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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Relations entre la police et les citoyens

M. Olivier Léonhardt

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Situation de Renault (I)

M. Éric Bocquet

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Situation financière en outre-mer suite à la Covid-19

Mme Viviane Artigalas

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer

Étiquettes politiques des maires

M. Jean-Pierre Decool

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Situation dans les banlieues

M. Arnaud Bazin

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

Situation de Renault (II)

M. Jean-François Longeot

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Covid-19 en Guyane

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

Visites ministérielles

M. Hugues Saury

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement

Situation de Renault (III)

Mme Martine Filleul

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Pénurie de produits anesthésiques

Mme Sonia de la Provôté

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

Relocalisation de l'industrie des médicaments

Mme Christine Herzog

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Mise au point au sujet d'un vote

Avis sur une nomination

Politiques publiques à destination de la jeunesse

Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

M. André Gattolin

Mme Céline Brulin

Mme Colette Mélot

Mme Jocelyne Guidez

Mme Dominique Estrosi Sassone

Mme Claudine Lepage

Mme Guylène Pantel

M. Olivier Henno

M. Stéphane Piednoir

Mme Corinne Féret

M. Guillaume Chevrollier

Mme Viviane Artigalas

M. François Bonhomme

Mme Marta de Cidrac

M. Marc Laménie

Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État

Mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital

Discussion générale

M. Vincent Éblé, auteur de la proposition de résolution

M. Éric Bocquet

M. Emmanuel Capus

Mme Sylvie Vermeillet

M. Vincent Segouin

M. Patrick Kanner

M. Jean-Claude Requier

M. Julien Bargeton

Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Vote sur la proposition de résolution

M. Patrick Kanner

Annexes

Ordre du jour du jeudi 4 juin 2020

Analyse des scrutins




SÉANCE

du mercredi 3 juin 2020

88e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Éric Bocquet, Mme Catherine Deroche.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement sous le format adapté que nous avons défini.

Notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Relations entre la police et les citoyens

M. Olivier Léonhardt .  - Ma question s'adresse au ministre de l'Intérieur. J'avais prévu de vous interroger depuis plusieurs jours sur les tensions grandissantes entre police et citoyens. Pendant le confinement, j'ai signé avec beaucoup d'autres un appel contre le racisme dans la police.

Pour autant, nous ne pouvons laisser toute une institution républicaine être salie par les comportements intolérables d'une infime minorité. La sécurité est le premier des droits, notamment pour nos concitoyens les plus fragiles et c'est aussi la garantie de notre liberté. Nous savons combien la mission des forces de l'ordre est difficile, tandis que leurs conditions de travail et leurs moyens se dégradent depuis de trop nombreuses années.

Pendant la crise, la question des relations entre police et citoyens a été reléguée au second plan. C'est dans ce cadre explosif que la manifestation d'hier devant le tribunal de Paris a connu un écho important - et je condamne les débordements qui ont accompagné sa fin. Mais il faut garantir que la mission de la police s'exerce convenablement.

Les heures supplémentaires dues aux agents seront-elles enfin payées ? Que sera-t-il fait pour lutter contre les violences et le racisme au sein de la police nationale ?

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - Pour défendre la police républicaine, il faut également être exigeant. Chaque faute, chaque excès, chaque mot doit faire l'objet d'une enquête, d'une décision et d'une sanction. Je suis sur le sujet intransigeant. Cela permet de garantir l'action de la police et de lutter contre le racisme et l'antisémitisme. Les fautes doivent être sanctionnées et elles le sont, d'ailleurs.

Le Défenseur des droits a rendu un rapport sur des faits anciens pour lesquels les policiers incriminés ont été condamnés à quatre mois de prison. À Marseille, un policier a récemment écopé de quarante mois d'emprisonnement pour avoir déplacé un prévenu hors de la ville. Il faut être exigeant et attentif.

Le budget de la police et de la gendarmerie a augmenté d'un milliard d'euros depuis 2017. Depuis cette date, nous avons lancé un plan de recrutement de 10 000 postes supplémentaires.

Une récente enquête de l'université du Mont Blanc montre que 85 % des 48 134 personnes interrogées ont une opinion très positive de la police nationale et de la gendarmerie. C'est aussi la réalité. Celle-ci ne se fait pas sur les réseaux sociaux. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

Situation de Renault (I)

M. Éric Bocquet .  - Renault vient d'annoncer la suppression de 4 600 emplois dans notre pays.

Bien au-delà des effets de la pandémie, nous payons le choix des délocalisations massives vers les pays à bas coûts pratiquées ces deux dernières décennies.

Les menaces pesant sur l'avenir de certains sites suscitent d'énormes inquiétudes dans les territoires concernés : Maubeuge - malgré les récentes annonces - Choisy-le-Roi, Flins, Caudan ou encore Dieppe.

Le chiffre d'affaires de Renault fut de 55 milliards d'euros en 2019. L'État actionnaire a annoncé l'octroi d'une garantie publique de 5 milliards d'euros. M. Jean-Dominique Senard déclarait sur France Info, lundi soir, que cette garantie ne s'accompagnait pas de « contraintes difficiles ». Quelles sont-elles, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Je sais votre attachement à Renault comme élu du Nord. Maubeuge est, avec le Kangoo, l'un de ses sites français les plus productifs. Bruno Le Maire a réuni hier l'ensemble des organisations syndicales et les élus pour que Renault prenne des engagements devant eux.

Jean-Dominique Senard a été clair : l'entreprise est en grande difficulté ; depuis 2019, elle perd beaucoup d'argent, avec la crise, la situation s'est aggravée, et elle met en oeuvre un plan mondial de réduction des coûts. Il ne s'agit pas de délocalisation, mais d'une conséquence de la baisse des ventes. Renault peut produire 5 millions de voitures mais elle n'en vendra qu'un peu plus de 3 millions cette année.

Jean-Dominique Senard s'est engagé à ce que les suppressions d'emplois en France ne s'accompagnent pas de licenciements secs. Nous y veillerons. Il a également promis un avenir au site de Maubeuge et l'entreprise va relocaliser certaines de ses productions en France, notamment avec la traction électrique et elle va investir dans la batterie européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Éric Bocquet.  - Les sites de production des Twingo, Clio et Dacia, implantés en Slovénie, en Roumanie et en Turquie, tournent sept jours sur sept et sont surchargés. Il faut relocaliser la production de 300 000 de ces véhicules et développer des productions de véhicules hybrides. Personne ne comprendrait que l'argent public ne serve qu'à accompagner les suppressions d'emplois : notre industrie automobile mérite un autre avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

Situation financière en outre-mer suite à la Covid-19

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Je me fais ici la porte-parole de mes collègues de Guadeloupe et de Martinique, inquiets pour l'avenir budgétaire des collectivités d'outre-mer.

C'est dans un contexte de chute brutale des rentrées fiscales que le Premier ministre a annoncé ce vendredi une garantie des recettes pour les outre-mer : 110 millions d'euros pour les communes, et 40 millions d'euros pour les régions et collectivités uniques. Nous avions très tôt proposé ces mesures et elles nous satisfont. Notre collègue Georges Patient, auteur d'un rapport sur le sujet, parle pour sa part de 200 millions d'euros, quand d'autres experts avancent même la somme de 240 millions d'euros. Nous sommes donc encore très loin du compte.

Des experts de Bercy proposent de remplacer l'octroi de mer par des points de TVA supplémentaires. Renoncez à cette option mortifère qui n'a fait l'objet d'aucune consultation.

Au lieu de réformer l'octroi de mer, nos collègues vous proposent de rattraper le niveau des dotations de péréquation et de verser dès cette année les 85 millions d'euros qui font défaut aux outre-mer.

Ils vous suggèrent de préfinancer le FCTVA pour toutes les collectivités ultramarines, et pas seulement pour Mayotte. Ils souhaitent que soient versées de manière anticipée certaines ressources aux collectivités, comme la DGF, et que soient intégralement compensés les allégements de taxe de séjour et de cotisation foncière. Ils vous demandent enfin d'anticiper la crise sociale à laquelle feront face les départements et de supprimer les contrats du Pacte de Cahors.

Quelle est votre réponse à des demandes légitimes ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer .  - Les mesures annoncées par le Premier ministre vendredi sont exceptionnelles, historiques et à la hauteur des besoins pour les territoires ultramarins. Les chiffres que vous évoquez ne sont que des évaluations.

Les communes des outre-mer auront une compensation intégrale des pertes de recettes, notamment sur l'octroi de mer et sur les carburants, de même que les régions. Aucune collectivité territoriale n'est oubliée.

La Nouvelle-Calédonie s'est vu attribuer 240 millions d'euros de prêts garantis dans le PLFR 2. Le PLFR 3 traitera de la Polynésie française.

Les autres collectivités territoriales relevant de l'article 74 seront aussi aidées. Le Fonds européen d'investissement (FEI) -  110 millions d'euros - a été attribué aux territoires dès le mois de février. L'Agence française de développement a annoncé un milliard d'euros pour soutenir les collectivités et les entreprises d'outre-mer.

Le réflexe outre-mer est là. Nous sommes aux côtés de ces collectivités.

Mme Viviane Artigalas.  - Nous comptons sur vous. Il faut aider les collectivités territoriales d'outre-mer à retrouver des marges de manoeuvre budgétaires. L'investissement et l'économie des outre-mer dépendent essentiellement de la commande publique. Surtout, ne rouvrez pas le débat sur l'octroi de mer ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Étiquettes politiques des maires

M. Jean-Pierre Decool .  - C'est un parlementaire décontenancé qui vous interroge à propos de la reconnaissance des élus locaux sans étiquette. Quelque 85 % des élus locaux du Nord sont dans ce cas. En 2003, j'avais plaidé pour leur reconnaissance officielle. En 2010, le Conseil d'État ne l'avait pas permis.

Nous pensions partager ce combat ancien avec vous, monsieur le ministre. En réponse à Dany Wattebled, vous avez semblé être à notre écoute. Votre circulaire tant décriée du 10 décembre 2019 laissait la possibilité aux élus de communes de moins de 9 000 habitants de se déclarer sans étiquette, mais elle a été suspendue par le Conseil d'État. Celle du 3 février 2020 laisse cette possibilité aux élus de communes de moins de 3 500 habitants hors chefs-lieux de canton. Nous n'avons pas crié victoire mais nous pensions que le concept d'élu sans étiquette était acquis.

Mais depuis quelques jours, j'ai un horrible doute. Certains maires m'ont fait part de leur surprise en remplissant le document de déclaration des résultats. Dans celui-ci, leur étiquette politique leur est demandée, y compris dans les communes de moins de 3 500 habitants.

La circulaire du 3 février 2020 s'adresse-t-elle uniquement aux déclarations de candidature ou bien concerne-t-elle également le document de résultats des élections ? Les élus des communes de moins de 3 500 habitants peuvent-ils choisir l'absence d'étiquette ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - Ma circulaire concernant les communes de moins de 9 000 habitants évitait de laisser aux seuls préfets le soin du nuançage politique. Un maire peut avoir une étiquette politique personnelle mais pas dans la liste qu'il conduit. Le débat a eu lieu et j'ai subi quelques reproches.

J'ai abaissé le seuil à 3 500 habitants, conformément à la décision du Conseil d'État. Des élus ne se retrouvent pas dans le nuançage laissé à l'appréciation des préfets, même si c'est l'usage.

La règle qui va s'appliquer est la même que celle de 2014.

Depuis lors, 37 165 maires en fonction ont fait l'objet de ce nuançage par les préfets, dont 72 % ont été classés en « divers ». Certes, il ne s'agit pas de « sans étiquette », mais nous n'en sommes pas loin. Mes instructions sont que les préfets doivent être à l'écoute des maires. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

Situation dans les banlieues

M. Arnaud Bazin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre, il se développe en France un sentiment, voire une réelle impunité chez certains de nos concitoyens : la violence et la menace ont depuis longtemps pris la place de la loi et des forces de l'ordre, de plus en plus spectatrices de situations qui leur échappent. L'autorité de l'État n'est, à leurs yeux, plus qu'un mot.

À force de laisser faire, d'excuser et de ne rien faire, l'État a perdu le contrôle. Nous récoltons les fruits amers de nos renoncements.

Notre collègue Eustache-Brinio est victime de cette violence et de ces intimidations qui touchent tous ceux qui représentent l'État ou les pouvoirs publics : pour contester une décision prise par la mairie de sa ville, ceux qui ne l'acceptent pas ont choisi de s'en prendre à notre collègue.

