Accueil et information des personnes retenues (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à confier à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) certaines tâches d'accueil et d'information des personnes retenues, présentée par Mme Marie-Carole Ciuntu.
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme Marie-Carole Ciuntu, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.) Cette proposition de loi, cosignée par 96 collègues, est un outil parmi d'autres pour redonner à notre pays la maîtrise de sa politique migratoire.
La mission d'information et d'assistance juridique auprès des personnes retenues dans les centres de rétention administrative (CRA) est confiée par l'État à certaines associations. Nous proposons qu'il l'exerce désormais lui-même, en s'appuyant sur l'Ofii.
Actuellement, la Cimade, en situation de monopole de 1984 à 2008, et quatre autres associations interviennent dans les vingt-cinq CRA, à raison d'une par centre. Mais elles agissent en vertu d'une délégation de l'État, à qui cette mission revient pleinement et qui peut décider de la confier à d'autres opérateurs ou de l'exercer directement.
Il s'agit de savoir si ces associations peuvent conserver ce rôle sans entraver la politique de l'État lui-même.
Les CRA visent à maintenir dans un lieu fermé des étrangers en situation irrégulière ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement, dans l'attente d'un retour dans leur pays. La grande majorité d'entre eux présentent une menace pour l'ordre public.
Chacun a le droit d'assurer sa défense, nul ne le conteste. Mais les associations qui interviennent dans les CRA, avec le soutien financier de l'État, ne sont généralement pas neutres ; certaines s'opposent même systématiquement au départ des étrangers, quelles que soient leurs situations.
Seulement 40 % des personnes retenues quittent effectivement notre territoire, et les difficultés d'obtention des laissez-passer consulaires ne sont pas seules en cause : les recours incessants préparés par les associations expliquent aussi cette situation.
En outre, comme le fait observer la Cour des comptes, alors que le nombre de personnes retenues a baissé de 20 %, le coût de leur assistance juridique par les associations a augmenté de 30 %. Sans compter que l'aide juridictionnelle couvre aussi les frais de certaines missions, comme la rédaction de mémoires, pour lesquelles les associations sont également rémunérées.
Il nous revient de nous assurer que cet argent public est utilisé à bon escient. Or, au vu des résultats obtenus, il n'est pas raisonnable de continuer ainsi.
Le choix initial de confier ces missions à des associations militantes et souvent frontalement opposées à la politique migratoire du Gouvernement, ce qui est leur droit le plus strict, portait en germes des contradictions devenues insurmontables dans un contexte de fort accroissement des flux migratoires et alors que la population placée en CRA a changé de nature. Avec le système actuel, c'est comme si nous étions à l'origine de notre propre impuissance.
Les tribunaux sont embolisés par la multiplication de recours formés systématiquement, parfois sans que la personne retenue en soit réellement à l'origine. Il est grand temps de considérer que ce ne sont pas les associations qui définissent la politique de l'État, mais que c'est à lui de mettre en oeuvre sa politique d'immigration, dans le respect du droit des personnes retenues à être défendues.
L'Ofii est déjà présent dans les CRA, et son directeur général, M. Leschi, se dit prêt à reprendre ces missions. Il est temps de passer des paroles aux actes ! Le drame de la jeune Philippine nous a montré que les décisions prises à l'encontre des étrangers en situation irrégulière présentant un danger particulier ont, dans la plupart des cas, raison d'être et vocation à s'appliquer.
Cette proposition de loi complète celle de Jacqueline Eustache-Brinio, qui autorise l'allongement de la durée de rétention.
Je le répète, les coûts liés à l'intervention des associations sont en hausse, pour un nombre de personnes retenues qui décroît. Ainsi, dans un contexte de fortes difficultés budgétaires, des sommes croissantes sont versées à des associations qui n'ont de cesse de condamner l'existence même des CRA et dont certaines soutiennent que tout étranger présent dans notre pays doit être accueilli. Le statu quo n'est plus possible.
En attendant une grande loi sur l'immigration qui passera certainement par une consultation directe des Français, la politique des petits pas peut être utile. Nous ne pouvons déplorer que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) soient de moins en moins exécutées sans chercher des solutions !
Sans remettre en cause la sincérité et l'engagement des associations, je tiens à répondre par anticipation au procès en inhumanité qui ne manquera pas de nous être intenté. Je me suis déplacée en CRA et continuerai de le faire dans le cadre de ma mission de contrôle financier : j'ai constaté l'efficacité des personnels de l'Ofii et leur connaissance du terrain. L'inhumanité consiste, selon moi, à maintenir coûte que coûte sur le territoire national des étrangers qui ont souvent vécu des parcours difficiles sans réelle perspective. Je ne suis pas certaine que la schizophrénie actuelle de notre politique leur offre les meilleures chances de s'en sortir. (M. Thomas Dossus s'exclame.)
Je pense à nos policiers, confrontés à des situations d'une extrême dangerosité. Avant de se protéger eux-mêmes, ils pensent à protéger les étrangers retenus, contre eux-mêmes ou contre les autres. Si nous ne rétablissons pas de la cohérence dans notre politique migratoire, nos agents s'épuiseront à chercher le sens de leur mission.
Reprenons le contrôle de notre politique migratoire : c'est ce qu'attendent de nous les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)
M. David Margueritte, rapporteur de la commission des lois . - Cette proposition de loi de Mme Ciuntu a été adoptée par la commission des lois.
Je commencerai par rappeler le cadre juridique actuel de l'information et de l'assistance aux personnes retenues ou en zone d'attente. J'en soulignerai ensuite les défaillances, qui me semblent justifier pleinement ce texte.
La Cimade a bénéficié du monopole de l'assistance aux personnes retenues avant l'ouverture à la concurrence de 2008, depuis laquelle d'autres associations interviennent, dont France Terre d'asile.
Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) prévoit des missions d'accueil, d'information et de soutien et renvoie à un décret en Conseil d'État. C'est dans ce cadre que des conventions sont conclues avec les associations, qui assurent une permanence dans les centres six jours sur sept.
Pourquoi ce système ne fonctionne-t-il pas correctement ?
Il y a d'abord la question du coût : de plus de 7 millions d'euros l'année dernière, selon la Cour des comptes, il sera porté à plus de 9 millions d'euros cette année, sans corrélation aucune avec le nombre de personnes retenues, qui diminue. (MM. Thomas Dossus et Guy Benarroche protestent.)
Il n'est pas douteux que les associations remplissent leurs missions, à voir la massification des contentieux devant les tribunaux... Cette systématisation des recours est la traduction d'une posture...
M. Guy Benarroche. - Ce n'est pas une posture, c'est le respect du droit !
M. David Margueritte, rapporteur. - ... alors que les associations sont soumises à un strict devoir de neutralité dans l'accomplissement de leurs missions de service public, sans préjudice de la liberté d'expression et de plaidoyer qu'elles ont par ailleurs. Certaines affirment que la politique d'éloignement pose problème en soi : il est permis de s'interroger sur la portée militante de leur action.
Le nombre de recours atteint 48 000, en hausse de plus de 30 % en deux ans. Leur faible taux de succès indique qu'ils sont souvent peu fondés.
L'Ofii intervient déjà dans les CRA, notamment pour délivrer une information sur les conditions matérielles du retour. Les associations interviennent ensuite, souvent au moyen de formulaires préremplis, que les avocats découvrent à l'audience ; des mémoires complémentaires sont rarement élaborés. Dans ces conditions, il est permis de s'interroger sur l'effectivité du droit à bénéficier d'un recours et à être défendu.
Par ailleurs, l'aide juridictionnelle a vocation à couvrir toutes les diligences dans le recours. L'État ne paie-t-il pas certains frais deux fois : à travers l'association qui prépare le recours, puis l'avocat commis d'office qui représente la personne retenue ? (M. Roger Karoutchi renchérit.)
Enfin, des incidents émaillent ici ou là l'action des associations, reflétant une perméabilité entre missions de service public et actions militantes. Je pense aux recours signés à la hâte, parfois à blanc... (Protestations sur les travées du GEST)
Les auteurs de la proposition de loi souhaitent mettre en place une procédure simplifiée et plus efficiente : information assurée par l'Ofii, assistance juridique confiée aux avocats, dont nul ne peut douter de l'indépendance. Ce système ne contrevient à aucun principe constitutionnel, conventionnel - Convention européenne des droits de l'homme ou directive Retour -, légal ou jurisprudentiel. Au reste, il a cours dans plusieurs pays voisins : Allemagne, Espagne, Pays-Bas.
