie mes réserves sur cette proposition de loi. Qui trop embrasse mal étreint, et les définitions sont trop imprécises pour répondre à l'impératif constitutionnel de clarté et de proportionnalité de la loi pénale.

Néanmoins, le droit existant ne suffit pas. Il convient de renforcer les prérogatives de la police rurale contre les intrusions et menaces en tout genre, faute de quoi nos concitoyens seront tentés de se faire justice eux-mêmes.

Si ce texte va dans le bon sens, il n'est sans doute pas assez précis pour être applicable sur le terrain. Le groupe LaREM se partagera entre le vote favorable, l'abstention et le vote contre.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Encore un effort !

M. François Patriat.  - Pour ma part, je voterai pour. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

À nous de produire un texte qui réponde aux attentes des ruraux et mette un terme à l'activité de ces groupuscules sectaires qui méprisent la démocratie, fût-elle participative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC et Les Indépendants)

Mme Esther Benbassa .  - Blocus, interruptions de représentations, invasions de terrain, huées : voilà ce qui justifie ce texte, selon l'exposé des motifs. Pour la droite sénatoriale, contrevenir à la loi, ce n'est pas seulement faire ce qu'elle interdit, c'est aussi empêcher ce qu'elle autorise. C'est une véritable entrave à toute expression contre l'ordre établi.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - L'ordre bourgeois, tant que vous y êtes !

Mme Esther Benbassa.  - Après le Gouvernement qui a encadré le droit à manifester en avril, la majorité sénatoriale s'attaque à nos libertés fondamentales. Sur la forme, l'exercice est convenu. Le texte, anticonstitutionnel, sera censuré. Il dénature l'article 431-1 du code pénal qui sanctionne les entraves à la liberté d'expression. Bref, il va à contre-sens du droit existant.

Cette philosophie liberticide et antidémocratique est très inquiétante, tant les mobilisations citoyennes font partie de l'ADN du peuple français.

M. Jean Bizet.  - Le mal français !

Mme Esther Benbassa.  - Ne devons-nous pas la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aux révoltes du peuple contre ses élites ? Les congés payés aux piquets de grève de 1936 ? La mobilisation étudiante n'a-t-elle pas fait plier Villepin sur le CPE ? De Notre-Dame-des-Landes à Nuit Debout en passant par les gilets jaunes, faire entendre sa voix et ses convictions est une coutume bien française.

M. Jean Bizet.  - Vive l'anarchie !

Mme Esther Benbassa.  - Vous cherchez à rendre inconciliables le droit de grève et le droit de travailler ; le droit de s'exprimer contre l'abattage des animaux et le droit de pratiquer la chasse à courre. Par votre vision manichéenne, vous scindez la Nation en deux : d'un côté ceux qui se complaisent dans l'ordre établi, de l'autre ceux qui militent pacifiquement pour le changement.

Les mouvements citoyens ne sont pas mus par la haine ; ils aspirent à une ère nouvelle, plus égalitaire et durable. Les revendications écologistes et féministes sont intrinsèquement liées à la désobéissance civile : faucheurs d'OGM, ZAD, décrocheurs du portrait présidentiel, militantes protestant contre les féminicides...

Vous souhaitez une France qui pense toute de la même manière -  et de préférence  comme vous !

Tant qu'une opposition de gauche existera, qu'une jeunesse sera prête à se lever pour ses idées, vous ne parviendrez pas à vos fins et vos tentatives de nous museler seront vaines.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Nous voilà rassurés !

Mme Esther Benbassa.  - J'espère que ce texte, rejeté en commission, le sera aussi en séance.

M. Jean Bizet.  - Surréaliste !

M. Alain Marc .  - Depuis quelques années, une nouvelle menace est apparue, venue de groupes extrémistes qui multiplient les intrusions dans les exploitations allant jusqu'à incendier un abattoir - pas très pacifique, tout cela ! La Confédération française de la boucherie-charcuterie a recensé cinquante agressions en 2018, les permanences de chasseurs ont été saccagées, j'ai reçu des menaces de mort - anonymes bien sûr - en inaugurant une maison de la chasse. Pourtant, les sangliers qui pullulent, les chevreuils ne peuvent être régulés que par les chasseurs !

Au sein d'un État de droit, nul ne saurait imposer ses opinions par la force. La République respecte les choix de vie de chacun de ses concitoyens. Oui, il faut faire preuve de fermeté contre ceux qui s'introduisent dans des bâtiments d'élevage, car menace et intimidation n'ont pas leur place sur le territoire de la République.

Cette proposition de loi vise à mieux réprimer ces actes extrémistes, mais ce faisant, elle soulève des difficultés. Sa rédaction très générale n'est pas conforme à l'exigence de clarté et de précision de la loi pénale ; de plus, entraves, menaces, violences et dégradations sont déjà réprimées par le droit existant.