Vendredi, elle a été copieusement insultée. Lundi, un groupe d'une quarantaine de personnes a fait le siège de son domicile l'empêchant de sortir de chez elle, allant jusqu'à la menacer de s'en prendre à sa mère âgée qui habite un quartier HLM de la ville. Avant que ce groupe qui déambulait dans la ville n'arrive devant son domicile, la police municipale avait prévenu la police nationale de ses intentions.

Hier, ce même groupe a recommencé sa bruyante déambulation bloquant la circulation, s'installant sur plusieurs giratoires pour finir par revenir devant le domicile de notre collègue et y proférer des menaces. Aujourd'hui notre collègue ne peut plus circuler librement dans sa ville.

Hier, une manifestation interdite devant le Palais de justice de Paris a dégénéré. La justice y était accusée de couvrir la gendarmerie. Quelle inversion des valeurs ! Les voyous tiennent la dragée haute aux forces de l'ordre. Il faut dire que votre politique consiste à vider les prisons ! Où est l'État ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur diverses travées du groupe UC)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - Je ne partage pas votre analyse, même si les faits que vous dénoncez sont inacceptables. J'ai demandé au préfet de joindre votre collègue pour que tous les moyens soient mis en oeuvre pour garantir sa liberté d'expression.

Je ne peux vous laisser dire que les voyous tiennent la dragée haute face à notre police et notre gendarmerie. Chaque fois que la police est appelée, elle vient, elle intervient. Je dénonce comme vous les violences urbaines et je fais en sorte que la police soit renforcée, comme je l'ai rappelé tout à l'heure. Nous sommes présents partout, y compris dans les quartiers.

À part en Ile-de-France, les infractions ont diminué pendant le confinement. Malgré les 120 guets-apens identifiés, police et gendarmerie sont intervenues. Quelque 300 individus ont été interpellés pendant le confinement et des condamnations ont été prononcées.

Nous portons aussi une ambition pour les quartiers ; elle va de pair avec la répression.

Situation de Renault (II)

M. Jean-François Longeot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'associe Valérie Létard et Jacques Le Nay à ma question.

Vous avez signé hier un prêt garanti par l'État de 5 milliards d'euros à Renault, assorti de garanties sociales rassurantes, notamment pour le site de Maubeuge au-delà de 2023. Nous serons néanmoins très vigilants à ce que le rendez-vous d'étape fixé dans six mois ne remette pas en cause lesdites garanties que nous estimons consubstantielles à un tel soutien public massif.

De fait, ce prêt intervient quatre jours après l'annonce de 4 600 suppressions de postes en France et sept jours après la présentation d'un plan de soutien massif à l'industrie automobile qui devait être la rampe de lancement d'une souveraineté économique retrouvée. Ce plan, et plus globalement la stratégie de l'État actionnaire, parviendront-ils à empêcher la désindustrialisation hexagonale et à relocaliser une partie de la production ?

Quelles sont les contreparties que vous avez obtenues en matière d'emplois, d'aménagement du territoire et de vision stratégique d'avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Renault perd de l'argent. Avec une capacité de production en France d'un million de voitures l'an dernier, l'entreprise n'en produira que 600 000 cette année. Ce n'est ni votre faute ni la mienne. Entre le Covid et la course au volume, Renault a une infrastructure industrielle trop importante au regard du nombre de ses clients. C'est la plus grave crise de son histoire : Renault joue sa survie. L'entreprise compte 800 000 emplois en France, 400 000 dans l'industrie et 400 000 dans les services.

Le plan automobile ne vise pas seulement à sauver les meubles, mais à construire l'avenir en faisant des groupes français les leaders des véhicules de demain, électriques et autonomes. Il ne faut pas non plus oublier les sous-traitants.

Les contreparties, c'est plus d'un milliard d'euros d'investissement pour relocaliser en France la production de Renault, Peugeot, Faurecia, Plastic Omnium et Valeo. (M. Alain Richard applaudit.)

M. Jean-François Longeot.  - Préparer l'avenir, c'est le faire. Il est très important que nous soyons leaders, par exemple dans le recyclage des batteries. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Covid-19 en Guyane

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Je me fais ici la voix de mon collègue Antoine Karam.

Le 28 mai dernier, vous avez présenté la carte de la seconde phase du déconfinement. Si presque toute la France est passée au vert, Mayotte et la Guyane sont, avec l'Île-de-France, désormais classées au niveau de vigilance orange.

Mayotte est le territoire d'Outre-mer le plus touché par le Covid-19. Plus de 1 986 cas y ont été identifiés, et 24 décès sont à déplorer. En Guyane, l'on atteint 477 cas positifs dont un décès.

Cette progression de l'épidémie n'est pas sans lien avec l'inquiétante situation sanitaire de son voisin brésilien. L'État d'Amapa compte plus de 9 600 cas positifs, 222 décès et un système de santé totalement saturé. Les communes de Saint-Georges de l'Oyapock et de Camopi sont rapidement devenues les deux premiers clusters de Guyane.

La mobilisation récente de la réserve sanitaire renforce une campagne massive de tests déployée dans l'est guyanais mais limitée au sol français. À Mayotte, ces actions commencent à porter leurs fruits et, hormis le cluster important découvert à la prison de Majicavo, la situation semble se stabiliser. Mais en Guyane, considérant la porosité de la frontière, nous pouvons nous interroger sur l'efficience de mesures qui se limiteraient à la seule rive française de l'Oyapock. Il y va de la protection de la population de l'est guyanais bien entendu, mais pas seulement.

Aussi, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement entend faire évoluer la stratégie sanitaire en Guyane au regard de la poussée de l'épidémie au Brésil ? Un dispositif de coordination et de mutualisation des moyens ne pourrait-il pas être mis en oeuvre dans le cadre de la coopération transfrontalière ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - Votre question fait écho à l'inquiétude de la population et des élus. La situation est particulière en Guyane du fait de la frontière avec le Brésil, où l'évolution est en effet inquiétante.

Il y a désormais plus de 500 cas de Covid, dont peu de cas graves à ce stade, ce qui est heureux. Une équipe de douze réservistes sera relayée la semaine prochaine à Saint-Georges. Idem à Camopi pour agir sur l'ensemble du fleuve Oyapock. Une équipe d'une vingtaine de réservistes est déployée à Cayenne, capables de bouger très vite notamment le long du Maroni.

Des moyens sont en place à Iracoubo, pour couvrir l'ouest de la Guyane pour l'instant épargné.

Un appui au centre hospitalier de Cayenne est rendu nécessaire par l'épidémie de dengue qui a conduit à l'absence de soignants qu'il faut relayer. La politique de tests a pris de l'ampleur, grâce au fret sanitaire qui a permis d'apporter des moyens, à la mobilisation de l'ARS, de la préfecture et de Santé publique France, ainsi que trois laboratoires qui ont développé des drives. Pas moins de treize respirateurs sont arrivés ou en train d'arriver au centre hospitalier de Cayenne pour renforcer les capacités d'accueil de patients plus sévères.

Les capacités d'isolement des malades ont été augmentées : une centaine de patients est hébergée dans un hôtel, à leur demande. Une coopération est en cours avec l'hôpital brésilien de l'Oyapock qui a bénéficié de matériel sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Visites ministérielles

M. Hugues Saury .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Lorsqu'un ministre se déplace, les moyens de la République, qui appartiennent à la Nation tout entière, sont mis à sa disposition. Il devrait se faire un devoir de laisser de côté toute attitude qui conduirait à privilégier les représentants d'une chambre plus qu'une autre ou pire à faire en sorte que sa famille politique soit favorisée. (On approuve sur les travées du groupe Les Républicains.)

Alors que les déplacements se multiplient, les modalités de l'organisation de ceux-ci laissent désormais songeurs. (Même approbation)

Ainsi, les préfets précisent par écrit que dorénavant, compte tenu des conditions sanitaires et du maintien des gestes barrières, le choix avait été fait d'un député pour représenter l'ensemble des parlementaires, députés et sénateurs, toutes tendances politiques confondues ! (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains ; l'on s'exclame également sur quelques travées du groupe SOCR.)

C'est pour le moins restrictif (On approuve derechef sur les mêmes travées.) et le hasard faisant bien les choses, (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains) il semblerait que très majoritairement, les circonscriptions concernées par ces visites ministérielles soient celles détenues par des députés LaREM, ou de votre majorité. (Vives exclamations sur les mêmes travées ; marques de protestation sur certaines travées du groupe SOCR)

J'ai personnellement vécu cette situation lors de la visite de MM. Riester et Lemoyne venus à Orléans pour rencontrer les professionnels du tourisme et de la culture, et à nouveau lors d'une visite ministérielle ce matin même à la base aérienne de Bricy.

Évincer la Représentation nationale n'est pas propre à mon département. (On le confirme sur plusieurs travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe SOCR.) Mes collègues de Saône-et-Loire, des Yvelines, de Haute-Garonne, de l'Oise, et d'autres départements ont, ces derniers jours, vécu exactement la même situation. Mon collègue du Doubs a même été congédié par le préfet d'une manifestation patriotique ! (Marques de réprobation sur les mêmes travées)

La dérive est donc nationale et l'initiative ne peut plus être celle d'un préfet zélé. S'agit-il alors d'une instruction gouvernementale qui viserait à écarter les sénateurs ? (On s'en offusque sur les travées du groupe Les Républicains.) Et surtout, aucun parti ne peut être la République à lui seul ! (Marques d'approbation sur les mêmes travées)

Pensez-vous, madame la ministre, qu'il est légitime de privilégier les députés, la plupart du temps de votre majorité, jusqu'à décider qu'à eux seuls ils représentent toutes les sensibilités et, à la fois, l'Assemblée nationale et le Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC, SOCR et sur quelques travées du groupe RDSE)

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement .  - Il faut distinguer le confinement (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) - pendant lequel les déplacements ministériels ont été réduits au minimum, et pour lequel nous avons dû faire des restrictions - (On feint de s'en étonner sur les mêmes travées.) et la période depuis le 11 mai, (Nouvelles exclamations) au cours de laquelle c'est l'intelligence collective qui doit s'imposer. (Rires et huées sur les travées du groupe Les Républicains ; sourires et exclamations sur diverses travées, notamment celles du groupe SOCR)

À chaque déplacement, l'application stricte des gestes barrières est la priorité : (Protestations de plus en plus vives sur les travées du groupe Les Républicains ; exclamations sur les travées du groupe SOCR) est examinée la nature du déplacement, mais on regarde aussi les endroits où il a lieu -  est-ce à l'intérieur ou à l'extérieur ? - (Les protestations fusant des travées du groupe Les Républicains couvrent la voix de la ministre) le nombre de personnes autour du ministre, l'application stricte de la distanciation et des gestes barrières, afin qu'il puisse se dérouler dans de bonnes conditions... (Brouhaha croissant sur les travées du groupe Les Républicains) Je conçois qu'il y ait des frustrations et de l'incompréhension...

M. Bruno Retailleau.  - C'est zéro pointé, cette réponse ! (On renchérit sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État.  - ... mais n'y voyez nulle malice ni aucun privilège qui serait accordé à qui que ce soit. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains quittent l'hémicycle.) Je m'étonne que dans une enceinte démocratique, d'aucuns choisissent de quitter la salle...

M. le président. - Il faut conclure !

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État.  - Les préfets font oeuvre de discernement et veillent à l'application du décret sur les préséances et, évidemment, des gestes barrières... (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Situation de Renault (III)

Mme Martine Filleul .  - Je m'exprime au nom du groupe socialiste, et plus particulièrement au nom de mes collègues de Seine-Maritime et du Val-de-Marne.

L'État a garanti 5 milliards d'euros de prêts à Renault, alors qu'un plan d'économie est en cours, avec 4 600 suppressions de postes et la fermeture de six usines.

Nous nous félicitons que la colère des salariés de Maubeuge ait été entendue et que des garanties aient été apportées. Néanmoins, nous restons vigilants : à Dieppe, il n'y a aucune garantie de pérennité de l'usine Alpine, pas plus qu'à Choisy-le-Roi, où la fermeture d'un centre modèle de l'économie circulaire est une aberration, pas plus qu'à Caudan, à Cléon ou à Sandouville.

Nous demandons des contreparties ambitieuses socialement, avec le maintien de tous les employés et de tous les sites. Il faut rompre avec trente ans de délocalisations. Nous avons besoin d'un État qui favorise un large investissement, qui insuffle une stratégie pour la filière automobile, qui accélère la recherche développement au service de l'écologie. L'automobile doit se verdir. L'État actionnaire majoritaire de Renault imposera-t-il des conditions écologiques ? Les aides publiques aux entreprises seront-elles enfin conditionnées au respect des critères sociaux et environnementaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Le plan automobile annoncé par le Président de la République répond à vos préoccupations. L'avenir de l'automobile est le verdissement.