Les zones d'attente se verraient appliquer le même régime que les CRA.
Le directeur général de l'Ofii a déclaré être prêt à assurer cette mission, moyennant quelques ETP supplémentaires.
Je vous invite à adopter ce texte, qui offre toutes les garanties d'indépendance pour une information éclairée et un recours garanti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Mme Ciuntu pour son initiative, qui fait suite à l'excellent rapport qu'elle a publié comme rapporteur spécial. Je soutiens avec force ce texte. (On ironise sur les travées du GEST.)
Nous en avons besoin pour mettre fin à une situation qui révolte une grande partie de nos compatriotes : la difficulté à éloigner les personnes retenues en CRA. Après les drames récents, dont celui de la jeune Philippine, les Français ne comprennent pas que des individus dangereux - 90 % des personnes retenues en CRA présentent un risque de trouble à l'ordre public - puissent se retrouver dans la nature.
Le premier chantier est celui de la réadmission dans les pays d'origine.
Un autre consiste à répondre à la triple défaillance constatée dans les CRA : trop peu de places, trop peu de temps pour la rétention et trop peu de cohérence.
S'agissant des places, nous allons porter leur nombre de 2 000 à 3 000. Trois nouveaux centres ouvriront l'année prochaine, à Bordeaux, Dunkerque et Dijon.
En ce qui concerne le délai de rétention, la proposition de loi de Mme Eustache-Brinio opère, pour les personnes les plus dangereuses, un alignement sur le régime des délinquants sexuels et des terroristes, soit une durée maximale portée à 210 jours. Les préfets disposeront d'un droit d'appel suspensif contre les décisions de libération prononcées par le juge des libertés et de la détention.
La présente proposition de loi comble la troisième faille. Il s'agit de renforcer la cohérence de l'action menée en confiant à l'Ofii le rôle joué actuellement par les associations.
À mon arrivée au ministère, j'ai rapidement mis cette proposition sur la table. Je n'ignore rien des polémiques qu'elle a suscitées, mais j'assume de dire la vérité aux Français : l'État a confié des missions de service public à des associations, rémunérées par l'argent du contribuable, qui outrepassent leur rôle et entravent l'action de l'État par pur militantisme. (Nombreuses marques d'assentiment sur les travées du groupe Les Républicains ; protestations sur les travées du GEST ; Mme Corinne Narassiguin proteste également.)
Ces associations combattent l'idée même de retour, inscrite dans les lois de la République. Elles multiplient les recours et les démarches dilatoires, sans même parfois que les étrangers les aient demandées ou en soient avertis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Thomas Dossus et Mme Corinne Narassiguin s'indignent.)
Agences, opérateurs : nous avons été beaucoup trop loin dans le démantèlement de l'État.
M. Pascal Savoldelli. - C'est Sarkozy !
M. Guy Benarroche. - À quoi pensez-vous ? L'OFB et l'Ademe, au hasard ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - L'accomplissement de missions de service public s'accompagne d'une exigence d'impartialité et de neutralité. Lorsqu'une association expose dans une salle d'un CRA des affiches « La France déporte », on en est loin... Il est scandaleux de faire un amalgame entre la politique de retour des étrangers et les heures les plus sombres de notre histoire ! (M. Thomas Dossus proteste.)
M. Roger Karoutchi. - Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - L'Ofii, déjà fortement présent dans les CRA, dispose de la compétence et de la légitimité nécessaires pour exercer ces missions. Ses agents, comme tous les fonctionnaires, sont soumis au devoir de neutralité et à l'obligation de réserve.
Dans sa décision du 28 mai dernier, le Conseil constitutionnel a jugé que les étrangers en situation irrégulière ont droit à l'aide juridictionnelle pour se faire représenter par un avocat. Oui à la défense des droits, non à la contestation militante du devoir de l'État de faire respecter ses lois !
Ce n'est pas un marqueur idéologique : c'est ce que demandent les Français et c'est une question d'ordre public, alors que 90 % des étrangers en CRA présentent un profil dangereux. Cette proposition de loi contribuera à la protection des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. François Patriat applaudit également.)
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. - Motion n°1 de M. Brossat, au nom du groupe CRCE-K.
M. Ian Brossat . - Je remercie les orateurs précédents pour leur franchise. Pas d'enrobage : leur intention est de mettre à mal les principes fondamentaux de l'État de droit. (Marques d'indignation à droite ; on renchérit sur les travées du GEST.)
M. Roger Karoutchi. - Il faut oser !
M. Ian Brossat. - Dans Paris Match, la semaine dernière, Mme la rapporteure a parlé de freins qui nous empêcheraient d'agir : les juges et la jurisprudence. Mais, sans contre-pouvoirs, il n'y a plus de République, il n'y a que l'arbitraire ! Pour le ministre de l'intérieur, l'État de droit n'est ni intangible ni sacré. Mais si l'État de droit est négociable, plus rien ne nous protège.
Depuis des mois, cet hémicycle est monopolisé par des textes sur l'immigration : remise en cause des accords avec l'Algérie, interdiction de mariage pour les sans-papiers, remise en cause des allocations versées aux étrangers en situation régulière... Il s'agit, cette fois, de retirer aux associations leur rôle d'information juridique.
Ce texte porte manifestement atteinte aux libertés fondamentales, en particulier au droit à un recours effectif, garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme. Sous couvert d'efficacité, on prétend affaiblir un peu plus encore l'État de droit. Vous assumez de rendre le droit moins lisible et accessible, pour réduire la possibilité des personnes enfermées de disposer d'une information neutre et efficace.
L'Ofii est sous la tutelle du ministère de l'intérieur. En lui confiant la mission d'informer les personnes retenues, vous voulez en finir avec la présence d'acteurs indépendants dans les CRA : les associations, comme France Terre d'asile et la Cimade, qui, depuis plus de quarante ans, assument cette mission avec rigueur et engagement.
Ce sont les seuls acteurs présents au quotidien dans les CRA. Pourquoi les écarter ? Pas parce qu'elles feraient mal leur travail, ni parce qu'elles coûteraient trop cher - 7 millions d'euros par an, soit 0,4 % du budget de la politique d'éloignement -, ni parce qu'elles manqueraient à leurs missions. Ce que vous leur reprochez, c'est leur indépendance ; ce qui vous est insupportable, c'est qu'elles jouent leur rôle de vigies citoyennes dans des lieux où l'arbitraire menace.
Elles s'assurent que les droits sont respectés en traduisant, expliquant, écoutant, dans des délais très contraints : 48 heures pour une mesure d'éloignement, 96 heures pour une prolongation de détention. Elles aident les personnes à comprendre les procédures, à contacter un avocat. Les avocats reconnaissent que, sans elles, leur travail deviendrait impossible.
Comment imaginer que la main qui enferme soit aussi celle qui informe pour permettre aux personnes de se défendre ? Le Conseil d'État l'a dit en 2009 : l'accompagnement juridique doit être assuré par des personnes morales indépendantes. De même, le Pacte européen sur la migration et l'asile proscrit tout conflit d'intérêts pour les personnes exerçant la mission d'information. Or l'Ofii dépend du ministère qui organise les éloignements et qui enferme. Lui confier la mission d'informer est incohérent et contraire à nos principes fondamentaux.
En outre, l'Ofii n'a pas les moyens de mener à bien ses missions. Sur 47 000 dossiers, il n'a mené que neuf évaluations de vulnérabilité... Il n'aurait pas non plus la confiance des personnes concernées, puisqu'il apparaîtrait comme l'exécutant d'une politique répressive, assumée par le ministre.
Vous prétendez que les avocats compenseront, mais, contrairement aux associations, ils ne sont pas présents en continu dans les CRA. Sans les associations, l'accès au droit deviendrait illusoire : qui assurera les traductions, qui préparera les recours ? En réalité, vous voulez moins de recours en supprimant les conditions qui permettent leur exercice !
