Renouvellement du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure pour le Sénat de la CMP .  - Je le disais déjà lors de l'examen du texte en première lecture : le report des élections provinciales, qui permettent de renouveler les assemblées délibérantes des trois provinces et les membres du Congrès, n'est pas une question nouvelle. Ces élections ont déjà été reportées à deux reprises, au 15 décembre 2024 et au 30 novembre 2025.

Cette proposition de loi organique transpartisane vise à les reporter une troisième fois, au 28 juin 2026 au plus tard.

Le premier report, lié à la modification du corps électoral spécial, ne faisait pas consensus. Alors que nous avions alerté sur un passage en force, l'adoption du projet de loi constitutionnelle a provoqué de violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie à partir du 13 mai 2024, la mort de 14 personnes et la proclamation de l'état d'urgence le 15 mai. Le printemps et l'été 2025 ont été marqués par deux événements majeurs : un premier pas à Deva puis la signature d'un projet d'accord à Bougival, le 12 juillet, par l'ensemble des partenaires politiques, même si ce consensus a été ébréché dès le 9 août, avec le rejet de l'accord par le FLNKS.

Après quatre années d'impasse provoquées par le dernier référendum du 12 décembre 2021, ce projet d'accord, historique, offre enfin la perspective d'un avenir commun, redonnant espoir et confiance.

Nous avons également entendu les doutes légitimes et les critiques des opposants à ce projet d'accord. Dans un premier temps, au Sénat, nous avons modifié l'intitulé en ajoutant « afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre », afin de préciser que ce projet d'accord est une base solide et précieuse, restant à approfondir et amender. En CMP, dans cette logique de compromis, nous avons décidé d'aller plus loin, sur proposition de notre collègue socialiste Arthur Delaporte, en retirant la mention de l'accord de Bougival. La proposition de loi vise donc « à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ».

En juin 1988, les accords de Matignon étaient conclus entre Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur et Michel Rocard. Le 20 août 1988, ils étaient complétés rue Oudinot. Nous considérons que les bases posées à Bougival attendent une suite, une précision - en somme, leur Oudinot.

Avec Agnès Canayer, nous le redisons : ce report des élections locales ne doit pas être un passage en force. Il faut donner du temps au temps. Les discussions ne peuvent pas et ne devront pas se faire sans le FLNKS.

Nous saluons le retrait de l'ordre du jour du projet de loi constitutionnelle qui permettra le retour de tous les participants autour de la table afin que tous les habitants de la Nouvelle-Calédonie partagent enfin un destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Marc Laménie et Mikaele Kulimoetoke applaudissent également.)

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer .  - Cette proposition de loi organique est non pas un texte technique, mais un acte de responsabilité. Ce n'est pas un texte d'ajustement, mais une étape pour donner du temps, du sens et une direction claire au dialogue.

Les violences de mai 2024 ont profondément marqué les Néo-Calédoniens. Elles ont montré combien la paix restait fragile, et combien un accord global était nécessaire ; celui-ci a été signé à Bougival le 12 juillet 2025, après d'intenses négociations.

À l'origine, cet accord planifiait et justifiait le report des élections provinciales pour se donner le temps de définir l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : création d'un État de Nouvelle-Calédonie, d'une double nationalité française et calédonienne, transferts de compétences régaliennes et dégel d'une partie du corps électoral. Cette raison justifie encore un report en dépit du retrait du FLNKS. On ne peut faire semblant d'ignorer l'accord des autres composantes politiques, non-indépendantistes et indépendantistes, comme l'UNI-Palika.

Néanmoins, l'accord de Bougival doit être éclairé et complété. Aussi, maintenir les élections provinciales serait une erreur. Il faut du temps pour reconstruire la confiance. Ce texte ne reporte pas pour retarder, il reporte pour apaiser. Il ne s'agit pas de suspendre la démocratie, mais de la rendre possible. Il ne faut pas renoncer au consensus, mais lui donner une chance supplémentaire de se construire. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a approuvé ce choix à une large majorité. Le Conseil d'État en a confirmé la conformité à la Constitution. Nous avons une base concrète et solide : celle du terrain et celle du droit. Notre légitimité est à la fois démocratique et juridique.