Avec 8 milliards d'euros d'investissement et le projet Batterie électrique européen, les aides aux Français pour qu'ils puissent acheter des véhicules moins polluants, non seulement pour les plus modestes, mais pour nous tous, l'accès aux véhicules électriques et hybrides rechargeables, ce plan va dans le sens du verdissement.

Hydrogène, véhicule autonome, il faudra construire une souveraineté dans bien des secteurs : nous connaissons les retards de la France et de l'Europe dans les domaines du numérique et de son application à l'industrie. Nous ne devons pas rater ce virage ! Nous avons des arguments : le capital humain et le plan de relocalisation à hauteur d'un milliard d'euros pour la traction électrique, que nous allons déployer pour que notre industrie automobile soit à la hauteur des défis qui l'attendent.

Pénurie de produits anesthésiques

Mme Sonia de la Provôté .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'associe à ma question Nadia Sollogoub. La tempête Covid-19 passée, l'hôpital et les cliniques doivent reprendre leur activité. Mais depuis le décret du 23 avril cinq produits anesthésiques sont rationnés, l'État ayant un monopole d'achat et de livraison, la gestion locale se faisant par l'intermédiaire des ARS.

C'est une véritable crise qui se profile : les interventions sont décalées, la répartition manque de transparence et les alternatives de prise en charge sont dégradées. Les pharmacies hospitalières sont prises dans un carcan qui les empêche de réagir. L'équité face aux soins est mise à mal.

Monsieur le ministre, le stock national est-il reconstitué ? Quelles sont les clés de répartition ? Quand redonnerez-vous leur autonomie aux établissements ?

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - Je sais qu'il y a de l'émoi autour de ce sujet et des interrogations de nombreux médecins sur l'ensemble du territoire. La consommation d'anesthésiants a bondi de 2000 %. Au Brésil et aux États-Unis, où l'épidémie fait rage, elle continue d'être très élevée, ce qui incite les fabricants à prioriser ces territoires.

Un produit, en particulier, manque, le propofol. On ne peut pas le fabriquer comme cela, même les matières premières sont très rares à l'échelle mondiale, tous les pays font face à cette pénurie très complexe... Je remercie les chirurgiens qui sont obligés de freiner une partie de leur reprise d'activité.

Je sais qu'il y a des disparités territoriales, mais il s'agit moins de réquisition que d'une gestion rigoureuse des stocks pour éviter la pénurie en cas de reprise de l'épidémie.

Hélas, la situation ne reviendra pas à la normale avant plusieurs semaines. La chirurgie d'urgence se poursuit, mais la chirurgie programmable devra attendre cet été.

Cela, à nouveau, pose le problème de l'autonomie de la France et l'Europe à l'égard de médicaments absolument indispensables, absolument vitaux : nous ne pouvons pas reproduire les erreurs du passé. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC)

Mme Sonia de la Provôté.  - Il y a une inadéquation entre les besoins et la répartition, qui est inégalitaire. En plein Ségur de la santé, peut-être faut-il rendre de l'autonomie aux acteurs de terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Relocalisation de l'industrie des médicaments

Mme Christine Herzog .  - La crise sanitaire a mis en évidence la pénurie de certains médicaments et les failles de notre système d'approvisionnement. Quelque 80 % de la fabrication des molécules ont été délocalisés.

La plupart des génériques sont produits en Inde ou en Chine. Certes, la relocalisation est un processus long et complexe ; mais le rapatriement en France et en Europe de la production de molécules de médicament contre le cancer et les maladies longues devrait être une priorité.

En mars dernier, les hôpitaux de Paris ont alerté sur la pénurie de médicaments de réanimation. Le Gouvernement a-t-il entrepris des démarches en faveur de la relocalisation en France et en Europe ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Merci de souligner combien il n'est pas facile de relocaliser l'industrie pharmaceutique en France et en Europe. La crise de la Covid-19 nous renforce dans cette approche européenne de la question. Elle renforce aussi la conviction de certains de nos homologues qui étaient moins interventionnistes. Telle est la situation que nous avons trouvée. C'est pourquoi nous avions confié, il y a quelques mois, avant la pandémie, une mission dans ce sens à M. Biot - pour voir comment réimplanter les sites de production en France mais aussi sur le territoire européen.

Vous avez raison, il ne faut pas être dépendant d'un seul producteur pour éviter qu'une crise géopolitique, sanitaire, climatique ou autre bloque l'approvisionnement en toute matière. Il vaut mieux un double approvisionnement, y compris de proximité. Industriels et Gouvernement doivent travailler main dans la main.

Nous allons aussi faire évoluer la politique du médicament : l'Industrie et la Santé doivent avancer main dans la main pour que la politique de prix du médicament inclue l'anticipation du coût de production français.

Au niveau européen, nous lancerons un programme qui permet de soutenir massivement dans un secteur, comme nous l'avons fait pour la micro-électronique, nous le ferons pour la santé : mes homologues autrichien et allemand sont en phase. Nous allons y travailler rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Mme Christine Herzog.  - Les pénuries sont un danger pour notre pays.

M. le président.  - Prochaine séance de questions d'actualité, mercredi 10 juin, à 15 heures.

La séance est suspendue à 15 h 55.

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 15.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Guylène Pantel.  - Au scrutin n°108, M. Jean-Noël Guérini souhaitait voter pour.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Avis sur une nomination

Mme la présidente.  - La commission des finances a émis un avis favorable à la nomination de Mme Isabelle Falque-Pierrotin à la présidence de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel).

Politiques publiques à destination de la jeunesse

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « Quelles nouvelles politiques publiques à destination de la jeunesse afin d'aider ces publics particulièrement exposés dans la prise en charge des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire actuelle ? », débat souhaité par le groupe socialiste et républicain.

Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain .  - Quoi de plus essentiel que la jeunesse et son avenir ? L'enjeu est de solidarité entre les générations. C'est aussi une impérieuse nécessité, pour notre futur immédiat comme pour le moyen et long terme. « Nous devons faire un large crédit à notre jeunesse », pourrait-on dire en reprenant les mots de Jean Jaurès sur la nature humaine.

Les jeunes sont les moins touchés par la pandémie, mais ils sont au premier rang des victimes de la crise. La situation sociale n'a pas été suffisamment prise en compte par le Gouvernement. La crise économique et sociale à venir aura des effets dévastateurs : il faut faire jouer la solidarité nationale.

Cela appelle des mesures d'urgence pour éviter une bascule dans la pauvreté. Le plan de sortie du confinement doit s'accompagner de mesures renforcées pour les jeunes, au sein d'un titre dédié qui viendrait compléter la loi du 23 mars 2020.

L'État, garant de la justice sociale, doit mettre en oeuvre des politiques publiques ancrées dans le quotidien des jeunes : emploi, logements, tels sont en particulier des domaines à soutenir.

Les jeunes ont été privés de revenus pendant le confinement. Ils représentent 30 % de l'emploi dans les entreprises parmi les plus durement touchées, restaurants, centres de loisirs,... Or 670 000 étudiants dépendent de ces emplois. Plus de 20 % vivent sous le seuil de pauvreté. Comment feront-ils, alors qu'ils voient leur emploi d'été compromis, leur stage supprimé ? Le Gouvernement annonce une récession de 11 %. Si nous ne faisons rien, les diplômés de 2020 et ceux des années à venir seront les générations sacrifiées de la crise.

L'instabilité économique a encore accru les inégalités d'accès au logement. Il faut aller plus loin que le simple maintien des aides au logement en prévoyant des aides temporaires pour les plus fragiles, et en revenant sur la politique actuelle, sur la sous-indexation des aides - et surtout, il faut renoncer à la réforme de l'aide personnalisée au logement (APL), insupportable. Elle a déjà été reportée quatre fois. Encore un effort ! Elle toucherait 600 000 personnes dont 300 000 jeunes.

Les jeunes de nos quartiers sont particulièrement touchés avec un taux de chômage supérieur de 5 points à la moyenne. Les moins qualifiés et les bas salaires sont ceux qui ont le plus souffert de la crise et risquent de basculer dans la pauvreté.

Nous devons valoriser la richesse de la jeunesse. Le pourcentage de jeunes en insertion devrait être quatre à cinq fois plus élevé qu'il ne l'est. Les jeunes en emplois aidés ne sont que 16 % dans les quartiers, selon Mme Muriel Pénicaud. Il faut augmenter ce nombre et donner corps au principe d'équité. En 2017, on comptait 500 000 emplois aidés ; en 2019, 130 000. Cette remise en cause brutale a également fragilisé le monde associatif.

Le chômage peut atteindre dans les quartiers 45 % des jeunes sans diplôme, le double de la moyenne nationale dans cette tranche d'âge ; et ce, avant la crise. Pourtant des milliers de jeunes ont des compétences à apporter, par exemple pour résorber la fracture numérique ou aider les élèves décrocheurs, tout en payant leurs études grâce à un emploi aidé.

Il faut réactiver les emplois aidés. Le Gouvernement le fera-t-il ? Trop coûteux, peu utiles, entend-on dire. Les emplois d'avenir avaient pourtant bénéficié à 300 000 jeunes, dont 60 000 dans les quartiers. Lancez un plan spécifique pour ces quartiers, ne serait-ce qu'au profit de 20 000 jeunes, cela aiderait nos enfants... et les associations. Il y a une urgence économique et sociale. De la jeunesse dépend notre avenir collectif.

Lorsque j'étais maire, j'estimais qu'aider les gens à trouver un logement et un emploi était l'essentiel, pour qu'ils puissent construire leur vie. Mais le respect et la lutte contre les discriminations le sont tout autant. L'espoir d'un avenir serein l'est aussi, une émancipation grâce à la culture et l'éducation. Nous avons besoin de tolérance, de rencontre avec d'autres imaginaires.

Pour le groupe socialiste et républicain, compte tenu de la profondeur des inégalités, la priorité est d'aider les plus fragiles et donc les jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Je remercie le groupe socialiste et républicain de ce débat sur un sujet qui nous mobilisera dans les mois à venir.

À chaque crise économique, les jeunes sont de ceux qui sont touchés le plus violemment, quel que soit leur niveau de qualification. Quelque 550 000 jeunes de moins de 25 ans sont au chômage et 700 000 vont arriver sur le marché du travail à la rentrée. Il faut trouver des solutions.

Le premier atout de la jeunesse, ce sont les jeunes eux-mêmes. Je rends hommage à leur créativité, leur engagement, leur dynamisme et à leur énergie. Parmi les 300 000 volontaires qui se sont inscrits sur la plateforme de la réserve civique pendant la crise, 40 % avaient moins de 30 ans. Les 58 000 jeunes en service civique ont modifié leurs missions pour participer à l'effort de solidarité ; il y a également tous les jeunes qui ont aidé bénévolement dans les quartiers.

Nous devons faire prospérer cet élan après la crise et prendre appui sur l'énergie créatrice de la jeunesse. Nous devrons penser le moyen et long terme et compléter l'action économique par une action sociale.

Au plus fort de la crise sanitaire, le Gouvernement a répondu avec une force sans précédent aux drames économiques et sociaux. Les jeunes ont bénéficié des dispositifs de soutien à l'emploi, assouplissement des délais pour les droits, chômage partiel, indemnités journalières pour les jeunes parents.

Au total, quatre millions de familles pauvres ou modestes ont reçu une prime de 150 euros complétée de 100 euros par enfant. Soit 900 millions d'euros largement fléchés sur les jeunes et les enfants.

En outre, 800 000 jeunes recevront en juin une aide de 200 euros, pour compenser la perte de revenus liée à la perte d'un stage, d'un apprentissage, d'un job étudiant. Le Crous n'a pas appliqué de préavis lorsque les étudiants ont quitté leur logement pour rentrer dans leur famille. Nous avons aussi prolongé les mesures de l'aide sociale à l'enfance (ASE) pour les jeunes qui atteignaient leur majorité pendant la crise. Une opération en équipement informatique et Internet a été menée pour 15 millions d'euros.

Dans l'après crise, nous lutterons contre le décrochage scolaire, notamment dans la voie professionnelle. Nous maintiendrons la dynamique engagée dans la formation professionnelle et l'apprentissage et nous soutiendrons l'embauche. Nous lutterons contre la précarité des jeunes.

Depuis 2017, nous menons une politique pour mieux armer les jeunes. Le plan d'investissement dans les compétences a mobilisé 15 milliards d'euros, au bénéfice d'un million de jeunes et de personnes peu qualifiées : deuxième chance, lutte contre le décrochage scolaire dans les outre-mer, par exemple. Tous les 16-18 ans sans emploi auront une obligation de formation, elle a été inscrite dans la loi pour une école de la confiance.

