Lutte contre les fraudes aux aides publiques (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques.
M. Olivier Rietmann, rapporteur pour le Sénat de la CMP . - Je remercie la présidente Estrosi Sassone de m'avoir confié ce rapport, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des finances, Antoine Lefèvre, pour nos échanges.
J'ai suivi une triple boussole : renforcer la protection des consommateurs ; veiller à la simplicité du cadre législatif et de l'action administrative, en évitant tout effet de silo ; faire suite à nos travaux sénatoriaux, notamment en matière de démarchage téléphonique.
Je me félicite que les trente-cinq articles de ce texte conservent la quasi-totalité des apports sénatoriaux.
À l'article 1er, la CMP a maintenu la possibilité de renouveler la suspension d'une aide publique en cas de fraude. Elle a également conservé l'article 1er ter sur les indus de RSA.
Deux dispositions issues de la commission d'enquête sénatoriale sur la rénovation énergétique ont prospéré : le renforcement de l'information sur le service public de la performance énergétique de l'habitat et la possibilité pour la DGCCRF d'interdire à une entreprise de candidater à un label.
L'Assemblée nationale a ajouté une partie de la proposition de loi de notre collègue Verzelen sur le démarchage téléphonique, adoptée à l'unanimité au Sénat. Cela permettra d'encadrer rapidement ces pratiques qui exaspèrent nos concitoyens.
En matière de démarchage téléphonique, la CMP a conforté les acquis du Sénat, et notamment refusé toute exemption catégorielle qui aurait complexifié et fragilisé le dispositif. Nous ne devons pas écrire la loi en réponse aux sollicitations de quelques entreprises qui crient plus fort que les autres : ces entreprises ont les moyens et le temps - 4 mois - de s'adapter.
À l'article 4 relatif aux certificats d'économies d'énergie (C2E), plusieurs apports sénatoriaux ont été maintenus, pour mieux contrôler et mieux sanctionner.
À l'article 5 relatif aux contrôles visuels, la version adoptée par le Sénat a été retenue dans le texte final, avec un dispositif pérenne, et non expérimental.
Je suis également satisfait que le texte final conserve plusieurs articles additionnels adoptés au Sénat, sur les pouvoirs d'enquête, de sanction et de communication de la DGCCRF ; sur la lutte contre la fraude dans le champ social, dont la formation professionnelle ; et sur le contrôle à distance de la fraude aux compteurs communicants d'électricité et de gaz.
Au nom de la commission des affaires économiques, j'invite le Sénat à adopter les conclusions de cette CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Mme Nathalie Goulet. - Bravo !
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics . - Cette proposition de loi a fait l'objet d'un accord en CMP le 6 mai dernier. Je remercie les rapporteurs Cazenave, Rietmann et Lefèvre et tous les membres de la CMP pour leur esprit de consensus et leur efficacité.
Thomas Cazenave, alors ministre du budget, avait détecté un vide juridique sur la question de la fraude aux aides publiques. Or frauder, c'est voler tous les Français. Toutes les fraudes méritent notre attention.
En 2024, quelque 20 milliards d'euros de fraudes ont été détectés et 13 milliards encaissés - un record ! Nous nous organisons pour aller plus loin : avec de plus en plus de préremplissage de déclarations ; avec des moyens accrus, dont 1 000 agents supplémentaires dans le champ social ; avec des avancées juridiques ; avec le démantèlement de grands réseaux criminels - car le crime organisé et la fraude aux aides publiques doivent arrêter de faire bon ménage.
Il faut frapper les délinquants au portefeuille. Si les Français bénéficient de mesures comme les C2E ou MaPrimeRénov', les fraudeurs les perçoivent comme s'adressant aussi à eux !
Nous avons ainsi récupéré des centaines de milliers d'euros à l'étranger. Tracfin a fait son travail pour nous permettre de les ramener dans les comptes publics.
Ce texte ne fait pas tout, mais c'est une première étape. Nous aurons des outils pour que les indus de RSA acquis frauduleusement ne fassent plus l'objet d'une remise ou d'un effacement de dette. La DGCCRF aura plus de pouvoirs et nous pourrons contrôler à distance les fraudes aux compteurs Linky.
À l'initiative du sénateur Verzelen, cette proposition de loi interdit aussi le démarchage téléphonique. Nous en avons tous assez qu'on essaie de nous faire acheter des pompes à chaleur, de l'isolation ou du triple vitrage ! Les Français les plus vulnérables, les plus âgés, ne se rendent pas compte que ce harcèlement téléphonique n'est que la vitrine de fraudes et de vols.