Cependant l'amendement n°2 voté par la commission des lois améliore significativement ce texte. (M. Philippe Bas, président de la commission, le confirme.) C'est pourquoi, si certains membres du groupe Les Indépendants s'abstiendront, d'autres voteront le texte. Il faut mettre un coup d'arrêt aux violences de ces activistes, sans quoi on risque de voir apparaître des comportements d'autodéfense qui seraient tout à fait préjudiciables à la démocratie. (Mme Cécile Cukierman s'exclame ; Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC, Les Républicains ; M. Joseph Castelli applaudit également.)

M. Loïc Hervé .  - L'intitulé de ce texte laissait perplexe et l'exposé des motifs n'éclairait guère. Quels étaient donc les personnes et les actes visés par ce texte ? La commission des lois y a répondu : les militants vegans et antispécistes qui attaquent certains commerces ou entravent la chasse - délits et contraventions que je condamne avec force.

Le débat en commission a été nourri ; nous étions plusieurs membres du groupe UC à marquer nos réticences. Oui, il faut réprimer ces actes, mais sans porter d'atteinte disproportionnée aux libertés publiques. La formulation vague des infractions risque d'être incompatible avec le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. D'autant qu'il s'agit d'une proposition de loi : le Conseil d'État ne nous ayant pas éclairés, c'était à la commission des lois de le faire.

J'ai donc voté contre ce texte en commission ; depuis, notre collègue Prince, en collaboration avec l'auteur et le rapporteur, a proposé une réécriture satisfaisante. Elle distingue les sanctions concernant la boucherie et l'élevage, activités professionnelles, et celles qui visent la chasse, activité de loisirs. Il faut faire la part des choses : nul besoin de légiférer pour condamner des personnes qui incendient un poulailler, dégradent un commerce : le droit actuel y pourvoit.

M. Bonnecarrère a alerté ce matin sur la tendance alarmante à tout placer sous le régime pénal.

Le groupe UC votera dans sa majorité ce texte, si l'amendement de Jean-Paul Prince est adopté. D'autres s'abstiendront. À titre personnel, je voterai cette proposition de loi si elle est amendée.

On a entendu des organisations agricoles dire qu'elles ne comprenaient pas la décision de la commission des lois de la semaine dernière. Je veux leur rappeler qu'il existe des actions de mobilisation, dans le monde agricole, qui relèvent de l'entrave : blocages de la circulation, de l'accès à des supermarchés, voire à des préfectures. Ces actes sont globalement acceptés par nos concitoyens.

M. Laurent Duplomb.  - Et tombent déjà sous le coup de la loi !

M. Loïc Hervé.  - Je ne voudrais pas qu'avec l'adoption de cette proposition de loi, ce type d'action militante tombe sous le coup de la loi pénale et que notre Haute Assemblée pénalise encore plus les actes de militantisme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et sur le banc de la commission ; Mme Josiane Costes applaudit également.)

Mme Laurence Harribey .  - Remettons le texte dans son contexte. Nous souscrivons tous à son objectif. C'est souvent par des violences, en interdisant aux citoyens l'exercice de leurs droits et de leurs libertés constitutionnelles, que des partis extrémistes ont imposé leur domination à des sociétés jusque-là démocratiques.

Mais, en tant que législateurs, nous devons nous demander si les modifications au droit existant sont pertinentes.

Or l'article 431-1 est clair : il suffit à réprimer ces actes. La non-détermination du délit d'entrave est contraire à l'exigence constitutionnelle de précision de la loi pénale. Nous sommes d'accord avec le ministre sur ce point.

L'alinéa 5 mentionne le fait d'empêcher... Quelle est la différence avec l'entrave ? Cette proposition de loi incriminerait l'ensemble du champ social. Dans un état de droit, le comportement punissable doit avoir été préalablement défini comme tel par la loi. C'est une garantie contre l'arbitraire. L'article 114-4 du code pénal est clair : la loi pénale est d'interprétation stricte. Cette position est partagée par la commission des lois, qui s'est très majoritairement montrée opposée au texte, juridiquement fragile.

Attention à ne pas instituer un délit d'entrave général disproportionné, voire dangereux, criminalisant toute forme de militantisme. C'est ce que le doyen Carbonnier appelait l'effet macédonien : une réaction générale et abstraite face à une agression concrète et particulière de moins grande ampleur.

La vigilance de la commission des lois est rassurante, à cet égard.

Nous condamnons les violences contre les activités autorisées et approuvons la proposition du rapporteur de préciser la notion d'entrave pour englober violences, voies de fait, destructions, dégradations, mais aussi actions d'obstruction et intrusions. D'où notre amendement n°4 rectifié.