Avec la réforme de la formation professionnelle et de l'alternance, l'apprentissage a augmenté de 16 % en 2019 pour un objectif de 400 000 jeunes. Cette dynamique doit perdurer. Un plan spécifique sera déployé à la rentrée, et dévoilé avant l'été, car oui, il faut aller vite. Des mesures seront également annoncées demain à l'issue de la rencontre avec les partenaires sociaux.

Quant aux emplois aidés et emplois jeunes, ils ont donné lieu à de très belles histoires et quelques trajectoires professionnelles positives. Mais ce n'était pas la majorité des cas et nous avons tenté de construire d'autres solutions, notamment avec les parcours emploi compétence et emplois francs dans les quartiers - des solutions d'insertion durable et qui aident à la fois le jeune et la structure qui l'accueille.

Je réfléchis à construire des ponts avec l'emploi associatif, prenant en compte les préoccupations des jeunes.

M. André Gattolin .  - Les crises économiques précédentes ont montré combien les jeunes sont une population fragile, vulnérables face au fléau du chômage. Ils pourraient se décourager, ils ont peur de ne pouvoir s'insérer sur le marché du travail.

Parmi les dispositifs qui leur sont destinés, le service civique favorise l'intégration et le lien social, et dote les jeunes de compétences précieuses pour leur avenir professionnel.

Le service civique a dix ans et le service national universel (SNU), son petit frère, est dans sa première année. Ne peut-on élargir le service civique, en augmentant son budget ? N'est-ce pas un instrument d'accompagnement dans l'après-crise ?

Par ailleurs, les jeunes en situation de handicap représentent seulement 3 % du contingent du service civique. Peut-on les aider à y accéder plus facilement ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Je vous remercie d'évoquer le service civique, maintenu sous tous les gouvernements, et qui fête ses dix ans. Nous avons dû reporter l'événement prévu en mars... Le dispositif a été construit pour favoriser l'engagement des jeunes. Il s'est imposé comme un moment où les jeunes prennent confiance en eux, développent des compétences, notamment de savoir-être, de sorte qu'il est devenu une sorte de label pour les entreprises.

Nous avons beaucoup investi dans le service civique depuis 2017 et il faut poursuivre l'effort.

Quelque 145 000 à 150 000 jeunes y sont inscrits cette année. Les jeunes ont envie de s'engager, la crise l'a montré. Le service civique peut être une des réponses à la crise. Nous mobiliserons tous les moyens pour l'élargir sans pour autant nuire à la qualité des missions - il ne s'agit ni de remplacer des emplois, ni d'occuper les jeunes !

M. André Gattolin.  - Je vous remercie pour votre réponse. J'insiste sur les jeunes en situation de handicap. Le service civique permet d'aller plus loin dans l'insertion professionnelle. Les associations qui oeuvrent dans le domaine du handicap y sont très sensibles. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme Céline Brulin .  - La crise sanitaire et ses conséquences sociales et économiques mettent en lumière de profondes inégalités. Les jeunes doivent faire face au non-renouvellement des CDD, à l'absence de protection sociale liée à l'ubérisation, à l'impossibilité de trouver un job d'été, sans compter des soupçons qui pèsent sur la valeur des diplômes délivrés cette année. Aucune date n'est encore fixée pour la reprise des examens du permis de conduire alors qu'il est souvent indispensable pour obtenir un emploi dans les territoires. Ces questions très diverses méritent réponse.

Le RSA pourrait être un filet de sécurité. Salutaire dans la période, sans constituer pourtant un horizon satisfaisant. Pourquoi les jeunes, majeurs à 18 ans, capables de voter, cotiser, payer des impôts, sont-ils exclus de ce volet de la solidarité nationale ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Monsieur Gattolin, 1,5 % des jeunes en service civique étaient en situation de handicap quand j'ai été nommé. Mon objectif est d'atteindre les 3 %. Je suis très sensible à cette question.

Madame Brulin, je partage votre constat. Le débat qui crée des divergences entre nous porte sur la méthode. Je ne suis pas favorable à l'extension du RSA aux moins de 25 ans qui disposent déjà de la garantie jeunes.

Mieux vaut soutenir et élargir ce dispositif. L'enjeu est celui de l'accompagnement humain des jeunes vers l'emploi, alors que le RSA est démobilisateur, pour les structures qui accompagnent les jeunes. Le revenu universel d'activité est un grand chantier que nous avons ouvert, et qui se poursuivra pour une mise en oeuvre en 2023.

Mme Céline Brulin.  - Le RSA, comme auparavant le RMI, comporte un volet insertion. Il est faux de dire que si les jeunes touchent un revenu de solidarité ils ne cherchent pas de travail. Mais des entreprises comme Renault annoncent des suppressions d'emplois malgré les plans de soutien ! Les débouchés industriels reculent. Les jeunes eux aussi ont besoin d'un filet de sécurité.

Mme Colette Mélot .  - Alors que 750 000 jeunes vont sortir des études, leur insertion s'annonce compliquée. L'Association pour l'emploi des cadres (APEC) observe une baisse de 70 % des offres d'emploi concernant les jeunes diplômés. Les centres de formation d'apprentis (CFA) rouvrent progressivement mais certains sont menacés, car leur financement dépend du nombre de contrats signés. Des secteurs comme l'hôtellerie et la restauration, en grande difficulté, accueillent traditionnellement beaucoup d'apprentis. Ne faudrait-il pas, d'une part, revoir les règles du financement des CFA et, d'autre part, faciliter l'entrée et la sortie des jeunes dans les dispositifs d'apprentissage, pour aider les entreprises à se remettre à flot sans pénaliser les jeunes ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - L'apprentissage est une très grande priorité du Gouvernement. Grâce à Muriel Pénicaud, nous avons réussi à atteindre 400 000 apprentis. La crise ne doit pas casser cet élan.

Une réunion importante se tiendra demain autour du Président de la République, avec les partenaires sociaux. Je ne puis vous faire la moindre annonce avant. L'apprentissage est une voie d'excellence ; nous avons réussi à faire reconnaître sa place dans la société et nous allons continuer à le soutenir.

Mme Colette Mélot.  - Avec la crise, les entreprises sont plus réticentes à recruter. J'espère que vous les soutiendrez massivement afin de préserver cette voie d'excellence.

Mme Jocelyne Guidez .  - Entre inquiétude du présent et crainte du lendemain, notre jeunesse est loin d'être sereine.

La réussite était déjà un parcours du combattant, c'est désormais un espoir incertain.

L'apprentissage est essentiel. Avant la crise, il était en croissance, malgré la difficulté à trouver parfois une entreprise - désormais, cela risque de devenir compliqué. Mais vous avez largement répondu à cette question.

Ne faudrait-il pas relancer les contrats d'avenir, dans le secteur marchand ou non marchand ? C'est une autre demande forte. Ne sacrifions pas nos jeunes, alors qu'ils sont l'avenir.

Des communes sont prêtes à faire le jeu d'un vrai contrat accompagné.

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Nous annoncerons demain un soutien aux centres de formation et aux apprentis qui ont décroché, dont la proportion est estimée à 15 % par Jean-Marie Marx, haut-commissaire aux compétences auprès de la ministre du travail. Ainsi, les lycées professionnels resteront ouverts cet été. Un plan de relance sera présenté cet été avec des investissements sur des secteurs d'avenir comme le soin, la transition énergétique et le numérique. Il y aura des perspectives d'emploi. Nous pourrons y former des jeunes.

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - Je m'exprime comme parlementaire, mais aussi comme présidente de la mission locale Nice Côte d'Azur. Le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A a bondi, notamment parmi les plus jeunes. La mission locale enregistre une baisse des recrutements de 84 % en un an.

Les CFA rouvrent actuellement à la carte, ce qui ne facilite pas le suivi des études, tandis que la valeur du diplôme est menacée parce que la formation pratique a été interrompue. Les contrats d'apprentissage, dans les Alpes-Maritimes, concernent essentiellement la période avril-octobre, dans les secteurs de la restauration ou de l'hôtellerie. Les offres sont moins nombreuses.

Comptez-vous élargir le fonds d'aide aux jeunes, au-delà des 200 euros en mai ? Renforcer les contrats aidés dans le secteur non marchand ? Diminuer les charges, proposer une incitation financière sous forme d'exonération de cotisations, pour le recrutement d'un jeune en CDI ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Les chiffres que vous citez sont inquiétants. L'essentiel maintenant est que l'activité reparte le plus vite possible. La reprise de l'apprentissage était de 30 % la semaine dernière - l'objectif est d'atteindre 60 % avant l'été.

L'incitation financière est sur la table ; nous en discutons avec Bruno Le Maire. Des mesures en ce sens avaient été prises en 2008. La question n'est pas encore tranchée.

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Nous avons une responsabilité éminente : cette génération ne doit pas être sacrifiée ou pénalisée.

Mme Claudine Lepage .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous devons à notre jeunesse un horizon et l'espoir d'un avenir meilleur, qui passe par l'éducation et par la rencontre avec d'autres cultures.

Hélas la crise du coronavirus a interrompu la mobilité internationale des étudiants. Qu'en sera-t-il à la rentrée prochaine ? Les échanges Erasmus devraient pouvoir avoir lieu mais hors Europe, les universités proposent des reports et des annulations, et proposent des cours en ligne. Or cela ne pourra jamais remplacer l'immersion dans un autre pays !

Les jeunes qui s'apprêtaient à vivre un service civique à l'étranger ou un projet « vacances-travail » ont vu leur projet d'expatriation s'écrouler et se retrouvent sans perspectives, alors que ces expériences sont plébiscitées par les jeunes qui peinent à s'insérer. Je crains que la pandémie ne favorise le repli sur soi.

Comment donner un nouvel élan à la mobilité des jeunes, indispensable à leur insertion professionnelle ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Je vous rejoins totalement. La mobilité internationale est essentielle à la formation des jeunes, à leur insertion dans l'emploi et à l'avenir de l'Europe. L'objectif fixé par le président de la République dans le discours de la Sorbonne était que la moitié d'une classe d'âge ait passé au moins six mois dans un autre pays européen à l'horizon 2024.

Nous en avons parlé lors d'une visioconférence avec mes homologues européens : dès que les frontières rouvriront, il faudra relancer au plus vite les dispositifs de mobilité comme Erasmus+ ou le Corps européen de solidarité.

Le temps avant le premier emploi doit être utile et formateur : nous devons proposer une palette de solutions aux jeunes - je pense au volontariat international en entreprise ou au service civique à l'étranger - qui leur permettent de développer leurs compétences.

Mme Claudine Lepage.  - Moi aussi, je veux y croire.

Mme Guylène Pantel .  - Je remercie nos collègues du groupe socialiste et républicain d'avoir organisé ce débat.

De nombreux jeunes, étudiants ou non, exercent une activité rémunérée leur permettant de vivre de manière autonome. Si le Gouvernement a annoncé une aide de 200 euros aux étudiants précaires et aux jeunes de moins de 25 ans bénéficiant des APL, une partie du public cible ne pourra pas en bénéficier. Certains jeunes précaires ne sont pas étudiants, certains étudiants précaires ne touchent pas d'APL. Les trous dans la raquette existent.

Avec la crise, il sera de plus en plus difficile pour ces jeunes d'accéder à un emploi. Dans tous les territoires, ils seront frappés de plein fouet.

Dans un rapport remis au Premier ministre en mars 2017, Célia Verot et Antoine Dulin proposaient la mise en place d'un revenu minimum garanti aux jeunes à compter de leur majorité, sous conditions de ressources. Ce « revenu socle », limité dans le temps, ne bénéficierait qu'à ceux qui en ont besoin, atténuant les effets de seuil, et permettrait aux 18-30 ans de bénéficier d'un suivi intensif des services sociaux.

Le Gouvernement compte-t-il travailler sur ce genre de dispositif ? Quelles mesures sont envisagées pour que les jeunes les plus précaires, les plus isolés, ne se trouvent plus en dehors des dispositifs d'aides et, grâce à la solidarité nationale, remettent le pied à l'étrier ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Nous avons effectivement apporté une aide exceptionnelle pendant le confinement. Dans l'urgence, il y a souvent des trous dans la raquette, mais nous avons fait au mieux en visant les étudiants et les bénéficiaires d'APL, ce qui permettait un versement automatique et écartait le risque de non-recours.

