Approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024 (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024.

Discussion générale

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics .  - Depuis la loi organique du 14 mars 2022, vous examinez un projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss), en parallèle avec l'approbation de ceux de l'État, dans une exigence de transparence des comptes sociaux et de renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement.

Nous devons tirer les leçons de cet exercice : à ce jour, aucun Placss n'a été adopté depuis 2022 et celui qui vous est présenté aujourd'hui a été rejeté par l'Assemblée nationale.

Il a pourtant une vertu, celle de donner en toute sincérité et transparence une vision complète des dépenses et des recettes des régimes obligatoires, alors que leur déficit atteint les 15,3 milliards d'euros.

C'est à la fois mieux que ce qui avait été craint en fin d'année - 18 milliards d'euros -, mais c'est beaucoup plus que ce qui avait été voté en décembre 2023, 10 milliards d'euros.

Pourquoi ? L'Ondam a dérapé de 1,5 milliard d'euros et les recettes ont été beaucoup moins dynamiques que prévu à cause de la baisse de l'inflation en 2024 - alors même que les revalorisations dues à l'inflation constatée l'année précédente étaient mises en oeuvre, dans une forme d'effet ciseau.

En 2024, les recettes ont progressé de 4,6 % et les dépenses de 5,3 %, d'où un déficit bien plus important que prévu.

L'amélioration des comptes en 2022 et 2023 était pourtant réelle, liée à la sortie de la crise sanitaire.

Mais nous sommes confrontés depuis à des difficultés structurelles. Ainsi les indemnités journalières ont fortement augmenté - plus 7 % cette année -, une hausse soulignée par le comité d'alerte de l'Ondam la semaine dernière. Les arrêts maladie des moins de 30 ans ont même augmenté de 40 % - sans que l'on sache quelle épidémie frappe ainsi notre jeunesse...

Catherine Vautrin et moi viendrons cette semaine présenter à votre commission la réalité des alertes, les décisions à venir et la façon dont nous voulons travailler dans l'intérêt des Français, pour préserver l'acquis républicain, démocratique, constitutif de notre identité qu'est le fait de disposer d'une sécurité sociale universelle bien financée.

Les comptes 2024 sont un révélateur. On observe un déficit structurel croissant, à un demi-point de PIB, malgré des recettes qui demeurent dynamiques. Il faut s'interroger sur la durabilité de notre système. Nous faisons face à une situation qui appelle détermination, responsabilité et esprit de justice.

La non-certification de la branche famille constitue un enjeu important ; nous ne pouvons pas nous satisfaire des 6,3 milliards d'euros de « risques résiduels » - même si à cette échelle, le mot semble mal choisi... Ce sont des indus à recouvrer, des rappels. La Cnaf y travaille : au premier mars 2025, les demandes de RSA et de prime d'activité seront préremplies ; ce mouvement se poursuivra pour d'autres allocations, afin d'assurer la qualité et la fiabilité des données, lutter contre la fraude et limiter le non-recours.

Nous devons lutter contre un risque sérieux de dérapage, mais aussi d'incompréhension des Français. Nous devons identifier ce qui est lié à la croissance économique, à l'organisation du système, aux potentiels gaspillages et aux dépenses essentielles à préserver. Les Français voient d'un côté des déserts médicaux et de l'autre des gaspillages ; ils ressentent une insatisfaction devant le niveau des prestations, mais voient apparaître des droits nouveaux...

Nous avons commencé à anticiper les dérapages, par le biais d'une réserve de précaution. Mais cela ne suffit pas : des mesures de freinage seront mises en oeuvre sans délai, en nous appuyant sur les solutions proposées par les caisses nationales. Nous vous les présenterons ce mercredi avec Catherine Vautrin et Yannick Neuder.

L'enjeu, ce n'est pas seulement le court terme, c'est de retrouver une sécurité sociale à l'équilibre, comme en 2019. Pour le vieillissement, la santé, la prévention des accidents du travail, nous devons retrouver la confiance des Français, sans quoi l'existence même de la sécurité sociale pourrait ne plus être soutenable pour les finances publiques, ce qui serait regrettable. Je crois à notre capacité collective à y travailler. (Mme Élisabeth Doineau applaudit.)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - En application de la loi organique du 14 mars 2022, le Gouvernement a donc l'obligation de présenter un Placss - l'équivalent de la loi de règlement pour les finances de l'État - qui renforce l'information du Parlement, donc de l'ensemble des Français.

Ministre de la santé et ancien rapporteur général du budget de la sécurité sociale, je connais bien ces sujets et je salue la rigueur des travaux des sénateurs.

Dans un moment où chaque euro public doit être justifié, où la confiance dans nos institutions est scrutée de toutes parts, refuser la transparence serait un renoncement.

L'année 2024 a été marquée par un effet retard de l'inflation : les recettes cessaient d'être gonflées, mais les dépenses demeuraient élevées en raison des revalorisations de prestations. Le ralentissement salutaire de l'inflation n'a donc pas favorisé le rétablissement des comptes sociaux.

Après trois années de baisse continue entre 2021 et 2023, le déficit de la sécurité sociale est reparti à la hausse en 2024, pour atteindre 15,3 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB, le budget de la sécurité sociale représentant 26,6 % de ce dernier.

Cette dégradation, que le Gouvernement avait anticipée, est inférieure à la prévision de 18,2 milliards d'euros inscrite dans la partie rectificative de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025, grâce à des dépenses mieux maîtrisées.

Le déficit pourrait atteindre 21,9 milliards d'euros si nous restons inactifs, selon la commission des comptes de la sécurité sociale.

Qui pourrait raisonnablement penser que nous pourrions éternellement financer notre modèle social par la dette ?

La dynamique de la dépense est très forte pour les branches maladie et autonomie, forte pour la branche vieillesse, faible pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), qui reste excédentaire.

La branche autonomie progresse fortement, de 6,2 %, quand la branche famille, excédentaire, souffre de la baisse de la natalité.