Ce n'est pas une réforme, c'est un effacement : vous voulez faire taire les associations parce qu'elles offrent un regard indépendant et alertent sur les entorses à nos principes. Mais tout être humain a le droit d'être défendu. Ce texte affaiblit, abîme, détruit. La République ne devrait pas s'arrêter aux portes des centres de rétention ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. David Margueritte, rapporteur. - Avis défavorable. L'effectivité du droit ne se mesure pas au nombre de recours, souvent rédigés à la hâte, de manière systématique et de piètre qualité. Nul ne remet en cause la liberté d'expression des associations, y compris lorsqu'elles s'opposent avec virulence à la politique d'éloignement. Mais lorsqu'elles sont délégataires d'une mission de service public, elles sont tenues à la neutralité. L'Ofii est un établissement public, soumis à cette exigence de neutralité : je vous renvoie aux lois d'Anicet Le Pors... Au reste, l'assistance juridique sera assurée par les avocats. Il n'y a donc aucun problème d'impartialité - et nous cesserons de payer les mêmes frais deux fois.
M. Guy Benarroche. - Il faudra bien payer l'avocat !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Votre conception de l'État de droit, monsieur Brossat, est à géométrie variable. L'État de droit, ce n'est pas le militantisme, c'est l'impartialité. Or, par pur militantisme, les associations s'opposent, par principe, à la politique de retour prévue par nos lois, de surcroît pour des personnes dont 90 % sont dangereuses - souvenez-vous du drame de la jeune Philippine.
M. Thomas Dossus. - Quel rapport avec la Cimade ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Il faut un meilleur équilibre entre l'information nécessaire des personnes retenues et les exigences d'impartialité et de neutralité.
Nul ne conteste l'action de l'Ofii, qui mène ses missions avec professionnalisme.
En dix ans, la rémunération des associations a doublé, sans aucune corrélation avec les effectifs des personnes retenues. La nouvelle procédure représentera une économie de plus de 6 millions d'euros.
M. Guy Benarroche. - On aimerait un chiffrage plus précis...
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Monsieur Brossat, vous nous accusez d'avoir remis en cause les accords entre la France et l'Algérie : je pense que vous plaisantez.
M. Roger Karoutchi. - Provocation !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Faut-il rappeler que l'attentat de Mulhouse a été commis par un Algérien qui n'avait rien à faire sur notre territoire et que son pays avait refusé de reprendre à quatorze reprises ?
M. Ian Brossat. - Quels progrès avez-vous obtenus ?
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Que Boualem Sansal, malgré son âge et sa maladie, croupit dans les geôles algériennes ? Et que le prix Goncourt Kamel Daoud fait désormais l'objet d'un mandat d'arrêt émis par l'Algérie ? (Nombreuses marques d'assentiment à droite)
Notre obsession, c'est la sécurité et la protection des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)
M. Laurent Somon. - Nos collègues du groupe CRCE-K font grief à cette proposition de loi de méconnaître le droit à un recours effectif ; elle serait ainsi contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'homme. Nous sommes en désaccord avec cette analyse. Le droit à un recours effectif n'est nullement altéré : la mission d'information sera assurée par l'Ofii et l'intervention des avocats sera facilitée. L'absence d'intervention des associations ne nuira donc en rien aux droits des personnes.
La lecture maximaliste des textes constitutionnels et conventionnels dont procède cette motion est sans fondement. Nous voterons contre celle-ci.
M. Pascal Savoldelli. - C'est un moment de vérité sur la raison de cette proposition de loi. Sans doute y a-t-il, après la censure d'une grande partie du projet de loi Immigration, une part de revanche. (On le conteste à droite.) Ensuite, Mme Ciuntu a été claire : ce texte préfigure un référendum sur l'immigration. Votre projet, c'est de tourner le dos à une République d'intégration pour aller vers une République d'assimilation. Assumez-le !
Personne ne dit du mal de l'Ofii, mais il s'agit d'un organisme d'État rattaché au ministère de l'intérieur.
Pourquoi ne parlez-vous pas du rapport de 2023 de la Défenseure des droits sur les atteintes aux droits dans les CRA ?
Ce texte est purement politicien, anticonstitutionnel et ne réglera rien. Il est la traduction d'une course avec l'extrême droite ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°266 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 100 |
Contre | 243 |
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Question préalable
Mme la présidente. - Motion n°3 de M. Benarroche et du GEST.
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce texte est aussi symptomatique qu'inexcusable. Il illustre un pacte de gouvernement laissant les ministres utiliser régulièrement des propositions de loi sans étude d'impact pour imposer médiatiquement des thèmes inutiles et dangereux.
Les missions exercées par les associations devraient être confiées à l'Ofii, pour ne plus être menées de façon militante et pour des raisons de rationalité budgétaire. Voici les associations accusées d'être juge et partie et de suivre un agenda politique hostile au Gouvernement. Arguments fallacieux !
Les auteurs de la proposition de loi dénoncent une massification des recours qui entraverait la lutte contre l'immigration illégale. Mais voulez-vous limiter le recours effectif aux droits ? Une personne qui conteste une décision exerce son droit, avec l'assistance des associations qui assurent ainsi leurs missions.
Je sais bien que la notion d'État de droit est mise à mal ces temps-ci. Mais pour tous, nationaux et étrangers, du simple justiciable à l'ancien Président de la République, le droit au recours est garanti. Comment pouvez-vous qualifier certains recours d'abusifs sans aucun fondement ? Avez-vous un objectif chiffré au-delà duquel on serait dans la massification ? Vous ne parlez pas du nombre de décisions attaquées et annulées car injustifiées, ni de la complexité grandissante du droit des étrangers et du manque de moyens dans les tribunaux.
N'y a-t-il pas plutôt une massification des OQTF, automatiques et sans examen individuel ? En 2024, 44 % des personnes retenues ont été libérées par le juge, dont 30 % par le juge judiciaire.
Le nombre important de libérations ne saurait être reproché aux associations, car les décisions de justice ne sont pas de leur ressort ! Ce ne sont pas les recours qui sapent la politique du Gouvernement, mais ses propres décisions, irrégulières. Et l'effectivité des décisions d'éloignement, c'est avant tout une question diplomatique.
Dès octobre 2024, le ministre de l'intérieur disait que la mission de conseil devait relever de l'Ofii. En janvier 2025, il estimait choquant que des associations ayant un agenda politique profitent de financements publics pour promouvoir une politique différente de celle de l'État. Il s'agit pourtant de marchés publics ! Ce discours qui mélange subventions aux associations et financements dans le cadre d'un marché public est gênant et dogmatique. Il rappelle les attaques inexcusables contre certains avocats accusés de militantisme et les méthodes exécrables du média d'extrême droite Frontières.
Pour Jean-Marc Sauvé, le droit est une arme de la démocratie. Le droit doit contenir le politique, pour l'empêcher de devenir arbitraire. Faire valoir les droits d'une personne ne devient un acte politique que face aux dérives abusives et systémiques de l'État.
Pour vous, les associations sont incapables de faire la différence entre leur plaidoyer et leur mission au sein des CRA, et cela les disqualifierait. Voilà pourtant des années que vous leur confiez ces missions ! Mais alors, comment justifier de les confier à l'Ofii, qui dépend du ministre de l'intérieur ? Ce conflit d'intérêts-là est institutionnel : les agents de l'Ofii seront devant des injonctions contradictoires.
Cette proposition de loi introduit aussi une confusion entre information et accès effectif aux droits. Donner des conseils personnalisés et distribuer des brochures, ce n'est pas la même chose. Selon le Ceseda, l'étranger en rétention doit bénéficier d'actions d'accueil, d'information et de soutien, et le Conseil d'État a réaffirmé en 2009 que l'accès effectif aux droits ne se limitait pas à une simple information. L'accompagnement réalisé par ces associations, présentes six jours sur sept, est précieux au regard de délais de recours très courts.
Le fantasme d'une course au recours menée par les associations est indécent. Allez donc visiter les CRA et parlez à tous les personnels !
Les procédures des droits des étrangers sont de plus en plus complexes : des compétences spécifiques sont nécessaires.
La proposition de loi interprète abusivement la position de la Cour des comptes : il n'a jamais été démontré que la présence des associations avait un coût excessif.
