Définition pénale du viol et des agressions sexuelles (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.
Mme Elsa Schalck, rapporteure pour le Sénat de la CMP . - Ce texte résulte du rapport d'information des députées Riotton et Garin ; il a fait l'objet d'un examen rigoureux du Conseil d'État et d'un travail transpartisan accompli en toute confiance par les deux chambres - ma corapporteure Dominique Vérien peut en témoigner. Le Parlement légifère mieux à la lumière de travaux qui favorisent le consensus, on l'a vu avec la loi Narcotrafic il y a quelques mois.
À l'issue de la première lecture, un seul désaccord demeurait : l'Assemblée nationale tenait à l'expression « circonstances environnantes », pour se conformer à la convention d'Istanbul. Nous préférions « contexte », terme plus clair utilisé par la jurisprudence. Mais nous nous sommes entendus sur le terme de « circonstances », qui permettra au juge de saisir les situations de fait dans leur diversité sans compromettre la sécurité du dispositif. Nous consacrons ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation, en évacuant tout équivoque.
Le législateur fait oeuvre utile en affirmant qu'il n'y a pas d'acte sexuel licite s'il n'est consenti. Céder à la menace, à la violence, même psychologique, ou à toute forme de pression, se taire, se laisser faire, ce n'est pas consentir : c'est subir une contrainte provoquée par la peur des coups ou des représailles, la peur de réveiller les enfants si l'on crie. Se résigner lorsqu'un refus, exprimé des dizaines de fois, n'a pas été entendu, ce n'est pas consentir : c'est ne plus avoir la force de lutter. Ne pas réagir, ce n'est pas consentir : c'est trop souvent être dans un état de sidération qui ne permet pas de se défendre.
Ce texte apporte de la clarté pour améliorer le traitement de ces situations par les services d'enquête et les tribunaux.
Mais nos travaux ne sont pas terminés : nous devrons évaluer les effets de la loi, qui n'a de sens que si elle sert l'intérêt général. Nous vérifierons que la loi nouvelle a rendu la répression plus efficace et qu'elle met fin à l'impunité des agresseurs et à la solitude des victimes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE, du RDPI, du GEST et du groupe SER)
Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur . - Il y a des combats qui traversent les décennies, des voix qui ne s'éteignent jamais, des femmes dont l'engagement éclaire notre route.
Je rends hommage à Monique Pelletier, décédée le 19 octobre dernier à 99 ans. Avocate, ministre de la condition féminine et membre du Conseil constitutionnel, elle a fait de sa vie un combat pour la justice et pour la dignité. Dans une France encore corsetée par le silence, la honte, l'indifférence, nous lui devons, en 1980, la criminalisation du viol et ce qui est devenu l'article 222-23 du code pénal, portée par un mouvement de femmes déterminées dans le sillage de Gisèle Halimi. C'est en pensant à elles que nous poursuivons ce combat pour nommer, reconnaître, condamner, éradiquer toute forme de violence sexuelle.
Le consentement est au coeur de notre combat contre les violences sexuelles. Ce qui devrait être une évidence est volontairement caricaturé. Pourquoi ? Parce que cela vient heurter des habitudes, des croyances, cela dérange. Dans neuf cas sur dix, la victime connaît son violeur - un mari, un ex-conjoint, un collègue, un ami, quelqu'un à qui l'on fait confiance. « Est-ce vraiment arrivé ? Est-ce ma faute ? Ai-je mal compris ? » se demande la victime. « Pourquoi n'a-t-elle rien dit, pourquoi ne s'est-elle pas débattue ? » se demandent les autres.
Or la peur, la sidération, la honte, les abus d'autorité et de pouvoir sont autant de chaînes invisibles qui paralysent. Le silence, l'absence de lutte et de résistance n'est jamais un consentement. Ne pas dire non, ce n'est pas dire oui. Regarder ailleurs, c'est laisser faire la violence.