Les dépenses dans le champ de l'Ondam ont progressé pour atteindre 256,4 milliards d'euros, soit plus de 56,4 milliards d'euros de plus qu'en 2019.

L'essentiel du déficit de la sécurité sociale est donc imputable à la branche maladie, avec 13,8 milliards d'euros sur les 15,3 milliards d'euros de l'ensemble. Ces chiffres nous interpellent. La santé n'a pas de prix, mais elle a un coût...

Mardi 17 juin, le comité d'alerte sur l'Ondam a émis une alerte sur le dépassement prévisible de 1,3 milliard, par rapport à l'objectif voté par le Parlement - une première depuis 2017.

Ce signal, inédit, n'est pas une surprise. Il reflète une tension devenue structurelle. Le comité avait déjà émis une alerte en avril pour l'hôpital et les soins de ville. Le Gouvernement a mis en réserve 1,1 milliard d'euros - un effort sans précédent. Il prend acte de l'avis du comité d'alerte et l'examinera avec méthode et sérieux avec les parlementaires, les caisses et les complémentaires santé.

S'agissant de la dette sociale, le premier président de la Cour a évoqué un risque de liquidité pour l'Urssaf. Les souplesses de gestion ne suffisent plus. Ce signal d'alerte ne peut plus être ignoré. C'est le symptôme d'un modèle à bout de souffle, qu'il faut refonder.

La soutenabilité du financement de notre modèle de soins est la condition de sa pérennité.

Nous devons donc réformer, mais jamais au détriment de la qualité des soins ou des professionnels.

Il n'est pas question de remettre en cause notre sécurité sociale, mais de repenser notre politique de santé.

Prendre soin des Français, c'est aussi prendre soin des finances de notre système de santé. Nous fêterons les 80 ans de notre modèle social en octobre. Pour que d'autres puissent fêter, pourquoi pas, ses 100 ans, nous devons agir. C'est tout le sens de la politique de santé que je vous propose.

C'est dans cette perspective que s'inscrit mon engagement pour l'accès aux soins, via le Pacte de lutte contre les déserts médicaux, qui veut garantir une présence médicale effective dans chaque territoire, y compris les plus reculés. Chaque Français doit pouvoir consulter un professionnel dans des délais raisonnables.

Repenser notre politique de santé suppose d'amplifier le virage préventif, en mobilisant les professionnels de santé, les entreprises, les collectivités, les complémentaires, les acteurs de l'innovation. La santé ne se joue pas uniquement dans les cabinets médicaux. Elle commence dans les écoles, les entreprises, notre alimentation, notre environnement. Cette approche globale - One Health - est essentielle.

La prévention ne doit pas être un slogan, elle doit devenir une exigence. Le meilleur des soins est celui qui n'est pas prodigué ; mieux, celui qui est anticipé.

Il faut changer de paradigme, mieux anticiper les besoins de nos aînés, préparer les générations futures, investir dans l'innovation et faire de la prévention un réflexe collectif. Telle est notre ambition. (Mme Pascale Gruny applaudit.)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales .  - Après 10,8 milliards d'euros en 2023, le déficit est donc reparti à la hausse, à 15,3 milliards, notamment à cause des revalorisations de prestations dues à l'inflation de 2023, mais aussi - comme d'habitude - au dérapage de l'Ondam. Nous en reparlerons cette semaine : le comité d'alerte estime qu'il existe un risque sérieux de dérapage de 1,3 milliard d'euros.

Même en retenant les hypothèses de croissance du Gouvernement, en l'absence de mesures nouvelles, le déficit atteindrait 24,8 milliards d'euros en 2029 !

L'Acoss indique que le besoin de trésorerie anticipé en 2025 la fait entrer en zone de risque. La situation pourrait devenir critique en 2027, année où le besoin de trésorerie pourrait dépasser 100 milliards d'euros.

La commission des affaires sociales a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter le texte, pour tirer les conséquences de la non-certification des comptes de la branche famille pour la troisième année consécutive par la Cour des comptes, malgré la mise en oeuvre du plan d'action Qualité transverse.

Avec les Placss, le législateur organique a prévu un rendez-vous annuel qui est l'occasion de s'intéresser à l'efficacité des politiques menées, avec un chaînage vertueux entre Placss et PLFSS.

C'est pourquoi la loi organique prévoit que le rapport de la Cour des comptes sur l'application de la LFSS soit déposé dès le printemps.

Je me fais la porte-parole de mes collègues rapporteurs des branches. Dans l'esprit du législateur organique, ce type de texte sert à avoir ce type de débats.

Pour la branche maladie, Corinne Imbert s'est intéressée à la réforme du financement des établissements de santé par la LFSS pour 2024, pour un meilleur équilibre entre tarification, objectifs de santé publique et missions spécifiques sous la forme de dotations.

Cette réforme, pertinente dans son principe et attendue par les acteurs, a été cosmétique et insuffisamment préparée. Elle n'a eu aucun impact concret pour les établissements, faute de déclinaison opérationnelle. Les réformes de tarification de soins critiques et non programmés semblent à l'arrêt.

Corinne Imbert préconise d'adopter un calendrier réaliste, de transmettre les études d'impact et simulations aux acteurs hospitaliers, de prévoir des modalités d'évaluation et de révision des paramètres.

Pour la branche AT-MP, Marie-Pierre Richer s'est intéressée aux freins à la prévention que constituent les modalités de tarification dérogatoire des secteurs du bâtiment et du médico-social. Elle appelle à mettre en oeuvre un fléchage spécifique du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu) et à partager le coût des sinistres professionnels entre donneurs d'ordre et sous-traitants, notamment.

Pour la branche vieillesse, Pascale Gruny s'est intéressée aux inégalités de pensions entre femmes et hommes retraités. Bien que l'écart se réduise, en 2021 le montant de la pension de droit direct des femmes était inférieur de 37 % à celui des hommes.

