Emploi des salariés expérimentés et évolution du dialogue social (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels (ANI) en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour le Sénat de la CMP . - La CMP est parvenue à un texte commun conforme à la ligne de la majorité sénatoriale : assurer une transposition fidèle et complète des mesures de l'ANI. Le respect de la parole des partenaires sociaux nous l'imposait. Le Gouvernement s'y était engagé, le Parlement y a veillé. Le texte est déjà salué par les partenaires sociaux.
Le dialogue social interprofessionnel s'est renoué, et nous nous en félicitons. Le travail de retranscription des ANI par le Gouvernement a été salué par tous les partenaires sociaux auditionnés. Nous avons pu démontrer notre attachement au paritarisme. Merci, madame la ministre, d'avoir travaillé en ce sens.
Nous remercions nos collègues députés, Stéphane Viry et Nicolas Turquois, qui ont partagé notre philosophie. Cette fidélité à la parole des partenaires sociaux nous a conduits à revenir sur certaines évolutions adoptées à l'Assemblée nationale.
À l'article 1er, deux des thèmes de la négociation de branche sur l'emploi et le travail des salariés expérimentés ont été rendus facultatifs.
À l'article 2, la mobilisation du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu) a été également replacée dans les thèmes facultatifs des négociations d'entreprises.
L'article 4 crée un contrat de valorisation de l'expérience (CVE) pour faciliter le recrutement des demandes d'emploi seniors - petit clin d'oeil à notre ami René-Paul Savary... La CMP a réduit le délai de carence avant la réembauche d'un salarié en CVE de deux ans à six mois.
Pour la transposition des mesures en faveur des reconversions et transitions professionnelles contenues dans l'ANI du 25 juin dernier, examinées par la seule Assemblée nationale, nous avons innové en réunissant par trois fois l'ensemble des organisations signataires. À l'article 10, nous avons précisé que le régime du licenciement économique ne s'applique pas lors d'une rupture de contrat d'un commun accord avec le salarié.
Par ailleurs, l'ANI du 25 juin modifie le pilotage du projet de transition professionnelle (PTP) par le transfert des fonds issus des contributions des employeurs de France Compétences vers l'association paritaire Certif Pro, qui serait désormais chargée de répartir les fonds entre les associations régionales Transitions Pro à la place de l'opérateur de l'État. L'article 12, introduit à l'Assemblée nationale pour transposer ces dispositions, ne convenait pas aux partenaires sociaux. Le texte de la CMP se rapproche de l'ANI : Certif Pro serait compétente pour arrêter la répartition des fonds et définir les critères de prise en charge des PTP, France Compétences gérera ensuite les flux financiers en fonction des décisions des instances paritaires.
Il n'a toutefois pas été possible d'aller plus loin en CMP, en raison des règles de recevabilité de l'article 40 de la Constitution. Fort heureusement, un amendement du Gouvernement y remédie ce jour. Je remercie la ministre de rester fidèle à l'esprit de l'ANI. L'intérêt général se trouve grandi par l'alliance de la démocratie parlementaire et de la démocratie sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - L'économie générale du projet de loi est bien connue : la transposition des trois accords du 14 novembre 2024 portant sur l'assurance chômage, l'emploi des travailleurs expérimentés et le dialogue social. Depuis l'adoption du texte par le Sénat début mai, la négociation sur l'assurance chômage du 27 mai et l'ANI du 25 juin derniers sur les transitions et reconversions professionnelles ont été intégrés aux articles 9 bis et aux articles 10, 11 et 12.
Ces cinq accords intervenus en neuf mois témoignent de la vitalité du dialogue social dans un contexte politique difficile, et nous nous en réjouissons. Ils sont en outre largement représentatifs.
Nous avons veillé - et je remercie le Sénat - à ce que ce projet de loi transcrive fidèlement la volonté et les intentions des partenaires sociaux. Depuis novembre, de nombreux échanges préparatoires ont associé toutes les organisations représentatives ainsi que les rapporteurs. Je remercie Frédérique Puissat et Anne-Marie Nédélec. (Mmes Frédérique Puissat et Anne-Marie Nédélec apprécient.)
L'article 9 bis consacre l'accord signé en mai dernier, en excluant du dispositif des bonus-malus de l'assurance chômage les fins de contrat pour inaptitude ou faute lourde.