Il faut renforcer l'accompagnement financier pour lutter contre la précarité des jeunes alors que les perspectives d'emploi se réduisent. Je crois beaucoup à la garantie jeunes et au Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea). Sans doute faudra-t-il des adaptations, au regard de la crise, pour viser également un public plus qualifié que le public habituel des missions locales. Il y aura besoin d'une aide financière d'urgence. Nous y travaillons, et je suis preneur de vos propositions.

M. Olivier Henno .  - Le dispositif « vacances apprenantes » évoqué par le ministre de l'Éducation nationale n'a pas encore été formalisé par un texte officiel. Jean-Michel Blanquer, le 15 avril, a évoqué les colonies de vacances, l'accueil de loisir, le soutien scolaire gratuit pour les décrocheurs ; on envisagerait d'ouvrir les lycées professionnels...

Nous saluons l'objectif, mais souhaiterions connaître les détails de la mesure. Tous les enfants n'ont pas vécu de manière identique l'école à la maison et le retour en classe - qui ne concerne que 10 % des collégiens dans le Nord.

Qui seront les intervenants auprès des jeunes ? Il faudra capitaliser sur les acquis, s'inspirer du dispositif École ouverte qui a fait ses preuves depuis 1991.

Comment enfin toucher les familles des jeunes décrocheurs ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Le confinement a été très difficile pour les jeunes. Ils auront besoin de s'aérer, de s'évader, d'aller au contact d'autres enfants, mais aussi de rattraper un éventuel retard et de préparer la rentrée.

Il y aura trois dispositifs : « École ouverte » avec un accueil multiplié par six, avec cours de rattrapage le matin et activités artistiques, culturelles et sportives l'après-midi ; « Parcours buissonnier », avec des excursions, à l'échelle du département, pour découvrir le patrimoine de proximité ou camper en forêt ; enfin, des colonies de vacances « apprenantes » qui pourront faire intervenir des enseignants volontaires. Le budget sera précisé d'ici la fin de la semaine.

Je compte sur les collectivités locales pour aller chercher les jeunes décrocheurs, car ce sont elles qui connaissent les familles. Les séjours en colonie feront l'objet d'un soutien financier de l'État.

M. Olivier Henno.  - Le confinement aura mis en lumière les fractures sociales, territoriales et scolaires de notre pays. Le déconfinement également... Les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer pour que l'école reste le lieu de l'égalité des chances.

M. Stéphane Piednoir .  - La crise sanitaire sera bientôt derrière nous et il faut nous attaquer au colossal chantier de la crise économique qui s'annonce, notamment pour les jeunes.

Les jeunes diplômés à bac+4 ou bac+5, qui ne sont traditionnellement pas concernés par les dispositifs d'aide, vont arriver sur un marché du travail dégradé. Ils n'ont pas pu réaliser leur stage de fin d'études qui souvent débouche sur une embauche, et les entreprises ont réduit, voire gelé les recrutements. Contraints de se tourner vers des emplois ne correspondant pas à leurs compétences et qualifications, ils risquent le déclassement. Qu'envisagez-vous pour ce public spécifique ? Ne pourrait-on reporter les premières mensualités des prêts étudiants ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Quand une crise survient, elle touche d'abord les jeunes - les chiffres de l'APEC en témoignent. Il nous revient d'inventer des dispositifs nouveaux et adaptés aux jeunes diplômés.

Nous étudions avec Bruno Le Maire une incitation à l'embauche de jeunes, sous la forme de prime ou de baisse de charges.

Pendant les mois à venir, le marché du travail risque d'être perturbé ; nous voulons que ce temps avant le premier emploi puisse être utile et formateur, par exemple via le service civique et le volontariat international : pour les jeunes, c'est une ligne de plus sur le CV, et une petite indemnisation.

Le report des premières mensualités des prêts étudiants est une mesure concrète que j'examinerai avec attention.

M. Stéphane Piednoir.  - Merci. Il faut être disruptif pour ne pas décevoir cette génération. La tâche est colossale. Pour éviter que cette génération soit sacrifiée, il faut du sur-mesure. Nous comptons sur vous.

Mme Corinne Féret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Avant la pandémie, les jeunes étaient déjà les premières victimes de la pauvreté, qui en touchait un sur cinq. Ils seront demain frappés de plein fouet par la crise économique et sociale et l'explosion du chômage.

Pour éviter d'avoir une génération sacrifiée, il faut ouvrir le RSA aux jeunes qui sont sans ressources dès 18 ans. Même Stanislas Guerini y est favorable. Muscler le service civique ou la garantie jeunes ne suffira pas ; il faut un filet de sécurité, qui serait accompagné d'une action ciblée en matière d'insertion et de lutte contre le décrochage.

Les associations spécialisées dans la lutte contre la pauvreté vous alertent, il y a urgence. Il ne s'agit pas d'esprit de défaite, mais d'une aide vitale, pour faire face à une situation exceptionnelle.

Envisagez-vous de mettre en place un revenu minimal pour les moins de 25 ans ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - La situation nous impose d'être au rendez-vous de l'accompagnement, y compris financier, des jeunes.

Face au problème du chômage et de la précarité des jeunes, le quinquennat précédent a inventé la garantie jeunes, qui a très bien fonctionné. Nous poursuivons dans cette voie, avec l'objectif de toucher 100 000 jeunes cette année. Elle a permis, avec le Pacea, de renforcer l'accompagnement humain et professionnel vers l'emploi, tout en apportant une aide peu ou prou équivalente au RSA. C'est sur ce dispositif que je parie, tout en envisageant de l'adapter pour répondre aux besoins d'autres jeunes.

Mme Corinne Féret.  - Je regrette ce refus répété. La situation est exceptionnelle. Il faut une réponse urgente et concrète pour ces milliers de jeunes en très grande difficulté.

M. Guillaume Chevrollier .  - Avant la crise, l'apprentissage connaissait une dynamique inédite, avec un demi-million d'apprentis. C'est l'une des meilleures méthodes pédagogiques, un véritable levier d'insertion professionnelle.

Les entreprises vont-elles continuer à embaucher des apprentis ? Il pourrait y avoir 300 000 potentiels apprentis sur le carreau, et les CFA, dont le financement dépend du nombre de contrats signés, s'inquiètent.

Il est essentiel, contre la désindustrialisation, d'investir massivement dans la jeunesse et la transmission des connaissances. Que comptez-vous faire pour relancer l'apprentissage ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Nous avons en effet atteint des chiffres inédits en 2019, en matière d'apprentissage mais aussi de création nette d'emplois industriels ou d'investissements étrangers. Il faut que cette dynamique se poursuive, car l'apprentissage est une voie d'excellence.

Nous soutiendrons les entreprises qui recrutent des jeunes en apprentissage ainsi que les CFA mis en danger dans leur modèle économique.

Je ne peux faire des annonces à la veille d'une réunion très importante du Président de la République avec les partenaires sociaux, mais l'État sera au rendez-vous de l'apprentissage, comme il l'est depuis trois ans. Nous le devons aux entreprises et aux jeunes.

M. Guillaume Chevrollier.  - Ces jeunes s'inquiètent pour leur formation, leur emploi de demain. Dans une période difficile, il faut leur ouvrir un chemin qui passe par la formation. C'est en musclant la population active que l'on réindustrialisera le pays.

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) La fracture numérique et l'illectronisme ne frappent pas que nos aînés. Les jeunes maitrisent peut-être les réseaux sociaux, mais ne savent pas forcément tous se rendre sur le site d'une administration publique, faire une recherche en ligne sans aide ou s'informer sans être victimes de fake news.

Le confinement a mis en évidence l'inégalité d'accès au numérique. Les élèves des milieux défavorisés ont fait les frais de la distanciation pédagogique, rencontrant de plus grandes difficultés pour étudier.

Une étude sur l'école à la maison a montré que 24 % des parents d'origine modeste jugeaient leur matériel et leur liaison internet insuffisants contre 17 % pour les familles plus aisées. Si 45 % des classes supérieures se sentent à l'aise avec les outils numériques, les personnes des classes populaires ne sont que 31 %. Cette inégalité numérique est un symptôme de toutes les autres inégalités sociales.

Quelque 20 % de jeunes renoncent à faire une démarche administrative en ligne ou à envoyer un mail important. Il ne sert à rien de distribuer des tablettes aux étudiants, sans formation appropriée dans la scolarité obligatoire.

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Lorsque l'on décide de confiner, la grande priorité doit être de garantir à tous les enfants la continuité éducative - même si cela ne remplacera jamais le contact avec l'enseignant.

Lorsque nous avons annoncé la fermeture des établissements scolaires dans l'Oise puis dans toute la France, nous avons été capables en travaillant avec le CNED depuis plusieurs années d'offrir l'école à la maison. Les autres pays n'étaient pas aussi préparés que nous.

Nous avons débloqué 15 millions d'euros pour acheter des tablettes et des ordinateurs pour les enfants des familles modestes. Grâce à La Poste, nous avons pu livrer à 10 millions d'enfants des outils éducatifs papier pour compenser l'absence d'accès au numérique.

Nous avons tendance à croire que tous les jeunes sont des digital natives. Mais vous avez raison : l'illectronisme les touche aussi. Nous travaillons sur le sujet dans le cadre du plan Nouveau lycée.

M. François Bonhomme .  - L'apprentissage connaissait une embellie avant le Covid-19 ; mais avec l'arrêt brutal de l'économie, les entreprises doivent revoir leurs priorités en matière d'embauches.

L'Association nationale des apprentis de France craint une baisse de 20 % du nombre d'apprentis à la rentrée prochaine, faute d'entreprises pour les embaucher.

Dans quelle mesure, le Gouvernement pourrait-il proposer des mesures de soutien et d'assouplissement des conditions d'accès à l'apprentissage, en allongeant par exemple à un an le délai actuel de trois mois pour trouver un employeur ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - L'apprentissage est une grande priorité et nous y reviendrons demain lors de notre rencontre avec les partenaires sociaux. Il faut soutenir les entreprises qui emploient des apprentis, les CFA, les apprentis - comme nous l'avons fait ces derniers mois avec l'aide au permis de conduire.

Notre objectif est très ambitieux : qu'il y ait au moins autant d'apprentis cette année que l'année prochaine. Il s'agit en effet d'une voie d'excellence pour les entreprises et les jeunes.

M. François Bonhomme.  - J'admire votre acte de foi. Mais nous aimerions en savoir plus. Avec les défis qui s'annoncent, j'espère que vous n'en resterez pas à des propos incantatoires, d'autant que 300 000 apprentis risquent de se retrouver sur le carreau.

Mme Marta de Cidrac .  - Les missions locales, qui prennent en charge les jeunes de 16 à 25 ans éloignés de la formation et de l'emploi, sont pleinement engagées dans leurs missions, ayant parfois fait preuve d'une grande capacité d'adaptation pendant cette période en digitalisant la garantie jeunes.

À ce jour, elles ont manqué de soutien du ministère de tutelle dans le cadre de leur adaptation à l'épidémie de Covid-19. Leurs frais liés à la crise n'ont pas été pris en charge au motif que les missions locales ne sont que délégataires d'une mission de service public.

Si le lien a bien été maintenu avec les jeunes, on constate une baisse significative des offres qui leur ont été faites, du fait de la fermeture des organismes de formation, des CFA et à la diminution des offres d'emplois. Or le financement des missions dépend des indicateurs de la convention pluriannuelle d'objectifs qui ne sont pas toujours adaptés. Monsieur le ministre, le Gouvernement compte-t-il les faire évoluer en tenant compte de la réalité des territoires ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Merci de rendre hommage aux missions locales. J'étais la semaine dernière dans une d'entre elles à Sartrouville - comme celle que vous-même présidez. Je sais donc qu'elles ont appelé 400 000 jeunes chaque semaine. Le personnel a fait preuve d'une mobilisation exceptionnelle pour que le fil ne se rompe pas.

Je crois dans la garantie jeunes. Lorsqu'il y a des difficultés économiques, les « sorties positives » qui servent d'indicateurs pour inciter à l'insertion, ne devraient pas s'appliquer. Nous sommes en train d'y travailler avec les acteurs concernés.

Mme Marta de Cidrac.  - Les indicateurs doivent être revus. La prochaine fois que vous viendrez dans les Yvelines, n'hésitez pas à prendre contact avec moi. (Sourires)

M. Marc Laménie .  - Merci au groupe socialiste et républicain d'avoir organisé ce débat.

Monsieur le ministre, vous avez rencontré il y a quelques mois des enseignants, des lycéens et des représentants du monde associatif dans les Ardennes.

Il y a quelques années, à l'époque où Michèle André présidait la commission des finances, la Cour des comptes avait publié un rapport sur la Journée défense et citoyenneté (JDC).