Les échanges d'informations seront élargis avec les inspections générales des ministères, avec la commission de régulation de l'énergie (CRE) et entre Tracfin et le Parquet européen.
Je salue le travail de la douane et de la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf).
Enfin, je salue la sénatrice Goulet, qui a introduit une mesure qui n'est pas seulement symbolique. Jusqu'à présent, quand vous voliez votre voisin en bande organisée, c'était un crime, alors que quand vous voliez l'État, c'était un délit. Elle y a remédié : c'est un vrai progrès. (Mme Nathalie Goulet apprécie.)
Je salue le travail de qualité du Sénat et la rapidité de la navette. Dès la promulgation du texte, nous prendrons les décrets d'application au plus vite.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Nous y veillerons.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je serai à votre disposition pour en rendre compte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE et des groupes INDEP et UC ; MM. Fabien Gay et Jean-Jacques Michau et Mme Agnès Canayer applaudissent également.)
Discussion du texte élaboré par la CMP
Mme la présidente. - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la CMP, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°1 du Gouvernement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ces amendements sont soit rédactionnels - le Bescherelle vaudra explication - soit de coordination. Rien ne dénature le texte de la CMP.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Avis favorable.
Article 2 quater B
Mme la présidente. - Amendement n°2 du Gouvernement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Défendu.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Avis favorable.
Mme la présidente. - Amendement n°3 du Gouvernement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Défendu.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Avis favorable.
Article 2 sexies
Mme la présidente. - Amendement n°4 du Gouvernement
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Défendu.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Avis favorable.
Article 3 bis B
Mme la présidente. - Amendement n°5 du Gouvernement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Défendu.
M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Avis favorable.
Vote sur l'ensemble
M. Antoine Lefèvre . - Cette proposition de loi, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale et modifiée le 2 avril par le Sénat, marque une étape décisive dans la protection de nos finances publiques et la préservation de la confiance dans l'action publique.
Je salue le travail du rapporteur.
L'accord en CMP a largement repris les travaux du Sénat.
La lutte à la source a été renforcée, grâce à la possibilité donnée à l'administration de suspendre temporairement le versement d'une aide publique en cas de suspicion de fraude.
Les échanges d'informations ont été fluidifiés, en levant certains secrets professionnels. Une clause générale permettra aussi à toutes les administrations concernées d'échanger librement des informations en cas de suspicion de fraude. L'accès à de nouveaux fichiers est également prévu.
La sous-traitance sera mieux encadrée, avec des garanties supplémentaires dans les travaux de rénovation ouvrant droit à des aides publiques.
Tournant majeur, à partir du 11 août 2026, tout démarchage téléphonique commercial sera interdit, sauf si la personne y a explicitement consenti. Cela s'appliquera à toutes les entreprises, sans exception, y compris pour les travaux de rénovation énergétique ou d'adaptation des logements au vieillissement ou au handicap. L'interdiction concernera non seulement les appels téléphoniques, mais aussi, pour certains secteurs sensibles, le démarchage électronique par SMS, courriels et réseaux sociaux.
Le Sénat a enrichi le texte initial en privilégiant une approche pragmatique et équilibrée, qui a été retenue en CMP. Il s'agit d'outiller l'administration pour détecter et prévenir plus efficacement la fraude - car celle-ci menace la justice sociale et la soutenabilité de nos finances publiques - dans le respect des droits fondamentaux.
Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Fabien Gay . - (M. Henri Cabanel et Marc Laménie et Mme Nathalie Goulet applaudissent.) La lutte contre la fraude aux finances publiques est un combat transpartisan. Mais attention à ne pas tout mélanger et à ne pas mettre pas sur le même plan aides publiques et prestations sociales.
Si ce texte marque un timide progrès, il esquive l'essentiel : les fraudes structurelles d'un capitalisme oligarchique, via l'optimisation fiscale, l'évitement social et la captation de fonds publics.
L'affaiblissement programmé de la DGCCRF - 25 % d'effectifs en moins depuis 2007 - illustre la schizophrénie d'un pouvoir qui durcit les lois tout en asphyxiant les services de contrôle.
Aussi, si nous saluons les avancées de ce texte, cela ne doit pas nous faire oublier qu'il faudra des réformes d'ampleur pour s'attaquer aux fraudes structurelles. Il ne suffit pas de criminaliser les petits fraudeurs tout en légalisant l'évitement fiscal.... Ce deux poids deux mesures dévoile une doctrine d'État : rigueur pour les sans-voix, clémence pour les puissants.