Notre groupe s'opposera à toute extension du champ d'application de l'article 431-1 ; attention à ne pas inverser le rapport entre principe de légalité criminelle et comportement répréhensible. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe RDSE)

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) G.K. Chesterton prophétisait : « Un temps viendra où l'on devra tirer l'épée pour avoir le droit de dire que, l'été, les feuilles des arbres sont vertes. » (M. Loïc Hervé apprécie.) Compte non tenu du dérèglement climatique... (Sourires)

Parfois, on risque gros à dire des évidences. Merci, monsieur Cardoux, pour cette proposition de loi qui rappelle qu'est permis tout ce qui n'est pas interdit et que la France est un État de droit.

Dans mon département, de nombreux éleveurs se plaignent d'intrusion de la part de militants vegans, en flagrante violation du droit de propriété. Nos agriculteurs ont à coeur de nourrir la population, et sont mobilisés pour améliorer le bien-être animal ; c'est grâce à eux que la France est encore une puissance agricole de premier plan.

Excédés, certains menacent de séquestrer les individus concernés. Il faut à tout prix éviter qu'ils ne se fassent justice eux-mêmes.

Le monde rural a besoin de notre protection. Une clarification juridique du délit d'entrave était nécessaire.

Dès lors qu'aucune effraction n'était constatée, les intrusions semblaient difficilement punissables. Il fallait y remédier.

Le texte vise donc à sanctionner des blocus, des interruptions de représentation, des invasions de terrain. Le groupe Les Républicains votera majoritairement ce texte. Là où la liberté est menacée, il est de notre devoir de la protéger. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - La commission des lois a eu des débats approfondis, à deux reprises. La semaine dernière, nous n'avions pu aboutir à une solution. M. Cardoux, que je remercie, a accepté de se remettre au travail avec M. Prince et avec le rapporteur pour trouver une solution. Nous avons atteint un bon équilibre, car, monsieur le ministre, le délit est désormais suffisamment caractérisé.

Les actes de violence - tel que, récemment, l'incendie d'un élevage de volailles dans l'Orne - sont d'ores et déjà punis par le code pénal.

Il faut punir l'obstruction et l'intrusion, c'est-à-dire le fait d'empêcher des gens d'entrer dans une boucherie, ou de commencer une chasse.

Punir l'obstruction d'une activité commerciale, c'est déjà possible car il s'agit de liberté de travailler. Mais il est bon de l'expliciter. Nous ne mettons pas sur le même plan l'obstruction à une activité sportive ou de loisir, qui encourt, logiquement, une peine moins lourde.

La liberté d'expression et de manifestation, madame Benbassa, monsieur Hervé, nous la défendons. Si vous adoptez l'amendement auquel la commission a donné un avis favorable, elle ne sera pas en cause. Si elle l'était, je ne n'y souscrirais pas !

Madame Benbassa, faire valoir ses convictions n'autorise pas tout. Empêcher la chasse, activité autorisée et encadrée par la loi, c'est utiliser un rapport de forces pour empêcher une liberté de s'exprimer. Ce n'est pas convenable.

Mme Esther Benbassa.  - La chasse devrait être interdite !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - C'est se faire justice soi-même. Nous sommes ici les défenseurs des libertés. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et sur quelques travées du groupe RDSE)

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article unique

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Menonville.

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 226-4-2 du code pénal, sont insérés des articles 226-4-3 à 226-4-6 ainsi rédigés :

« Art. 226-4-3 - Est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende le fait de s'introduire sans l'autorisation de son propriétaire ou d'une autorité compétente à l'intérieur d'un bâtiment dans lequel est exercée une activité agricole telle que définie à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime.

« Le maintien dans le bâtiment à la suite de l'introduction mentionnée au premier alinéa du présent article est puni des mêmes peines.

« Art. 226-4-4.  -  Le fait de provoquer, d'encourager ou d'inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à commettre l'infraction définie à l'article 226-4-3, lorsque ce fait a été suivi d'effet, est puni des peines prévues pour cette infraction.

« Lorsque les faits mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas suivis d'effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur, les peines sont de six mois d'emprisonnement et 7 500 € d'amende.

« Art. 226-4-5.  -  L'infraction définie à l'article 226-4-3 est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende :

« 1° Lorsqu'elle est commise en réunion ;

« 2° Lorsqu'elle est précédée, accompagnée ou suivie d'un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration ;

« 3° Lorsqu'elle est précédée, accompagnée ou suivie de violence sur autrui.

« Art. 226-4-6.  -  L'infraction définie à l'article 226-4-3 est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende :

« 1° Lorsqu'elle est commise soit avec l'usage ou la menace d'une arme, soit par une personne porteuse d'une arme soumise à autorisation, déclaration ou à enregistrement ou dont le port est prohibé ;

« 2° Lorsqu'elle est commise en bande organisée. »

M. Franck Menonville.  - Merci à M. Cardoux et à la commission des lois. Face à des intrusions illégales sur des exploitations agricoles, de plus en plus fréquentes, seule est opposable la violation de domicile. Les agriculteurs sont démunis. Cet amendement institue une infraction spécifique au monde agricole, pour garantir la biosécurité. L'enjeu est aussi sanitaire et de sécurité alimentaire.