L'accord de Bougival a rouvert le dialogue, en réunissant des acteurs qui ne se parlaient plus depuis des années : les loyalistes, le Rassemblement, Calédonie Ensemble, l'Éveil océanien, l'UNI-Palika et le FLNKS.

Cette proposition de loi donne le temps d'enraciner l'accord, sans le figer, sans passage en force, mais sans renoncement.

Bougival ne règle pas tout, mais il trace un cap, entre l'attachement à la France et le désir d'émancipation. L'organisation institutionnelle est adaptée à la réalité calédonienne. Ce dialogue doit se poursuivre, y compris avec le FLNKS. Je le répète : je ne veux pas faire sans le FLNKS, pourvu que le FLNKS ne fasse pas sans les autres partis. Je me rendrai ce week-end en Nouvelle-Calédonie.

Je sais que le Parlement partage cet état d'esprit : en témoigne le changement de l'intitulé du texte.

Je salue l'apport déterminante du Parlement sur ce texte, de son dépôt par six des huit présidents de groupe du Sénat, au compromis en CMP. Des parlementaires de sensibilité différente ont démontré qu'ils pouvaient se rassembler pour rechercher la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Il existe une large convergence entre les deux chambres pour reporter les élections et accompagner la mise en oeuvre de l'accord de Bougival. Le Gouvernement a entendu le message : poursuivre le dialogue, ne rien imposer, rien précipiter.

Aucun accord politique ne pourra tenir sans perspectives économiques et sociales. Le Premier ministre l'a dit, il n'y aura pas de paix durable sans développement. C'est pourquoi je prépare un plan d'investissement et de redressement pour le territoire.

Les accords de Matignon-Oudinot, l'accord de Nouméa ont posé les bases d'un dialogue historique. Bougival s'inscrit dans cette continuité. À chaque étape, la République a tenu sa parole. Seule la fidélité aux engagements permet de reconstruire la confiance, de réconcilier les mémoires et de tracer un avenir partagé.

Je tiens à m'adresser directement aux Calédoniens, à ceux des tribus, des quartiers, des îles Loyauté, de la Brousse et de Grande Terre, à ceux qui doutent, qui espèrent. Ce report n'est pas un recul mais une étape. Il ne retire rien à la démocratie, il ouvre un chemin politique. Le temps qui s'ouvre doit être mis à profit pour dialoguer.

L'État n'agira pas seul. Il tiendra parole. Une fois encore, les élus de la majorité et de l'opposition ont montré qu'ils savaient s'unir lorsque l'intérêt du pays et du territoire l'exigeait.

Ce texte n'est pas une fin en soi. Au contraire, il ouvre plusieurs portes, il offre un cadre pour une solution partagée et trace une méthode : humilité, dialogue, respect. En l'adoptant, vous poursuivrez la construction d'un destin commun pour la Nouvelle-Calédonie.

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.  - Motion n°1 de M. Xowie et du groupe CRCE-K.

Mme Cécile Cukierman .  - Cette motion d'irrecevabilité constitutionnelle n'est ni un geste d'humeur ni une posture partisane, mais un acte de responsabilité démocratique, un cri d'alerte face à un texte imposé par la force, en violant la Constitution.

Nous dénonçons une pratique qui se répand : le dépôt, à l'Assemblée nationale, d'une motion de rejet préalable par deux députés du groupe Ensemble pour la république, non pour s'opposer au texte mais pour court-circuiter le débat parlementaire et faire taire l'opposition.

Ce n'est pas une première. Dans sa décision du 7 août 2025, le Conseil constitutionnel vous avait pourtant mis en garde : on ne peut utiliser des motions pour contourner les règles. Non, la « motion de rejet positive » n'existe pas ! Elle n'est ni constitutionnelle ni réglementaire.

Le 2 juin dernier, vous aviez déposé la même motion pour contourner le débat sur l'A69 ; déjà, le Conseil constitutionnel vous avait mis en garde. Utiliser trois fois cet artifice de la question préalable est excessif. Vous violez la Constitution et le droit d'amendement des parlementaires. C'est une atteinte grave au fonctionnement normal du Parlement et à la Constitution. Notre groupe dénonce cette manoeuvre : il est de notre devoir de protéger le Parlement et la Constitution. Le Premier ministre annonce renoncer à l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution, mais ne se prive pas d'utiliser d'autres stratagèmes encore plus antidémocratiques pour arriver à ses fins.

Vous vous exposez aux mêmes déboires avec ce texte.

Autre violation de la Constitution : ce texte a été inscrit à l'ordre du jour par un gouvernement démissionnaire. Or depuis la décision du Conseil d'État de 1952, un gouvernement démissionnaire ne peut qu'expédier les affaires courantes, en aucun cas prendre des initiatives législatives majeures comme un projet de loi organique qui modifie un calendrier électoral ! « Retarder pour apaiser », dites-vous ? Ce concept m'échappe, car il n'a aucun fondement réel.

La décision du Conseil constitutionnel du 19 septembre dernier a confirmé la constitutionnalité du gel du corps électoral. Les sages ont rappelé la valeur constitutionnelle de l'accord de Nouméa, qui le prévoit. Ce gel n'est donc pas caduc, et ce troisième report n'est pas justifié. Le Gouvernement ne peut se prévaloir de l'urgence.

Une note du secrétariat général du Gouvernement du 2 juillet 2024 confirme cette analyse : elle appelait à une extrême prudence pour un gouvernement démissionnaire. Un tel texte n'entre pas dans la catégorie des affaires courantes.

Violation des compétences du Parlement et du Gouvernement : ce choix politique est regrettable, car il se fait aux dépens du peuple kanak, qui a subi à plusieurs reprises le mépris de Paris.

Reporter les élections provinciales c'est lui retirer la parole. Ni le peuple français ni le peuple kanak ne méritent un tel sort. Avant les événements tragiques de mai 2024, M. Lecornu, alors ministre des outre-mer, avait déclaré : « en démocratie, les élections se tiennent à l'heure. » Mais en démocratie, la parole du peuple est écoutée et les institutions respectées. Il n'est pas trop tard pour donner au peuple kanak l'occasion de choisir ses représentants.

Madame la ministre, vous bafouez le droit international et les résolutions de l'ONU, vous violez notre Constitution, vous vous entêtez dans une voie sans issue.

Chers collègues, que diriez-vous si un gouvernement étranger violait sa Constitution, le droit international et refusait le débat démocratique au sein de son Parlement pour éviter l'expression du suffrage d'un peuple colonisé qui réclame son indépendance depuis deux siècles ? Voilà la situation actuelle ! Nous devons mettre fin à ces pratiques anticonstitutionnelles dangereuses pour notre République, notre démocratie et notre État de droit.

Certes, le Parlement a travaillé sur ce texte, mais la démocratie locale est bafouée. Hier, à l'Assemblée nationale, l'écart était seulement de quinze voix pour voter le texte : le Parlement est loin d'être unanime, tout comme les femmes et les hommes vivant en Calédonie. Cette capacité à passer outre révèle une fébrilité, non une volonté d'avancer.

Au nom du groupe CRCE-K, au nom de la Constitution, au nom du peuple kanak, je vous demande de voter cette motion d'irrecevabilité. Ce n'est pas un acte de blocage, mais un acte de sauvegarde du droit, de la démocratie et de la République. La Constitution doit être notre métronome, même quand l'exécutif tente de la contourner. C'est notre devoir collectif de la défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)

Mme Agnès Canayer, au nom de la commission des lois.  - La commission des lois a émis un avis défavorable à cette motion.

Nous connaissons les arguments du groupe CRCE-K contre le report des élections, mais cette motion n'est pas l'outil pour s'opposer à ce texte qui ne pose aucune difficulté constitutionnelle : le Conseil d'État, dans son avis du 4 septembre dernier, estime qu'il y a bien un motif d'intérêt général pour ce troisième report. (M. Akli Mellouli proteste.) L'accord de Bougival ouvre la voie d'un compromis le plus large possible.

Le Gouvernement a repris la procédure le 12 octobre dernier. La navette parlementaire a bien eu lieu. Le texte adopté en CMP est le texte adopté par le Sénat, nonobstant la modification de l'intitulé du texte.

Le Conseil constitutionnel se prononcera sur la constitutionnalité du texte.

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Avis défavorable.

Madame la présidente Cukierman, je ne peux vous laisser tenir certains propos sur ce qui s'est passé la semaine dernière. Deux députés LFI ont déposé près de 2 000 amendements, sans aucun contenu sur le fond.

M. Laurent Burgoa.  - Ils ont du temps à perdre !

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Ils assumaient une stratégie d'obstruction. Soutenir qu'un déni de démocratie a eu lieu est grave : le blocage, voilà le déni de démocratie. Cette tentative, c'est du jamais-vu dans le dossier calédonien !

La CMP est parvenue à un accord, l'Assemblée nationale a adopté les conclusions de la CMP. Au tour du Sénat ce soir.

M. Akli Mellouli.  - On ne l'a pas adoptée !

Mme Naïma Moutchou, ministre.  - Nul blocage, nul passage en force, donc.

Sans report, la situation serait grave : s'il fallait organiser des élections dans le climat de tension actuel, le blocage surviendrait, inévitablement, et tout le processus tomberait. (M. Akli Mellouli proteste.)

Nous formons le voeu d'un accord global, avec tous.

Mme Cécile Cukierman.  - Ni vous ni moi ne pouvons prédire la situation de la Nouvelle-Calédonie en juin prochain.

Il n'y aurait aucun déni de démocratie ? Ils sont nombreux, et dépassent le cadre de ce texte. Vous pouvez vous en prendre à un groupe de l'Assemblée nationale. Mais, dans une démocratie, quand ceux qui perdent les élections continuent de gouverner, quand on estime que ce n'est jamais le moment d'organiser les élections, alors même qu'on a imposé un référendum après le covid tandis que la population locale demandait le report pour respecter les temps de deuil, je veux bien entendre des leçons ! Mais dans n'importe quel autre pays, cela s'appellerait une dictature !

Continuons de croire que tout va bien, et que sans le 49.3, le Parlement a retrouvé ses pouvoirs ! Certes, le Gouvernement ne fait pas obstruction par voie d'amendement. Mais il prend un temps exceptionnel pour utiliser les précieux soixante-dix jours de délai du budget. Les députés EPR commentent chaque amendement ! Vous et moi connaissons les procédures, madame la ministre. Nous n'avons pas de leçons à recevoir : ces pratiques du Gouvernement et l'organisation des travaux parlementaires sont indignes de la démocratie.

M. Akli Mellouli.  - Rétablissons les faits. Ce texte a été déposé bien avant l'accord de Bougival. Votre prédécesseur a indiqué qu'il s'agissait d'un protocole d'accord.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure.  - Il a été déposé un mois après !

M. Akli Mellouli.  - Essayons d'élever le débat : n'utilisez pas les oripeaux de la démocratie pour masquer un passage en force. Soyons en phase avec nos convictions et nos valeurs !

La motion1 est mise aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°10 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption   34
Contre 308

La motion n°1 n'est pas adoptée.

Vote sur l'ensemble

Mme Audrey Linkenheld .  - Ce texte, d'initiative sénatoriale, fait consensus, à défaut d'unanimité. Parler de la Nouvelle-Calédonie suppose de la sérénité et de la clarté. À nous de veiller collectivement à favoriser un dialogue sincère et constructif, afin que les enjeux soient compris de tous et que les habitants de la Nouvelle-Calédonie ne se sentent pas spectateurs de leur propre destin.

Les modifications introduites au Sénat et par la CMP ont porté sur son intitulé. La proposition de loi organique vise à permettre la poursuite des discussions en vue d'aboutir à un consensus.

Nommer un texte n'est pas un simple choix de vocabulaire. Cette démarche de clarification, inspirée par le groupe socialiste à l'Assemblée nationale, prend en compte la réaction du FLNKS, qui a perçu une contradiction de l'État : d'un côté, les ministres des outre-mer déclaraient ne pas vouloir agir sans le FLNKS. De l'autre, le report des élections était le premier acte de l'accord de Bougival, rejeté par le mouvement indépendantiste. Même si des échanges bilatéraux perdurent, le FLNKS n'est pas revenu à la table des discussions. Le projet du 12 juillet n'était qu'un accord conditionnel, dont l'entrée en vigueur dépendait de la validation des forces politiques calédoniennes sur le terrain. Les positions demeurent contrastées, mais chaque camp souhaite conserver le fil ténu du dialogue.

Le nouvel intitulé adresse un message d'apaisement : l'accord est une base de discussion pour poursuivre la négociation.

Difficile d'imaginer les forces politiques calédoniennes repartir de zéro : l'accord du 12 juillet reste un projet à finaliser, et non à sacraliser. Le Gouvernement a annoncé le retrait du projet de loi constitutionnelle déposé au Sénat le 14 octobre dernier : autant de signes destinés à éviter le passage en force et à rassurer les indépendantes. Le groupe SER votera ce texte.

Organiser des élections en novembre ne ferait que cristalliser les tensions.

Comment redonner un avenir économique à la Nouvelle-Calédonie sans stabilité politique et institutionnelle ?

Nous restons fidèles à la méthode de Michel Rocard et Lionel Jospin (M. Akli Mellouli s'exclame) : celle du dialogue, du respect, de l'impartialité de l'État et de la progressivité, qui a permis de maintenir la paix civile pendant plus de trente ans.

L'accord du 12 juillet doit mûrir et intégrer les évolutions nécessaires sur les points essentiels connus de tous : reconnaissance de l'identité kanak, transfert de compétences, principe de l'autodétermination, afin que le processus de 1988 aboutisse enfin à une décolonisation réussie.

M. Robert Wienie Xowie .  - Le résultat du vote de ce soir est déjà connu. Je regrette que le Sénat n'ait pas su entendre les alertes du FLNKS et qu'il n'ait pas été à la hauteur du moment.

Ma parole ne pèse peut-être pas lourd dans cet hémicycle. Mais je tiens à rappeler que nous engageons à nouveau notre responsabilité collective sur un chemin qui n'a toujours pas mené au consensus ; un chemin qui marginalise le FLNKS, représentant légitime d'un peuple colonisé, dont la parole devrait être au centre de toute décision le concernant.

Ne nous imposez pas le moment ou la raison d'un report des élections selon vos critères. Il faut cesser de décider à notre place ! Ce cri, tous les territoires ultramarins l'ont déjà formulé, maintes fois : nous voulons être considérés comme des partenaires à part entière.

La CMP a validé le report des élections provinciales et modifié l'intitulé du texte pour ne plus mentionner l'accord de Bougival. On nous explique qu'il faudrait donner du temps pour relancer les discussions en espérant un consensus. Mais qu'est-ce qui nous empêche de tenir les élections et de discuter plus sereinement avec des élus légitimes ?

Le Parlement ne devrait pas être un lieu où l'on fait taire les voix qui dérangent. À l'Assemblée nationale, une motion de rejet préalable a été utilisée pour bloquer tout débat. C'est, au mieux, un mauvais signal, au pire, un détournement de procédure. On a joué des règles pour neutraliser le Parlement.

La Kanaky n'est pas un chapitre secondaire de notre ordre du jour. C'est un pays où s'écrit, depuis des décennies, un processus de décolonisation encadré par nos accords de Matignon et Nouméa. Ils ont permis la reconnaissance des droits du peuple kanak, l'émergence d'une citoyenneté propre et une paix civile à laquelle nous tenons tous.

Chaque fois que nous avons voulu décider depuis Paris, sans consensus, nous avons ravivé les tensions. Qui peut oublier ce que l'entêtement des parlementaires a coûté l'année dernière ? Faut-il vraiment rejouer cette séquence ?

Reporter n'apaise rien. Reporter prolonge l'incertitude, délégitime les exécutifs en place et enfonce le pays dans la défiance. Reporter, ce n'est pas donner du temps au temps ; c'est confisquer le temps du peuple.

Ce qui fait défaut, c'est la volonté politique d'écouter le pays et de renouer avec l'esprit du consensus. Le texte n'est donc plus lié à Bougival - mais si les mots ont changé, la méthode demeure. Pour reprendre les mots d'Édouard Wamai, chanteur calédonien, « rien n'a sazé ». On demande au Parlement de couvrir une trajectoire déjà tracée, en évitant le débat et en neutralisant les amendements.

Le groupe CRCE-Kanaky refuse cette politique du fait accompli ! Notre devoir est simple : rendre la parole au peuple. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST ; M. Mikaele Kulimoetoke applaudit également.)

M. Akli Mellouli .  - Une fois de plus, le Gouvernement revient devant le Parlement pour reporter les élections locales en Nouvelle-Calédonie. Une fois de plus, on nous demande de valider une décision unilatérale prise à Paris au nom d'un dialogue à poursuivre.

Mais quel dialogue en l'absence d'écoute réelle ? L'État décide seul ; il consulte pour la forme mais n'entend rien. Ce texte est une mesure d'arrogance. L'absence d'écoute et de respect empêche tout accord. Le Gouvernement n'a rien appris et continue de recourir à des réflexes autoritaires. Ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu disait pourtant que, dans une démocratie, on tient les élections à l'heure...

Cette volte-face traduit une défiance profonde à l'égard du verdict populaire, une peur de la démocratie. Vous voulez suspendre le temps électoral pour préserver le statu quo. Mais on ne rétablit pas la confiance en passant en force ! Dans une démocratie, la légitimité ne se prolonge pas ; elle se renouvelle.

Ce report n'est pas un geste de dialogue, mais une manière de gagner du temps sans rien régler, au risque de raviver les tensions. La responsabilité du Parlement est d'éviter que le fil fragile du vivre-ensemble ne s'effiloche. L'histoire récente devrait nous rendre humbles, pas arrogants.

À l'Assemblée nationale, une motion de rejet a été adoptée pour étouffer le débat, faire taire les députés sur un sujet pourtant essentiel, dérober au regard public un débat qui mérite la transparence.

Si la République veut être respectée, elle doit respecter ses principes, respecter les peuples, respecter la parole donnée. Le GEST refuse le passage en force et appelle au vrai courage politique : celui du dialogue loyal. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K)

Mme Annick Girardin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.) Deux semaines se sont écoulées depuis que notre assemblée s'est prononcée en faveur du report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. D'aucuns parleront d'avancée. Je déplore pour ma part la méthode employée.

Il y a quinze jours déjà, le RDSE était mitigé sur la position à prendre. J'avais salué l'accord de Bougival, mais le FLNKS a fait volte-face.

Nous devons prendre nos responsabilités de parlementaires, mais de manière éclairée. Or ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale est incompréhensible et inacceptable. D'un côté, LFI a mené une absurde stratégie d'obstruction ; de l'autre, le député EPR de Nouvelle-Calédonie, soutenu par le socle commun, a fait voter une motion de rejet préalable. Deux attitudes contraires aux valeurs et coutumes calédoniennes, dans lesquelles le respect prévaut.

Le texte revient de CMP en ayant perdu son cap. Fallait-il évincer les accords de Bougival pour restaurer le dialogue ? Cette décision, prise sur l'initiative des socialistes, me pose question. L'amendement présenté par plusieurs présidents de groupe au Sénat, soulignant que l'accord pouvait encore être amendé, était la voie médiane à suivre pour que chaque partie soit considérée. Rien ne se fera sans le FLNKS, on le sait.

Bougival a marqué une nouvelle étape vers un avenir commun, sans remise en cause du droit à l'autodétermination du peuple calédonien. Le consensus indispensable ne sera pas plus facilement trouvé si l'on nie les paroles données et les signatures apposées. Les subterfuges et les écrans de fumée ne seront jamais une base solide de consensus.

J'entends qu'il faut donner du temps au temps. Soit. Mais, madame la ministre, il ne pourra pas y avoir de quatrième report.

Le RDSE votera ce texte, car on ne peut s'arrêter au milieu d'un chemin déjà très fastidieux. Je salue les propos mesurés, engagés et respectueux de Mme la ministre. Je souhaite que le Gouvernement ne revienne en aucun cas sur les bases du 12 juillet 2025 et que le FLNKS aborde les discussions à venir avec la volonté constructive que je lui connais. J'espère que l'État se donnera les moyens de respecter l'échéancier fixé par ce texte. Anéantir les espoirs qu'a suscités l'accord de Bougival, aussi imparfait soit-il, sans aller au bout du processus électoral pourrait être l'erreur de trop.

Monsieur Xowie, j'ai beaucoup apprécié de travailler pendant trois ans avec l'ensemble des partis politiques du territoire, dont le FLNKS ; je sais que le dialogue est pour eux une règle. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)

M. Olivier Bitz .  - Ce texte vise à repousser à nouveau les élections locales en Nouvelle-Calédonie. Je regrette l'obstruction qui, à l'Assemblée nationale, a empêché le débat de se tenir : 1 800 amendements sur trois articles !

Reste que repousser pour la troisième fois les élections n'est pas anodin du point de vue démocratique, surtout sans accord unanime des forces politiques calédoniennes ni débat à l'Assemblée nationale.

J'insiste : il faut que l'État reste dans une position d'impartialité à l'égard des acteurs locaux. Chaque fois qu'il en est sorti, la perspective d'une solution s'est éloignée. Chaque fois qu'on a tenté d'avancer sans consensus, la situation s'est enlisée, voire dégradée jusqu'à ce que des troubles ne surviennent.

Oui, repousser les élections apparaît aujourd'hui comme une nécessité. Rien ne serait pire que des élections tenues à la va-vite et dans de mauvaises conditions. Ce n'est pas satisfait sur le plan des principes, mais soyons pragmatiques et laissons du temps au dialogue.

Passer en force pour imposer l'accord de Bougival tendrait encore plus la situation. L'accord n'est pas abouti, et le dialogue doit se poursuivre. Il faut un consensus des forces politiques, comme en 1988 et 1998, en s'appuyant sur les acquis de Bougival.

La nouvelle formulation trouvée en CMP nous convient donc mieux et nous nous réjouissons du retrait du projet de loi constitutionnelle, de même que des propos de Mme la ministre, tournés vers le dialogue. Mettons à profit ce nouveau délai pour trouver les voies du consensus nécessaire à la construction d'un destin commun. (Applaudissements sur des travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Ce texte est la conséquence d'événements graves. Lors de trois référendums, avec des taux de participation supérieurs à 80 %, la Nouvelle-Calédonie s'est prononcée pour rester française. Le démarrage du dégel du corps électoral était prévu depuis longtemps. Mais, l'année dernière, la mobilisation d'une base radicalisée a conduit à une insurrection au bilan très lourd : dix mille habitants ont quitté le territoire, le PIB a baissé de 14 %, les investissements de 40 %. Voilà les conséquences du chaos. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) Certains pays en ont profité pour nuire aux intérêts de la France.

J'espère que l'accord de Bougival sera déterminant pour la suite. Premier accord depuis vingt-sept ans, il clôt le processus d'autodétermination et offre un cadre stable et pérenne, mais aussi une reconnaissance inédite au territoire, notamment à travers la citoyenneté calédonienne.

Nul ne peut se considérer comme gagnant ou perdant : c'est le signe d'un accord équilibré. Hélas, sous la pression d'une base radicalisée, le FLNKS s'en est retiré. L'accord reste pourtant soutenu par une large part des acteurs locaux.

Le report des élections est indispensable pour éviter le chaos et créer les conditions de la réussite de l'accord. Je condamne la tentative d'obstruction de l'extrême gauche à l'Assemblée nationale, conforme à sa stratégie du pire. Sans ce report, que se passerait-il sur place ? Nul ne peut répondre.

M. Akli Mellouli.  - Des élections !

M. Pierre-Jean Verzelen.  - Nous n'avons pas le droit de prendre en otage l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Agnès Canayer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Reporter des élections n'est jamais anodin, surtout quand c'est pour la troisième fois consécutive. C'est pourtant ce que nous nous apprêtons à faire, pour trois bonnes raisons.