Grâce à la mobilisation des partenaires sociaux et des services du ministère, l'ANI du 25 juin a donc aussi été pris en compte. Les articles 10 et 11 et 12 ont consacré trois avancées : la création d'un dispositif unique de reconversion interne ou externe ; le ciblage des projets de transition professionnelle à l'initiative des salariés vers les métiers qui comptent ; et enfin le repositionnement de l'entretien professionnel, pour un meilleur suivi des compétences et des parcours.
Nous devons mieux répondre à l'usure professionnelle des salariés en leur permettant de changer de métier en cours de carrière. Nous posons les briques du maintien dans l'emploi des 50 ans et plus.
Ces évolutions interviennent à un moment de grande transformation de notre économie. Nous devons mieux accompagner les salariés, entreprises et territoires touchés par des restructurations, pour assurer une meilleure continuité professionnelle.
Je suis très heureuse que nous respections l'ANI s'agissant de la gouvernance relative à la gestion et à la répartition des fonds des projets de transition professionnelle. J'en remercie encore les rapporteures. Le Gouvernement a effectivement déposé un amendement pour remédier à l'irrecevabilité financière. Je salue l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux, et me réjouis de voir la démocratie sociale renforcer la démocratie représentative.
Sous réserve de l'adoption de l'amendement du Gouvernement, je vous invite à adopter le texte. Je regrette que l'examen des conclusions de la CMP n'ait lieu qu'en septembre à l'Assemblée nationale (Mmes Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat renchérissent) ; tout ce temps perdu, alors que les partenaires sociaux et le Sénat ont tenu les délais... Nous nous retrouverons cet automne pour d'autres rendez-vous importants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Discussion du texte élaboré par la CMP
M. le président. - En application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.
Article 2
M. le président. - Amendement n°1 du Gouvernement.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Cet amendement rédactionnel corrige une erreur de référence dans le code de la sécurité sociale.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure pour le Sénat de la CMP. - Avis favorable.
L'amendement n°1 est adopté.
Article 12
M. le président. - Amendement n°2 du Gouvernement.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Nous confions à la Certif Pro les crédits relatifs aux projets de transition professionnelle en vue de les répartir dans les régions, selon une stricte transposition de l'article 2 de l'ANI du 25 juin.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Avis favorable des deux rapporteurs à titre personnel, la commission n'ayant pu se réunir. Les partenaires sociaux sont d'accord avec cet amendement.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Pas tous. (Mme Anne-Marie Nédélec le conteste.)
L'amendement n°2 est adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme Anne-Marie Nédélec . - Il ne s'agit pas simplement d'une transposition législative de plusieurs ANI, mais de l'affirmation d'une démocratie sociale vivante, exigeante et responsable. Nous respectons scrupuleusement le dialogue social : trois ANI et deux autres accords conclus en cours de navette ont balisé ce projet de loi.
Ce texte a fait l'objet d'échanges nourris entre l'Assemblée nationale et le Sénat et entre les rapporteurs et les partenaires sociaux, consultés à chaque étape. Il respecte la lettre comme l'esprit des accords. À ce titre, nous avons dû revenir, par loyauté, sur certaines dispositions.
Nous regrettons que le vote de nos collègues députés n'intervienne pas demain, comme prévu, mais à la rentrée, ce qui retarde l'application de certaines mesures.
L'article 10 a suscité des débats nourris. Le Gouvernement proposait de procéder par ordonnance pour transposer l'ANI en discussion. Nous avons été nombreux à nous opposer à cette méthode, avec raison. Le but était de transposer les accords. Or il n'y en avait pas sur les transitions et reconversions professionnelles. Il est intervenu en cours de processus et a été intégré à la fin de l'examen du texte.
Sur l'article 12, il est légitime que les organisations représentatives veuillent avoir la main sur ces fonds - non par rejet de l'État, mais pour pouvoir piloter les dispositifs qu'elles ont imaginés et qu'elles financent. Le paritarisme fonctionne quand il peut s'exprimer pleinement.
Nous avons senti croître la prise de conscience des partenaires sociaux sur le défi que représente le maintien en emploi des salariés expérimentés. Il faut repenser l'organisation du travail et des carrières, notamment par des dispositifs innovants comme le contrat de valorisation de l'expérience. Les mesures relatives à l'aménagement de fin de carrière vont dans le bon sens : retraite progressive facilitée, sécurisation de l'embauche après 60 ans... Nous inventons ainsi une trajectoire soutenable pour les salariés et les entreprises.