M. le président.  - Amendement identique n°3 rectifié ter, présenté par MM. Duplomb, Bizet, Poniatowski, J.M. Boyer, Pointereau, D. Laurent, Cuypers, Karoutchi, Vaspart, H. Leroy et Chasseing, Mme Ramond, M. Courtial, Mme Deromedi, M. Piednoir, Mme Gruny, M. Brisson, Mmes Bonfanti-Dossat, Imbert et Férat, MM. Vogel et Canevet, Mme Duranton, MM. Moga et Laménie, Mme Lherbier, MM. Détraigne, Houpert et Savary, Mme Saint-Pé, MM. Lefèvre, B. Fournier, Sol, Panunzi, Segouin, de Nicolaÿ, Charon et Milon, Mmes Billon, Lassarade et Sittler, MM. Guerriau et Chaize, Mme Puissat, M. Bascher, Mmes Di Folco et Deseyne et MM. Kennel, Mayet et Louault.

M. Laurent Duplomb.  - Je vais vous raconter une anecdote. Un jour, un gendarme me téléphone : son collègue de l'Aveyron avait fait une enquête sur un activiste et il se retrouvait en possession de photos des boucles d'oreilles de mes animaux. Sans doute avaient-elles été prises à l'abattoir ? Non, ces activistes étaient entrés sur mon exploitation en 2017, à plusieurs reprises, pour placer une caméra dans mon bâtiment. Sur les photos, on voyait mon épouse, mon beau-père, en train de travailler. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Qui accepterait d'être surveillé par une caméra dans l'espace privé ? Personne. Pourquoi les agriculteurs devraient-ils l'accepter, parce qu'il leur est impossible de sécuriser leurs bâtiments, d'embaucher des agents de sécurité ?

Si nous ne faisons rien, le vivre-ensemble n'existera plus, ce ne sera plus que des accusations contre les uns au nom des valeurs des autres.

Je vais retirer toutefois cet amendement au bénéfice de l'amendement n°2 rectifié ter de M. Prince qui sanctionne ce genre d'intrusion. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

L'amendement n°3 rectifié ter est retiré.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Je partage votre préoccupation, mais nous disposons de l'arsenal juridique pour réprimer ces actes. L'article 266-4 du code pénal sanctionne le fait de s'introduire et se maintenir dans un local industriel, commercial ou professionnel sans l'accord de son propriétaire ; l'article 221-7 sanctionne les violences, destructions et dégradations qui seraient commises à l'occasion d'une intrusion dans des locaux professionnels.

La chancellerie a donné des instructions de fermeté au parquet. Il n'est pas de bonne pratique de multiplier les incriminations spécifiques. Retrait ou avis défavorable.

L'instruction pénale émise en février 2019 porte sur les actions des mouvements animalistes radicaux à l'encontre des bouchers-charcutiers et des restaurateurs. Rien, en revanche, sur les saccages de cultures, avec disséminations de graines pour rendre les parcelles impures, comme on l'a vu dans l'Aveyron, les Deux-Sèvres ou le Rhône. Ce sont des années de recherches et d'investissement perdues pour les semenciers. Le Gouvernement va-t-il préciser les instructions pénales ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Nous partageons l'objectif de cet amendement qui vise l'intrusion dans les exploitations agricoles. Avis défavorable cependant : la jurisprudence a une interprétation très large de la violation de domicile, qui inclut les locaux professionnels, par exemple les bâtiments industriels. C'est le cas pour des photos, par exemple.

Il est difficile de spécifier des intrusions dans tel ou tel type de bâtiments. S'il y a dégradation ou violence, il y a matière à action pénale.

En effet, monsieur le rapporteur, l'instruction du début de 2019 visait le mouvement antispéciste et animaliste. Mais le fauchage volontaire reste un délit condamné au titre de destruction en réunion, valant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Il y a déjà eu des condamnations.

M. Franck Menonville.  - L'amendement n°2 rectifié ter répondant à nos préoccupations, je retire le mien.

L'amendement n°1 rectifié est retiré.

ARTICLE UNIQUE

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié ter, présenté par MM. Prince, Cardoux, Luche et Janssens, Mmes Guidez et Billon, MM. Longeot et Moga, Mme Saint-Pé, M. Chevrollier, Mmes Richer, Gruny et Sittler, M. Courtial, Mme Estrosi Sassone, M. Bouchet, Mme Deroche, MM. Reichardt, Charon, de Nicolaÿ et Pierre, Mme Lopez, MM. Saury, Duplomb, Brisson et J.M. Boyer, Mme Puissat, M. Vaspart, Mme Ramond, MM. D. Laurent, Médevielle et Rapin, Mme Morhet-Richaud, MM. Houpert, Bizet et Mayet, Mme Chauvin, MM. Canevet et B. Fournier, Mme Troendlé, MM. Calvet, Détraigne, Henno, Louault, Piednoir et Gremillet, Mme Bruguière et MM. Savary, Milon, H. Leroy et Chaize.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou d'actes d'obstruction ou d'intrusion » ;

b) Les mots : « ou d'entraver » sont remplacés par les mots : « , d'entraver » ;

c) Après le mot : « territoriale », sont insérés les mots : « , ou d'entraver l'exercice d'une activité commerciale, artisanale ou agricole exercée dans un cadre légal » ;