Regardons notre société telle qu'elle est, avec ses violences, ses silences, ses réflexes de défense qui protègent le confort plutôt que de faire éclater la vérité. Nous devons ce regard lucide aux victimes. Nous devons nous hisser au niveau du courage de celles qui ont eu la force de parler, de déposer plainte, de revivre l'indicible pour que d'autres n'aient pas à le subir. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise victime. Nous devons penser à celles qui hésitent, qui se taisent en raison de la longueur du chemin qui les attend.
Si nous avons renforcé l'arsenal juridique et gravé le consentement dans la loi, le combat n'est pas terminé. La loi de 2021 a clarifié le travail de la justice : avant 15 ans, un enfant est un enfant. Il ne peut pas consentir. C'est un interdit absolu.
Aujourd'hui, nous pouvons changer de dimension en réaffirmant que consentir, ce n'est pas ne pas dire non ; c'est dire oui, un oui explicite, libre, sans contraintes ni ambiguïtés. Ne caricaturons pas cela en bureaucratie du désir ou en contrat signé. Reconnaissons que le viol n'est ni une fatalité ni un malheureux malentendu, mais un crime qui brise, mutile, anéantit.
Cette avancée traduit l'engagement du Président de la République et le soutien du Gouvernement. Je rends hommage au travail remarquable de vos rapporteures, qui honore notre démocratie.
Oui, le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Libre, c'est-à-dire sans contrainte, pression ou peur. Éclairé, car comment consentir quand on est drogué ou ivre ? Spécifique, pour que nul ne puisse détourner le sens du mot consentement. Préalable et révocable, car dire oui ne signifie pas dire oui pour toujours.
Au-delà, nous devons mettre fin à la culture du viol : lorsqu'un non est interprété comme un peut-être, qu'une victime est réduite au silence, qu'on enseigne à se méfier, qu'on estime que la jupe était trop courte, qu'« elle l'a bien cherché ». Il faut refuser la complaisance et le déni et valoriser l'écoute, dire que la honte n'est pas du côté des victimes mais de ceux qui violent ou qui laissent faire.
Certes, ce texte ne change pas tout. Nous continuerons à lutter contre toute forme de violence. Aurore Bergé a réaffirmé son engagement en faveur d'une loi-cadre pour lutter contre les violences sexuelles et les violences intrafamiliales.
Tous les groupes politiques sont autour de la table et le consensus est possible. Réaffirmons, au nom de la République, que le corps des femmes leur appartient. Nul ne peut le posséder, le forcer. Ce qui compte n'est pas ce que croit l'agresseur, mais ce que veut la victime. Ce renversement du regard est déjà une révolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE, du RDPI, du GEST et du groupe SER)
Mme Corinne Bourcier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) On évalue le nombre de victimes de violences sexuelles à 250 000 par an - c'est sans doute sous-estimé. Si l'arsenal juridique s'est étoffé, nombre de victimes peinent à obtenir justice. Le groupe Les Indépendants votera ce texte qui a recueilli un accord en CMP.
Que la victime n'arrive pas à se débattre, qu'elle porte tel vêtement ou se trouve au mauvais moment au mauvais endroit, rien ne justifie un viol. La reconnaissance du consentement est essentielle pour que les victimes portent plainte. Elles sont trop nombreuses à renoncer, à subir en silence le traumatisme de l'agression subie.
Ce texte est le fruit d'un travail transpartisan et je salue les rapporteures de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il apporte une clarification essentielle. Jusqu'ici, l'agresseur pouvait prétendre qu'il ignorait que la victime n'était pas consentante. Non : un violeur sait quand il viole. L'état de choc de la victime ne saurait lui servir d'excuse.
Selon l'Inserm, 24 % des victimes disent avoir renoncé à porter plainte car « cela n'aurait servi à rien » ; 16 %, car elles craignaient de ne pas être prises au sérieux par les forces de l'ordre ; 73 % de plaintes étaient classées sans suite en 2018.