Pascale Gruny préconise de compenser les pertes de trimestre et de salaire liées aux interruptions de carrière pour l'éducation des enfants, et de mieux prendre en compte le temps partiel et les trimestres de majoration dans le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue.

Pour la branche famille, Olivier Henno s'est intéressé aux fraudes aux prestations. Sur 4,2 milliards d'euros estimés, seuls 400 millions d'euros ont été détectés et 300 millions effectivement recouvrés. Nous pouvons faire mieux. Olivier Henno recommande l'harmonisation des pratiques territoriales en matière d'indus frauduleux, la professionnalisation des acteurs, l'accélération de la modernisation informatique, la révision des seuils de mise en recouvrement et d'admission en non-valeurs, et l'extension de la solidarité à la source.

Pour la branche autonomie, Chantal Deseyne a étudié le recours à l'avance sur l'allocation journalière du proche aidant (AJPA) et au congé de proche aidant (CPA). Seuls 6 % des 350 000 personnes pouvant prétendre à la première y ont recours, et nous manquons de données sur le second. Chantal Deseyne préconise de mieux communiquer sur cette prestation et de renforcer l'harmonisation des pratiques territoriales et la professionnalisation des acteurs.

Peut-être les comptes 2025 de la branche famille seront-ils certifiés par la Cour des comptes ; en ce cas, le Sénat pourrait reconsidérer sa position. En attendant, madame la ministre, peut-être pourrez-vous apporter une réponse à ces différents points.

Tout à l'heure, en visitant l'exposition Fernand Léger du musée du Luxembourg, j'ai lu que les « nouveaux réalistes » considéraient le monde comme un tableau. J'ai tout de suite pensé aux tableaux d'équilibre de la sécurité sociale, bien sûr ! (Sourires) Soyons les « nouveaux réalistes » des comptes sociaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains, INDEP et du RDSE)

M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - Nous examinons le troisième projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale depuis 2022. Comme l'année dernière, la commission des finances, saisie pour avis, est opposée à son adoption.

La situation de la sécurité sociale ne cesse de s'aggraver, alors que la crise sanitaire et la crise inflationniste ont cessé de produire leurs effets. Les branches maladie, pour 13,2 milliards d'euros, et vieillesse, pour 5,6 milliards d'euros, sont les principales responsables du déficit, qui s'est aggravé de 30 % par rapport à 2023. L'état des comptes devrait malheureusement continuer à se dégrader, avec un déficit prévu à 24 milliards d'euros en 2028. Madame la rapporteure générale, les « nouveaux réalistes » devront agir ! (Mme Élisabeth Doineau sourit.)

Avec des dépenses en hausse de 33 milliards d'euros par rapport à l'année précédente, nous sommes très loin de l'austérité... (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)

Les recettes sont inférieures de 3,9 milliards d'euros aux prévisions du Gouvernement. Les recettes de TVA ont été surestimées de 2,4 milliards d'euros. Une telle erreur n'est pas acceptable et nous interpelle quant à la fiabilité des prévisions.

Les dépenses sont en hausse de 5,3 % par rapport à 2023. Nous sommes loin de la rigueur, d'autant plus que la masse salariale de l'État a augmenté de 6,4 % en 2024.

L'Ondam a atteint 256,4 milliards d'euros, une hausse de 27,3 % depuis 2019 liée, dans une large mesure, au Ségur de la santé et à la rémunération des personnels médicaux, qui a entraîné 13,4 milliards d'euros de dépenses chaque année depuis 2020 - non financés.

L'autre grand responsable est la branche vieillesse, dont le déficit devrait être de 6,2 milliards d'euros en 2025 et de 8,9 milliards en 2028. La revalorisation de 5,3 % des pensions de retraite explique largement la hausse des déficits en 2024.

Le déficit de la CNRACL passerait de 3 milliards d'euros à 2,2 milliards en 2025, grâce à la hausse des cotisations employeur d'un point en 2024 et de trois points par an entre 2025 et 2028. Attention au mécanisme de compensation démographique sur les comptes de la CNRACL, qui l'a conduite à verser encore 456 millions d'euros en 2024 : depuis 1974, elle a contribué à hauteur de 100 milliards d'euros constants ! Madame la ministre, il faut revoir cette règle.

La dette sociale s'élève à 157,1 milliards d'euros en 2024 et pourrait atteindre 202 milliards en 2028. Elle est encore portée en majeure partie par la Cades, mais aucun transfert à cette caisse n'est possible à partir de 2025 sans une nouvelle loi organique. Elle reposera alors sur l'Acoss, qui ne dispose pas des mêmes facilités d'endettement que la première. Il est urgent de baisser les déficits pour éviter de gonfler la dette.

Enfin, la fiabilité des comptes de la sécurité sociale est sujette à caution, la Cour des comptes ayant refusé de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf trois ans de suite. Dans ces conditions, la commission des finances recommande le rejet de ces comptes. (M. Marc Laménie applaudit.)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - La situation est « alarmante », selon le Gouvernement ; la Cour des comptes estime que le financement de la sécurité sociale n'est plus assuré à terme sans action rigoureuse. Certes, mais qui est responsable, sinon ce Gouvernement qui s'alarme des effets de sa propre politique ?

Depuis la création des PLFSS, cette dramatisation sert à justifier les coupes - c'était déjà le cas en 1995 avec le plan Juppé.

On ne peut toutefois se satisfaire d'un déficit. Comment s'explique-t-il ? Par une hausse des dépenses de 1,1 milliard d'euros, certes, mais surtout par une baisse de recettes de 3,7 milliards d'euros ! Les recettes de TVA sont inférieures de 2,2 milliards par rapport aux prévisions. C'est contradictoire avec le discours du Gouvernement, pour qui la seule alternative à la désindexation des prestations ou à la baisse de la prise en charge des affections de longue durée est la TVA dite « sociale ».