Ce texte résulte d'une vision partagée. Il n'est pas parfait, mais juste, et donne des garanties concrètes aux salariés expérimentés.
Le groupe Les Républicains souhaite l'adoption de ce texte à la hauteur des enjeux. Ainsi, nous faisons vivre la démocratie sociale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Maryse Carrère et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. Dominique Théophile . - Le progrès social se construit non dans l'opposition stérile, mais dans le dialogue et le compromis. Le texte issu de la CMP l'illustre. Il transpose les ambitions des ANI : favoriser l'emploi des salariés expérimentés, renforcer le dialogue social et accompagner les reconversions professionnelles. Aux deux extrémités de la vie, pour les jeunes comme pour les seniors, l'intégration sur le marché du travail est difficile. En 2023, le taux d'emploi des 60-64 ans atteint 38,9 % en France, contre 68,9 % en Suède et une moyenne européenne à 51 %. Derrière ces données : des parcours professionnels fragilisés. À l'opposé, le taux d'emploi des jeunes a baissé de 0,6 point en 2024 et leur taux de chômage est élevé.
Notre pays ne valorise pas ses seniors et ses jeunes. D'où ces trois ANI, que ce texte transcrit fidèlement dans la loi.
Avec les articles 1er et 2, il ne s'agit plus seulement d'inviter à inscrire l'emploi des salariés expérimentés à l'agenda social, mais de l'exiger. L'article 3 sur l'entretien professionnel à 60 ans permettra d'anticiper les besoins d'adaptation des postes et d'accompagner les transitions de fin de parcours. L'article 4 sur le CVE offrira de la visibilité à l'employeur et de la sécurité à l'employé. L'article 8 permettra de mieux valoriser l'engagement syndical, levier de transformation dans l'entreprise. L'article 9, qui assouplit l'accès à l'assurance chômage des jeunes, est une avancée essentielle.
Les députés ont introduit les mesures de l'ANI du 25 juin dernier, avec trois mesures fortes pour aborder les défis de demain : période de reconversion sécurisée, instance quadripartite nationale, gouvernance paritaire dédiée aux transitions.
En CMP, les équilibres du texte ont été conservés et je me réjouis que le dialogue social inspire ainsi le dialogue législatif. L'inscription de ces trois ANI dans la loi est une reconnaissance du travail des partenaires sociaux.
Le RDPI votera ce texte équilibré, concerté et porteur de solutions concrètes. (Applaudissements au banc des commissions)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'emploi des salariés expérimentés est un besoin impérieux. Combien voient leur carrière interrompue brutalement après 58 ans, peinent à se former ou à retrouver un emploi ? Ce texte, qui apporte des réponses pragmatiques, traduit un compromis issu du dialogue social, socle essentiel de notre modèle républicain. Le RDSE salue la méthode qui a présidé à son élaboration.
L'obligation de négocier est une avancée, car les solutions se construisent souvent au plus près des réalités des entreprises. Avec le nouvel entretien de parcours professionnel, l'usure professionnelle ne sera plus une fatalité. Le CVE va dans la bonne direction, mais sera-t-il suffisant pour faire évoluer les mentalités ?
Le regard porté sur les seniors dans l'entreprise doit évoluer. Trop souvent sous-estimés, ils sont pourtant un levier de compétitivité et de cohésion sociale.
La lutte contre les discriminations liées à l'âge est loin d'être gagnée ; voyez notre taux d'emploi des 60-64 ans, qui atteint péniblement les 39 % en France, contre 65 % en Allemagne et 70 % en Suède. Derrière ce chiffre, des parcours brisés et des pertes de savoir-faire.
Pour y répondre, ce texte facilite aussi les fins de carrière : passage à temps partiel, versement anticipé d'une partie de l'indemnité de départ à la retraite, clarification des règles de cumul emploi-retraite. Avec ces mesures de bon sens, nous sortons d'une vision binaire du travail.
Le texte traduit également l'ANI du 25 juin dernier, avec notamment une période de reconversion unique et une orientation améliorée vers les métiers en tension. Les salariés en transition ne seront pas laissés au bord du chemin. Chacun sera accompagné dans les transformations du marché du travail et les nouvelles formes d'organisation du travail.
En supprimant la limite de trois mandats successifs pour les élus du CSE, ce texte contribuera à la fois au renouvellement des instances et à la stabilité des représentants.