N'oublions pas non plus le service national universel (SNU) qui permet de susciter des vocations.

Cette journée était intéressante à tous points de vue.

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Merci d'évoquer le SNU, qui est plus que jamais d'actualité. Il aura lieu cette année dans des conditions adaptées : le séjour de cohésion sera reporté à l'automne, et la mission d'intérêt général sera organisée en juin et juillet en direction des aînés, des plus vulnérables et de l'environnement. Ces 10 000 jeunes seront sur le terrain cet été pour accomplir leur mission d'intérêt général.

Le SNU a pour vocation de remplacer la JDC. Les jeunes qui n'auront pas pu passer leur JDC pendant le confinement bénéficieront d'une dérogation.

M. Marc Laménie.  - La période que nous venons de vivre a donné lieu à un fort engagement et dévouement des jeunes. Ils ont notamment aidé les soignants.

Le SNU ou la JDC doivent susciter des vocations, notamment dans les forces de sécurité. La tâche reste immense.

Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Il me revient la lourde tâche de conclure. Je vous remercie tous d'avoir posé tant de questions essentielles lors de ce débat.

La jeunesse paie le plus lourd tribut en temps de crise. Faisons en sorte que cette génération ne soit pas sacrifiée comme nous y incitait ce matin Patrick Boucheron sur une radio publique.

Les jeunes sont le réceptacle indirect et mécanique des dommages de la crise. Les fractures éducatives sont lourdes : élèves décrocheurs, doctorants qui ont arrêté leur thèse, étudiants en détresse...

Derrière la fracture numérique, se dessine pour les jeunes l'enjeu de l'accès à leurs droits. La fracture est aussi dans l'accès à l'emploi avec l'annulation des stages et des petits boulots.

Enfin, la fracture est civique et culturelle. Plusieurs festivals n'auront pas lieu cet été, les bénévoles ne seront pas là...

Monsieur le ministre, vous nous annoncez un plan de relance pour la jeunesse dont plusieurs points ne sont pas tranchés et vous nous promettez des mesures cet été. Dont acte. Nous les attendons avec impatience et serons vigilants quant à leur portée !

Il faut de l'accompagnement éducatif, notamment pour les étudiants en licence. Mais nous avons aussi besoin d'un accompagnement financier et social : ne faudrait-il pas reconduire les 200 euros qui ont déjà été versés ? Il va aussi falloir soutenir les Crous, dans la perspective de la rentrée ou verser les bourses en juillet et en août. Il faudra aussi renforcer l'accompagnement médico-social.

Rétablirez-vous l'aide à la recherche au premier emploi supprimée en 2018 ? Nous verrons.

L'apprentissage, c'est pour demain... Attendons.

Expérimentons le revenu minimum jeunesse mentionné par Corinne Féret et Céline Brulin. Allons-y ! Il faut aider les jeunes de 18 à 25 ans !

La question du logement est également importante.

Pourquoi ne pas déployer pour le service civique les crédits dédiés au SNU comme le recommande M. Magner ? Relançons les emplois aidés, surtout dans les quartiers prioritaires.

La jeunesse n'est qu'un mot, mais c'est une promesse à laquelle il faut être à la hauteur, écrivait en substance Bourdieu. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, RDSE et CRCE)

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État .  - Je vous remercie pour ces débats enrichissants. L'avenir et l'autonomie de la jeunesse sont des causes qui nous rassemblent, même si nous divergeons sur les moyens à mettre en oeuvre. Je reste ouvert à vos propositions dont certaines sont déjà très intéressantes.

Le Président de la République annoncera demain des mesures pour l'apprentissage. Cette crise ne doit pas conduire à ce que les jeunes grandissent en se disant qu'ils n'ont pour perspective qu'une voie de garage. Ne traçons pas pour les jeunes qu'un seul chemin ; ouvrons-leurs toutes les voies, comme le disait Léo Lagrange, en écho à Jean Jaurès cité au début de cette discussion. Les jeunes doivent pouvoir choisir comment construire leur avenir.

La séance, suspendue à 17 h 55, reprend à 18 heures.

Mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19.

Discussion générale

M. Vincent Éblé, auteur de la proposition de résolution .  - La théorie économique qui fonde l'action du Gouvernement depuis 2017 mérite le nom de fable. Vous avez fait du ruissellement votre credo, l'alpha et l'oméga de votre politique économique et sociale alors que c'est une mystification.

L'idée que lorsque les pouvoirs publics favorisent l'enrichissement des plus aisés de nos compatriotes, il en découle un effet économique positif indirect pour l'ensemble de la population est une mystification car personne jamais ne l'a observé.

Il s'agit d'une croyance magique selon laquelle à chaque fois qu'une grande fortune s'enrichit de 70 millions d'euros, chaque Français gagne ainsi un euro. Cette politique économique aggrave les inégalités. Ceci est d'autant plus regrettable que l'ensemble des études attestent du creusement de l'écart des richesses dans notre pays aujourd'hui.

Dans la Critique de la raison pure, Kant distingue le savoir, l'opinion et la croyance. Le savoir est objectivement et subjectivement suffisant ; l'opinion est objectivement insuffisante et subjectivement suffisante ; la croyance, quant à elle, est objectivement et subjectivement insuffisante. À ce stade, la théorie du ruissellement est donc une opinion.

Nous avons commis il y a huit mois, avec le rapporteur général, un rapport d'information de 400 pages sur le remplacement de l'ISF par l'IFI qui démontre l'absence de tout ruissellement tout en dénonçant une forme d'hypocrisie de la part du Gouvernement puisque le logiciel Mesange ne prévoyait que des résultats très modestes à 20 ans : hausse de 0,5 point de PIB et création de seulement 50 000 emplois.

Ainsi, la théorie du ruissellement n'est même plus qu'une croyance parfaitement insuffisante pour légitimer la conduite d'une politique publique d'allègement constant et déterminé de la fiscalité des Français les plus riches.

La réforme fiscale de la loi de finances pour 2018 prétendait soutenir notre économie. Mais, en sortant du champ de l'ISF de nombreux capitaux et actifs improductifs tandis que d'autres, productifs eux, étaient taxés comme les locaux industriels et commerciaux ou les immeubles de bureaux, vous avez affaibli notre économie. L'imposition sur le capital, dans notre pays, est désormais fondée sur une théorie fumeuse et se traduit par un dispositif totalement contradictoire avec l'intention de favoriser notre économie.

Cette proposition de résolution nous permettra d'échanger sur les principes de ce système quand une proposition de loi aurait permis de discuter d'un dispositif. C'est un bien pour un mal. En effet, nous souhaitons convaincre le Gouvernement et la majorité sénatoriale de la nécessité d'une réforme adaptée. L'acceptabilité, en effet, est centrale en matière fiscale. Nous sommes prêts à imaginer un dispositif totalement nouveau. Pour ne pas faire croire à un retour en arrière, nous avons préféré parler d'imposition de solidarité sur le capital plutôt que d'ISF. Il ne faut ni totem, ni tabou.

Thomas Piketty comme Esther Duflo, récent prix Nobel d'économie, constatant l'accroissement des inégalités dans notre pays, appellent de leurs voeux la création d'un impôt sur le capital. J'entends même des appels en ce sens de la part de votre majorité présidentielle. Il serait irresponsable d'exclure ce sujet de nos travaux. Nous avons travaillé, au sein de notre groupe, sur les droits de succession, l'ISF 2.0, les encours d'assurance-vie.

Nous devons rétablir l'équité contributive à l'impôt gravement mise à mal, ce qui a été douloureusement vécu par nos concitoyens comme l'a montrée la crise des gilets jaunes.

Le premier décile et a fortiori le premier centile de la population bénéficient d'exonérations scandaleuses. Toute la population doit prendre part à l'impôt selon ses revenus, en particulier les plus fortunés, ni plus ni moins. Il y va de l'équité dans notre société.

Repenser une imposition de solidarité sur le capital n'est pas une question dogmatique mais juste une question de nécessité pour que la solidarité de notre société soit entière au travers des dispositifs fiscaux plus justes.

Nous dire que cette imposition ne donnerait lieu qu'à moins de 5 milliards d'euros de recettes n'est pas entendable. Les pouvoirs publics ont besoin de ressources. Or, dans cette période, seul le capital est mobilisable, puisque ni le revenu, ni la consommation ne le sont. Rejeter une réflexion sur l'imposition du capital, le stock plutôt que le flux, est un non-sens économique absolu. Ceux-là négligent au surplus la question pourtant essentielle en matière d'équité contributive des représentations symboliques desquelles découle l'acceptabilité des dispositifs fiscaux.

Cette nouvelle imposition que nous appelons de nos voeux est basée sur un principe de progressivité renforcée, notamment sur le premier centile, avec la suppression du plafonnement du plafonnement, proposée par le Gouvernement Juppé et validée par le Conseil constitutionnel, et la définition des barèmes pour distinguer les petits riches, à l'instar de la fameuse veuve de l'Île de Ré.

Il faudra aussi opérer une distinction entre capital productif et improductif comme le recommande Albéric de Montgolfier. Il a raison.

La question des nouvelles recettes à trouver ne doit pas nous affranchir d'une remise à plat de notre système fiscal, en particulier en incluant les enjeux de la transition écologique. Au contraire, la période exceptionnelle nous y invite. C'est notre responsabilité pour les générations à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Éric Bocquet .  - On pourrait désigner le débat du jour par l'expression « débat boomerang » ou « débat sparadrap » en référence au fameux sparadrap dont le capitaine Haddock ne parvenait pas à se défaire dans l'affaire Tournesol. (Sourires)

Dans l'euphorie des premiers temps du quinquennat, le Gouvernement voulait tirer un trait sur cet impôt saugrenu, l'ISF, afin d'éviter de faire fuir les plus riches alors qu'aucune étude ne démontre cette thèse. De fait, entre 2011 à 2017, les ménages redevables sont passés de 287 000 à 358 000. Les riches n'ont pas pu revenir puisqu'ils n'étaient pas partis.

Alors que l'ISF rapportait 5 milliards d'euros, l'IFI a rapporté 1,3 milliard d'euros en 2019. Comme le Gouvernement a également réduit les impôts sur les revenus du capital, il manque 4,5 milliards d'euros chaque année dans les caisses de l'État, soit plus de la moitié du budget de la justice.

Durant le confinement des millions de personnes ont vu leurs revenus s'effondrer. Les entreprises sont au bord de la faillite. Les premiers de cordée doivent comprendre qu'il est dans leur intérêt de contribuer à la solidarité nationale dont ils bénéficient aussi.

De nombreuses voix d'horizons divers réclament cette réforme. M. Ferrand déclarait il y a quelques jours : « s'interroger sur une contribution des plus aisés, pourquoi pas ? » Mme Fiona Lazaar, députée LaREM du Val d'Oise, nous dit « les plus riches devraient contribuer davantage », ou encore le président du groupe Modem, M. Patrick Mignola, estime qu'il il faut créer un impôt sur la fortune improductive.

Les contempteurs de l'ISF ne restent pas l'arme au pied craignant que la digue idéologique ne cède. L'ISF est un impôt idiot scande Gérald Darmanin - on disait la même chose de la taxe professionnelle. Il semble que les impôts sur les salariés soient les seuls impôts intelligents dans notre pays... Bruno Le Maire en dit autant, estimant que l'ISF est le combat du XXe siècle. Tout Bercy est mobilisé.

Des formules choc, aux mots bien choisis mais, au fond, jamais de démonstration étayée.

Ces propos sont doux aux oreilles de la majorité sénatoriale. M. Retailleau déclarait il y a peu qu'il était contre le rétablissement de l'ISF. Cela a le mérite d'une grande cohérence.

Avec cette proposition de résolution, exit l'ISF, voici l'ISC, dont certaines modalités nous laissent dubitatifs : le relèvement du seuil d'assujettissement à 1,5 million d'euros reste insuffisant. Nous soutenons toutefois l'idée de progressivité de l'imposition du capital.

Vos constats sont donc partagés mais vos propositions manquent d'ambition, vu l'ampleur des difficultés économiques et sociales qui sont devant nous. Faire contribuer les revenus conforterait le consentement à l'impôt.

Les informations sur le contenu des portefeuilles financiers doivent être automatiquement transmises par les banques françaises et étrangères aux services fiscaux.

Ce débat agite aussi nos voisins européens. Si cette proposition de résolution eut été une proposition de loi, nous l'aurions votée, mais en l'état nous nous abstiendrons.

M. Emmanuel Capus .  - Le rétablissement de l'ISF ne serait pas un sparadrap mais une révolution qui revient à intervalles réguliers depuis 2017... comme un astre qui tourne autour de son orbite !