2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sont punis d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 5 000 euros d'amende les actes d'obstruction ayant pour effet d'empêcher le déroulement d'activités sportives ou de loisir exercées dans un cadre légal. » ;

3° Au dernier alinéa, les mots : « d'une des libertés visées » sont remplacés par les mots : « de l'une des libertés ou activités mentionnées ».

M. Jean-Paul Prince.  - Cet amendement apporte une solution équilibrée face aux agressions subies par les agriculteurs, bouchers, pêcheurs, chasseurs. Il précise que sont concernées les activités commerciales, artisanales ou agricoles. L'entrave sera punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende et les actes d'obstruction aux activités sportives et de loisirs punis de six mois d'emprisonnement et de 5 000 euros d'amende.

Chacun est libre de ses opinions mais la décision d'interdire telle ou telle activité ou profession n'appartient qu'au peuple ou à ses représentants. J'espère que cette loi sera votée par le Parlement et que ces comportements inacceptables disparaîtront au profit du débat démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié, présenté par Mme Harribey et les membres du groupe socialiste et républicain.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou par des actes d'obstruction ou d'intrusion » ;

b) La seconde occurrence des mots : « d'entraver » est supprimée ;

2° Au deuxième alinéa, après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou par des actes d'obstruction ou d'intrusion ».

Mme Laurence Harribey.  - Cet amendement clarifie et complète la notion de menace. La rédaction de la proposition de loi, trop imprécise, remet en cause la liberté d'expression, de réunion ou de manifestation. Comme l'a dit Loïc Hervé, faisons attention à ce que la loi ne se retourne pas contre les agriculteurs lorsqu'ils manifestent. Je n'ai d'ailleurs pas compris sa conclusion.

Notre proposition est équilibrée. Elle ajoute les actes d'obstruction ou d'intrusion dans la définition de la menace.

Il ne s'agit en aucun cas d'une extension de l'application de cet article.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - L'amendement n°2 rectifié ter a été réécrit avec la commission des lois pour respecter l'obligation constitutionnelle de précision et de clarté de la loi pénale.

Il précise les modalités de l'entrave, en visant les actes d'intrusion et d'obstruction, ce qui favorisera une répression efficace. Il mentionne les activités commerciales, artisanales et agricoles, et il introduit un délai d'entrave aux activités sportives et de loisir exercées dans un cadre légal. Avis favorable.

De ce fait, Avis défavorable à l'amendement n°4 rectifié qui n'est pas compatible avec l'amendement n°2 rectifié ter, plus précis.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement prend acte de la volonté constructive de M. Prince qui a réécrit son amendement. Le Gouvernement veut mettre un terme à ces actions que nous condamnons tous.

La précision apportée reste néanmoins contraire au principe de la légalité des délits et des peines. En outre, la jurisprudence indique que le délit d'entrave est suffisamment défini par les termes de violence ou de voie de fait. La création d'un délit d'entrave pour certaines activités économiques n'est pas cohérente car il existe déjà une telle incrimination pour la liberté du travail.

Le droit positif punit déjà les troubles visés. Avis défavorable à l'amendement n°2 rectifié ter.

M. Jean Bizet.  - Je souscris au fait que les exactions visées sont déjà prises en compte par la législation.

Toutefois, je suis surpris des propos du ministre qui évoque cinq ans d'emprisonnement pour des destructions de cultures. Le tribunal correctionnel de Marmande, le 16 novembre 2010, a relâché 84 des 86 individus qui s'étaient rendus coupables de destructions de cultures. Il n'a condamné certains d'entre eux qu'à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 50 euros d'amende ! C'est une quasi-impunité. En 2008, j'avais rapporté la loi de coexistence des cultures prévoyant 75 000 euros d'amende et deux ans d'emprisonnement pour de tels délits.

À force de laxisme, on s'oriente vers une situation...

Mme Cécile Cukierman.  - Et l'échelle des peines ?

M. Jean Bizet.  - ... où l'on prive nos exploitations agricoles de leur compétitivité et nos entreprises de leurs capacités de recherche. De tels actes fragilisent une des plus belles filières de semences conventionnelles qui existe en Europe. Elle représente 12 000 emplois et 3,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Monsieur le ministre, revoyez les niveaux de pénalité. (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Pierre Grand.  - On parle d'intrusion, d'obstruction, d'entrave, d'agression, de destruction. Tout cela n'est pas compatible avec la République.