Comme d'habitude, rien de chiffré pour le recours à des avocats sur les missions que l'Ofii ne pourra pas réaliser.
Les CRA, qui risquent de se multiplier, ne doivent pas être des lieux de punition sans droits. Vous entretenez la confusion avec l'incarcération punitive. Depuis trop longtemps, la rétention est détournée en un élément de politique sécuritaire.
Les associations sont dans les CRA depuis les années 1980, initialement à la demande du ministère des affaires sociales. Elles ne sont pas plus militantes qu'un médecin qui critiquerait l'assurance maladie, mais exercerait correctement sa mission de soignant hospitalier. Ce faisant, vous mettez en cause leur liberté d'expression.
Ce nouveau texte montre de nouveau votre acharnement à l'égard des étrangers, souvent précaires, vus comme des dangers. Notre groupe rejette ce texte, cette atteinte aux droits qui fondent notre démocratie, cette volonté de passer par des propositions de loi sans études d'impact pour satisfaire les ambitions court-termistes de certains membres du Gouvernement.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. Guy Benarroche. - Pour toutes ces raisons, nous vous proposons cette motion de rejet. (Applaudissements à gauche)
M. David Margueritte, rapporteur. - Le taux de libération par le juge n'est pas de 44 %, mais de 17 %. Le droit des étrangers est de plus en plus complexe, c'est vrai : d'où l'intérêt de confier la mission d'assistance aux avocats. Le chiffre de 30 % de recours devant le juge judiciaire témoigne de la massification des recours. Avis défavorable : le débat doit se tenir.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Même avis.
Mme Marie-Carole Ciuntu. - Nos avis divergent, mais vous avez peu d'arguments factuels. Monsieur Brossat, je n'ai jamais dit dans Paris Match ce que vous affirmez. M. Benarroche a déclaré que seules les associations pouvaient réaliser ce travail, l'État et l'Ofii n'étant pas dignes de confiance. Ces propos sont totalement politiques, il n'y a rien de juridique.
M. Guy Benarroche. - Il n'y a rien de juridique dans le texte !
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°3 est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°267 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 100 |
Contre | 243 |
La motion n°3 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
Mme Sophie Briante Guillemont . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) En vertu du Ceseda, l'étranger en rétention a droit à des actions d'accueil, d'information et de soutien pour permettre l'exercice effectif de ses droits et préparer son départ. On pourrait penser que de telles missions sont assurées par un organisme public comme l'Ofii, mais tel n'est pas le cas : ce sont des associations choisies par marché public qui remplissent cette mission. Elles passent ensuite le relais à l'avocat qui représente ces personnes devant la justice - avec une maîtrise inégale des dossiers.
Le texte issu de la commission des lois prévoit un système tout autre. Les associations disparaissent. L'Ofii, déjà présente dans les CRA, distribuerait une documentation basique en plusieurs langues. Ensuite, l'avocat ferait l'analyse particulière de la situation, rédigerait l'éventuel recours et représenterait son client devant le juge.
Le rapporteur a souligné la faiblesse de l'aide juridictionnelle. Le Gouvernement est-il prêt à la revaloriser ? Sinon, aucun avocat non militant ne voudra le faire.
Surtout, ce texte traduit une profonde méconnaissance de l'accès aux droits. Le droit des étrangers est un contentieux aride et particulier, qui nécessite de la pratique. Il faudrait donc qu'il figure dans la formation obligatoire des avocats et que ces derniers fassent des stages. Seules les associations ont développé, depuis des dizaines d'années, une expertise en la matière. Il est donc faux de dire que les associations conseillent mal les personnes retenues et font n'importe quoi : voyez le taux d'acceptation des recours !
Le système proposé par la commission respecte les droits de la défense des étrangers en situation irrégulière, en théorie, mais pas en pratique. Supprimer du jour au lendemain les associations sera un immense bouleversement. L'entrée en vigueur au 1er janvier 2026 ne permettra pas aux avocats de se former ni aux juristes des associations de passer leur Capa et il n'est pas certain que cela soit plus économe des deniers publics...
Il ne s'agit pas exclusivement de militants politiques, mais de personnes confrontées au désespoir d'êtres humains qui n'ont commis aucun délit, sinon de vouloir vivre en France. Certes, un quart d'entre eux sortent de prison, mais qu'en est-il du trouble à l'ordre public ? Avez-vous des chiffres, monsieur le ministre ? Ces intervenants méritent notre considération.
Le RDSE, profondément humaniste et républicain, refuse un tel recul des droits des étrangers en France. (Applaudissements sur les travées du RDSE et à gauche)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Je félicite l'auteure du texte, qui n'est autre que notre rapporteure spéciale de la commission des finances, qui avait demandé ce rapport à la Cour des comptes.
Je félicite le rapporteur pour son travail : la valeur n'attend pas le nombre de semaines de présence dans cet hémicycle. J'y vois l'efficacité de la Basse-Normandie. (Sourires)
La proposition de loi ne supprime pas des droits, mais transfère des missions à l'Ofii.
La Cour des comptes a mis en lumière des dérives : les avocats interviennent de moins en moins dans les CRA et il n'est pas rare qu'ils arrivent devant la juridiction avec des recours prérédigés sans en avoir eu connaissance.
M. Thomas Dossus. - C'est faux !
Mme Nathalie Goulet. - We agree to disagree, reconnaissez-le.
Le groupe UC, profondément humaniste et républicain, est en accord avec ce texte : nous préférons que les gens dangereux soient renvoyés dans leur pays (Mme Marie-Carole Ciuntu et M. Roger Karoutchi applaudissent) et que les missions soient transférées à l'Ofii. C'est notre choix, sans énervement, sans excès. C'est un transfert de missions : ne faites pas dire au texte plus que ce qu'il prévoit.
Le rapporteur, comme la Cour des comptes, relève des manquements à l'obligation de neutralité. En décembre, lors du débat budgétaire, j'avais proposé des amendements de réduction des crédits de cette mission, pour un meilleur contrôle de ces associations. Une mission flash de la commission des lois devait être lancée, car les chiffres sont impressionnants : on leur verse un milliard d'euros ! (M. Guy Benarroche proteste.) Il n'est pas question de supprimer les 7 millions d'euros de l'aide juridictionnelle, mais de la transférer.
M. Guy Benarroche. - Un milliard d'euros, c'est avec l'hébergement !
Mme Nathalie Goulet. - Le trafic de migrants est à l'origine de 5 à 7 milliards d'euros de blanchiment. Monsieur le ministre, en février, vous avez signé un accord avec Tracfin pour suivre ces trafics - c'est important, pour assécher les filières. Il y a quelques semaines, l'une d'elles a été démantelée à la frontière polonaise : sur 531 millions d'euros, 31 allaient au Hezbollah, 10 au Djihad islamique.
Il faut travailler sur ces filières d'immigration irrégulière, poursuivre l'action en lien avec Tracfin et réaliser ce rapport flash qui complétera utilement celui de la commission des finances.
Par excès de pudeur ou manque de moyens, la Cour des comptes n'a pas évalué la performance des programmes ; il serait souhaitable de le faire, pour compléter l'actuel état des lieux et constater la non-performance des associations. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Marianne Margaté . - Cette proposition de loi n'est pas un détail : elle jette l'opprobre sur des associations, avec pour seul objectif d'interdire l'accès à leurs droits des personnes retenues. Après avoir allongé la durée de rétention, cela devient une obsession.
Cette proposition de loi est grave, car elle remet en cause l'équilibre de la rétention, en réduisant, voire en effaçant, la distance entre celui qui retient et celui qui défend.
Doit-on empêcher les Restos du Coeur, la Fondation pour le logement des défavorisés ou encore Solidarité Femmes d'agir, au motif qu'elles manqueraient de neutralité ? Bien sûr que non.
L'Ofii devient soudain l'arbitre impartial, alors qu'il dépend de l'autorité qui décide d'expulser. Notre justice, impartiale et neutre, doit être accessible à tous. Le droit au recours effectif est l'un des fondements de notre État de droit. Ces associations ne prennent aucune décision juridique, elles ne font qu'exercer la mission qui leur est confiée.