Voilà des années que nous dénonçons la fragilité des aides relatives à la rénovation énergétique, qui engendrent des fraudes massives.
L'interdiction du démarchage téléphonique est une très bonne disposition. Je salue le rapporteur Olivier Rietmann, qui n'a pas cédé aux pressions des lobbies.
Nous saluons le renforcement de la responsabilité des donneurs d'ordres en cas de travaux de rénovation, l'encadrement de la sous-traitance et le renforcement de la transparence. Mais cela ne doit pas nous priver d'un débat sur ces dispositifs hybrides, mi-publics, mi-marchands, qui créent les conditions structurelles de la fraude. MaPrimeRénov' est le fruit d'une politique qui abandonne les biens communs aux appétits privés, d'où la prolifération d'intermédiaires marchands sans compétences techniques.
Quant au C2E, présenté comme un outil de marché au service de la transition écologique, c'est en réalité une taxe déguisée sur les ménages, puisque les fournisseurs d'énergie répercutent 85 % du coût des travaux sur les factures des consommateurs. Résultat : 6 milliards d'euros prélevés chaque année sur le pouvoir d'achat des ménages et des entreprises.
Derrière le vernis technocratique, se cache en réalité une privatisation rampante de la transition écologique. TotalEnergies et Engie deviennent ainsi les caissiers d'une transition écologique low cost, transformant une obligation régalienne en opportunité de greenwashing. La Cour des comptes dénonce d'ailleurs un hold-up institutionnalisé et en demande la suppression.
Le groupe CRCE-Kanaky votera ce texte, qui constitue une petite avancée. Mais il faut encore redoubler d'efforts sur la fraude aux finances publiques, surtout à l'heure où le Gouvernement cherche à imposer un nouveau coup de rabot budgétaire de 40 milliards d'euros. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Stéphane Fouassin . - Je me réjouis que la version issue de la CMP soit fidèle à l'équilibre trouvé au Sénat, ce qui témoigne du sérieux de notre chambre, capable de construire des textes solides à la hauteur des enjeux.
La fraude n'est pas un simple désordre technique, mais une fracture morale, une attaque directe contre la solidarité nationale, contre la confiance des citoyens et contre notre capacité à soutenir les transitions sociales nécessaires.
Dans un contexte de tension budgétaire, lutter contre la fraude, c'est faire preuve de justice et de responsabilité. Quand on demande des efforts aux Français, il est légitime qu'ils exigent que l'État fasse respecter les règles.
En 2023, un plan de lutte contre les fraudes a prévu un renforcement des moyens dès 2027. Les premiers résultats sont là.
En 2023, en matière de fraude fiscale, les mises en recouvrement ont atteint le record de 15,2 milliards d'euros. La fraude aux cotisations sociales a augmenté de 25 % ; les redressements de l'Urssaf de 50 % ; ainsi, 1,2 milliard d'euros ont été redressés en 2023, contre 800 millions en 2022. Les caisses d'allocations familiales (CAF) ont détecté 400 millions d'euros de fraudes, l'assurance vieillesse 200 millions d'euros et l'assurance maladie 450 millions d'euros. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. - Quand on cherche, on trouve !
M. Stéphane Fouassin. - Ainsi, ce texte s'inscrit pleinement dans la continuité des efforts déjà entrepris. Il marque cependant une avancée décisive, en dotant nos administrations de moyens efficaces. Ce texte alourdit également les sanctions contre les entreprises fraudeuses, encadre le recours à la sous-traitance et interdit des pratiques devenues insupportables pour nos concitoyens, comme le démarchage téléphonique.
Nous donnons ainsi de nouveaux outils pour clarifier les règles et affirmer des principes simples : l'argent public doit être utilisé avec responsabilité et contrôlé avec exigence.
Lutter contre la fraude, c'est protéger la légitimité de l'action publique, car toute fraude fragilise le tissu économique et social de notre pays.
Le groupe RDPI espère que ce texte sera adopté à l'unanimité, comme en première lecture.
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi s'en tire avec les honneurs du jury, ce qui n'était pas acquis au départ, tant la proposition de loi de Thomas Cazenave était loin d'être à la hauteur de son intitulé.
Le Sénat a veillé à éviter un énième coup de com' politique.
L'État pourrait récupérer 1,6 million d'euros grâce à ce texte. C'est autant pour investir dans nos politiques publiques. En outre, la fraude est un coup de canif dans notre pacte fiscal et démocratique.