On pourrait parler du vol du portrait du président de la République dans une mairie. Or la justice agit avec laxisme quand elle estime que de tels comportements défendent des causes justes... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE) L'intolérance s'étend comme un cancer et c'est la République et donc nos concitoyens qui en sont les victimes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Cécile Cukierman.  - Nous ne voterons pas cette proposition de loi. Certes, il y a eu recentrage du texte, mais seuls les écrits restent, et la loi pourra être interprétée.

Croire que créer de nouvelles peines ou bien les augmenter suffira à arrêter les auteurs de ces actes est quelque peu naïf. Le sentiment de nos concitoyens de ne pas être entendus les encourage à agir de façon spectaculaire.

Défendre une cause, ce n'est pas se tenir par la barbichette. Heureusement que certains se sont introduits dans des usines pour organiser des bals et obtenir les congés payés. (Marques d'agacement à droite) Heureusement que des agriculteurs vont dans des supermarchés pour dénoncer les accords de libre-échange.

M. Jean Bizet.  - Ils ne cassent rien !

Mme Cécile Cukierman.  - Ne mélangeons pas les débats et évitons d'interdire toute expression dans notre pays.

M. Jean-Noël Cardoux.  - Monsieur le ministre, je ne comprends pas : dans vos propos liminaires, vous dites que la proposition de loi est trop imprécise. Nous travaillons, nous récrivons, et là vous dites que c'est trop précis. Il me semblait que cette proposition de loi était le bon cadre, à en croire la prose des ministres qui me demandaient une analyse fine : tel est le cas aujourd'hui.

Avec cette proposition de loi, les obstructions aux activités cynégétiques deviennent un délit et non plus une contravention. C'est très attendu et dissuasif. Le Sénat a travaillé de façon constructive. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean Louis Masson.  - Il est tout à fait inadmissible de se livrer à des opérations hors de la légalité pour défendre telle ou telle cause : dégradation de l'Arc de Triomphe, décrochage du portrait du président de la République, intrusion dans des exploitations agricoles.

Il faut une rupture vis-à-vis du laxisme des juridictions où le traitement des dossiers est invraisemblable. De plus en plus, il y a des exactions. Certains ont le droit de manifester plein la bouche. Mais ce droit doit s'arrêter au respect de la légalité.

Mme Éliane Assassi.  - Balayez devant votre porte !

M. Jean Louis Masson.  - Sous couvert du droit de manifester, on se place en dehors de la légalité. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE) Ce que je reprocherais à cet amendement, c'est de n'être pas assez ferme, on ne peut tolérer que les manifestations pacifiques.

Mme Cécile Cukierman.  - Ne dites pas n'importe quoi ! Nous n'avons jamais toléré les casseurs dans les manifestations !

M. Jean Louis Masson.  - Luttons contre ceux qui pourrissent la vie des autres. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Alain Marc.  - L'explication de M. le ministre m'a semblé un peu courte. Le délit d'entrave n'est pas forcément caractérisé par la violence ou la voie de fait. On peut empêcher un libraire de travailler en l'empêchant d'entrer dans sa librairie.

Il faut accepter l'amendement n°2 rectifié ter.

Mme Laurence Harribey.  - On peut souscrire à la nécessité de préciser l'entrave mais pas à la création de nouvelles qualifications pénales. On ajoute des qualifications à des qualifications. Or elles peuvent déjà être poursuivies sur le fondement de l'article 431-1.

On multiplie les spécificités et les qualifications ce qui aboutira à un inventaire à la Prévert qui en oubliera certaines. Dans sa grande majorité, le groupe socialiste ne votera pas ce texte.

M. Jean-Claude Luche.  - Je suis surpris par certains propos du ministre. Un délit, c'est du pénal.

Je suis sans arrêt sollicité par des agriculteurs qui voient entrer des gens chez eux, qui taguent les murs, ou des chasseurs dont les miradors sont détruits ou les parcs à gibier vandalisés. Cela devient insupportable. Je suis chasseur. Mon père était chasseur. Mon grand-père chassait pour se nourrir. Mais nos arrière-petits-enfants ne pourront plus chasser. Vous serez surpris par la révolte des paysans dont les terres sont envahies par les cervidés et par les sangliers : l'équilibre de la nature ne se fera pas naturellement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants)

M. Daniel Chasseing.  - En Corrèze, une partie d'une ferme d'engraissement de 400 ou 500 veaux a été incendiée. En Italie, ces fermes comptent 5 000 têtes. Récemment, une serre à tomates chauffée écologiquement par les déchets a été incendiée, certains ne supportant pas qu'on cultive des tomates en hiver. À Ussel, une entreprise d'abattage de bois a été incendiée : 6 millions de dégâts, car certains refusent les coupes rases de sapins.

C'est dommage pour l'emploi et pour l'argent public.