Dans les CRA, cinq structures conventionnées rencontrent chaque personne enfermée, analysent sa situation, rassemblent les pièces nécessaires, saisissent le Défenseur des droits, indiquent aux tribunaux les failles qui trop souvent entachent la décision. Leur présence ne crée pas un dysfonctionnement, elle le dévoile.
À cette médiation vivante, on veut substituer un livret multilingue, dont l'absence serait sans conséquence sur la validité de la décision d'éloignement. Une même main informe ou omet, sans risque, alors que la personne enfermée ne dispose que de quarante-huit heures pour former un recours parfait : asymétrie totale ! La simple mise à disposition de documents d'information par l'Ofii est bien entendu insuffisante. Et quid des agents de l'Office, sans moyens supplémentaires ? Les avocats, qui travaillent main dans la main avec les associations, n'ont pas vocation à les remplacer. Ces missions ne peuvent être assurées par les avocats, faute de permanences dans les CRA et en l'absence d'un rehaussement très significatif de l'aide juridictionnelle.
La logique économique est lisible : la menace permanente d'un éloignement sert de rappel à une main-d'oeuvre précaire... Plus la menace est proche, plus le salaire se contracte, plus la rentabilité se dilate...
Refuser ce texte, c'est dire que la démocratie tient à la pluralité des voix, même dans ses marges. Défenseur de l'État de droit et de la dignité humaine, le groupe CRCE-Kanaky votera contre ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Thomas Dossus . - Voici les propos tenus par l'auteure de ce texte dans Paris Match, la semaine dernière : « Dans les CRA, des associations sont à demeure et assurent l'assistance juridique des personnes retenues. Elles ont des options politiques et sont militantes. Elles sont financées par de l'argent public, pour en fait venir contrer la politique d'immigration définie par le Gouvernement. Elles sont financées à hauteur de 1 milliard d'euros. Nous devons sortir les militants pour y mettre des professionnels. »
Voilà le véritable exposé des motifs, stigmatisant, partial et en grande partie mensonger.
Oui, les associations sont à demeure dans les CRA - c'est votre seule affirmation exacte. Depuis 2010, leurs missions ont évolué vers l'accès effectif aux droits, une mission encadrée par la loi et par des marchés publics. Leurs intervenants sont des professionnels compétents qui nous alertent sur les dysfonctionnements. Cela requiert une expertise, une présence et une indépendance garanties par le cahier des charges des marchés publics.
Ces associations seraient militantes ? C'est sans objet, dès lors qu'aucun manquement n'a été constaté dans le cadre des marchés publics. Les associations rendent compte de leurs actions aux responsables des centres et à la direction générale des étrangers en France.
Ces associations entraveraient nos politiques publiques ? C'est un non-sens, sauf à considérer que faire respecter le droit est incompatible avec la mise en oeuvre des politiques publiques.
Elles seraient financées par l'argent public pour contrer la politique d'immigration du Gouvernement ? Mais c'est parce que les décisions sont souvent irrégulières. Confier cette mission à un opérateur chargé de l'éloignement est problématique. Les 44 % de personnes libérées par le juge sont la preuve du caractère irrégulier des décisions, pas du caractère militant des associations. La massification du contentieux ne tient pas à la volonté des associations, c'est la conséquence de l'inflation législative qui a complexifié le droit et d'une politique du chiffre.
En décembre 2024, la Cour des comptes a reconnu que ces associations jouaient bien leur rôle d'information juridique. Elles sont la principale source non gouvernementale de données publiques sur l'enfermement. Mettre fin à leur présence, c'est occulter la réalité des conditions de rétention administrative.
Mme Ciuntu, qui a évoqué un coût de 1 milliard d'euros, mélange tout ! Car cela inclut aussi l'hébergement des demandeurs d'asile. Le coût réel de l'assistance juridique dans les CRA s'élève à 7,4 millions d'euros. Un rapport de 1 à 135, excusez du peu ! Rien de tel qu'une grosse manip' pour faire passer un texte bancal !
Il faudrait sortir les militants pour mettre des professionnels ? C'est tout simplement une insulte au travail des associations, qui emploient 1,5 million de personnes en France. Les personnes intervenant dans les CRA sont des professionnels compétents.
La proposition de loi confie ces tâches à l'Ofii : c'est irréaliste, puisque son schéma d'emplois est en baisse de 29 ETP. Qui réalisera ces nouvelles tâches ?
Cette proposition de loi est bâtie sur des erreurs factuelles, des contresens juridiques et des biais politiques. Nous apportons tout notre soutien à ces associations et voterons contre ce texte. (Applaudissements à gauche)
Mme Corinne Narassiguin . - Nous nous retrouvons malheureusement une fois de plus pour évoquer la passion de la droite sénatoriale : l'immigration. Cette fois, vous voulez faire d'une pierre deux coups : contre les migrants et contre les associations qui s'en occupent.
Nous pouvons énumérer une triste liste de vos textes anti-étrangers, qui font de tous les étrangers des ennemis et des gens dangereux. Mais la banalisation du rejet de l'autre conduit aux drames les plus atroces, comme l'assassinat barbare d'Aboubakar Cissé, parce que musulman. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Roger Karoutchi. - Et les autres personnes assassinées ne comptent pas ?
Mme Corinne Narassiguin. - Une proposition de loi qui fixe une durée de résidence minimale pour bénéficier des aides sociales, une autre pour interdire les mariages avec un étranger en situation irrégulière, une troisième qui revient sur le droit du sol à Mayotte, le tout ponctué par la surenchère de notre ministre de l'intérieur, qui s'est découvert une passion pour les circulaires.
Aux termes du Ceseda, le ministre chargé de l'immigration conclut des conventions avec des personnes morales pour informer les étrangers retenus sur leurs droits. Cela passe par un marché public. Ces associations doivent rendre compte régulièrement de leurs actions auprès du ministère de l'intérieur.
L'auteure de la proposition de loi s'inquiète d'un accompagnement de trop grande qualité qui limiterait le nombre de renvois dans les pays d'origine. On reproche donc aux associations de trop bien appliquer le droit : c'est original !
Vous vous plaignez d'une massification des recours, mais sans chiffres. Si les recours augmentent, c'est à cause de la massification des OQTF, souvent infondées, annulées par la suite. L'administration doit arrêter de délivrer des OQTF sans discernement et de contester les décisions qui lui sont défavorables. C'est mathématique !
M. Roger Karoutchi. - Ben tiens !
Mme Corinne Narassiguin. - Les recours existent parce que le droit l'impose. Les associations déconseillent parfois de former un recours, si celui-ci n'est pas opportun.
L'auteure s'inquiète du manque de neutralité des associations. C'est méconnaître la liberté d'association, qui va de pair avec la liberté d'expression. Les associations peuvent participer librement au débat public. Mais quand elles interviennent dans le cadre d'un marché public, elles garantissent le respect des droits fondamentaux et de l'État de droit.
Madame Ciuntu, le rapport de la Cour des comptes dit bien qu'il n'est pas douteux que les associations remplissent effectivement leurs missions d'assistance juridique.
Ceux qui connaissent bien le milieu associatif savent que l'intervention de l'Ofii sera bien plus coûteuse que celle des associations, car elles savent gérer de faibles budgets et le coût de leur personnel est bien inférieur à celui de l'Ofii. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains)
Actuellement, la désignation d'un avocat commis d'office se fait via la requête faite avec l'aide de l'association. Changer le processus prendra plus de temps et coûtera plus cher. Les avocats ne viendront pas tant qu'ils ne seront pas saisis, car pas informés. La profession estime que l'absence d'intervention des associations compromettra gravement l'exercice du recours et elle s'oppose au transfert de la mission d'information à l'Ofii. Les avocats attaqueront cette nouvelle disposition et l'État risque d'être condamné.
Ce texte risque de plus de ne pas être conforme à la directive Retour. Le Pacte sur l'asile et la migration a rappelé le principe selon lequel les intérêts de celui qui informe ne doivent pas être en conflit avec ceux du demandeur. C'est problématique dans le cas de l'Ofii, qui agit sous l'autorité directe du ministère de l'intérieur. Voilà un manque d'indépendance et de neutralité avéré.