Par ce texte, nous donnons plus de moyens légaux à nos administrations, pour mieux prévenir et détecter les fraudes aux aides publiques.
Nous renforçons la sévérité à l'égard des fraudeurs.
Enfin, sous l'impulsion de notre collègue Pierre-Jean Verzelen, nous portons un coup décisif au harcèlement téléphonique, qui concerne neuf Français sur dix.
Nous choisissons clairement de punir plus sévèrement les voleurs et de combattre la fraude organisée. Nous soutenons le travail de nos artisans, dont l'image est abîmée par les arnaques en tous genres.
Le RDSE votera à l'unanimité en faveur de ce texte.
Toutefois il n'est qu'une première étape. Le chemin à parcourir reste long. La fraude couverte par ce texte couvre 1 % à 5 % de la fraude totale, qui s'élèverait jusqu'à 100 milliards d'euros par an selon la Cour des comptes.
Face à l'urgence budgétaire de réaliser 100 milliards d'ici à 2029, nous ne devons pas fléchir.
Mais sans moyens adéquats, pas d'action efficace. Or les signaux sont inquiétants. La DGFiP a vu ses effectifs baisser, et la loi de finances pour 2025 supprime 500 ETP supplémentaires. De plus, Tracfin a perdu un cinquième de son budget, malgré une activité en hausse.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Non, Tracfin a un million d'euros en plus !
M. Henri Cabanel. - La technologie et l'intelligence artificielle ne suffiront pas à renforcer notre force de frappe contre la fraude : en 2022, alors qu'elles sont à l'origine de la moitié des contrôles, elles n'ont permis de récupérer que 14 % des sommes recouvrées.
Le RDSE estime qu'il faut clarifier les moyens mobilisés par les administrations fiscales et sociales. Il appelle le Gouvernement à démontrer sa cohérence entre moyens engagés et objectifs affichés. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST, du groupe SER et du RDPI)
Mme Nathalie Goulet . - La fraude aux finances publiques n'est pas sans victime. C'est un crime social, économique et démocratique. Le groupe UC votera évidemment le texte.
C'est un petit texte, on l'a déjà dit. En réalité, nous attendons le grand soir de la lutte contre la fraude.
Nous avons demandé plus de pouvoir pour les greffes, mais avons été frappés par l'article 45.
Dans la commission d'enquête que j'ai l'honneur de rapporter, nous avons appris avec effarement que les entreprises n'étaient pas tenues de déclarer leurs comptes à l'étranger. Quelle aberration ! Déclarer un compte à l'étranger est tout de même le minimum minimorum.
C'est une bonne chose d'étendre les autorisations d'échanges entre administrations. Nous avons entendu la Cnil à différentes reprises. Évidemment, il faut des améliorations.
Vous avez répondu à la question d'actualité au Gouvernement de mon collègue Guislain Cambier sur les 6 milliards d'euros d'erreurs de la CAF. Aucune entreprise privée n'accepterait de son dirigeant de tels niveaux d'erreurs sur plusieurs années. Or c'est tous les ans la même musique, dans l'indifférence générale, le rapport de la Cour des comptes n'intéressant absolument personne...
Je salue les avancées certaines en matière de fraudes à la rénovation énergétique.
Madame la ministre, je vous propose, d'ici au projet de loi de finances pour 2026, un plan d'action. Nous ne ferons pas l'économie d'un travail sur l'orange budgétaire ni sur les recommandations des deux commissions d'enquête présidées par le groupe CRCE-K et le mien. Nous devons travailler ensemble, dès maintenant.
Madame la ministre, veillez à l'application rigoureuse des dispositifs que nous avons votés pour lutter contre l'arbitrage des dividendes. Le texte publié au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) semble réducteur par rapport à celui que nous avons voté ici ; j'espère que c'est une simple impression et qu'il est parfaitement conforme à l'intention du législateur.
Un petit texte, c'est mieux que pas de texte du tout. Notre groupe votera sans enthousiasme ce texte modeste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du RDSE, et du groupe Les Républicains)
M. Grégory Blanc . - Il y a manifestement tromperie sur le titre de la proposition de loi, et c'est fâcheux : rien sur la fraude fiscale des grandes entreprises, sur la fraude à la TVA, rien sur les abus de certaines niches, ni sur les montages agressifs, ni sur les entreprises éphémères, ni sur les pratiques douteuses de certaines multinationales...