La « TVA sociale » est l'impôt le plus inégalitaire, puisqu'elle est payée de la même façon par une aide-soignante ou par Bernard Arnault. Elle diminue encore le pouvoir d'achat des salariés qui se lèvent tôt et qui n'en peuvent plus de se serrer la ceinture.

Au demeurant, cette vieille marotte du Medef et de la droite existe déjà : les exonérations du CICE ont été remplacées par des compensations définitives et 50 milliards d'euros de TVA compensent plus de la moitié des 80 milliards d'euros d'exonérations.

Or 5,5 milliards d'exonérations et 3,3 milliards d'exemptions de cotisation des primes ne sont pas compensés à la sécurité sociale : plus de la moitié du déficit serait résorbée si l'État respectait la loi Veil. Les gouvernements successifs ont asséché les recettes. Les coupables sont ceux qui alertent aujourd'hui...

Le redressement des comptes passe par une baisse de l'exonération des cotisations et par une hausse de l'imposition des revenus financiers, mais la droite sénatoriale a refusé la taxe Zucman. Par cohérence avec notre position sur le PLFSS, nous voterons contre ce texte.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, pourquoi avoir adopté l'année dernière une motion de rejet, au motif que les comptes de la branche famille n'avaient pas été certifiés, et pas cette année ?

En octobre, la sécurité sociale d'Ambroise Croizat et Georges Buisson aura 80 ans. Au prochain PLFSS, le Gouvernement prononcera-t-il son oraison funèbre, ou fêterons-nous ensemble son anniversaire ?

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La situation serait hors contrôle ? Voyons cela - en commençant, pour changer, par les recettes.

Selon la Cour des comptes, la différence de 5 milliards entre le PLFSS et le Placss provient pour 77 % de moindres recettes de TVA. Car la « TVA sociale » existe déjà : elle est supposée compenser les exonérations, qui ont quadruplé depuis 2019 et sont passées de 1 à 8 % des recettes des comptes sociaux. Or la compensation est insuffisante. Oubliée, la loi Veil : la sécurité sociale souffre d'un manque à gagner de 5,5 milliards. Depuis 2019, les sous-compensations cumulées s'élèvent à 18 milliards d'euros. Idem pour la non-compensation des heures supplémentaires, qui coûte chaque année 2 milliards à la branche retraite, dont le déficit s'explique à 84 % par ces non-compensations.

Depuis 2019, les exemptions nettes d'assiette explosent : plus 8 milliards, alors que le déficit de la sécurité sociale augmentait lui de 6 milliards seulement.

Face aux dépenses dynamiques de plusieurs branches, en raison du vieillissement et des mesures nouvelles observables aussi chez nos voisins, on n'a pas créé de nouvelles recettes, mais organisé leur attrition : c'est la politique des caisses vides.

Agir sur les dépenses et leur efficacité est légitime : lutter contre les rentes de situation, les exigences de profitabilité des opérateurs financiarisés et le travail dissimulé, renforcer le pilotage par la qualité des soins et la prévention.

Au-delà des mesures nouvelles financées par une baisse en valeur des dépenses, il faut faire des économies sur la dynamique mécanique des dépenses : l'Ondam tendant à augmenter de plus de 4 % hors mesures nouvelles, son blocage à 2,9 % revient à exiger un tiers d'économies supplémentaires.

En matière de retraites, les dépenses se maintiennent à 14 % du PIB - vous êtes un peu malhonnête à cet égard, madame la ministre -, grâce à la baisse relative des pensions et à l'augmentation de l'âge de départ. Depuis 2019, selon la Cour des comptes, il existe un différentiel moyen de 0,5 point de PIB entre les dynamiques des dépenses et des ressources. On retrouve ici la politique délibérée des caisses vides, qui a profondément « disrupté » les comptes sociaux.

Selon le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale, la maîtrise des dépenses suffira difficilement à ramener les branches à l'équilibre : il faut revoir le pilotage des recettes.

Enfin, il convient de distinguer le déficit structurel du déficit conjoncturel lié à la crise sanitaire, qui sature la Cades. Sans ce fardeau, la sécurité sociale ne présenterait pas de déficit structurel.

Pas de recettes pour financer le Ségur, la crise sanitaire et les mesures nouvelles, mais une régulation des dépenses délétère : vos choix politiques déstructurent depuis 2019 la trajectoire budgétaire de la sécurité sociale. Le GEST ne peut les cautionner et votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Pour la troisième année consécutive, le Sénat s'apprête à rejeter ce Placss, après l'Assemblée nationale.

L'absence de certification des comptes de la Cnaf et de la branche famille justifierait à elle seule ce rejet. Mais, plus largement, la situation est alarmante, la Cour des comptes évoquant une trajectoire hors de contrôle.

De fait, alors que la sécurité sociale frôlait l'équilibre en 2018 et 2019, son déficit s'est creusé de manière vertigineuse pendant la crise sanitaire, puis le déséquilibre s'est durablement installé : 15,3 milliards d'euros l'année dernière, 5 de plus que prévu. Et la suite s'annonce pire encore : 22 milliards d'euros de déficit cette année, jusqu'à 25 en 2029.

Or le Gouvernement ne présente aucune stratégie de retour à l'équilibre ; il laisse filer les déficits, et ses mots peinent à masquer son inaction.

Ce creusement est dû à une forte progression des dépenses, mais aussi à un essoufflement des recettes. Ce déséquilibre met en péril notre modèle social, qui fête cette année ses 80 ans.

Or, loin d'être une fatalité, il résulte d'une politique d'appauvrissement méthodique des recettes : exonérations massives de cotisations, transfert de charges à la Cades, laxisme sur les indus.

En trente ans, la part des cotisations dans le financement de la sécurité sociale a fondu de 82 à 48 %. Pourtant, les exonérations de cotisations sociales ont un effet limité sur l'emploi - le rapport Bozio-Wasmer l'a montré. Elles présentent aussi l'inconvénient de créer une trappe à bas salaires : en 2023, plus de 17 % des salariés étaient payés au Smic.