Même s'il ne résoudra pas à lui seul le défi du maintien dans l'emploi des seniors, il a le mérite de traduire fidèlement le compromis des partenaires sociaux. Le RDSE le votera, mais soyons vigilants à ne pas laisser sans lendemain la promesse de l'emploi des seniors. (Applaudissements sur les travées du RDSE et au banc des commissions ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'engagement de Frédérique Puissat et d'Anne-Marie Nédélec a permis de transposer avec rigueur et fidélité ces ANI dans la loi. Je salue aussi leur vigilance sur l'article 10, car le Sénat n'aime pas les ordonnances.
Le Parlement doit demeurer le garant du respect de la démocratie sociale. Les articles 10, 11 et 12 nous ont permis de débattre de l'ANI du mois dernier.
Je me félicite des succès du paritarisme et déplore l'échec du conclave sur les retraites, si près d'un accord. On est toujours gagnant quand on mise sur le dialogue social, comme dans le modèle rhénan.
Le chemin de la prospérité passe par l'investissement et le travail : ceux qui travaillent doivent travailler un peu plus, ceux qui ne travaillent pas doivent trouver le chemin de l'emploi, les seniors doivent pouvoir rester autant qu'ils le souhaitent dans l'emploi.
Car ils sont le socle de la transmission des savoirs et de la culture d'entreprise, si précieuse. Raymond Barre disait qu'une société qui ne valorise pas ses anciens est une société qui oublie d'où elle vient et où elle va.
Le décalage du taux d'emploi des 60-64 ans entre la France et la Suède met en lumière nos freins à l'embauche et au maintien en emploi. D'où le CVE, l'obligation de négocier dans les branches et les entreprises de plus de 300 salariés, l'entretien professionnel, l'amélioration de la retraite progressive, etc.
Cet ANI reconnaît la valeur des seniors, anticipe les ruptures de parcours et offre un cadre incitatif aux entreprises, sans contrainte ni stigmatisation.
La suppression du plafond de trois mandats permet de préserver l'expertise syndicale et répond à la crise des vocations.
Notre droit du travail, notre économie et nos entreprises doivent reconnaître la richesse humaine et professionnelle des seniors. Le groupe UC votera résolument ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Si le taux d'emploi des seniors augmente depuis les années 2000, c'est moins grâce aux entreprises - qui continuent de les licencier et de refuser de les embaucher - , qu'à cause des réformes des retraites successives, qui ont repoussé l'âge de départ à la retraite : les seniors sont obligés de rester au travail pour percevoir une pension digne et continuent de souffrir de discriminations liées à l'âge.
L'ANI du 14 novembre 2024, signé par quatre des cinq organisations syndicales et par trois organisations patronales, apporte des progrès très limités au regard des enjeux. L'obligation de négociation exclut la moitié des entreprises et 72 % des salariés ! Le CVE, qui repose sur des exonérations de cotisations patronales, s'ajoute aux multiples aides publiques sans contrôle qui nous coûtent 221 milliards d'euros chaque année, selon la commission d'enquête de Fabien Gay. Cet argent jeté par les fenêtres servira à justifier les mesures de régression sociale imposées aux travailleurs et aux retraités, que le Premier ministre annoncera la semaine prochaine.
À l'Assemblée nationale, quinze amendements émanant de la gauche ont été adoptés en commission, vingt-huit en séance - contrairement au Sénat, où aucun de nos amendements n'a été retenu, au nom du strict respect de l'ANI. Ces amendements n'étaient pas tous rédactionnels, tant s'en faut ! L'Assemblée nationale a ainsi étendu l'obligation de négocier à la santé au travail, à la prévention des risques professionnels, à l'organisation du travail et aux conditions de travail.
Le Gouvernement a inséré le résultat de l'ANI du 25 juin, faisant de l'entretien professionnel un véritable outil de gestion de carrière.
Sans surprise, la CMP est revenue sur les modifications introduites par l'Assemblée nationale rendant facultatives les négociations prévues, les renvoyant dans les méandres de la négociation sociale... La CMP a cependant maintenu certains apports de l'Assemblée nationale, notamment sur la prise en compte des pratiques managériales.
Cela prouve qu'il existe une voie entre respect de la démocratie sociale et apport de la démocratie parlementaire, sans qu'il soit besoin de nous autocensurer.