C'est un texte sur quelques fraudes, et non sur toutes les fraudes.
Agir sur quelques fraudes, c'est un petit pas utile. Ce décalage entre titre et contenu est cependant regrettable et nuit à la crédibilité de la démarche.
Lors de l'examen du texte en séance, nous avions voté contre ce texte. Trois lignes rouges avaient été franchies : l'élargissement des rangs de sous-traitance, l'accès de l'inspection générale de l'administration (IGA) à des données personnelles couvertes par le secret, l'habilitation du préfet à suspendre ou refuser des droits de manière discrétionnaire.
Avec le passage de deux à trois rangs de sous-traitance et la dilution de la responsabilité entre l'entreprise qui présente les devis et celle qui facture, le Sénat avait vidé de sa substance la version initiale du texte. Les fédérations du bâtiment ne s'y sont pas trompées. La copie de la CMP corrige les excès du texte sénatorial.
La CMP a apporté d'autres améliorations concernant la lutte contre les démarchages.
La transmission de données à l'IGA est exorbitante ; c'est un problème.
Toutes les fraudes, y compris sociales, doivent être combattues, mais l'article 2 autorise les préfets à suspendre des droits sur la base d'une simple suspicion, sans décision judiciaire préalable. Cela ouvre la porte à l'arbitraire, au soupçon généralisé, à la stigmatisation.
Notre État de droit est un bien précieux, que certains voudraient mettre à bas. Nous ne pouvons tolérer que de telles décisions soient prises sans preuve tangible, sans contradictoire ni juge. Gare à l'excès de zèle de préfets qui utiliseront le levier de la fraude sociale à des fins de politique migratoire.
Les politiques migratoires, faites à coups de menton, ne doivent pas prendre le pas sur des politiques sociales censées garantir à chacun la dignité. Il faut un équilibre. Oui à la lutte contre la fraude, non à l'absence totale de garde-fous. Notre groupe s'abstiendra.
M. Jean-Jacques Michau . - Cette proposition de loi est passée de quatre à trente-cinq articles - sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État. Cette façon de légiférer, par proposition de loi téléguidée par le Gouvernement, n'est guère satisfaisante.
Autre regret : ce texte ne s'attaque pas à la fraude fiscale, qui représente 80 à 100 milliards d'euros par an, ni à la fraude aux cotisations sociales - 5 à 7 milliards - ni à la fraude aux prestations sociales, estimée à 3 milliards.
Notre groupe est favorable à la protection du consommateur et à la lutte contre la fraude aux aides publiques, condition sine qua non de l'acceptation de l'impôt.
Je soutiens les dispositions interdisant le démarchage téléphonique sauf consentement exprès. Nos concitoyens n'en peuvent plus ! Je salue l'apport décisif du Sénat à ce sujet. Le délai laissé aux entreprises jusqu'en août 2026 me paraît réaliste.
Je suis favorable aux dispositions permettant de mieux lutter contre la fraude aux travaux de rénovation énergétique ou d'adaptation des logements. Sur la limitation du nombre de rangs de sous-traitance, le compromis trouvé nous convient. Nous avons veillé à préserver le réseau des petites entreprises et artisans locaux, gage de qualité et acteur du développement des territoires.
Le renforcement de la lutte contre la fraude aux C2E passe par la sécurisation des contrôles du Pôle national des C2E, la facilitation de la détection de fraudes lors de l'instruction des demandes et le renforcement des sanctions.
Il est très difficile pour les consommateurs d'obtenir les C2E, si l'on en croit l'UFC-Que Choisir, qui souligne que l'accès aux aides reste trop complexe et peu efficace.
Nous sommes favorables au partage d'informations entre la DGCCRF et la CRE, afin de mieux lutter contre la fraude dans le secteur de l'énergie, ainsi qu'au renforcement de l'échange des données entre la Direction de la concurrence, l'Ademe, l'Anah et le ministère de la justice.
Outre les prérogatives de la DGCCRF, il faut aussi renforcer ses moyens humains - nous avons retiré notre amendement en ce sens à la suite des engagements pris par Mme la ministre. Nous serons attentifs à leur concrétisation.
J'approuve la possibilité de contrôles à distance des compteurs communicants, objets de destructions et dégradations ; ces mesures sont attendues par les acteurs.