Actuellement, l'Ofii se limite à l'accompagnement à l'aide au retour et a déjà du mal à assurer ses missions, comme le soutien moral et psychologique. Pourquoi étendre ses missions ? Parce que vous voulez empêcher les recours et faciliter les expulsions !
Le véritable problème, c'est l'incapacité de l'État à éloigner les personnes sous OQTF, édictées massivement et sans discernement.
Nous nous opposerons à ce texte qui stigmatise les étrangers et les associations. Vous vous attaquez frontalement à la liberté d'association, à la liberté d'expression et à notre État de droit. (Applaudissements à gauche ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. Christopher Szczurek . - Nous ne cachons pas notre satisfaction que la majorité sénatoriale se saisisse de la question migratoire, même si elle commence par le dernier maillon de la chaîne migratoire, les CRA.
Voilà bien longtemps que nous demandons d'agir sur les causes profondes de l'immigration : laxisme judiciaire, contrôle aux frontières défaillant, notamment. Il faudra un jour être dissuasif, avec la priorité nationale et la fin du droit du sol. Espérons que nous pourrons prochainement placer le débat au bon niveau, et arrêter ces cautères sur jambes de bois.
L'État a organisé sa propre impuissance. Notre droit prévoit légitimement que les étrangers bénéficient d'une assistance juridique et de conseils, missions déléguées à des associations diverses. Nous n'y sommes pas opposés par principe, sauf que ces dernières défendent une vision militante de la migration - voyez leurs rapports d'activité !
Nous saluons l'objectif du texte : redonner à un organisme public le contrôle de cette mission, ce qui répond aux exigences d'ordre public, d'impartialité et de bonne tenue de nos comptes.
Comme souvent, les beaux principes aboutissent à des catastrophes : pour nos comptes, pour la sécurité publique, et pour l'efficacité de la justice administrative.
Nous voterons ce texte qui améliore substantiellement nos CRA et siffle la fin de la récréation pour certaines associations, qui font un business juteux sur le dos de la misère humaine.
Mme Marie-Claude Lermytte . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Dans notre République, les droits fondamentaux doivent s'appliquer à tous, sans distinction d'origine ni de statut. Tout étranger doit être traité avec respect et dignité, conformément à notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. D'où un accompagnement juridique pour les personnes retenues en zone d'attente ou en CRA.
Si nous partageons tous l'objectif, nous n'ignorons pas les dysfonctionnements : l'État s'est éloigné de son rôle régalien en déléguant cette tâche à des associations qui ne sont pas neutres sur les questions migratoires - même si leur rôle de soutien et de lanceur d'alerte demeure indispensable.
Ces associations ne participent-elles pas, même involontairement, à la massification des recours ? Il est temps d'agir. Si un doute existe sur l'impartialité ou l'efficacité du système, mettons-y fin.
En confiant l'assistance juridique à l'Ofii, avec l'appui des avocats, nous voulons plus de cohérence institutionnelle, de réactivité et de neutralité. L'État consacre 7 millions d'euros à une mission qui devrait relever de l'administration.
C'est pourquoi la majorité du groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi dans un souci d'efficacité, d'équité et de responsabilité républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mmes Marie-Carole Ciuntu et Marie-Do Aeschlimann applaudissent également.)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cet après-midi, c'est la fête ! A e croire nos collègues, Madame Ciuntu, avec votre texte, vous seriez totalement en dehors du droit européen - même si de nombreux grands États européens n'ont aucune association dans leurs centres de rétention.
Le plus simple serait qu'il n'y ait plus d'OQTF, plus personne en centre de rétention ! C'est absurde !
La politique migratoire est définie par le Parlement - ni par les associations ni par l'Ofii. C'est la loi qui s'applique, et heureusement.
J'ai eu l'honneur de représenter le Sénat au conseil d'administration de l'Ofii pendant sept ans, sous des gouvernements de gauche entre 2014 et 2017, puis macronistes de 2017 à 2021. Lors de mes visites en CRA, j'ai toujours été étonné qu'un acteur unique, l'Ofii, ne soit pas chargé de l'application de notre politique migratoire. Si on veut de la cohérence sur l'éloignement comme sur l'intégration, il faut un organisme gestionnaire.
Même si je ne représente plus le Sénat à l'Ofii, je continue de défendre cet organisme qui fait très bien son travail. Quelles que soient leurs convictions, ses agents appliquent la loi avec intelligence, discernement et compétence.
Le droit des étrangers serait très compliqué ? Alors, un organisme public avec des agents spécialisés est le bon acteur intermédiaire entre le Parlement qui légifère, le Gouvernement qui exécute et les personnes retenues.
Ne soyons pas méfiants envers l'Ofii. J'ai souvent reçu les représentants des associations, qui reconnaissaient qu'ils n'étaient pas favorables à la loi. C'est leur droit le plus strict, en tant que citoyens, mais si cette opposition modifie l'exercice de la mission de service public qui leur est confiée, c'est problématique. Un citoyen qui, dans la rue, crierait « À bas la loi ! » l'appliquerait lorsqu'il est dans un CRA ? Cela n'existe pas ! (M. Thomas Dossus et Mme Corinne Narassiguin protestent.)
M. Guy Benarroche. - Ils appliquent la loi !
M. Roger Karoutchi. - Monsieur Benarroche, écoutez-moi comme je vous ai écouté : attentivement.
Il faut augmenter les moyens de l'Ofii, pour mieux intégrer les migrants légaux. Dénier à l'Ofii un rôle clé n'est pas rendre service aux migrants légaux ni à ceux qui veulent une politique ferme, mais juste.
C'est son rôle d'être dans les CRA. De nombreux acteurs reconnaissaient qu'il était compliqué, y compris pour l'Ofii, d'agir avec la présence envahissante des associations.
C'est au Parlement de faire la loi et de dire le droit, à l'Ofii de le faire respecter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Solanges Nadille . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte soulève des questions importantes touchant à la bonne utilisation des deniers publics, à l'efficacité de notre politique migratoire et à la garantie des droits fondamentaux.
Le coût de l'assistance juridique dans les CRA a progressé bien plus vite que le nombre d'étrangers retenus : 7,4 millions d'euros en 2024, contre 5,2 millions d'euros en 2019, alors que le nombre de personnes retenues diminuait. Pour 2025, 9,2 millions d'euros sont prévus. Le dispositif actuel est-il vraiment efficace ?
Ces missions sont assurées par des associations agissant dans le cadre de marchés publics. Cette situation est tout à fait normale, et cela se fait pour d'autres politiques publiques comme la probation en matière judiciaire. Mais dès lors que ces associations exercent une mission de service public, le principe de neutralité s'impose à elles. Or ce dernier est parfois mis à mal : les associations s'éloignent de leur mission première, pour contester quasi systématiquement les mesures d'éloignement.
Des manquements de la part de ces associations ont été documentés par le rapporteur : je pense à certaines structures ultramarines, comme à Mayotte, où des mises en demeure ont été prononcées face à des dérives manifestes - défaut de présence, carence dans l'information, prises de position contraires à l'esprit du marché public. (M. Roger Karoutchi le confirme.)
Nous avons l'occasion d'améliorer la situation, tout en garantissant le droit des personnes retenues. La proposition de loi confie à l'Ofii certaines missions d'accueil et d'information dans les CRA actuellement exercées par les associations.
La version initiale avait soulevé des interrogations légitimes. Comment éviter toute confusion entre l'information et l'assistance juridique, notamment ? Les apports du rapporteur sont bienvenus, qui distinguent clairement l'information sur les droits, confiée à l'Ofii, et l'assistance juridique, confiée aux avocats. Cette rédaction est équilibrée.
Le Gouvernement aura à recruter et former des professionnels au sein de l'Ofii et à veiller à l'articulation avec le barreau local et l'aide juridictionnelle, en évitant toute rupture dans la chaîne des droits.
Ce texte répond à un besoin d'efficacité et de clarté. Le RDPI veillera à ce que les droits de la défense soient pleinement garantis. La protection des libertés fondamentales est un principe non négociable de notre État de droit. (M. François Patriat applaudit.)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec ce texte, nous franchissons une étape attendue, salutaire. C'est un paradoxe : depuis des années, la mission d'assistance juridique, coeur battant du respect de l'État de droit dans les CRA, a été confiée à des associations - souvent militantes - qui s'opposent frontalement à la politique migratoire de l'État. Certaines ont transformé leur mission d'aide en combat idéologique : c'est inacceptable. Cette situation est juridiquement fragile, administrativement inefficace et politiquement illisible.