Nous attendons que le Gouvernement présente un projet de loi ambitieux pour améliorer les conditions de travail, réduire la pénibilité au quotidien et s'attaquer à l'usure professionnelle, sinon nous aurons encore plus de seniors ni en emploi ni en retraite. Ce sont les femmes ouvrières et employées qui subissent les plus longues périodes de privation d'emploi après 50 ans.
Le groupe CRCE-Kanaky s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Raymonde Poncet Monge . - En première lecture, le projet de loi transposait trois ANI ; un mois plus tard, on nous somme de voter, sans examen en commission, un texte comportant un quatrième accord, qui n'a pas été voté à l'unanimité des organisations syndicales. Nous n'avons donc pas voix au chapitre...
Nous ne débattrons donc pas de la nouvelle période de reconversion, qui pourra être financée via le compte personnel de formation (CPF), « sous réserve de l'accord du salarié ». On occulte, une fois encore, le lien de subordination, alors qu'il s'agit de former le salarié sur un autre poste de l'entreprise !
Nous ne connaîtrons pas l'impact financier de la fusion des dispositifs de transition collective, de reconversion et de promotion par l'alternance.
La méthode est peu soucieuse de la démocratie parlementaire. Sans parler des tergiversations du Gouvernement sur la création de l'espace stratégique : un premier amendement est retiré, pour en déposer un autre, plus conforme à l'ANI, sous la pression des partenaires sociaux.
Nous maintenons nos réserves sur le CDI salarié expérimenté, en raison d'une nouvelle niche d'exonérations de cotisations sociales qui coûtera 123 millions d'euros, alors que le Gouvernement annonce des coupes budgétaires antisociales et que les dispositifs d'aides publiques aux entreprises s'accumulent, sans évaluation.
Bien sûr, ce texte a été amélioré, avec notamment l'obligation de négocier sur la santé au travail, sur l'organisation du travail et sur les conditions de travail, mais seulement à partir de 250 salariés...
Le texte issu de l'Assemblée nationale avait limité les effets d'aubaine en interdisant l'embauche en CDI salarié expérimenté d'une personne ayant travaillé dans la même entreprise au cours des deux années précédentes, mais le texte issu de la CMP a rétabli un délai de six mois seulement. Dommage que cela n'ait pas été conservé.
À l'inverse, la CMP a conservé un cavalier, l'article 9 bis, qui exclut du calcul du bonus-malus de l'assurance chômage les licenciements pour inaptitude en cas d'impossibilité de reclassement dans l'entreprise. Cela déleste les entreprises de leur responsabilité et invisibilise les sorties pour inaptitude...
Le GEST ne votera pas ce texte, qui escamote notre rôle de législateur. Comme trop souvent en cette session extraordinaire, le Sénat - du moins une partie - n'est pas respecté. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En première lecture, nous avons salué les avancées de ce projet de loi. Nous reconnaissons le travail des rapporteures, dans des conditions difficiles. Mme Lubin, que je représente aujourd'hui, a travaillé ce texte pour le groupe socialiste.
Signe de la résilience du dialogue social, ce texte intègre le contenu de cinq ANI sur lesquels les partenaires sociaux se sont entendus depuis novembre. C'est positif, même si tous les syndicats ne les ont pas signés. Les partenaires sociaux reprennent enfin la main sur l'assurance chômage, c'est un soulagement.
Je salue les avancées sur la retraite progressive - qui est un levier pour l'emploi des salariés expérimentés -, sur les conditions d'activité antérieure requises pour ouvrir des droits à l'allocation-chômage, sur le renforcement du dialogue social en matière d'emploi des personnes expérimentées et sur l'obligation de négocier dans les grandes entreprises.
Mais nous avions aussi des craintes sur de possibles effets d'aubaine liés au CVE, sur la nouvelle niche sociale - d'où notre amendement de suppression - ou encore sur les modalités de mise à la retraite à partir de 67 ans, qui risquent de pénaliser les salariés qui voudraient continuer à travailler pour obtenir une retraite décente.
Les modifications apportées par le Gouvernement et les parlementaires de gauche, notamment à l'Assemblée nationale, sont satisfaisantes. Dommage que le délai de carence ait été ramené de deux ans à six mois.