Nous respectons les avis divergents dans notre démocratie, mais la République, c'est la liberté et non la violence. C'est par la discussion et le vote majoritaire qu'on doit s'exprimer. Cette proposition de loi précise et conforte la loi actuelle, comme l'a souligné le président Bas. Enfin, ce texte ne menace pas la liberté de manifestation ni de réunion. Je voterai l'amendement n°2 rectifié ter et donc la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. Claude Bérit-Débat.  - Laurence Harribey a parfaitement expliqué les raisons pour lesquelles nous avions déposé l'amendement n°4 rectifié. Je ne comprends pas l'avis du rapporteur - qui au demeurant ne m'écoute pas... Le dérouleur indiquait un avis favorable sous réserve de rectification... Je me retrouve pourtant dans l'amendement de Laurence Harribey, qui répond au problème posé. Nous siégions ensemble avec M. Cardoux à la CMP sur la création de l'Office national de la biodiversité.

Une majorité du groupe socialiste ne votera pas cet amendement. Ceux qui soutiennent la chasse s'abstiendront pour ne pas mettre en péril la proposition de loi.

Mme Esther Benbassa.  - Cet amendement affine le texte initial en sanctionnant d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende les entraves aux activités professionnelles.

Nous nous opposons à cette proposition qui porte atteinte aux libertés fondamentales. Va-t-on emprisonner ceux qui dénoncent la société consumériste ? Va-t-on emprisonner les militants LGBT qui veulent faire cesser les chants homophobes dans les stades ?

Nous nous opposerons à cet amendement.

M. Jacques Bigot.  - Notre rapporteur soutient l'amendement de M. Prince qui réécrit le texte.

Ce texte est globalement inutile, mais pourquoi les textes qui existent déjà ne sont-ils pas mis en oeuvre ? L'arsenal pénal existe pour poursuivre les auteurs des exactions que vous mentionnez, mes chers collègues. Comment poursuivre les auteurs des exactions ? Comment poursuivre l'auteur de l'incendie d'une guérite de chasse si vous ne le trouvez pas ? Avec ce texte, vous vous faites plaisir, mais rien ne changera.

Quant au décrochage du portrait du président de la République, le juge ne statue pas seul. Un tribunal à Lyon a estimé qu'un état de nécessité pourrait justifier la soustraction de ce portrait. La cour d'appel statuera. L'arsenal juridique existe ; c'est sa mise en oeuvre qui continue de poser problème. C'est cela qu'il faut corriger, au lieu de légiférer pour la presse.

Évitons d'apporter une illusion de plus à nos concitoyens. Nous risquons d'y perdre notre crédibilité.

M. Jean-François Longeot.  - La réaction du ministre me déçoit. Comment rester sans rien faire face à ces exactions ? Nous avons la possibilité de prévenir des réactions émotionnelles de la part des agriculteurs. Votons cet amendement pour prévenir des drames. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Laurence Rossignol.  - Pourquoi avons-nous besoin d'alourdir le code pénal alors qu'il sanctionne déjà tous les faits qui ont été évoqués dans ce débat ? Cette proposition de loi est attentatoire aux libertés. L'article 431-1 protège nos libertés fondamentales, il prévoit une sanction pénale à l'encontre de ceux qui porteraient atteinte à la liberté d'expression. Le vrai problème est celui des moyens d'enquête dévolus à la police.

Chacun sait ici que j'ai déposé une proposition de loi pour l'abolition de la chasse à courre.

M. Loïc Hervé.  - Oh là là !

Mme Laurence Rossignol.  - Si vous ne le saviez pas, vous voici informé. Si nous appliquions le nouvel article 431, le simple fait de se promener dans une forêt de l'ONF, qui la loue de temps en temps à des équipages de vénerie, deviendrait une infraction pénale.

M. Loïc Hervé.  - Le groupe de l'UC votera l'amendement de M. Prince. Il est bien beau de considérer que ce texte est trop imprécis. Cependant, mon collègue Prince, en collaboration avec le rapporteur et le président Bas, en a largement amélioré la rédaction. Sachons donc accepter le compromis - une notion à laquelle mon groupe est particulièrement attaché.

Mme Harribey faisait référence à mon intervention en discussion générale où je parlais des risques d'effets de bord. Il est essentiel de les prévenir. Pour autant, cela ne remet pas en cause mon soutien à l'amendement de M. Prince qui est un bon compromis. Le compromis, chez les centristes, c'est important ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Nous avions proposé un avis favorable à l'amendement de M. Harribey sous réserve d'une modification rédactionnelle. Malheureusement, cette modification n'a pas été faite, d'où l'avis défavorable.

L'intention de M. Cardoux était surtout de protéger les faibles et de donner force à la loi.