La présente proposition de loi met un terme à l'hypocrisie administrative en recentrant cette mission sur deux piliers incontestables de l'État de droit : l'Ofii, bras opérationnel de l'État, assurera l'accueil, l'information, la transmission des droits ; les avocats, garants de la défense, assureront les recours et la représentation. Les associations retrouveront leur liberté d'expression en dehors des murs des CRA.
Cette proposition de loi serait une atteinte aux droits fondamentaux ? Relisez le texte, il n'amoindrit en rien les droits des personnes retenues. Au contraire, ces droits seront mieux encadrés, garantis et appliqués.
Nous changeons non pas le droit, mais le canal de transmission : nous combattons la captation militante d'un service public qui doit rester neutre, professionnel et républicain. (M. Thomas Dossus ironise.)
Comment justifier que l'État délègue l'accompagnement juridique à des structures qui, parfois, instruisent des recours à l'insu des personnes concernées, qui remplissent des formulaires précochés, qui détournent leur mission pour faire obstruction ?
M. Guy Benarroche. - Fake news ! C'est inexact !
M. Stéphane Le Rudulier. - Comment justifier qu'un étranger soit conduit à l'audience sans même savoir qu'un recours a été introduit en son nom ? N'est-il pas plus conforme à notre exigence républicaine que l'aide juridictionnelle soit à la charge des avocats, qui en ont la compétence et la légitimité ?
Ce texte n'est pas de repli, mais de clarté, de rigueur et de justice. Loin d'une remise en cause des droits, c'est un appel à mieux les protéger. À l'heure où les Français attendent de nous des actes, non des postures, ce texte renforce l'autorité de l'État sans renier ses valeurs.
Nous ne pouvons plus accepter que l'État paie deux fois pour la même mission, et que l'action publique soit dévoyée par des logiques militantes. Nous ne pouvons plus accepter une forme de contournement idéologique de la République. Le groupe Les Républicains votera avec conviction ce texte qui met un terme à ces dérives. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Discussion des articles
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°5 de Mme Narassiguin et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - Amendement de suppression, pour les raisons déjà évoquées. Comme toutes les propositions de loi en matière de droit des étrangers, celle-ci repose sur des approximations, des erreurs et des mythes. S'il y a massification des recours, c'est que le nombre d'OQTF a augmenté de 60 % en cinq ans !
Lors de la présentation de son rapport, le 7 mai dernier, le rapporteur a accusé des associations de former des recours sans même en informer les personnes retenues et de leur faire signer des documents vierges. Il a cité une enquête préliminaire de l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (Oltim) de novembre 2024. Au-delà de la violation du secret de l'enquête et de la présomption d'innocence, il a omis de préciser que cette procédure a fait l'objet, le 14 avril 2025, d'une décision de classement sans suite par le procureur de la République de Meaux ! C'est indigne des travaux de notre assemblée ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST)
Mme la présidente. - Amendement identique n°7 de Mme Margaté et du groupe CRCE-K.
Mme Marianne Margaté. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°9 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - On lit dans le rapport que les avocats n'interviennent pas dans la rédaction des recours et découvrent les dossiers à l'audience. Mais aussi, que les permanences d'avocats spécialisés dans les barreaux ne sont pas systématiques, et désormais très rares en CRA. Or vous souhaitez reporter la charge de l'information - dans un délai de 48 heures - sur les avocats, qui ne sont pas en mesure de l'assumer. Les avez-vous interrogés ?
M. David Margueritte, rapporteur. - Bien sûr !
M. Guy Benarroche. - L'absence d'étude d'impact, et de consultation des avocats, est préjudiciable à la sincérité de nos débats.
Le recours aux avocats éviterait à l'État de payer deux fois, dites-vous ? Vous pensez donc que les avocats n'auront pas à être payés pour cette nouvelle mission ? Votre raisonnement se heurte au réel. Preuve, s'il en fallait, que ce texte commandé par Beauvau ne vise qu'à sanctionner les associations qui ont l'outrecuidance de vouloir faire respecter le droit des étrangers !
M. David Margueritte, rapporteur. - Avis défavorable.
Madame Narassiguin, nous avons mené de nombreuses auditions, nous nous sommes rendus dans des CRA, nous avons évidemment sollicité les avocats. Si les faits que vous avez évoqués n'ont pas été pénalement qualifiés, ils sont clairement établis. (Mme Corinne Narassiguin et M. Guy Benarroche protestent.)
M. Guy Benarroche. - Par le ministère, ou par un juge ?
M. David Margueritte, rapporteur. - Trois recours examinés au cours de l'audience n'avaient manifestement pas été formulés par les retenus eux-mêmes, soit qu'ils aient signé des documents en blanc manifestement remplis a posteriori, soit qu'ils n'aient tout simplement pas signé les recours.
L'inflation du nombre de recours, souvent de piètre qualité, ne garantit pas le droit effectif au recours. Au vu de la spécialisation accrue du droit des étrangers, passer par des avocats garantit la neutralité de l'information et le droit effectif au recours.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Même avis.
Madame Briante Guillemont, 2 % des personnes détenues en CRA ont des profils terroristes - 33 personnes, qu'il n'est pas question de laisser dans la nature - et 91 % des profils sortant de prison, souvent auteurs d'atteintes aux personnes ou de faits troublant l'ordre public. Ce sont donc 93 % des gens qui présentent une menace à l'ordre public.
Madame Narassiguin, la hausse des OQTF n'est pas un caprice du Gouvernement, mais la conséquence de la directive Retour, qui impose de prononcer systématiquement une OQTF contre un étranger en situation irrégulière. En 2021, l'Allemagne a été condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour ne l'avoir pas respectée.
Plusieurs d'entre vous ont appelé à conforter l'Ofii. Ce sera fait, grâce aux 6,5 millions d'euros que cette proposition de loi permettra d'économiser, et dont une partie sera redéployée au bénéfice de l'Ofii.
M. Thomas Dossus. - Cette proposition de loi repose sur des témoignages, cités dans le rapport, qui ont abouti à un non-lieu ; sur le mensonge du milliard d'euros, que nous avons démonté ; sur les outrances du ministre, qui vise, dans l'Express, des associations qui se seraient « dévoyées » - la Cimade, notamment.
Ce terme est fort ! Selon ses statuts, le Comité inter-mouvements auprès des évacués, créé en 1939, a pour but de « manifester une solidarité active avec ceux qui souffrent et d'assurer leur défense, quelle que soit leur nationalité, leur origine ou leur position politique ou religieuse ». Pendant la guerre, elle a organisé l'accueil de juifs dès 1940 au Chambon-sur-Lignon, et sauvé 108 enfants juifs dans les camps de transit de Vénissieux en août 1942. Depuis, elle a constamment aidé les réfugiés et les personnes migrantes. Elle ne s'est nullement dévoyée - contrairement à la droite dite républicaine ! (M. Guy Benarroche et Mme Émilienne Poumirol applaudissent.)
M. Ian Brossat. - Je m'excuse d'avoir attribué à Mme Ciuntu des propos qui étaient ceux de Mme Valérie Boyer.
Monsieur Karoutchi, vous dites que ces associations sont militantes. Le militantisme n'est pas un délit ! On a le droit de défendre une cause. Le directeur de l'Ofii lui-même le fait, dans la presse - il a d'ailleurs défendu des opinions évolutives au cours de sa carrière.
Vous reprochez à ces associations de s'être exprimées contre les récentes lois sur l'immigration. Mais si on considère que ceux qui critiquent les lois ne les appliquent pas, c'est la fin de l'État de droit ! Nous respectons tous les jours des lois auxquelles nous ne sommes pas favorables : des élus qui s'étaient opposés au mariage pour tous célèbrent quand même des unions homosexuelles !
Attention aux arguments utilisés : nous ne sommes pas loin du délit d'opinion ! (M. Guy Benarroche applaudit.)
M. Roger Karoutchi. - Allez ! Tout ce qui est excessif est vain !
Mme Marie-Carole Ciuntu. - Je ne savais pas que l'exégèse de Paris Match faisait partie de nos travaux...