Je déplore toutefois les mauvaises conditions d'examen du texte au Parlement, dont le Gouvernement est responsable. Que l'ANI fasse l'objet d'un consensus entre les partenaires sociaux ne prive pas le Parlement de ses prérogatives. Je déplore que les députés aient découvert la veille pour le lendemain les amendements du Gouvernement et que le Sénat n'ait pu débattre du titre VII. Nous prenons bonne note de la création d'un nouveau dispositif de reconversion professionnelle et de la création d'un Conseil national quadripartite, entre autres.
Ces avancées, ainsi que la fidélité aux ANI, nous ont décidés à voter ce texte, en dépit de nos réserves. Mais l'adoption du projet de loi ne dispense pas le Gouvernement de s'attaquer plus frontalement encore à la question de l'emploi des seniors. (Mme Corinne Féret applaudit.)
M. Marc Laménie . - J'associe à mon intervention mes trois collègues du groupe Les Indépendants membres de la commission des affaires sociales.
Il ne fait pas de doute que ce texte sera adopté dans quelques instants. C'est un motif de satisfaction en cette fin de session, même si je regrette qu'une adoption définitive par l'Assemblée nationale ne soit pas immédiatement possible.
Ce texte comporte des mesures concrètes en faveur de l'emploi des salariés expérimentés. En la matière, nous sommes clairement en retard : seuls 38 % des 55-64 ans sont en emploi, contre 50,9 % en moyenne européenne, 65 % en Allemagne et jusqu'à 75 % aux Pays-Bas. Le décrochage est particulièrement alarmant à partir de 60 ans.
Ce projet de loi ne pourra pas tout, et il faudra continuer à agir pour garantir l'accès à l'emploi des plus de 55 ans. Il s'agit de lutter contre leur invisibilisation, mais aussi de dégager des recettes supplémentaires pour notre protection sociale : un taux d'emploi des seniors augmenté de cinq points, ce sont 5 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Et si nous atteignons la moyenne européenne, nous dégagerons 14 milliards d'euros, ce qui n'est évidemment pas à négliger dans le contexte financier actuel.
Les salariés expérimentés sont pour les entreprises une plus-value irremplaçable. Ce projet de loi améliorera la gestion des secondes parties de carrière, notamment via l'entretien professionnel de mi-carrière, qui abordera la prévention de l'usure professionnelle et les possibilités de reconversion. Avant 60 ans, un entretien de préparation de la fin de carrière permettra d'aborder notamment les options de transition, dont la retraite progressive, trop peu utilisée.
Ce projet de loi fournit des outils utiles pour favoriser une culture de la préparation des fins de carrière dans les entreprises. Nous saluons notamment l'obligation de négociations pour les entreprises de plus de 350 salariés et l'expérimentation du CVE, un CDI réservé aux plus de 60 ans sans emploi - accessible dès 57 ans en cas d'accord de branche.
Ce projet de loi respecte les deux ANI qu'il met en oeuvre. Le groupe Les Indépendants le votera. (Applaudissements)
À la demande de la commission, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°353 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Pour l'adoption | 307 |
Contre | 0 |
Le projet de loi est adopté.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - Nous sommes satisfaits de cet aboutissement, respectueux des accords conclus par les partenaires sociaux et obtenu dans le dialogue avec le Gouvernement.
Je salue l'engagement de nos deux rapporteurs. L'exercice était compliqué : respecter les accords des partenaires sociaux est parfois frustrant pour nous, mais c'est une démarche de confiance. Nos rapporteurs ont eu à coeur de poursuivre le dialogue avec les partenaires sociaux.
Un seul regret : l'adoption définitive du texte ne sera pas possible avant la fin de la session, alors que les partenaires sociaux ont respecté le calendrier qui leur avait été fixé. J'espère que le vote final interviendra rapidement en septembre. (Mme Frédérique Puissat et M. Marc Laménie applaudissent.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - J'exprime ma reconnaissance à tous, à commencer par Michel Barnier, qui a initié la relance du dialogue social.
Je salue l'esprit de compromis des partenaires sociaux ; nous avons abouti à la conclusion de cinq accords attendus. Je salue aussi le travail des rapporteurs, qui ont respecté celui des partenaires sociaux.
Je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pu inscrire ce texte à son ordre du jour avant la fin de la session, mais il sera examiné fin septembre pour, j'espère, une adoption très rapide. Comptez sur ma détermination à poursuivre un dialogue social constructif, source d'apaisement pour la société.
La séance est suspendue à 12 h 40.
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
La séance reprend à 14 h 30.