Le travail paie de moins en moins. Depuis huit ans, vous avez encouragé une société d'héritiers et de rentiers. Madame la ministre, vous accusez les salariés français d'être plus en arrêt maladie que leurs homologues allemands, mais l'étude sur laquelle vous vous appuyez est erronée.

Dans ces conditions, que proposez-vous pour financer notre modèle social ? Une « TVA sociale », mesure injuste par excellence ? Une taxe Vautrin sur les mutuelles, qui touchera d'abord les retraités et les malades chroniques ? Une année blanche, synonyme de temps encore plus durs pour ceux qui déjà survivent à peine ?

Après que le socle commun a refusé d'instaurer une taxe Zucman, le Gouvernement s'apprête à frapper les plus modestes. Comment pense-t-il être crédible en refusant de faire contribuer les plus aisés et les héritiers tout en sollicitant en permanence les plus modestes ? Il n'y a aucun réalisme économique à tant d'injustices : les Français n'accepteront pas vos mesures qui, au demeurant, précipiteraient le pays dans une logique de réduction de la consommation et de l'activité.

Pourtant, la commission des comptes de la sécurité sociale est claire : le retour à l'équilibre est possible. Mais il nécessite une vision de long terme, un pilotage pluriannuel des dépenses et des prévisions réalistes, alors que l'Ondam est devenu un indicateur sans portée réelle, dépassé pour la cinquième année consécutive.

Nous devons reconstruire notre système de santé autour de trois piliers : prévention, en agissant notamment sur les consommations à risque ; virage territorial, en développant un pilotage local des moyens ; lutte contre la financiarisation du soin, dont les logiques coûtent cher, minent la qualité des soins et l'égalité d'accès à ceux-ci et transforment nos ressources en pensions pour Américains et Australiens.

Las, le Gouvernement attend. Il attend un rapport et ne demande rien aux acteurs financiers pendant qu'il suspend des accords conventionnels avec les professionnels. Il attend la fin de la session parlementaire pour présenter ses mesures budgétaires et éviter ainsi tout débat et tout risque de censure.

Redresser les comptes sociaux est possible, à condition de retrouver le sens de la justice fiscale et de la responsabilité politique. Si nous ne le faisons pas, notre système de sécurité sociale partira à la dérive. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du GEST)

M. Daniel Chasseing .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Pas moins de 15,3 milliards d'euros : c'est le déficit de la sécurité sociale pour 2024, 5 milliards de plus que prévu dans la LFSS. Les prévisions pour les prochaines années sont encore plus préoccupantes : 22 milliards de déficit cette année, 24 en 2026.

Vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, indexation de certaines prestations sur l'inflation : il est logique que les dépenses augmentent. Mais si nous les laissons croître sans contrôle, nous devrons perpétuellement chercher de nouvelles recettes.

La sécurité sociale est essentiellement alimentée par les cotisations et contributions assises sur le travail. Plus de travail, ce serait donc plus de recettes. Nous venons d'adopter un texte sur l'emploi des séniors, destiné à relever notre taux d'emploi des 60-64 ans, qui plafonne à 38 % contre plus de 50 % dans l'Union européenne ; une hausse de dix points représenterait 5,8 milliards d'euros de cotisations retraites en plus. Plus largement, je suis certain que nous débattrons à l'automne des moyens d'augmenter les recettes par un surcroît de travail. Je rappelle que nous travaillons moins que nos voisins européens : dix minutes de travail en plus par semaine rapporteraient 2,5 milliards d'euros, ce qui permettrait de prendre en charge la dépendance. Augmenter la TVA sociale d'un point dégagerait 11 milliards d'euros de recettes. Les intérêts de la dette française vont exploser à 80 milliards d'euros en 2026 : il est évident que l'État ne peut participer davantage au financement de la sécurité sociale.

Du côté des dépenses, on ne peut se satisfaire que 18 milliards d'euros d'indus aient été versés en 2023 ; la fraude affaiblit notre modèle social, et pas seulement financièrement. On ne peut davantage se satisfaire que l'Ondam soit, de manière systématique, largement dépassé - ce qui sera encore le cas cette année, compte tenu de l'avis récent du comité d'alerte.

La solution n'est pas de lever de nouvelles taxes, probablement contreproductives - la taxe sur les yachts de plus de 30 mètres, qui devait rapporter 10 millions d'euros, en dégage 20 000... Elle n'est pas non plus d'augmenter le taux des cotisations, ce qui mettrait en difficulté nos entreprises, déjà soumises à un niveau de contribution record.

Nous devons mieux contrôler nos dépenses et trouver de nouvelles recettes qui ne pèsent pas sur le travail pour conserver la sécurité sociale, colonne vertébrale de la République. Un éminent responsable socialiste a dit : « La mère des batailles, c'est l'inégalité sociale ; et la perte de la sécurité sociale serait la plus grande des inégalités ».

Enfin, que ferons-nous des déficits à venir ? Dès cette année, le déficit sera supérieur à la capacité d'amortissement de la Cades. Et l'endettement de l'Acoss créera un risque de crise de liquidités à partir de 2027. Quel montant de déficits faudra-t-il atteindre pour que nous décidions collectivement de prendre les mesures qui s'imposent ?

Le groupe Les Indépendants s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et au banc des commissions)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce Placss fait apparaître un déficit supérieur aux prévisions initiales, en raison d'une surestimation des recettes et d'une hausse des dépenses, particulièrement d'un dépassement de l'Ondam.

En 2024, les dépenses ont atteint 256,4 milliards d'euros. Nous avions refusé de voter l'Ondam 2024, ne l'estimant ni crédible ni sincère ; les résultats nous donnent raison. La Cour des comptes voit dans l'année passée une occasion manquée de retour à une maîtrise de l'exécution. Le dépassement de l'Ondam est lié entièrement aux soins de ville, ce qui n'est ni compréhensible ni justifiable. De fait, le déficit de la branche maladie s'élève à 13,2 milliards d'euros, et la hausse des dépenses atteint 23,7 % entre 2019 et 2024.