Résolution, révolution : la différence tient parfois à une seule lettre, et cette lettre compte, tout autant que les mots... comme entre l'IFI, l'ISF et l'ISC ! Oui, fortune ou capital, telle est la question... Derrière ces mots ronflants, sonnant comme des titres de magazines économiques, la justice sociale fait son retour. Vaste sujet ! Qu'est-elle au juste ? Commençons par ce qu'elle n'est pas : la « haine des riches » selon les auteurs de la proposition de résolution. Heureuse précision dans le climat social qui est le nôtre ! Précision ne vaut pas définition, cependant. Brandie comme un étendard, la justice sociale et fiscale ne peut signifier toujours plus d'impôts pour les riches, voire les moins riches, comme s'il s'agissait d'une loi de gravitation universelle !

La proposition de résolution se fonde sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, dont on peut douter de l'interprétation. Dans le cadre de la crise sanitaire, il s'agit de choix politiques collectifs. Il faut faire face à l'urgence de la dégradation des comptes publics : notre taux d'endettement a bondi de 15 points en trois mois ! Du jamais vu !

Je me réjouis de trouver dans cette proposition de résolution quelques convergences avec les auteurs, notamment celles-ci : il n'est pas légitime de faire porter le poids financier de cette crise à nos enfants et à nos petits-enfants ; une taxation accrue de la consommation ou des revenus serait une erreur. Mais je ne parviens pas à la même conclusion !

Un rendement fiscal d'à peine 3 milliards d'euros pour l'ISC n'est pas négligeable, mais ce n'est pas la panacée et la mesure risquerait de nuire à l'attractivité de la France, qui était en forte hausse avant la Covid.

Mon groupe est hostile à toute augmentation des impôts sur le capital, ISF ou autre... Pour surmonter la crise dans laquelle nous venons à peine d'entrer, nous aurons besoin d'unité nationale, davantage que de division ou de bouc émissaire. Vouloir faire payer toujours plus ceux qui paient déjà tant n'y contribue certainement pas !

M. Vincent Éblé.  - Il ne s'agit pas de cela !

M. Emmanuel Capus.  - Nous avons fait un choix collectif, nous l'assumerons collectivement !

M. Franck Menonville.  - Très bien !

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le nouvel impôt proposé augmenterait à 1,8 million d'euros le capital d'entrée dans le dispositif, ce qui exclurait 40 % des anciens contribuables de l'ISF, pour une perte de recettes de 500 millions d'euros environ, qui pourrait être compensée par un relèvement de 2 points du prélèvement forfaitaire unique. Il est également prévu de revenir au plafonnement du plafonnement, mis en place jadis par le Gouvernement Juppé.

L'objectif, louable, serait de sauver les emplois et les entreprises. Quel est le meilleur moyen pour l'atteindre ?

Reconnaissons que le symbole est fort, et faisait partie des revendications des gilets jaunes. Souvenons-nous que le Président de la République s'était engagé à dresser un bilan de l'IFI.

En 2017, l'ISF a rapporté 4,5 milliards d'euros, l'IFI 1,8 milliard d'euros. Dans tous les cas, c'est insuffisant face à l'ampleur de la crise.

Il n'empêche qu'il est utile de s'interroger sur la pertinence de l'IFI. La taxation du seul patrimoine immobilier devrait promouvoir l'investissement dans les entreprises ; la commission des finances ayant émis des doutes sur ce point, nous attendons son bilan par Emmanuel Macron avec impatience...

Cela étant, le groupe UC n'a jamais été favorable à la taxation des revenus immobiliers, qui contribuent largement à l'activité et à l'emploi. Il y a matière à réformer.

En outre, l'IFI ne taxe plus le patrimoine polluant : avions privés, voitures de luxe et yachts ont disparu du capital taxable. C'est incohérent au regard des objectifs écologiques du Gouvernement.

Il faut davantage cibler l'IFI sur les freins de l'économie.

L'institution de la flat tax à 30 %, la réduction du taux de l'impôt sur les sociétés sont des mesures efficaces pour l'économie. Il est toujours tentant de s'attaquer au capital déjà constitué, mais les épargnants sont bien informés. Moins de capital signifie des investissements et des salaires plus faibles.

Afin de relancer l'économie de demain, plusieurs mesures fiscales sont possibles pour verdir notre système, en intégrant, à recettes égales, les coûts occasionnés par les dommages à l'environnement. Le but n'est pas d'augmenter la pression fiscale globale mais de rendre la fiscalité plus stimulante pour l'offre productive.

Notre groupe votera contre cette proposition de résolution mais défend une nécessaire et rapide révision de l'IFI. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Vincent Segouin .  - J'ai assisté aux débats sur le dernier projet de loi de finances rectificative et je garde en mémoire le long amendement de M. Éblé sur le rétablissement de l'ISF, n'ayant pas abouti. Je me doutais donc que ce débat reviendrait rapidement devant nous.

Selon le Gouvernement, l'IFI devait transformer l'immobilier, considéré comme une épargne dormante, en investissement dans les entreprises. Il est trop tôt pour en tirer un bilan mais il est certain que l'objectif annoncé ne sera pas atteint en raison de votre réforme de l'impôt sur le revenu, dont les contribuables sont dissuadés de déduire leurs investissements dans le capital des PME.

Certains contribuables se font prendre plus de 60 % de leurs gains par l'État, ce qu'ils estiment injuste - on les comprend !

Ne caricaturez pas mon propos ! Je suis favorable à une solidarité et heureux que nous aidions les plus démunis, que notre assurance santé soit universelle, que l'éducation soit gratuite pour tous, que notre défense intérieure et extérieure ait les moyens de nous protéger. Mais les transferts sont devenus trop massifs. La France est le pays le plus taxé de la zone euro, à 45 % du PIB, pour une dépense publique de 56 % ! C'est de la folie ! Seuls 43 % des Français paient des impôts et certains ont le culot de leur dire qu'ils ont de la chance d'en payer.

Voici que le groupe socialiste et républicain nous propose un nouvel impôt qui pèsera sur ceux qui sont déjà les plus gros contributeurs...

M. Vincent Éblé.  - C'est totalement faux !

M. Vincent Segouin.  - Ils partiront ! Et plus les contribuables partiront, moins nous aurons de recettes fiscales. Il faudra donc augmenter les taux d'imposition ! Pouvons-nous nous payer ce luxe ? C'est suicidaire ! Nous sommes au bout d'un système révolu. Je ne le crois pas.

L'enjeu est de créer des richesses en refondant notre industrie. Au contraire, un impôt pour le capital privera l'industrie d'investissement.

Il faut également réduire les dépenses, la suradministration.

Il faut aussi moins de charges sociales pour plus de pouvoir d'achat et des normes simplifiées. Il faut, enfin, comme en Allemagne, une TVA sur les produits importés qui soulage les charges sociales et rende de la compétitivité à nos produits à faible marge.

Il existe donc d'autres pistes pour réduire le poids de la dette française tout en permettant aux capitaux français de s'investir dans notre économie. Halte à l'augmentation des taxes !

Nous avons besoin de tous les Français. Cessons de nous diviser ; sortons de cette opposition perpétuelle des riches aux pauvres, des retraités aux actifs : c'est tous ensemble que nous avancerons. Tous les responsables politiques devraient s'accorder sur le constat que les contribuables, les Français en général, ne peuvent plus être la variable d'ajustement des dépenses non maîtrisées de l'État.

M. Vincent Éblé.  - N'importe quoi !

M. Vincent Segouin.  - L'augmentation des prélèvements est une voie sans issue qui exaspère les Français.

Notre groupe est hostile à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) La crise que nous traversons est sanitaire, économique et sociale. Le rebond que nous appelons de nos voeux doit être rapide, durable et solidaire.

Le groupe socialiste et républicain a souhaité débattre rapidement de cette résolution, car nous savons que les crises sont rarement fécondes d'un monde plus juste et que cet accouchement est souvent difficile. Or la procrastination en matière de justice fiscale est une source majeure de frustration. Agissons ici et maintenant !

Parce que l'exécutif a refusé la procédure accélérée pour censurer une proposition de loi qui lui déplaisait, nous avons déposé cette proposition de résolution.

Oui, nous espérons que l'idée de l'impôt de solidarité sur le capital fera son chemin et finira par se matérialiser dans la loi, mettant fin à ce nouveau bouclier fiscal instauré par la majorité « L. R.- E. M », (Sourires sur les travées du groupe SOCR) bien en phase sur cette question, ou d'autres...municipales.

M. Vincent Éblé.  - Très bien !

M. Patrick Kanner.  - Nous appelons le Gouvernement à mener une politique plus solidaire afin d'éviter un mouvement des gilets jaunes puissance dix. Richard Ferrand n'y serait pas hostile...

Avec notre proposition, nous faisons preuve de modernité et de progressisme, contrairement à ce qu'a dit Bruno Le Maire, qui a parlé poliment d'un « combat du XXe siècle ». Nous écartons les petites fortunes immobilières, qui bien souvent n'en sont pas, et nous assurons de la progressivité de cet ISC.

Quelle sera votre écoute ? Lorsque Gérald Darmanin parle d'idéologie fiscale, il fait part de son opposition épidermique à l'augmentation des salaires comme au rétablissement de l'ISF. Où vous situez-vous, madame la ministre, sur une échelle qui va du président de l'Assemblée nationale au ministre-maire de Tourcoing ? Je crains votre réponse.

Dans votre « nouveau monde », le recul de l'État est érigé en doctrine au profit d'une cause politique. Vous êtes allés jusqu'à la suppression de la taxe d'habitation, fort utile aux communes. Vous oubliez que le périmètre de l'État est plus large en France que chez ses voisins. L'État providence a pourtant un coût. Son intervention est plus que jamais nécessaire. Vous ne pouvez plus fonctionner avec votre logiciel libéral ou nous courons à la catastrophe.

La suppression de l'ISF, qui plus est, n'a pas atteint son but : il n'a nullement fait cesser les exils fiscaux. Il faut le rétablir en le réformant.

Les temps qui s'annoncent sont durs : il faut tout faire pour empêcher le creusement des inégalités. Notre contribution est modeste mais indispensable pour éviter à un grand nombre de Français de sombrer dans la précarité.

Si cette main tendue était à nouveau rejetée par l'exécutif, il est à craindre que les jours qui viendront n'aient rien d'heureux.

M. Jean-Claude Requier .  - Le rétablissement d'une imposition plus stricte de la fortune est l'objet d'un débat récurrent depuis 2018 entre le Gouvernement et la gauche.

Avec l'IFI et la flat tax, le Gouvernement a remis au goût du jour les débats que nous avons connus sur le bouclier fiscal en 2007, voire lors de la suppression de l'impôt sur les grandes fortunes en 1986 pendant la première cohabitation...

C'est une mesure fortement symbolique qui démarque la droite de la gauche. La question est en réalité plus complexe.

Notre radicalisme se reconnaît peu dans ces débats idéologiques. Il promeut le principe selon lequel chacun doit contribuer selon ses moyens, en application de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et que le système fiscal doit être lisible. En dépit de la complexité de celui-ci, Il reste attaché à l'idée citoyenne de l'impôt sur le revenu, cher à Joseph Caillaux.

Que dire d'une imposition plus forte sur le capital ? L'ISF rapportait 4 milliards d'euros par an - ce n'était pas symbolique ! Le Président de la République avait voulu taxer uniquement le patrimoine immobilier. L'opposition de gauche soutient l'idée d'un rétablissement de l'ISF, en écho aux gilets jaunes.

Un intéressant rapport de 2019 a conclu à des effets négatifs insuffisamment pris en compte dans le remplacement de l'ISF par l'IFI pour les patrimoines les plus élevés, l'IFI ressemble à l'impôt additionnel à la taxe foncière.

Faut-il voir dans cette réforme l'origine de l'amélioration de l'attractivité de notre pays ? On peut en douter. D'autant qu'il ne faut pas négliger les effets des réformes antérieures comme celle sur le droit du travail.

Depuis le 17 mars 2020, il ne s'agit plus d'attractivité économique de notre pays, mais de soutenir nos entreprises. M. Darmanin annonçait bien 220 milliards d'euros de déficit public en 2020 ; ce qui impose de trouver de nouvelles recettes. Du strict point de vue des comptes publics, l'augmentation de la taxation du capital serait une solution intéressante qui apporterait quelques milliards de recettes.

Le relèvement du plafond de 1,3 million à 1,8 million d'euros pour sortir les petites fortunes immobilières serait une bonne chose.

Une taxation du capital ne serait pas plus illégitime que l'augmentation de l'impôt sur le revenu.