Nulle part je ne fais de confusion entre le milliard d'argent public versé chaque année aux associations pour remplir différentes missions dans le domaine de l'immigration et de l'intégration, et le coût de l'assistance juridique par l'intermédiaire des associations dans les CRA - qui a augmenté de 30 %, alors que le nombre de personnes retenues a diminué de 20 %. C'est très clair - je ne fais que citer très exactement le rapport de la Cour des comptes ! (MM. Thomas Dossus et Guy Benarroche protestent.)
Les amendements identiques nos5, 7 et 9 ne sont pas adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°4 de Mme Narassiguin et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - Avec cet amendement, nous faisons de cette proposition de loi ce qu'elle aurait dû être : un texte fondé sur des réalités objectives, et non sur des biais idéologiques.
Sans revenir sur la liberté d'expression des associations, je rappelle que leur travail dans le cadre des marchés publics n'a jamais été remis en cause par aucun rapport, que ces marchés publics sont renouvelés. Il est étrange de leur imputer l'inflation des recours !
La contrôleure générale des lieux de privation de libertés a déploré les pressions politiques qui entraînent une augmentation, en CRA, du nombre de personnes éligibles à une protection contre l'éloignement, dont l'éloignement est impossible ou dont l'état de santé est incompatible avec la rétention. Autant de motifs d'annulation de la décision administrative. Même en respectant le droit européen, l'OQTF n'est pas automatique lorsqu'on est en situation irrégulière - c'est bien pour cela que 44 % des recours aboutissent à une remise en liberté !
M. David Margueritte, rapporteur. - Avis défavorable. Cet amendement reprend dans la partie législative des dispositions de la partie réglementaire. Le texte serait vidé de sa substance.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Même avis. Cela revient à supprimer la disposition centrale de la proposition de loi !
S'agissant de l'absence de neutralité et d'impartialité d'une certaine association, je rappelle que la Cimade avait organisé les Charter Awards pour classer les préfets, avec, par exemple, « le prix du petit bagnard ».
M. Thomas Dossus. - Pas dans le cadre du marché public !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Les associations sont libres de leurs opinions, mais lorsqu'elles exercent une délégation de service public, dans un lieu administratif, des contraintes de neutralité s'imposent.
M. Thomas Dossus. - Encore une tentative de confusion : la Cimade n'a pas organisé cet événement dans un CRA ! (M. Roger Karoutchi ironise.) C'est la direction générale des étrangers en France qui contrôle l'exécution du marché public : vous avez tout loisir de le dénoncer. Vous évoquez une activité militante de l'association - elle en a le droit - qui est sans rapport avec l'exercice du marché public !
M. Guy Benarroche. - Belle illustration de ce que disait Ian Brossat : on n'accuse plus les associations de mal faire leur travail - et d'ailleurs les marchés publics, loin d'être dénoncés, ont été récemment renouvelés - mais de ne pas penser comme il faut ! Faut-il désormais un badge de bonne pensée pour exercer dans les CRA ? Inscrivez donc dans le cahier des charges que défendre certaines valeurs interdit de soumissionner à un marché public ! Bon courage.
Mme Marianne Margaté. - M. le ministre n'est guère précis sur les raisons de la rétention. Quelque 90 % des personnes retenues le seraient pour « trouble à l'ordre public » ? Que recouvre cette notion ? Les contrôles de police, à la gare, quand on se rend au travail ? Derrière ce voile se cache la grande majorité des personnes retenues. Sans définition précise, on en vient à affirmer que 90 % des personnes retenues sont dangereuses - et on accuse ces associations de les défendre. C'est un raisonnement malsain, qui explique notre opposition résolue à ce texte.
Mme Marie-Carole Ciuntu. - Un mot sur la dangerosité des personnes retenues. Si vous vous êtes rendus dans des CRA, vous saurez qu'il est difficile d'y intervenir, même pour les associations - les personnels de l'Ofii, les psychologues, infirmières, policiers y sont régulièrement menacés. Certaines associations n'ont pas souhaité exercer leurs missions, tant les relations sont compliquées avec certains retenus ; les policiers les y ont poussées, de crainte qu'elles ne s'appuient sur cela pour arguer que leur mission n'était pas effective !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Les 91 %, ce sont des crimes de sang, du trafic de stupéfiants, des violences contre les personnes. Si vous trouvez que tout cela est banal, il faudra l'expliquer aux Français. (Mme Pascale Gruny applaudit, M. Guy Benarroche ironise.)
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°11 du Gouvernement.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - C'est une mesure miroir pour permettre à l'Ofii d'intervenir auprès des demandeurs d'asile ou des personnes susceptibles de demander l'asile.
M. David Margueritte, rapporteur. - Avis favorable à cet amendement qui assure la cohérence du dispositif.
L'amendement n°11 est adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Après l'article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°12 de M. Margueritte, au nom de la commission des lois.
M. David Margueritte, rapporteur. - Coordination pour l'outre-mer.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°13 du Gouvernement.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Il n'y a pas de CRA dans le Pacifique, donc pas d'Ofii.
Le sous-amendement n°13 est adopté.
L'amendement n°12, sous-amendé, est adopté, et devient un article additionnel.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°6 de Mme Narassiguin et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°8 de Mme Margaté et du groupe CRCE-K.
Mme Marianne Margaté. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°10 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - Le report de la date d'application montre bien que rien n'est prêt, ni l'Ofii, ni les avocats, ni les budgets - mais il faut voter une loi, pour la communication électorale de certains ici !
M. David Margueritte, rapporteur. - Avis défavorable. Il faut une prolongation de quelques mois, le temps que l'Ofii recrute.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Avis défavorable.
Les amendements identiques nos6, 8 et 10 ne sont pas adoptés.
L'article 2 est adopté.
Exception d'irrecevabilité
M. Thomas Dossus. - Rappel au règlement, au titre de l'article 45 alinéa 4 de notre règlement. L'article 40 de la Constitution dispose que les propositions et amendements formulés par les parlementaires ne sont pas acceptables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.
Or cette proposition de loi aggrave la charge financière de l'État et ses opérateurs, sur deux sujets : les nouvelles missions confiées à l'Ofii et le recours à l'aide juridictionnelle.
Pour preuve, le rapporteur a souhaité reporter la date d'application, le temps pour l'Ofii de procéder à des recrutements.
Les associations, pour 7,4 millions d'euros, assurent une présence six jours sur sept dans les CRA. Transférer cette mission à des avocats payés par l'État, qui devront se déplacer dans les CRA, sera bien plus coûteux. La commission a souligné que le renforcement de la présence des avocats en CRA nécessitera de revaloriser l'aide juridictionnelle.
Nous sommes bien face à une aggravation, directe et certaine, des charges pour l'État. Si l'on prétend garantir aux retenus les mêmes droits qu'aujourd'hui, le système proposé coûtera plus cher que le système actuel. Soit le Gouvernement revient avec un projet de loi, soit cette initiative n'est pas recevable financièrement.
Mme la présidente. - Monsieur Dossus, vous avez soulevé une exception d'irrecevabilité sur le fondement de l'article 40. Je vais suspendre la séance pour voir s'il y a lieu de réunir la commission des finances. (M. Roger Karoutchi proteste.)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Si le Gouvernement soutient la proposition de loi, c'est aussi parce que c'est une mesure d'économie. L'intervention des associations dans les CRA coûte 9,244 millions d'euros ; nous attendons une économie de 6,5 millions d'euros, dont une partie ira renforcer les moyens de l'Ofii. Il n'y aura donc pas d'augmentation de la charge publique, mais au contraire une économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue à 18 h 40.
La séance reprend à 19 h 05.
Mme la présidente. - En application de l'article 45 du règlement, la commission des finances va se réunir au plus vite. Dans l'attente, je réserve le vote sur la proposition de loi.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Pour être très clair, le Gouvernement reprend la proposition de loi à son compte, y compris si elle crée des charges - mais ce ne sera pas le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme la présidente. - J'attends donc que la commission des finances se réunisse et donne son avis. En attendant, nous poursuivons notre ordre du jour de notre séance.
La séance est suspendue quelques instants.