D'abord, il faut donner du temps pour faire vivre l'accord préliminaire de Bougival, qui doit être la base du consensus le plus large possible. Certes, la voie de passage est étroite, mais c'est la condition de la paix civile et de la stabilité institutionnelle. Bougival n'est pas une fin en soi, mais une base solide. Ce report donnera du temps à la discussion, hors de toute pression électorale.

Ensuite, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a adopté, le 15 septembre dernier, une motion en faveur de ce report, par 39 voix sur 54 - tous les groupes ont voté pour, sauf le FLNKS. Quelle serait la légitimité d'une consultation à laquelle un cinquième des électeurs ne pourraient prendre part en raison du gel du corps électoral ? Madame la ministre, vous vous apprêtez à partir en Nouvelle-Calédonie : nous vous souhaitons de réussir dans votre recherche du consensus.

Enfin, il y a urgence. Le calendrier est extrêmement serré, et l'instabilité gouvernementale en métropole ajoute à la complexité. Sans report, il faudrait tenir les élections avant le 30 novembre : outre les difficultés techniques, un tel calendrier risquerait d'altérer les chances de réussite des négociations.

Convaincus que ce report donnera les meilleures chances de réussite au processus de Bougival, Les Républicains voteront le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Mikaele Kulimoetoke .  - Je remonterai le fil qui nous amène à entériner un nouveau report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.

En 1998, l'accord de Nouméa rappelle, dès la première ligne, la prise de possession de la Grande Terre que James Cook avait dénommée Nouvelle-Calédonie, en 1853. L'appropriation d'un territoire déjà habité par son peuple premier est souvent source de violences, mais aussi de négociations vers un avenir plus apaisé.

Le camp indépendantiste aspire à une décolonisation, terme qui peut parfois être galvaudé ou crispant, mais qui suggère un horizon et un moyen de refonder un lien social durable entre les communautés vivant aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie.

L'accord de 1998 appelle à une nouvelle étape, marquée par la pleine reconnaissance de l'identité kanak et un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté. Mais cette étape, que l'accord de Bougival a tenté de franchir, demeure difficile. Je déplore la procédure qui amène le Parlement à se prononcer sur des notions aléatoires telles que le « projet d'accord de Bougival », qui ne devrait plus exister juridiquement compte tenu du retrait d'un signataire. Voyez sur ce point l'audition récente de Manuel Valls à l'Assemblée nationale.

Le parcours de ce texte a été semé d'embûches ; cela ressemble à des manoeuvres vicieuses destinées à favoriser un camp. Le législateur doit faire preuve dans ce dossier de bienveillance et de neutralité, l'État ne peut être juge et partie. Notre rôle est de recueillir le voeu des Calédoniens et de l'officialiser.

La situation issue de la CMP laisse présager des difficultés, voire des tensions, préjudiciables à une mise en place sereine des élections provinciales. Il est urgent de replacer le consensus au centre.

Nous sommes amenés à nous prononcer sur un texte fondé sur un projet d'accord devenu caduc par la force des choses. Ce qui nous oblige à nous référer à nouveau à l'accord de Nouméa, qui prévoyait les élections en novembre 2025, donc avec le corps électoral actuel. Pensons avant tout aux Calédoniens, à tous les Calédoniens ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K)

Mme la présidente.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.

La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public de droit

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°11 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l'adoption 298
Contre   39

La proposition de loi organique est adoptée définitivement.

Prochaine séance demain, jeudi 30 octobre, à 10 h 30.

La séance est levée à 20 h 40.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 30 octobre 2025

Séance publique

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 30 à 16 heures

Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, M. Didier Mandelli, vice-président

1Proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez et plusieurs de leurs collègues (n°221, 2024-2025)

2. Proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national, présentée par Mme Cécile Cukierman, MM. Guillaume Gontard, Patrick Kanner, Fabien Gay, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté et plusieurs de leurs collègues (n°626, 2024-2025)