La situation des finances publiques sera un sujet de préoccupation majeur dans les prochains mois, c'est pourquoi les propositions, dans leur diversité, sont bienvenues. Les membres du groupe RDSE voteront en majorité cette résolution, les autres s'abstenant. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Julien Bargeton .  - Dans cette crise, chacun voit midi à sa porte. Chacun ressort de vieilles martingales présentées comme des panacées.

Premier effet de cette proposition de résolution : une fracture à gauche ! On apprend que le groupe CRCE ne la votera pas... (Mme Michelle Gréaume et M. Guillaume Gontard le confirment.)

Les prophéties sont parfois autoréalisatrices. Des conservateurs voient dans la crise la preuve de la faillite du progressisme, les libéraux celle de l'étatisme hypertrophié, et de la nécessité de réduire toujours plus cet État Léviathan...

On fête les 40 ans de Pac-Man : cette vieille ficelle fiscale dévorerait donc tous les investissements et les emplois du futur. C'est humain, après tout, de croire que la crise confirme ses biais.

On vit donc les prémices du débat fiscal de la présidentielle - c'est de bonne guerre. J'invite la gauche à relire Keynes qui disait : en période de crise, on n'augmente pas les impôts et on ne réduit pas la dépense publique - de ce point de vue, le Gouvernement n'y va pas avec le dos de la cuillère, il est vrai. (M. Vincent Segouin surenchérit.)

Dans la réindustrialisation, les impôts de production sont un frein. Ils représentent 76 milliards d'euros au bénéfice des collectivités locales, de sorte qu'il est difficile de les réformer.

Cela ne signifie pas que le débat fiscal soit fermé. L'harmonisation fiscale dans l'Union européenne est un vrai sujet, par exemple. Si le couple franco-allemand permet une reprise coordonnée, cela deviendra un sujet important.

Il y a aussi la fraude, en France comme dans l'Union européenne.

Dans un entretien récent, Thierry Breton a évoqué une taxe à l'entrée dans l'Union européenne. Pour faire face aux géants chinois et russe, l'Europe doit cesser d'être un nain géopolitique et fiscal.

Les Gafam sont taxés 14 points de moins que les autres entreprises. C'est aussi une piste.

L'imposition verte en est une autre - même si les gilets jaunes ont montré la difficulté d'exploiter le levier fiscal au service de l'écologie, tout en ménageant le pouvoir d'achat. Il faut néanmoins débattre de réformes structurelles. En tout cas, ce n'est pas le moment, dans cette crise, de rajouter une strate d'impôt supplémentaire.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Je ne sais pas si la gauche est fracturée sur cette proposition de résolution, mais la droite se rassemble de Les Républicains à LaREM !

M. Emmanuel Capus.  - C'est très bien !

Mme Sophie Taillé-Polian.  - « Les milliardaires ne paient pas suffisamment - ce n'est pas notre proposition de résolution qui le dit, mais un membre du Gouvernement. Nous avons un devoir politique voire moral, de réintroduire un ISF pour plus de justice fiscale et de préservation de l'environnement » - question que Keynes ne peut pas résoudre.

Mais là, il s'agit de lancer un élan philanthropique. On voit là deux positions. Ceux qui demandent aux chefs d'entreprise : « S'il vous plaît, ne versez pas de dividendes, s'il vous plaît, investissez dans l'économie productive », et ceux qui ajoutent ce petit détail : la décision revient aux représentants du peuple. Car telle est la différence entre la philanthropie et l'impôt : ce « petit détail » qu'est la démocratie ! (« Très bien ! » sur les travées du groupe SOCR)

« Pas d'impôt nouveau », nous dit le Gouvernement, mais en réalité, il prolonge la CRDS ! La facture sera à la charge des salariés et des assurés sociaux, ni vu ni connu !

Nous prônons, nous, la justice fiscale, en proposant un impôt sur le capital...

M. Bruno Sido.  - Vous n'avez que le mot d'impôt à la bouche ! (On s'en désole sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Taillé-Polian.  - ... une taxation exceptionnelle et solidaire sur les encours d'assurance vie supérieurs à 150 000 euros, et sommes favorables à l'idée de trois économistes français, Zucman, Saez et Landais, d'un impôt européen sur le patrimoine, progressif et limité dans le temps qui s'appliquerait aux patrimoines de plus de 2 millions d'euros...

MM. Vincent Segouin et Bruno Sido.  - Ben voyons !

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Ce premier pas vers une fiscalité européenne manifesterait la solidarité européenne.

Selon l'OFCE, pendant les huit semaines de confinement, les Français auraient accumulé 55 milliards d'euros d'épargne forcée - très inégalement répartie. Mme Pénicaud demande aux Français de consommer cette épargne. Erreur ! Le monde d'après ne doit pas être celui de la relance par la consommation mais celui de la résilience par le partage des richesses. (Protestations à droite)

La justice fiscale n'est pas une règle morale, mais un ciment social. Justice sociale, démocratie renouvelée et écologie, tel est le triptyque sur lequel repose l'avenir de notre pays. (Exclamations à droite) Et cela commence par un système fiscal juste. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - L'épidémie que nous traversons est d'une extrême gravité. En réaction, nous avons mobilisé 110 milliards d'euros, pour le seul plan d'urgence.

Comment absorber cet impact ? Vous proposez un succédané d'ISF...

M. Vincent Éblé.  - Vous ne nous avez pas bien écoutés !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - S'il y a bien une leçon à tirer de cette crise, c'est que les vieilles recettes ne marchent pas plus aujourd'hui qu'hier.

Peut-on parler d'économie « ultralibérale » dans un pays où l'impôt représente la moitié de la richesse nationale et où l'État a rémunéré un salarié sur deux ? Il serait inefficace et contreproductif de revenir sur la réforme visant à rediriger le capital vers les entreprises, alors que l'on s'inquiète de leurs besoins en fonds propres et qu'il faut relancer l'investissement.

La France est l'un des pays qui réduit le plus les écarts de revenus par la redistribution vers les plus modestes - c'est le coefficient de Gini. Mais les inégalités de destin sont fortes : en France, il faut cinq à six générations pour changer de catégorie socio-professionnelle - contre deux à trois hier, ou chez nos voisins.

Le combat sur lequel nous sommes attendus, c'est l'école, la santé, l'emploi dans les quartiers populaires et les zones rurales. Il passe par le dédoublement des classes en REP, le plan Pauvreté, l'Agenda rural ou encore le plan Action Coeur de ville, entre autres.

Bien des pays font mieux que nous en matière de réduction des inégalités avec un niveau de prélèvement moindre. Cela relève du savoir, pas de l'opinion.

La réforme de la fiscalité du capital, annoncée par le Président de la République, visait à améliorer la lisibilité, la prévisibilité et la compétitivité de notre fiscalité, trop souvent abordée sous l'angle idéologique. Une taxation du patrimoine plus élevée que chez nos voisins, s'agissant de capitaux très mobiles, nuisait à notre attractivité, donc à notre activité économique, donc à notre situation sociale et à nos finances publiques.

Notre réforme a été efficace. (MMVincent Éblé et Patrick Kanner le contestent.) Les expatriations de contribuables ont été divisées par trois. En 2018-2019, la France a été la première destination pour les investissements industriels et de R&D : notre politique fiscale explique ce regain d'intérêt.

La réforme, équilibrée, n'a pas touché à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Le poids de l'ISF diminuait à mesure que la richesse augmentait, frappant moins fort les patrimoines les plus élevés, du fait du plafonnement ; c'était la marque d'un mauvais impôt. Les dons n'ont baissé que de 0,1 % car nous avons conservé la réduction d'IFI. Les experts indépendants s'accordent à dire que le nouveau régime - PFU et IFI - est plus lisible et plus dissuasif contre l'optimisation fiscale.

Sa vocation est de réorienter l'épargne des ménages vers l'investissement productif et le financement des entreprises. J'entends vos propositions, madame Vermeillet, et je partage leurs objectifs. Le sujet mérite un débat en PLF.

Notre politique fiscale s'est concentrée sur les classes populaires et moyennes. Vous invoquez l'injustice fiscale et rappelez la dimension symbolique de l'ISF. Mais nos concitoyens attendent des faits, pas des symboles. Sur le quinquennat, nous avons réduit l'imposition des ménages de 27 milliards d'euros et celle des entreprises de 13 milliards. Nous avons proposé un allègement de l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros, qui touchera dix-sept millions de foyers fiscaux pour un gain moyen de 300 euros. Nous ne renoncerons pas à ces mesures fortes en faveur des classes populaires et moyennes.

Nous avons aussi mis en place une prime exceptionnelle exonérée de contribution sociale et l'impôt sur le revenu dans la limite de 1 000 euros : c'est une aide de 2 milliards d'euros qui bénéficie à cinq millions de salariés. Voilà un exemple de redistribution.

La CRDS est l'impôt dont l'assiette est la plus large, elle s'applique à la vente de bijoux ou de yachts. L'utiliser en décalé comme nous le faisons est une réponse appropriée.

Nous avons mené une action puissante face à la crise, avec 110 milliards d'euros, dont l'essentiel a bénéficié aux salariés et aux indépendants. Vous proposez, vous, une mesure symbolique qui rapporterait 2,5 milliards d'euros, quand nous mobilisons 18 milliards d'euros pour le tourisme, 8 milliards pour l'automobile, en attendant l'aéronautique. Nous nous battons pour relocaliser l'emploi en France et pour protéger l'activité.

Les questions sont nombreuses : comment relancer l'économie, l'industrie, accélérer la transition numérique et énergétique, améliorer l'attractivité et la compétitivité - le mot est lâché ! -, limiter la casse sociale et créer des emplois d'avenir ?

Je vous tends la main, monsieur Kanner, pour recréer les conditions de la confiance et de la croissance, clé de la création de richesse fiscale.

N'oublions pas non plus les enjeux fiscaux européens : taxation des plateformes numériques, taxe carbone aux frontières, lutte contre la fraude fiscale à la TVA... (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Vote sur la proposition de résolution

Mme la présidente.  - J'ai été saisie par le groupe Les Républicains d'une demande de scrutin public sur cette proposition de résolution.

M. Patrick Kanner .  - Rappel au Règlement ! Je regrette que la minorité physique présente ait recours au scrutin public pour faire prévaloir la majorité politique. La majorité sénatoriale est cohérente avec ses positions anciennes, même si Nicolas Sarkozy n'a jamais supprimé l'ISF. Sur un tel sujet, qui est un marqueur du clivage gauche-droite, vous auriez pu être plus nombreux et faire prévaloir votre majorité dans l'hémicycle à mains levées ! (Applaudissements à gauche)

Mme la présidente.  - Acte est donné de votre rappel au Règlement.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°110 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 312
Pour l'adoption   83
Contre 229

Le Sénat n'a pas adopté.

Prochaine séance demain, jeudi 4 juin 2020, à 9 heures.

La séance est levée à 19 h 20.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du jeudi 4 juin 2020

Séance publique

De 9 heures à 13 heures

Présidence : M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

Secrétaires : Mme Jacky Deromedi - M. Joël Guerriau

(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)

1. Proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues (n° 717, 2018-2019)

2. Proposition de loi visant à garantir l'efficacité des aides personnelles au logement, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 470, 2019-2020)

De 14 h 30 à 18 h 30

Présidence : Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à répondre à la demande des patients par la création de Points d'accueil pour soins immédiats (texte de la commission, n° 462, 2019-2020)

4Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux (texte de la commission, n° 464, 2019-2020)

Analyse des scrutins

Scrutin n°110 sur l'ensemble de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19

Résultat du scrutin

Nombre de votants : 339

Suffrages exprimés : 312

Pour : 83

Contre : 229

Le Sénat n'a pas adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (144)

Contre : 142

N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, Mme Colette Giudicelli

Groupe SOCR (71)

Pour : 71

Groupe UC (51)

Contre : 50

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Valérie Létard, Président de séance

Groupe RDSE (23)

Pour : 12

Abstentions : 11 - MM. Guillaume Arnell, Stéphane Artano, Joseph Castelli, Yvon Collin, Mme Nathalie Delattre, MM. Jean-Marc Gabouty, Jean-Noël Guérini, Mmes Véronique Guillotin, Mireille Jouve, Françoise Laborde, M. Jean-Claude Requier

Groupe LaREM (23)

Contre : 23

Groupe CRCE (16)

Abstentions : 16

Groupe Les Indépendants (14)

Contre : 14

Sénateurs non inscrits (6)

N'ont pas pris part au vote : 6 - M. Philippe Adnot, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Christine Herzog, Claudine Kauffmann, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier