Disponible au format PDF Acrobat
Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Garantir la qualité des services de gestion des déchets
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi
M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission des finances
M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité
M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission des finances
Nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal
Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi
M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances
M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie
Mise au point au sujet d'un vote
Nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal (Suite)
M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances
M. Sébastien Martin, ministre délégué
Ordre du jour du mardi 4 novembre 2025
SÉANCE
du jeudi 30 octobre 2025
9e séance de la session ordinaire 2025-2026
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
La séance est ouverte à 10 h 30.
Garantir la qualité des services de gestion des déchets
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe CRCE-K.
Discussion générale
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi . - Chaque Français produit en moyenne huit fois son poids en déchets chaque année - soit 615 kg. En quarante ans, la quantité de déchets a doublé. Et entre 2000 et 2022, les dépenses de collecte et de traitement de ces déchets sont passées de 9,4 milliards à 21,6 milliards d'euros.
La collecte et le traitement des ordures ménagères sont un service public indispensable ; c'est particulièrement visible lorsque les éboueurs, si mal rémunérés, sont en grève.
Bien sûr, il faudrait réduire la production des déchets à la source - en réduisant la publicité ou le suremballage. Mais les gouvernements successifs ont été assez timides. Résultat : ce sont les collectivités territoriales qui sont en première ligne.
Les lois Grenelle de 2009 et 2010, la loi de transition énergétique pour la croissance verte et la loi Agec ont fixé comme objectif prioritaire la réduction des déchets.
La tarification incitative, qui encourage les usagers à modifier leurs comportements, concernait 6 millions de personnes et 200 collectivités en 2022. La taxe d'enlèvement des ordures ménagères incitative (Teomi) est toujours fonction de la valeur locative du logement, mais on lui adjoint une part variable en fonction du volume déchets produits. La redevance d'enlèvement des ordures ménagères incitative (Reomi) se compose d'une part fixe et d'une part variable qui est fonction du volume de déchets produits et de la composition du foyer.
La majorité des collectivités ayant opté pour une tarification incitative ont choisi la redevance, dont les résultats sont meilleurs : avec la tarification incitative, on réduit les déchets à 234 kg par personne et par an, mais à 134 kg avec une redevance ! À Besançon, elle a permis de réduire de moitié la production de déchets par rapport à 2008.
Mais aucune de ces méthodes de calcul ne prend en compte les revenus du foyer, ce qui pose une question de justice sociale.
Un rapport du Sénat de 2014 a montré qu'entre 1990 et 2010 la contribution des usagers a quadruplé. L'État augmente constamment la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), avec de lourdes conséquences pour le contribuable en bout de chaîne ! Le montant de la TGAP - 65 euros la tonne pour les déchets enfouis - pourrait passer à 105 euros en 2030, mais les collectivités n'en profitent pas, alors qu'elles vont subir entre 240 et 450 millions d'euros de surcoût d'ici à 2030.
Et le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 ne nous rassure pas, avec une nouvelle baisse du fonds vert, déjà divisé par deux entre 2024 et 2025. L'État se désengage et les contribuables paient la facture !
Les collectivités gestionnaires doivent pouvoir inclure des critères sociaux dans leur grille tarifaire, car la transition écologique emporte des risques sociaux pour les plus modestes. Je vis cette réalité dans mon département, la Dordogne : des associations d'usagers se sont créées pour réclamer plus de justice et d'équité. Permettons aux collectivités qui le souhaitent d'instaurer une tarification sociale, à l'instar de ce qui est possible sur l'eau et la petite enfance, notamment.
Les familles modestes ne sont pas les seules à être touchées : les ménages avec des enfants en bas âge, les personnes incontinentes et les associations caritatives sont aussi concernés.
La guerre des poubelles aura-t-elle lieu ? Oui si nous continuons à ignorer la colère de nos concitoyens : plus ils trient, plus ils paient ! La transition écologique doit être un levier de solidarité, pas d'inégalité !
L'article 1er prévoit une tarification sociale, tenant compte des revenus et de la composition des ménages. Non, monsieur le rapporteur, il ne s'agit pas d'un droit à produire davantage de déchets et les collectivités sont tenues au secret s'agissant des données fiscales ou médicales des ménages.
L'article 2 propose un point d'apport volontaire (PAV) pour 200 habitants, conformément à l'avis du ministère de la transition écologique du 9 décembre 2023.
Faisons confiance aux élus locaux, en respectant la libre administration des collectivités locales. (Applaudissements à gauche ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. - Exactement !
M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission des finances . - La gestion des déchets constitue un défi logistique, écologique et budgétaire pour nos territoires. Chaque année, 559 kg par personne sont collectés et nous ne parvenons plus à réduire significativement notre production.
Le législateur a choisi de faire confiance aux collectivités. Les communes peuvent assumer l'intégralité de la compétence - cela ne concerne plus que six communes, souvent insulaires - ou de transmettre à un EPCI ou à un syndicat mixte tout ou partie de cette compétence. Depuis la loi NOTRe, la collecte et le traitement des déchets sont une compétence obligatoire des EPCI.
Les 1 169 structures chargées de la collecte des déchets peuvent choisir de financer le service via la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (Teom), qui résulte de l'application d'un taux à la valeur locative du bien. Ce mode de financement, choisi par 63 % des collectivités ou groupements compétents, favorise une relative équité sociale, mais décorrèle le montant payé du service rendu : les usagers ne sont pas incités à diminuer leur production de déchets.
Les collectivités peuvent aussi retenir la redevance d'enlèvement des ordures ménagères (Reom), qui ne prend pas en compte la valeur du bien immobilier et donc les revenus du foyer, mais qui pousse à réduire la quantité de déchets produits.
Afin de réduire les déchets, le législateur a prévu une part incitative, variable, en vue de réduire la production de déchets ultimes. Mais la Teomi et la Reomi sont encore peu fréquentes : la Teom classique concerne 72 % des Français.
Les collectivités territoriales jouissent d'une relative latitude pour organiser la collecte : porte-à-porte, PAV, voie souterraine, voie fluviale, etc. Cette diversité est le reflet de la diversité de nos territoires.
Cette proposition de loi a le mérite de soulever des enjeux importants, mais la commission des finances, dans sa grande majorité, ne partage pas les solutions préconisées.
La démarche consistant à intégrer des critères sanitaires ou sociaux dans le calcul de la Teom ou de la Reom est séduisante, mais elle serait source de très nombreuses difficultés pratiques.
Votre proposition, en créant un droit renforcé à produire davantage de déchets, pourrait avoir un effet contreproductif sur l'environnement. (Mme Colombe Brossel le conteste.) Ce n'est pas parce qu'on a moins de revenus que l'on ne doit pas réduire sa production de déchets.
Autre problème : l'accès de certains organismes à des informations confidentielles telles que la situation fiscale des foyers concernés.
Il n'est pourtant écrit nulle part dans la proposition de loi que la Teom ou la Reom diminuera pour les ménages modestes...
Mme Cécile Cukierman. - Il faut présenter un amendement !
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - Elle augmentera seulement pour les classes moyennes ou aisées. Il n'y aura donc aucun effet sur le nombre d'impayés.
La proposition de loi vise aussi les personnes incontinentes. Comment mesurer la part des déchets liés à ce problème de santé ? Faudra-t-il transmettre un certificat médical ?
On risque de tout complexifier, notamment pour les collectivités, qui n'ont pas besoin de nouvelles normes. « Hypercomplexification » est revenu à maintes reprises lors des auditions.
Le maillage minimal d'un PAV pour 200 habitants serait extrêmement contraignant, alors que la collecte repose très souvent sur des modalités mixtes. Et pourquoi une même densité pour tout le territoire ? Zones urbaines et rurales n'ont pas les mêmes caractéristiques, sans parler de la montagne ! Rue de Vaugirard, il faudrait un bac de collecte tous les 50 mètres ! (Mme Marie-Claude Varaillas s'agace ; Mme Cécile Cukierman ironise.) Ne contraignons pas davantage les décideurs locaux. Le droit actuel répond déjà à la diversité des situations.
Enfin, la création d'un comité des usagers à l'article 3 est satisfaite par le droit existant.
La proposition de loi a le mérite de lancer le débat, mais la commission des finances vous propose de rejeter les articles comme les amendements. (MM. Vincent Capo-Canellas et Stéphane Le Rudulier applaudissent.)
M. Michel Fournier, ministre délégué chargé de la ruralité . - Je suis heureux de m'exprimer pour la première fois devant votre assemblée sur un sujet aussi concret et essentiel.
La proposition de loi ouvre le débat de la qualité du service rendu et des conditions dans lesquelles les collectivités peuvent l'assurer.
Le Gouvernement partage l'objectif, mais diverge sur les moyens.
Nous partageons tous l'objectif de renforcer l'équité, au bénéfice des plus modestes. Mais la tarification sociale n'est pas la réponse la plus adaptée. D'abord parce que la tarification initiative vise à responsabiliser les usagers : son objectif n'est pas de moduler la charge fiscale, mais d'encourager la réduction des déchets. Créer une tarification sociale brouillerait le message « moins on produit, moins on paye », créerait une rupture d'égalité devant les charges publiques et instituerait un traitement différencié selon les territoires.
Mme Cécile Cukierman. - Cela s'appelle la libre administration et la différenciation !
M. Michel Fournier, ministre délégué. - Les obstacles juridiques et pratiques sont importants. Comment identifier les foyers concernés ? Comment articuler ce dispositif avec la Teom et la Reom ? Comment traiter les situations liées à des problèmes de santé ? Tout cela complexifiera la vie des collectivités locales. Résultat : une réforme difficile à appliquer, peu lisible pour les usagers et fragile sur le plan juridique. (Mme Cécile Cukierman ironise.)
La solidarité peut trouver d'autres leviers, plus efficaces : les aides sociales des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (CCAS et CCIAS) et le fonds de solidarité logement (FSL), entre autres.
Tout en saluant l'intention de justice sociale, le Gouvernement émet donc un avis défavorable à l'article 1er, par cohérence avec l'objectif environnemental de la politique publique des déchets.
Le Gouvernement partage le constat du rapporteur sur l'article 2. Le droit en vigueur confie aux maires la responsabilité d'établir les modalités de collecte des déchets. Il appartient aux groupements de communes de déterminer le nombre de PAV nécessaires. Imposer un ratio national serait délicat - je pense à ma commune, où l'habitat est dispersé - et reviendrait à nier les réalités locales et la marge d'appréciation des élus locaux. En outre, des modes de collecte complémentaires existent. En tant qu'élu local, je considère qu'une telle disposition introduirait une contrainte supplémentaire, à rebours des demandes de plus grande souplesse des élus.
Mme Marie-Claude Varaillas. - C'est bien le sujet !
M. Michel Fournier, ministre délégué - Plutôt qu'un seuil rigide, le Gouvernement préfère renforcer l'accompagnement technique des collectivités, par les agences et les services de l'État. Cette approche, pragmatique, permettra d'adapter le maillage à chaque territoire. Faisons confiance aux territoires, sans alourdir inutilement le cadre législatif. Nous sommes donc également défavorables à cette mesure.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Bien sûr...
M. Michel Fournier, ministre délégué - La création d'un comité des usagers du service public des déchets procède d'une intention louable : il est vrai que nos concitoyens aspirent à être mieux informés et impliqués.
Mais le droit en vigueur le permet déjà. Dans les communes les plus importantes, la commission consultative des services publics locaux (CCSPL) permet d'associer les citoyens. La majorité de ses membres peut demander l'inscription à l'ordre du jour de toute mesure d'amélioration du service public de gestion des déchets.
Dans les plus petites communes - j'en sais quelque chose -, le lien avec les habitants est plus souple et plus informel. (On ironise sur les travées du groupe CRCE-K.) La proximité y reste le meilleur garant de la participation citoyenne.
En outre, un article du CGCT permet à tout conseil municipal de créer un comité consultatif sur tout problème d'intérêt communal. L'outil juridique existe donc déjà ; il appartient aux collectivités qui le souhaitent de s'en saisir.
Créer un outil supplémentaire aboutirait à superposer des dispositifs, au détriment de la clarté de la concertation locale. N'oublions pas que nos administrés ne comprennent pas toujours le fonctionnement de nos collectivités.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet article.
Nous partageons l'objectif de réduction des déchets, mais le progrès ne passe pas nécessairement par de nouvelles obligations législatives. Il réside plutôt dans l'adaptation des outils à la réalité du terrain, le renforcement des actions pédagogiques, le partage des bonnes pratiques, la coopération entre les collectivités et la valorisation des initiatives réussies.
Le Gouvernement souhaite poursuivre le dialogue avec les collectivités territoriales et avec les parlementaires ...
M. Pierre Barros. - C'est bien parti !
M. Michel Fournier, ministre délégué - ...pour faire du service public de gestion des déchets un levier durable de la transition écologique et de la cohésion territoriale. (M. Olivier Paccaud applaudit.)
M. Alexandre Basquin . - Cette proposition de loi est de bon sens. Certes, la gestion des déchets est parfois nébuleuse ? autant de façons de faire que de territoires. Mais plus on trie plus on paie : les citoyens voient leur taxe ou leur redevance augmenter, tout comme les collectivités, qui voient leur TGAP progresser aussi.
Or ce marché des déchets est une aubaine particulièrement lucrative pour les grands groupes privés : le chiffre d'affaires de Veolia et de Suez s'élève respectivement à 3 et 2,5 milliards d'euros par an en France.
Cette proposition de loi répond à la demande de nombreuses collectivités, ainsi qu'à des considérations environnementales et sociales.
La tarification incitative a deux angles morts. D'abord, elle frappe beaucoup plus durement les personnes les plus fragilisées, du fait de leur condition : familles nombreuses ou avec enfants en bas âge, personnes âgées, personnes en situation de handicap, etc. Ensuite, la difficulté à se déplacer vers des PAV peut conduire à des dépôts sauvages ou au brûlage.
Il faut donc une massification des PAV et la mise en place d'une tarification sociale, comme cela se fait pour l'eau, les transports, les crèches, les cantines, etc. Il s'agit d'éviter que les politiques municipales soient excluantes.
On peut trouver une voie de consensus. Tout d'abord, cela ne coûte pas un kopeck à l'État. Ensuite, les collectivités seront libres d'instaurer, ou pas, cette tarification sociale. Monsieur le ministre, vous qui étiez un ardent défenseur de la libre administration des collectivités, vous me surprenez. Comme quoi le pouvoir change les hommes...
Le Premier ministre porte l'idée d'un nouvel acte de décentralisation : voilà un levier ! Avec cette proposition de loi, les collectivités territoriales seront en phase avec leurs habitants et leurs problématiques.
Je ne vois pas quels arguments on pourrait opposer à cette proposition de loi, si ce n'est une posture. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du RDSE ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. Thomas Dossus . - La gestion des déchets est une des traces matérielles de notre entrée dans l'ère de l'anthropocène. Le déchet est partout : nous avons dépassé les 2 milliards de tonnes dans le monde et devrions atteindre les 3,4 milliards de tonnes en 2050. On trouve des traces de microplastiques jusque dans la fosse des Mariannes et au sommet de l'Everest !
Cela doit nous interroger sur l'amont du déchet : le suremballage, la surconsommation, le tout plastique et le tout jetable.
Je salue cette proposition de loi qui introduit la question de la justice sociale dans la tarification incitative du traitement des déchets. Il faut éviter que la hausse de ces tarifs ne pèse trop lourdement sur les ménages les plus modestes.
Cette proposition de loi répond à la situation inquiétante de la gestion des déchets en Dordogne : qualité de service en baisse et explosion des coûts avec le recours à la Reom.
Nous aurions aimé approfondir le sujet : le député Sébastien Peytavie a déposé une proposition de loi sur le sujet. L'examen du PLF pour 2026 sera aussi l'occasion d'y revenir, avec nos amendements.
Sur l'article 2, nous considérons que le choix du maillage doit rester à la main des collectivités territoriales.
Si nous voulons réellement réduire la production de déchets, il faut faire contribuer davantage les premiers producteurs - les industriels. Le principe pollueur-payeur doit être appliqué. Nous, écologistes, sommes les inlassables défenseurs d'une TGAP « amont », assise sur les produits manufacturés dépourvus de filière de récupération et affectée aux collectivités.
L'activité des éco-organismes doit aussi être encadrée : ils doivent être fiscalisés s'ils n'atteignent pas leurs objectifs. Il n'est pas juste que les collectivités territoriales et les usagers supportent les coûts liés aux défaillances de la responsabilité élargie du producteur (REP).
Nous voterons cette proposition de loi qui va dans le bon sens. Mais il faut changer de braquet pour concilier les impératifs de réduction des déchets et de justice sociale. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. Christian Bilhac . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les auteurs de la proposition de loi redoutent que l'alourdissement de la fiscalité locale liée aux déchets ne provoque de nouvelles vagues de protestation.
L'exemple le plus souvent cité est celui des couches pour les personnes incontinentes du quatrième âge et les jeunes enfants. C'est la double peine : ces produits coûtent cher à l'achat et alourdissent la fiscalité liée aux déchets, alors qu'on ne peut s'en passer.
La commission des finances a rejeté ce texte. Je pointe une contradiction : pour relancer la natalité et maintenir nos aînés à domicile, nous augmentons et multiplions les taxes, plutôt que de recourir à l'impôt local que nous avons sensiblement réduit avec la suppression de la taxe d'habitation.
Mme Cécile Cukierman. - Exactement !
M. Christian Bilhac. - On n'augmente pas les impôts, on augmente les taxes, mais le contribuable a du mal à voir la différence. Si la redevance est peu équitable, malgré l'introduction de critères sociaux, le principe du pollueur-payeur trouve sa limite : celle de son acceptabilité sociale.
Une TGAP « amont » doit être mise en place ; ce ne sont pas les consommateurs qui font les déchets, ce sont les industriels. (On renchérit sir les travées CRCE-K.)
Dans le domaine de l'économie circulaire, nous comptons 2,3 milliards de contributions, auxquelles il faut ajouter le fonds vert, le fonds Économie circulaire, le programme d'Investissements d'avenir (PIA). S'y ajoutent quatre ou cinq organismes de contrôle : l'Ademe, la direction générale des entreprises (DGE), la direction générale de la prévention des risques (DGPR), la DGCCRF... Tout le monde fait tout et rien. On n'y comprend plus rien.
Je suis favorable au financement des services publics locaux par une « taxe de résidence » - pour ne pas froisser ceux qui ont voulu la suppression de la taxe d'habitation. Les taxes existantes sont inéquitables, car on paie le même montant quels que soient ses revenus.
Cette proposition de loi mérite d'être votée, pour réduire le poids de cette fiscalité sur les familles. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRCE-K ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
M. Vincent Capo-Canellas . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi part d'une bonne intention : moins de déchets, plus de tri et un service public lisible et équitable. La quantité de déchets ménagers est en constante progression ; leur collecte pèse sur les finances locales.
Mais les bonnes intentions ne suffisent pas. Le texte comporte des fragilités, ainsi que l'a rappelé le rapporteur Olivier Paccaud, dont je salue le travail. Les moyens mobilisés par le texte ne sont pas les bons et risqueraient d'affaiblir les dispositifs existants.
La proposition de loi part d'un constat juste : les effets négatifs sur les familles nombreuses ou les personnes ayant des besoins spécifiques. Mais elle pose de sérieux problèmes pratiques et juridiques.
Transformer la tarification incitative en tarification socialement compensée risque d'affaiblir l'incitation. Ne risque-t-on pas d'augmenter les tonnages ?
Nous risquons en outre d'ouvrir la boîte de Pandore si nous autorisons l'accès aux données fiscales médicales. Qui collecte ? Qui contrôle ? Avec quelles garanties de confidentialité ?
Enfin, nous risquons d'alourdir les procédures et de multiplier les contentieux. En outre, cela renforcerait le millefeuille administratif, à rebours de notre objectif de simplification de l'action publique.
Un ratio d'un PAV pour 200 habitants pose problème : entre les montagnes et les zones urbaines, les contraintes de foncier et les coûts diffèrent. Une norme unique serait coûteuse et contre-productive. Nous faisons confiance aux responsables locaux pour faire le meilleur choix au regard de leurs contraintes. Ne serait-il pas plus judicieux d'expérimenter dans un premier temps ?
La gestion des déchets est l'un des défis de la transition écologique et de la cohésion territoriale. C'est même une question de société.
Cette proposition de loi ouvre un débat utile, mais comporte trop d'incertitudes et de contraintes pour être votée en l'état. Une politique utile reposerait sur quatre piliers : sensibiliser, réduire, trier et accompagner.
Le groupe UC votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Olivier Paccaud applaudit également.)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - La gestion des déchets a un coût considérable pour les collectivités. L'efficacité des éco-organismes reste à démontrer : la quantité de déchets ne se réduit pas et les dépôts sauvages se multiplient.
Outre la question de la faisabilité même des mesures proposées - transmission de données médicales, un PAV pour 200 habitants -, ce texte pose un problème d'efficacité écologique. L'OCDE l'affirme : l'instrument le plus efficace est la tarification incitative, introduite en 2006.
C'est le principe pollueur-payeur, une logique compréhensible par tous. L'Ademe considère que les collectivités ayant mis en place la tarification incitative constatent en moyenne une baisse de 30 % de leurs ordures ménagères résiduelles.
Il ne revient pas aux politiques environnementales de corriger des inégalités sociales. (Mme Cécile Cukierman éclate de rire.) Les revenus n'ont aucun rapport avec la gestion des déchets.
Cette mesure est même une injustice sociale. Vous divisez la société en catégories et demandez à certaines de payer davantage, indépendamment du service rendu ou du comportement individuel. Si le communautarisme s'immisce dans les poubelles des Français où va-t-on ? (Mme Catherine Belrhiti renchérit.)
Mme Cécile Cukierman. - Quelle mauvaise foi !
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Difficile d'être cohérent quand on appelle à taxer les super riches tout en faisant les poches des classes moyennes...
Cette proposition de loi renonce aux objectifs environnementaux.
Mme Cécile Cukierman. - Ben voyons...
Mme Vanina Paoli-Gagin. - La fiscalité environnementale agit comme un rappel permanent de notre responsabilité individuelle. Cette tarification est efficace si elle est reliée à la quantité des déchets produits. (On ironise sur les travées du groupe CRCE-K.) Mais si nous sortons de cette logique, l'effet incitatif va mécaniquement diminuer.
L'amélioration de la gestion des déchets appelle une approche globale et systémique : taxation incitative, alternatives accessibles - PAV, tri, compostage... - et surtout pédagogie.
Et pourquoi ne pas réfléchir à la prise en compte de la composition du foyer ou des besoins particuliers, mais via des aides ou des compensations ? Car mélanger justice sociale et écologie nous fera perdre sur les deux tableaux. Ne compromettons pas nos objectifs environnementaux au nom d'une posture purement idéologique.
Pour ces raisons, le groupe Les Indépendants ne soutiendra pas ce texte. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les critères sanitaires ou sociaux proposés pourraient donner l'impression d'un traitement plus équitable, mais en réalité cela complexifie la gestion. Le texte n'apporte pas de précisions, par exemple sur la collecte des données fiscales et médicales. Il risque aussi d'avoir un effet paradoxal en accordant un droit renforcé à produire davantage de déchets.