Malgré des moyens supplémentaires très importants, voire très, très importants, notre système de santé est toujours en crise. Certes, il y a l'inflation et le Ségur de la santé, mais tout de même.

L'an dernier déjà, j'appelais à renforcer les mécanismes de suivi infra-annuel. Nous devons disposer de prévisions plus solides. Le groupe Les Républicains salue l'appel à une vigilance renforcée du comité d'alerte sur les dépenses de soins de ville de cette année.

Nous avons soutenu la réforme du financement des activités de médecine, chirurgie et obstétrique, ou MCO, destinée à diminuer la part de la T2A en créant un financement plus équilibré entre tarification, objectifs de santé publique et missions spécifiques. Mais sa mise en oeuvre confirme les réserves de notre commission sur son calendrier et ses modalités. Je m'inquiète tout particulièrement de l'avancée de la réforme du financement des activités de radiothérapie et des dialyses. On ne peut que regretter un manque criant de priorisation, source d'incertitudes pour les établissements dans un contexte financier critique.

Il ne suffit pas de changer la pancarte et de lancer des chantiers pour que la réforme du financement des hôpitaux progresse. Il est plus que temps que le Gouvernement anticipe les effets de la réforme et adopte un calendrier réaliste priorisant les chantiers. Il faut aussi prévoir dès à présent les modalités d'évaluation et de révision des paramètres pour assurer de la visibilité aux établissements.

Alors que les hôpitaux publics s'attendent à un déficit de près de 3 milliards d'euros à la fin de l'année et qu'on ne cesse de demander des efforts aux secteurs du médicament et des dispositifs médicaux, ces constats nous incitent à rester conscients des défis qui nous attendent à l'approche de l'examen du PLFSS pour 2026.

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce Placss. Il s'en désole, mais son attachement à la sécurité sociale l'oblige. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions ; Mme Corinne Bourcier applaudit également.)

M. Stéphane Fouassin .  - L'examen du Placss est un moment important de la vie parlementaire : non un simple exercice comptable, mais un temps fort de vérité budgétaire.

Pourtant, aucun de ces textes n'a été adopté. De ce rejet systématique, notre pays ne peut se satisfaire. Au-delà des clivages, il y a un impératif commun : la vérité des comptes et la soutenabilité de notre modèle de solidarité.

Le déficit pour 2024 se monte à 15,3 milliards d'euros, un peu moins que les 18 milliards initialement anticipés mais bien plus que les 10 milliards que nous avions votés. Ce montant s'explique en grande partie par les dépenses croissantes des branches maladie et vieillesse. Une inflation plus modérée n'a pas suffi à corriger les déséquilibres.

Nous ne pouvons détourner le regard des prévisions les plus alarmistes : le déficit pourrait atteindre 22 milliards d'euros en 2028 si nous n'agissons pas. Ce sont les dépenses de santé et les pensions de retraite qui alimentent principalement cette dynamique. L'augmentation de 56 % des premières depuis 2019 et la revalorisation de 5,3 % des secondes au 1er janvier sont des choix sociaux forts, mais qui nécessitent des financements durables.

La non-certification des comptes de la branche famille reste une source de préoccupation pour notre chambre. Nous estimons toutefois qu'elle ne remet pas en cause la sincérité du projet de loi.

Dans un tel contexte, il ne nous semble pas envisageable de le rejeter pour des raisons purement politiques. Il ne s'agit pas de se prononcer pour ou contre une politique passée, mais de prendre acte d'une réalité et de tirer collectivement les leçons de nos déséquilibres pour préparer l'avenir.

Vieillissement, baisse de la natalité, progression des dépenses d'autonomie, tension sur le financement des retraites : les défis sont immenses. Alors, que faire ? Certainement pas attendre que le vent tourne ou masquer la réalité par des jeux d'écriture, des transferts de charges ou de nouvelles taxes.

Nous devons rétablir nos comptes sociaux avec courage. C'est un enjeu de souveraineté nationale, car une protection sociale financée par la dette n'est pas une protection durable. Cela impliquera des réformes structurelles, exigeantes mais nécessaires. C'est ainsi que nous garantirons aux générations futures un droit réel à la santé, à la retraite et à la solidarité. C'est dans cet esprit que le RDPI votera ce texte.

M. Christian Bilhac .  - Les Placss visent à renforcer le rôle du Parlement dans le suivi de l'exécution budgétaire. L'approbation des comptes n'est ni une absolution ni un blanc-seing. Elle repose sur une photographie, imparfaite mais utile, de la situation financière de la sécurité sociale. Le RDSE est attaché à cet exercice de transparence.

Le tableau présenté est préoccupant. Le déficit des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) atteint 15,3 milliards d'euros en 2024, en hausse de plus de 4 milliards par rapport à l'année précédente. Selon la commission des comptes de la sécurité sociale, ce déficit pourrait dépasser les 24 milliards d'euros en 2028. La Cour des comptes va plus loin encore, parlant d'une trajectoire hors de contrôle et alertant sur un risque de crise de liquidités. C'est la soutenabilité de notre protection sociale qui est en cause.

Les branches maladie et vieillesse concentrent les déficits. L'Ondam, qui devait croître de 3,2 %, a été dépassé pour la cinquième année consécutive. Il n'y a plus d'effet Covid dans ces chiffres : c'est la dépense ordinaire qui dérive ! Et le comité d'alerte sur le respect de l'Ondam vient de signaler un risque sérieux de dépassement cette année. Une logique de pilotage pluriannuelle reste à construire.

Pour la deuxième année consécutive, la Cour des comptes n'a pas certifié les comptes de la branche famille, faute de pouvoir déterminer si les données sont justes.

La situation de l'Urssaf appelle également notre vigilance : sa dette atteint 49 milliards d'euros et pourrait franchir le plafond autorisé dès 2026. Le risque de crise de liquidités systémique ne peut être ignoré.

La sécurité sociale est le pilier de notre pacte républicain. Comme le disait Pierre Laroque, son principal artisan, elle n'est pas une charge, mais un investissement dans l'avenir de notre société. Mais, si nous voulons préserver cet acquis, de simples ajustements techniques ne suffiront pas. Il faut une réforme structurelle d'ampleur pour sortir des injonctions contradictoires entre ambition sociale et sincérité budgétaire.

Saurons-nous dégraisser le mammouth administratif de la santé, trouver de nouvelles recettes, faire preuve d'imagination et de courage ? La sécurité sociale fêtera ses 80 ans en octobre. Elle a été créée à un moment où notre pays avait peu de moyens mais beaucoup d'ambition collective. Soyons à la hauteur de cet héritage. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'examen du Placss nous offre l'occasion d'exercer notre mission de contrôle sur les comptes sociaux et de prendre la mesure des difficultés systémiques de la sécurité sociale. Je salue le travail des rapporteurs.

Des améliorations formelles sont à souligner : les annexes et les rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) sont plus lisibles, les indicateurs gagnent en cohérence. L'annexe sur les niches sociales commence à trouver sa place, même si le rythme de l'évaluation est inégal ; nous l'avions appelée de nos voeux et avons été entendus.

Les problèmes de recouvrement des indus frauduleux dans la branche famille sont un marqueur puissant des limites de notre pilotage social et budgétaire. La non-certification des comptes de la branche famille pour la deuxième année consécutive n'est pas un incident comptable, mais un signal d'alarme. Comment pouvons-nous entériner un texte sans garantie que les chiffres présentés soient sincères ?

Sur 4,2 milliards d'euros d'indus frauduleux et non frauduleux en 2023, seuls 400 millions d'euros d'indus frauduleux ont été détectés et 300 millions mis en recouvrement. Preuve d'un déficit structurel dans notre capacité à prévenir et corriger les fraudes.

Or le problème ne cesse de s'aggraver : les indus frauduleux de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ont explosé de 558 % entre 2020 et 2024 ; pour la prime d'activité, l'augmentation atteint 144 %. De fait, la procédure est lourde et le délai, de vingt mois en moyenne pour un indu frauduleux. Et les taux de recouvrement varient de 50 à 95 % selon les caisses !

Le rapport coût-efficacité du dispositif reste très favorable : 53 euros recouvrés pour 1 euro investi en 2023. Il s'agit d'un problème d'organisation et de pilotage.

Je recommande, en premier lieu, d'harmoniser les pratiques territoriales et de professionnaliser les acteurs. Cela implique un accompagnement renforcé des CAF les moins performantes et la mise en place d'une certification obligatoire pour les gestionnaires fraude.

Ensuite, il convient d'accélérer la modernisation informatique. Le déploiement du nouveau système Corali, enrichi d'outils de data mining, est essentiel. L'intégration de solutions d'intelligence artificielle doit être envisagée pour améliorer la détection. Parallèlement, il faut réviser les seuils économiques : relevons le seuil de mise en recouvrement à 1,27 % du plafond mensuel et celui d'admission en non-valeur à 5,3 %.

Enfin, nous devons étudier l'extension de la solidarité à la source, généralisée en mars dernier pour le RSA et la prime d'activité. Préremplir les données des allocataires permet de prévenir les erreurs et les fraudes.

Le déficit de la sécurité sociale pour 2024 s'élève à 15,3 milliards d'euros, dont 13,8 milliards pour la branche maladie. C'est le reflet d'un double échec : dérive des dépenses et surestimation des recettes. Le Haut Conseil des finances publiques a pointé en avril dernier des hypothèses gouvernementales excessivement optimistes. C'est toute la chaîne de prévision, de programmation et de maîtrise qui doit être reconsidérée.

La Cnaf continue de présenter un taux d'erreurs résiduelles élevé, et la Cour des comptes souligne une dégradation continue de la qualité comptable depuis 2020. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les montants en jeu sont massifs et que les ménages les plus vulnérables sont les premiers concernés.

Nous devons cesser de considérer les textes de certification comme de simples formalités. Ils doivent redevenir ce qu'ils sont censés être : un moment de vérité budgétaire et de responsabilité politique.

Malgré les progrès formels dont j'ai parlé, la sincérité des comptes de la branche famille n'est toujours pas garantie et le déficit social continue de se creuser. Fidèle à sa ligne de responsabilité, le groupe UC ne peut voter ce texte. Ce n'est pas un rejet de principe, mais une exigence de rigueur et de sincérité. Nous appelons à un sursaut pour restaurer la confiance de nos concitoyens et remettre nos comptes sur une trajectoire soutenable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions) Nous examinons le troisième Placss, un texte destiné à améliorer la transparence et l'information avant l'examen du PLFSS.

Malgré d'incontestables améliorations par rapport aux exercices précédents, la commission des affaires sociales a considéré à raison que les lacunes de ce texte demeuraient trop importantes pour qu'il puisse être adopté.

Le déficit repart à la hausse et dépasse le montant prévu. La revalorisation des prestations indexées et la constatation de moindres recettes en sont la cause. L'absence de maîtrise des comptes sociaux est inquiétante : sans nouvelle mesure, la situation se dégradera encore et le déficit avoisinera les 25 milliards d'euros en 2029.

En matière de retraites, une pension sur dix comporte une erreur, contre une sur huit en 2023. Je me félicite de la réduction progressive des écarts de pensions entre hommes et femmes : de 54 % pour la génération née en 1930, il est tombé à 37 % en 2021. C'est la conséquence d'une meilleure insertion des femmes sur le marché du travail et d'une hausse de leurs qualifications et rémunérations. Pour autant, l'éducation des enfants incombe encore prioritairement aux femmes, de même que le rôle d'aidant familial, ce qui les conduit souvent à opter pour un temps partiel, avec des conséquences sur leur pension. En 2021, 73 % des bénéficiaires du minimum contributif du régime général et 56 % des bénéficiaires de l'Aspa étaient des femmes.

Les écarts de pensions de retraite contribuent à la paupérisation des femmes. Certes, ils sont atténués par la pension de réversion, mais les inégalités de carrière pénalisent les femmes dans l'accès à d'autres dispositifs, comme le départ en retraite anticipé. Les femmes sont surreprésentées parmi les retraités cumulant emploi et retraite.

Je propose de privilégier le recours à la majoration de pension sur la validation de trimestres pour compenser les pertes de trimestres et de salaires liées aux interruptions de carrière. Il faut aussi réformer le départ en retraite anticipé afin de mieux prendre en compte le temps partiel. Enfin, les trimestres de majoration pour l'éducation des enfants doivent être comptabilisés dans la durée d'assurance requise.

En attendant la mise en oeuvre de ces propositions, le groupe Les Républicains votera contre le Placss 2024. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Élisabeth Doineau et Corinne Bourcier et M. Marc Laménie applaudissent également.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je suis favorable à un pilotage pluriannuel des comptes de la sécurité sociale. Nous devons adopter une trajectoire pour un retour à l'équilibre d'ici à 2028, 2029 au plus tard.

Non, nous ne dramatisons pas. Le fait est que notre système de santé soigne des maladies chroniques pour 75 %. Il est pensé pour traiter des cas aigus, or nos malades sont des malades chroniques. Nous devons nous adapter à cette situation et renforcer la prévention.

Près 2 500 personnes par jour fêtent leurs 60 ans, alors que nous avons seulement 1 800 naissances. L'enjeu démographique est majeur pour les comptes de la sécurité sociale.

En 2024, les arrêts maladie représentent 17 milliards d'euros de dépenses, contre 12 milliards d'euros en 2019, soit une hausse de 40 % par rapport à la période d'avant-covid. Cette hausse s'explique par le vieillissement, pour 40 %, par l'augmentation du nombre de jours, pour 25 %, par l'augmentation des salaires et la hausse du recours aux arrêts maladie, notamment chez les jeunes. La première tranche d'âge pour la progression du nombre d'arrêts maladie est celle des moins de 30 ans. Cela nous interpelle sur des enjeux de conditions de travail et de management.

Pour reprendre une activité après un arrêt d'un mois ou plus, il faut voir un médecin du travail. La pénurie de médecins du travail entraîne un allongement de la durée des arrêts.

Je réfute toute sous-compensation. Nous avons au contraire surcompensé, notamment pour la TVA.

Je suis très prudente sur la question des transferts. Nous pourrions mettre la branche famille en déficit et la branche maladie en excédent, par un jeu de transferts. C'est le déficit de toute la nation qu'il faut appréhender. Nous devons avoir une logique d'ensemble en considérant les dynamiques de dépenses et de recettes. Cette approche simplifiera les discussions et décisions à venir, car piloter des soldes liés à des transferts revient à se voiler la face.

M. Yannick Neuder, ministre.  - Le ministère de la santé travaille à la réforme du financement de l'hôpital et à la sortie du tout-T2A. Le financement des hôpitaux reposera sur trois compartiments : l'activité, les objectifs de santé publique et les missions spécifiques.

La réforme du financement de la dialyse, à la séquence, est en cours. Idem pour la radiothérapie.

La médecine d'urgence, la psychiatrie et la réadaptation ne sont pas incluses dans le tout-T2A. Un ciblage est prévu pour les plateaux techniques.

Du point de vue d'un hôpital, il faut augmenter l'activité. Mais, à l'échelle globale, cela conduit à augmenter les dépenses. Nous sommes face à une injonction contradictoire, que j'ai vécue comme praticien hospitalier.

Concernant la radiothérapie, nous devons tenir compte des innovations. Pour certains types de cancer, des doses moindres produisent les mêmes effets ; c'est pourquoi nous souhaitons passer d'un financement au forfait à un financement à la séance. Cela risque toutefois de mettre certains établissements, notamment publics, en difficulté, car ils avaient calibré leurs investissements en fonction de la tarification existante.

Madame Imbert, nous prévoyons une équité de financement entre le public, le privé et le non-lucratif ; les forfaits devraient être applicables en octobre 2025.

Il s'agit donc de mesures d'efficience économique, visant à améliorer le service médical rendu, mais qui risquent de dégrader la situation financière des établissements.

Discussion des articles

L'article liminaire n'est pas adopté.

Article 1er

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Chaque fois, nous avons droit à un grand tunnel d'explications de la part des deux ministres, or nous ne sommes pas là pour discuter du détail des politiques menées. C'est assez déséquilibré...

Madame la ministre, c'est la Cour des comptes qui parle de sous-compensations. Dit-elle n'importe quoi ? Je n'ai jamais vu de surcompensation de 5,5 milliards d'euros.

On peut mettre n'importe qui en déficit ? Oui, vous êtes en train de mettre la sécurité sociale en déficit !

Vous avez fait exploser les exonérations, qui risquent de dépasser les 15% autorisés par la loi organique. À force d'exclure de nombreux éléments de salaire de l'assiette des cotisations, leur montant est passé de 9 milliards d'euros en 2017 à près de 20 milliards.

On ne pilote pas par le solde, certes, mais par les dépenses et les recettes. Mais pourquoi seulement par les dépenses ? Je vous propose un pilotage par les recettes.

Nous reparlerons des arrêts maladies dans d'autres circonstances.

L'article 1er n'est pas adopté, non plus que l'article 2.

Article 3

Mme la présidente.  - Si le dernier article de ce projet de loi n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble. Selon le règlement du Sénat, le scrutin public est de droit, aussi l'article 3 sera mis aux voix par scrutin public.

L'article 3 est mis aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°332 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 321
Pour l'adoption   20
Contre 301

L'article 3 n'est pas adopté.

En conséquence, le projet de loi est définitivement rejeté.