M. Bizet a mentionné les faucheurs volontaires. C'est une filière qui concerne 19 000 agriculteurs, 12 000 emplois directs et qui consacre près de 15 % à la recherche. On ne peut pas la laisser détruire en toute impunité. Monsieur le ministre, vous me dites que l'arsenal pénal existe contre les saccages volontaires. Peut-être faut-il que l'État balaie devant sa porte et donne des instructions pénales fermes aux parquets pour qu'ils fassent appliquer la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Monsieur Cardoux, peut-être me suis-je mal expliqué : les modifications apportées par l'amendement Prince apportent des précisions, mais pas suffisantes.

Mes collègues du Gouvernement ont indiqué, dans la lettre à laquelle vous faites référence, que ces questions devaient être traitées dans le cadre du débat sur cette proposition de loi. Nous l'avons fait.

Sur la condamnation des faucheurs, vous avez cité, monsieur Bizet, des décisions d'espèce ; j'ai connaissance d'autres beaucoup plus sévères.

M. Jean Bizet.  - Il faudrait les confronter !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Vous avez raison, monsieur le rapporteur, le fauchage volontaire n'est pas acceptable : je relaierai auprès de la garde des Sceaux votre demande d'une instruction spécifique.

Les forces de l'ordre travaillent sur les groupes de décrocheurs qui investissent les mairies pour s'emparer du portrait du président de la République. Des condamnations ont été prononcées. Certes, une décision peut paraître surprenante, mais il ne m'appartient pas de la commenter.

Quant au délit d'entrave, monsieur Marc, il est complété par celui de la violation de domicile, ou encore celui de groupement en vue de commettre des violences ou à l'exercice de la liberté de travailler.

Vous avez cité l'incendie de l'élevage volailler de l'Orne où les tags faisaient allusion aux camps de la mort. Nous ne restons pas sans rien faire face à ces exactions.

Les services de police mènent une action ferme. Une cellule spécifique existe qui travaille en collaboration avec la FNSEA.

M. le président.  - Nous allons expérimenter le vote électronique : c'est une grande première ! (Exclamations amusées)

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°2 rectifié ter est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°1 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 272
Pour l'adoption 192
Contre   80

Le Sénat a adopté.

L'amendement n°2 rectifié ter est adopté, et la proposition de loi est ainsi rédigée.

L'amendement n°4 rectifié n'a plus d'objet.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Indépendants ; M. Franck Menonville applaudit également.)

Prochaine séance demain, mercredi 2 octobre 2019, à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 25.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du mercredi 2 octobre 2019

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président M. Philippe Dallier, vice-président

Secrétaires : Mme Jacky Deromedi  -  M. Daniel Dubois

1. Hommage au président Jacques Chirac

2. Questions d'actualité au Gouvernement

À 17 heures et le soir :

Présidence : M. Philippe Dallier, vice-président M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

3. Débat sur les conclusions du rapport d'information : « Sécurité des ponts : éviter un drame » ;

4. Débat sur : « L'intelligence artificielle : enjeux politiques, stratégiques et économiques ».

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°1 sur l'amendement n°2 rectifié ter, présenté par M. Jean-Paul Prince et plusieurs de ses collègues, à l'article unique de la proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l'exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des évènements et à l'exercice d'activités autorisés par la loi.

Résultat du scrutin

Nombre de votants :339

Suffrages exprimés :272

Pour :192

Contre :80

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (144)

Pour : 140

Contre : 1 - M. François Grosdidier

Abstention : 1 - M. Philippe Nachbar

N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, président du Sénat, Mme Céline Boulay-Espéronnier

Groupe SOCR (72)

Contre : 61

Abstentions : 11 - MM. Claude Bérit-Débat, Roland Courteau, Mmes Frédérique Espagnac, Laurence Harribey, Gisèle Jourda, M. Éric Kerrouche, Mme Monique Lubin, MM. Rachel Mazuir, Franck Montaugé, Claude Raynal, Yannick Vaugrenard

Groupe UC (50)

Pour : 42

Abstentions : 6 - M. Philippe Bonnecarrère, Mmes Françoise Férat, Catherine Fournier, Sophie Joissains, Évelyne Perrot, Nadia Sollogoub

N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Vincent Delahaye, président de séance, M. Bernard Delcros

Groupe du RDSE (23)

Pour : 1 - M. Joseph Castelli

Contre : 2 - MM. Ronan Dantec, Joël Labbé

Abstentions : 20

Groupe LaREM (23)

Pour : 3 - MM. Bernard Buis, François Patriat, Mme Noëlle Rauscent

Abstentions : 20

Groupe CRCE (16)

Contre : 16

Groupe Les Indépendants (13)

Pour : 4 - MM. Emmanuel Capus, Daniel Chasseing, Alain Marc, Franck Menonville

Abstentions : 9

Sénateurs non inscrits (7)

Pour : 2

N'ont pas pris part au vote : 5 - M. Philippe Adnot, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Claudine Kauffmann, MM. Pascal Martin, Stéphane Ravier