Nous voterons les conclusions de cette CMP. Lutter contre la fraude est un impératif pour consolider l'État de droit - mais ce texte n'épuise pas le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Pierre-Jean Verzelen . - (Mme Dominique Estrosi Sassone applaudit.) La fraude, fiscale, sociale ou aux aides publiques, est une atteinte aux comptes de l'État. Notre pays connaît un très haut niveau de prélèvements obligatoires ; certains pensent qu'il en faut encore plus ; d'autres, dont je suis, que c'est bien assez. Mais nous sommes tous d'accord pour condamner la fraude, qui nourrit un sentiment d'injustice.
Le texte de la CMP s'attaque aux fraudes dans les domaines de la rénovation et de l'efficacité énergétiques. Il crée un arsenal législatif renforcé, qui permettra notamment de suspendre l'aide publique en cas de suspicion et accentue les sanctions à l'encontre des fraudeurs.
Je veux remercier Olivia Richard, rapporteure de ma proposition de loi sur le démarchage téléphonique, et saluer l'action d'Olivier Rietmann : sans son implication, son savoir-faire, sa capacité à convaincre, ce texte ne serait pas ce qu'il est. (M. Antoine Lefèvre renchérit.) Cette rédaction est la plus aboutie que nous pouvions espérer. Elle peut véritablement endiguer le démarchage téléphonique, car elle inverse le paradigme : demain, c'est le consommateur qui démarchera l'entreprise, nul ne pourra être démarché s'il n'a pas donné son accord.
La loi ne prévoit aucune dérogation, pour aucun secteur d'activité. Pour être comprise et efficace, la loi doit être simple : c'est le cas ici.
La date d'entrée en vigueur paraît lointaine - août 2026 -, mais l'État est tenu par son contrat avec Bloctel. Cette période doit être mise à profit pour prendre les décrets. Au Gouvernement de prouver sa volonté politique sur un sujet qui fait consensus.
Le groupe INDEP votera ce texte. (Mme Dominique Estrosi Sassone applaudit.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Monsieur Cabanel, je confirme que Tracfin a 1 million d'euros de plus de budget en 2025 par rapport à 2024. Ce n'est pas un propos d'estrade.
M. Henri Cabanel. - Vous avez raison.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Monsieur Blanc, les inspections des ministères peuvent accéder, dans des cadres préétablis, à certaines données pour réaliser leurs enquêtes. Ce texte ne met pas à mal le cadre de la protection des données personnelles, il n'y a donc pas lieu d'inquiéter les Français.
Vous craignez que les préfets puissent supprimer des aides sociales à des fins de politique migratoire. Soyons précis : précédemment, les organismes de protection sociale pouvaient demander aux préfectures de vérifier la validité des pièces d'identité qu'ils recevaient. Ce texte inverse la logique en permettant aux préfectures de signaler de manière proactive aux caisses les fausses pièces d'identité. C'est un aller-retour. Il s'agit non pas d'interdire untel d'aide sociale, mais d'indiquer à l'ensemble des caisses que telle pièce d'identité est fausse.
Mme Nathalie Goulet. - Bien sûr !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avec une fausse pièce d'identité, pas d'accès aux aides publiques. Il n'est pas question de remettre en cause l'accès aux prestations sociales sous couvert de politique migratoire ; n'inquiétons pas les honnêtes concitoyens !
Madame Goulet, le Gouvernement, moi comprise, est prêt à travailler avec vous dès qu'un vecteur législatif se présente - sachant que le Conseil constitutionnel censure les dispositions antifraudes dans les projets de loi de finances en tant que cavaliers. Vos propositions méritent d'être examinées. La fraude est très imaginative ; dans un an ou deux, nous aurons besoin d'un nouveau texte. Nous sommes très engagés, mais pas infaillibles : il faut mettre à jour régulièrement le corpus législatif.
Monsieur Michau, ce texte n'a pas été téléguidé par le Gouvernement : il a été déposé le 15 octobre - le Gouvernement n'était pas en fonction. Nous l'avons repris, car il est utile pour les Français.
La proposition de loi est adoptée définitivement.
Prochaine séance, mardi 27 mai 2025 à 18 h 30.
La séance est levée à 18 h 15.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 27 mai 2025
Séance publique
À 18 h 30 et à 21 heures
1. Explications de vote des groupes puis scrutins publics solennels sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (procédure accélérée) (texte de la commission, n°613 rect, 2024-2025) et sur le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (procédure accélérée) (texte de la commission, n°614, 2024-2025)
2. Débat sur le thème : « Comment nos politiques publiques peuvent-elles contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays ? » (demande du groupe Les Républicains)
3. Débat sur l'avenir du groupe La Poste (demande de la commission des affaires économiques)