Il faut poursuivre les auteurs, c'est tout le sens de ce projet de loi. Mais ce n'est qu'une partie de la réponse. Des victimes vivent leur vie durant avec les stigmates du viol subi. Au législateur d'agir pour que la société reconnaisse et accompagne mieux les victimes.
Ce texte met fin au mythe de la mauvaise victime. Il s'inscrit dans un mouvement plus large de soutien aux victimes. Le groupe Les Indépendants restera mobilisé en leur faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Marie Mercier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue les quelques hommes présents. Quelle société voulons-nous pour demain ? Cette question nous intéresse tous, hommes ou femmes.
Hélas, les chiffres des violences sexuelles augmentent constamment. Tant de drames, de larmes, de dégâts psychologiques !
Intégrer le consentement a une portée juridique, mais aussi philosophique et sociale, car cela modifiera les pratiques de la police et de la justice. Le taux de dépôt de plainte est faible ? 2 % à 6 % ; et le taux de condamnation aussi ? 10 % à 15 %. Ce texte, centré sur le comportement des auteurs, a une portée pédagogique. Il rappelle que le consentement doit être placé au centre de l'éducation à la sexualité.
La loi du 3 août 2018 précise que l'acte de pénétration sexuelle visé peut être commis sur la personne de l'auteur : c'est un premier pas. La loi de 2021 protégeant les mineurs des agressions sexuelles étend le viol aux actes bucco-génitaux : c'est un deuxième pas. Dès lors que la différence d'âge entre un majeur et un enfant de moins de 15 ans est de cinq ans, tout acte sexuel est considéré comme un viol : c'est un troisième pas.
Nous faisons ici un quatrième pas, à la suite d'une directive européenne sur les violences faites aux femmes et du procès des viols de Mazan. Les avocats de Gisèle Pélicot, qui recevront ce soir le prix de la délégation aux droits des femmes, nous ont rapporté que certains prévenus déclaraient : « Son mari avait dit oui, je croyais qu'elle était d'accord. » On en est là, en 2025 ! Le consentement s'apprend dès le plus jeune âge, en déconstruisant les idées fausses comme : « si elle ne dit rien, c'est qu'elle veut bien. »
L'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord. Sans consentement libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable, l'acte commis est considéré comme un viol. Le consentement n'est pas simplement absence de refus. La peur, la paralysie ou l'emprise ne sont pas des consentements, ce sont des silences. Consentir, ce n'est pas céder, c'est choisir. « Qui ne dit mot » ne consent pas, il a peur. Consentir c'est dire oui, un vrai oui.
Mon groupe votera ce texte. Il nous faudra encore beaucoup de pas pour une société plus sereine, de confiance et de respect. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains ; UC et INDEP)
M. Bernard Buis . - (M. Vincent Louault applaudit.) Et si derrière l'expression « qui ne dit mot consent », se cachait la suivante : « qui ne dit mot semble consentir » ? Avec ce texte, il s'agit, ni plus ni moins, de défendre la liberté personnelle et le droit au respect de l'intégrité physique et psychique.
Nous aboutissons à une définition rigoureuse du consentement. Celui-ci doit être libre, car sans contrainte ; éclairé, car avec discernement ; spécifique, car qui consent une fois peut ne pas consentir chaque fois, et qui consent pour une chose peut ne pas consentir pour d'autres ; préalable, car cette question se pose avant ; révocable, car il n'est ni définitif ni absolu. Autant de critères précis pour les magistrats.
À Mazan, nombre d'accusés ont adopté cette stratégie de défense : « on pensait qu'elle était consentante ». Demain, ces critères seront appréciés au regard des circonstances ? notion plus adéquate que celle de contexte. Il y aura un avant et un après Mazan.
Nous voterons ce texte avec conviction. Aura-t-il un impact ? Fait-il courir un risque ? Tout le travail mené reflète le sérieux, la rigueur et le caractère transpartisan d'une loi qui n'instaure ni présomption, ni renversement de la charge de la preuve.
Loin d'instaurer une société du soupçon ou de contractualiser les relations sexuelles, ce texte consacre la nécessité de se focaliser sur le consentement, inscrit dans le marbre de la loi pénale. Cela permettra de prendre en compte l'état de sidération qui concerne environ 70 % des victimes de viol, selon le Dr. Muriel Salmona.
Les générations qui nous suivent vivront-elles dans une société du respect ? Avec Mmes Riotton et Garin, présentes en tribune et que je salue, nous y aurons contribué. On nous reproche parfois des lois inutiles ou des lois d'émotion ; ici, c'est un vote décisif qui peut changer les parcours de vie, pour une justice plus humaine. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et INDEP ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. André Guiol applaudit également.) Je ne peux que remarquer l'absence au banc du garde des sceaux et de la ministre déléguée aux droits des femmes - pourtant présente à l'Assemblée nationale. S'agit-il d'un désintérêt pour le sujet ? Pour le Sénat ? Merci, madame la ministre, d'être là. Et merci à Bernard Buis, seul homme à être intervenu sur un sujet qui peine parfois à intéresser ces derniers, pourtant concernés au premier chef.
Ce texte va donc inscrire ce qui devrait être une évidence : sans consentement, il y a viol. C'est un combat ancien, jalonné de grands procès. Celui, à Aix-en-Provence, en 1978, des agresseurs de deux jeunes femmes belges violées près de Marseille. Gisèle Halimi, avocate des parties civiles, les convainquit de refuser le huis clos. Ce fut une première prise de conscience. En 1980, Brigitte Gros, sénatrice de la Gauche démocratique, fit adopter une proposition de loi, en rappelant que le viol est sans doute la seule infraction où la victime est présumée coupable, à tout le moins suspecte.
Puis un deuxième procès vint mettre en lumière ce sujet. Gisèle Pélicot, partie civile, refuse, elle aussi, le silence, le huis clos. La France, effarée, prend conscience de ce qu'on a appelé la culture du viol.
Que de chemin parcouru en 45 ans ! Un changement de cadre juridique, mais aussi de regard. Nous passons d'une culture du viol, où le corps des femmes est considéré comme disponible, à une culture du consentement. Le consentement devient le coeur de la définition du viol. Il devra être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable, et son absence suffira à caractériser l'infraction.
Nous assurons par ce texte la pérennité d'acquis jurisprudentiels. La CEDH a condamné la France, considérant son cadre juridique non conforme à ses obligations. Ce texte prend acte de nos manquements.
Je salue le remarquable travail transpartisan autour de ce texte, dans une séquence politique complexe. Je remercie les rapporteures de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il a fallu beaucoup de ténacité, d'obstination, mais nous y sommes. Le Sénat, fidèle à sa mission, a amélioré quelques rédactions.
Soyons lucides : cette loi ne résoudra pas tout. Il faut des moyens. Chaque année, en France, on dénombre 230 000 viols et tentatives de viol, pour moins de 8 000 condamnations ; 90 % des victimes ne déposent pas plainte ; 80 % des plaintes formulées font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite. Nous devons aider les associations d'aide aux victimes et les associations féministes, que je salue.
Ce texte ne réparera pas toutes les injustices mais met fin à une hypocrisie. Il dit que le corps n'est jamais à disposition, que le consentement n'est jamais implicite, que la parole des femmes mérite toujours d'être crue. En l'adoptant, nous rendrons hommage à Gisèle Pélicot, Anne Tonglet et Aracelli Castellano, à toutes celles qui ont refusé le silence et à celles qui ont dû s'y résoudre. Le groupe socialiste le votera. (Applaudissements)
Mme Silvana Silvani . - Chaque année, en France, 230 000 femmes sont victimes de viol, de tentatives de viol ou d'agressions sexuelles. Seules 6 % des victimes portent plainte et moins de 1 % des violeurs sont condamnés. Nous ne pouvons plus détourner le regard de ce fléau.
Si les grandes affaires de Bobigny et d'Aix ont fait bouger les lignes, la France, pays des droits de l'homme, n'est pas encore celui des droits des femmes.
Nous partageons le combat contre la culture du viol et pour la libération de la parole des victimes, et saluons l'intention de ce texte.
Mais nos interrogations demeurent. Modifier la définition pénale du viol pour y insérer le consentement a des conséquences complexes. Les juges savent déjà manier cette notion avec souplesse pour reconnaître la sidération ou l'emprise, certaines affaires récentes l'ont prouvé. Le centre du procès ne risque-t-il pas d'être déplacé non plus sur les actes de l'agresseur mais sur le comportement de la victime ? Combien de fois a-t-on entendu, dans un commissariat ou une salle d'audience : « elle n'avait pas dit non », « il ne savait pas qu'elle n'était pas consentante » ? Dans l'affaire de Mazan, certains ont même osé parler de « viol involontaire » dès lors que Gisèle Pélicot, droguée, n'avait pas dit non !
Le procès d'un violeur ne doit pas devenir celui de la victime. Or c'est à la plaignante de démontrer qu'elle n'a pas consenti ! On culpabilise les victimes au lieu de protéger leur dignité.
Nous devons faire bien plus pour lutter contre les violences sexistes. La culture du viol prend ses racines dans notre société patriarcale. D'où l'urgence d'adopter enfin la loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles réclamée par les associations féministes. C'est le manque criant de moyens et de volonté politique qui permet à 99 % des violeurs de ne jamais être condamnés. Il manque chaque année 2,6 milliards d'euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, dont 332 millions pour les violences sexuelles.
Protéger nos filles, nos femmes ne devrait pas avoir de prix. Il faut une véritable politique continue et coordonnée, pilotée au plus haut niveau, impliquant tous les ministères concernés ; il faut une vraie politique de prévention dans tous les milieux, une formation obligatoire des professionnels, des structures d'accueil spécialisées, des juridictions dédiées, une prise en charge pour toutes les victimes. Nous partageons les intentions du texte mais regrettons ses effets de bord ainsi que l'absence d'étude d'impact et surtout de moyens. C'est toute notre stratégie contre les violences faites aux femmes qu'il faut repenser. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; MM. Hussein Bourgi, Akli Mellouli et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER) Je salue la présence en tribune de Mmes Garin et Riotton, ainsi que toutes les personnes qui nous ont accompagnées sur ce long chemin.
Le vote de ce jour est une grande victoire féministe. Jusqu'ici, le fait de ne pas consentir à un acte sexuel ne suffisait pas à qualifier cet acte d'agression sexuelle ou un viol. Il fallait faire la démonstration de la violence, de la menace, de la contrainte ou de la surprise - ce qui est souvent impossible, surtout quand la victime n'a rien dit, rien fait, sinon sauver sa vie en sortant un temps de son corps violé.
Les classements sans suite nourrissent l'impunité, l'impunité nourrit les viols suivants, quotidiens, banals, normalisés. On nous a dit que le consentement était implicite dans le code pénal. Si tel était le cas, nous n'aurions pas passé deux ans à nous battre pour le rendre explicite !
Plus grave encore : tout ce qui dans la société normalise, justifie, encourage le viol. Notre code pénal en faisait partie. En droit, il y avait une présomption de disponibilité du corps des femmes, une forme de présomption de consentement. La société disait aux femmes que, jusqu'à preuve du contraire, leur corps était disponible.
Écrire que l'absence de consentement suffit à définir le viol ne devrait pas être nécessaire. Le consentement ne figure pas dans la définition pénale du vol : le policier, le juge, suppose qu'évidemment, si vous n'avez pas donné votre sac, c'est que vous ne vouliez pas que le voleur vous le prenne ! Cela va sans dire. Pour nos corps, cela ira mieux en le disant.
Le Parlement doit dire ce que la société ne dit pas, ou pas assez : si une femme ne dit pas oui, c'est non ; si elle dit oui parce qu'elle a peur ou pour avoir la paix, c'est non. Le seul oui qui vaille est un oui libre.
Nous vivons depuis des siècles dans la culture du viol ; construisons dès ce soir la culture du consentement. Pour que nos filles, nos nièces n'aient pas à vivre ce que nous avons vécu ; non pour qu'il y ait plus de violeurs en prison, mais qu'il y ait moins de violeurs dans nos vies.
Tout ne changera pas demain. Mais la mobilisation autour du terme « consentement » trouve ici un débouché politique qui pourra devenir un changement social. Alors que les droits des femmes régressent, cette victoire peut surprendre. En deux ans, les féministes en France ont réussi à inscrire l'IVG dans la Constitution et le consentement dans le code pénal. Même quand le pays est au bord du gouffre, il y a des parlementaires féministes, des associations féministes, des militantes capables de se mobiliser et de gagner. Grâce à vous toutes, nous allons faire un pas sur le chemin d'une société moins violente et plus égalitaire. Demain, nous célébrerons d'autres victoires. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDPI ; Mmes Michelle Gréaume et Olivia Richard applaudissent également.)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) « Le viol, c'est forcer quelqu'un, l'attacher. On est des violeurs dans les faits mais pas dans l'âme », ont dit les violeurs de Mazan, tentant de diluer les responsabilités. « À quel moment vous ai-je donné mon consentement ? » leur a répondu Gisèle Pélicot.
Chargée avec Sandrine Josso d'un rapport sur la soumission chimique, j'ai mesuré l'indicible réalité des agressions sexuelles. Cette loi participe à rendre visible ce que la société préfère cacher, à combattre ce déni millénaire, à mettre fin à l'impunité.
Notre société questionne les silences du droit face aux violences sexuelles. Le long silence juridique sur l'inceste - nommé en 2010, reconnu comme infraction autonome en 2021 - en dit long sur le retard du droit face à la réalité vécue. Le droit est instrument de sanction mais aussi langage collectif. Ne pas nommer, c'est ne pas reconnaître. Reconnaître, c'est un premier pas vers la réparation.
Ce texte ne crée pas une nouvelle incrimination mais affirme une évidence : un acte sexuel n'est licite qu'à condition d'un consentement libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable.
Certes, la jurisprudence permettait déjà de sanctionner la majorité des situations visées, mais il fallait dire ce que la société attend : que le consentement ne se présume pas, ne se déduit pas du silence.
Notre délégation aux droits des femmes remettra tout à l'heure un prix aux avocats de Gisèle Pélicot. Leur travail a été déterminant, alors que le consentement était sans cesse remis en question par la défense.
Ce texte constitue une étape majeure pour un droit plus lisible, en phase avec les réalités des victimes et des professionnels de la justice. En retenant le terme « circonstances » pour définir le cadre d'appréciation, les rapporteurs ont conservé une souplesse interprétative.
Pour autant, un texte ne réglera pas tout. Aussi cette réforme mérite de s'inscrire dans un panorama plus large. Nous attendons avec impatience une loi-cadre sur les violences sexistes et sexuelles, assortie de moyens. (Mme Marie-Pierre Vedrenne le confirme.)
Ce texte mérite d'être voté et salué. Notre groupe l'approuvera. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées des groupes UC, Les Républicains et SER)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Hussein Bourgi applaudit également.) Quand vos enfants sortent le soir, donnez-vous les mêmes conseils à vos garçons qu'à vos filles ? Mesdames, qui d'entre vous n'a pas déjà changé de trottoir ou mis sa clé dans la main, arme dérisoire, quand vous vous trouvez seule dans la rue la nuit ?
Quel est ce monde où les femmes doivent adopter des stratégies pour éviter un regard, une remarque, un geste, une pression, un harcèlement, un viol ? Pour celles qui ont subi un viol, combien n'ont pu réagir, tétanisées par la peur ? Comment justifier ce silence ? Non, qui ne dit mot ne consent pas.
Il est des lois qui réparent, qui redonnent du sens. Je salue Mmes Riotton et Garin pour leur travail et leur ténacité. Depuis trop longtemps, la définition pénale du viol reposait sur la contrainte, la menace, la surprise ou la violence. En théorie, c'était une protection ; en pratique, une injustice. La justice s'intéressait non au comportement de l'agresseur mais à celui de la victime. Avait-elle bu ? Quelle tenue portait-elle ? S'était-elle débattue ? Pourquoi n'avait-elle pas résisté ? Double peine, donc, pour la victime : subir la violence, et devoir se justifier.
Avec ce texte, nous changeons de regard. Puisqu'il faut qu'il y ait eu consentement, la justice s'intéressera à l'auteur. Qu'est-ce qui a pu laisser penser qu'il y a eu consentement ? Immobilité, peur, sidération ne valent pas consentement. Une relation sexuelle n'a de sens que si elle est partagée. Le corps de l'autre ne peut être pris, ni supposé offert. Sinon, ce n'est plus une relation, mais un viol.
Encore fallait-il donner à cette reconnaissance un cadre clair. C'est tout l'enjeu du travail que nous avons mené, conciliant précision juridique et portée symbolique.
Cette loi nous oblige. Au-delà du droit, il y a l'éducation, la prévention, la parole. Il faut oser parler du consentement, du respect du corps, dans les familles, les écoles, les entreprises. Rappeler qu'aimer, séduire, désirer, ce n'est jamais imposer.
Je salue tous ceux qui oeuvrent pour accueillir la parole des victimes avec respect et faire progresser la société. Le Parlement est à vos côtés pour plus de justice. Je pense à celles et ceux qui n'ont pas pu parler et ressentent encore peur, honte et doute. Cette loi leur est destinée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et SER)
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois . - Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'évolution de la prise en compte des violences sexuelles dans notre société. Pendant longtemps, le silence s'est imposé sur ce qui se passait dans les alcôves ; il règne encore sur l'inceste. Ce silence est de moins en moins présent, les victimes s'expriment de plus en plus et sont de plus en plus écoutées.
L'évolution porte aussi sur la notion de consentement. « Qui ne dit mot, consent », a longtemps pensé le bon sens populaire. Aujourd'hui, on connaît la notion de sidération, qui rend la victime incapable d'exprimer un oui ou un non. Cela éclaire cette situation si douloureuse de l'agression sexuelle.
Pour autant, je ne crois pas qu'il y ait en France une « culture du viol ». (Mme Mélanie Vogel lève les yeux au ciel.)
Mme Laurence Rossignol. - C'est un écosystème !
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission. - La culture, c'est ce que l'on transmet. On ne transmet pas le viol à nos fils. La culture, c'est aussi ce qui transparaît dans nos règles de droit. Or nous votons des textes qui pénalisent toujours plus lourdement le viol et l'agression sexuelle. Le présent texte s'inscrit dans cette évolution.
Chacun sait, intuitivement, que lorsqu'il y a une agression sexuelle, il y a absence de consentement. La difficulté est d'utiliser cette notion du point de vue probatoire, sans que la charge ne repose sur la victime. Elle a été résolue par la rédaction retenue par les rapporteurs, inspirée par le Conseil d'État. J'espère que nous serons unanimes pour voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Mme la présidente. - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.
À la demande du groupe UC, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°9 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 327 | 
| Pour l'adoption | 327 | 
| Contre | 0 | 
La proposition de loi est adoptée définitivement.
M. Loïc Hervé. - Bravo ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC, INDEP, du GEST, du RDPI et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
 
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                            