On peut s'attendre à une augmentation de la taxe ou de la redevance pour les classes moyennes ou aisées, sans que celle-ci diminue pour les familles modestes. Cela ne peut qu'être source de tensions et d'incompréhension.
L'installation minimale de PAV semble louable, mais méconnaît les différentes formes de dépôt et l'inapplicabilité de ce système. Selon l'Ademe, seulement 3 % de la population vit dans un territoire où la collecte des déchets repose exclusivement sur l'apport volontaire. La plupart du temps, c'est un système mixte. Nous devons faire du sur-mesure et ne pas créer de contraintes inutiles.
Très présente auprès des élus, je défends le pragmatisme et l'intelligence du terrain. Grâce à une concertation entre le pôle déchets, les élus et les habitants du pays de Sarrebourg, une gestion harmonieuse s'applique : des bacs dotés d'une puce et soumis à une redevance incitative encouragent la réduction des déchets à la source et un maillage de points d'apport volontaire a été décidé non par obligation, mais par rationalité. La concertation est régulière, sans avoir besoin d'un comité des usagers.
Le CGCT prévoit déjà des commissions consultatives des services publics locaux ou des comités consultatifs municipaux. Pourquoi créer une structure supplémentaire ? Ce texte ne répond ni à l'enjeu de simplification ni à l'efficacité. Il multiplie les dispositifs inapplicables et crée de la confusion dans le financement du service public. Nous privilégions la confiance et la responsabilité aux dépens de la contrainte. Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (MM. Olivier Paccaud et Dominique de Legge applaudissent.)
M. Stéphane Fouassin . - Ce texte part d'une intention que nous partageons tous. Personne ne conteste l'importance de réduire les déchets ou de créer un système plus équitable. Mais gare au fossé entre les bonnes intentions et les applications législatives !
L'objectif affiché de corriger les injustices part d'une intention louable, mais le dispositif est mal conçu. La Teom et la Reom ont une visée technique : ces taxes n'ont pas vocation à devenir des outils de redistribution sociale. Un impôt technique ne peut se transformer en outil social sans trahir son objet, voire devenir contre-productif. Ce n'est pas parce qu'on a moins de revenus qu'on produit moins de déchets.
La proposition de loi est financièrement imprudente : les déchets représentent plus de 13 milliards d'euros. Or cette réforme serait engagée sans étude d'impact ou sans chiffrage. On nous demande de voter un texte fiscal sans connaître son coût. Un projet de loi aurait été préférable.
Cette proposition de loi comporte aussi des dispositions accessoires, mal calculées, comme la création d'un comité des usagers dont la composition sera fixée par décret. Nous partageons l'objectif d'une gestion plus sobre, mais ce texte ne corrige pas les inégalités, il en crée de nouvelles ; il ne simplifie pas, il hypercomplexifie.
Pour le RDPI, la justice sociale ne doit pas s'inviter par effraction dans les textes techniques. Si l'on souhaite renforcer la solidarité, choisissons les bons outils : fiscalité générale, aide ciblée, accompagnement social. Le groupe RDPI salue l'intention, mais votera contre ce texte.
Mme Frédérique Espagnac . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) D'aucuns pourraient croire que le sujet est technique, voire banal. En réalité, ce texte est profondément politique, car il porte sur l'écologie, la justice sociale et les services publics.
La France produit toujours plus de déchets : 343 millions de tonnes en 2022, dont 11 % proviennent des ménages, soit 1 tonne pour chacun d'entre nous.
L'État et les collectivités ont mis en place une fiscalité incitative pour faire face à la hausse des déchets. Mais le dispositif pèse sur ceux qui ont moins : ceux qui ne peuvent réduire leurs déchets ou acheter en vrac.
Mme Cécile Cukierman. - Exactement !
Mme Frédérique Espagnac. - Nous voulons une écologie juste, non punitive. Ce texte corrige ces inégalités : je salue l'initiative du groupe CRCE-Kanaky.
L'article 1er prévoit une tarification sociale des déchets : on paiera en fonction de ses moyens - comme cela existe pour l'eau, soit dit en passant. C'est une idée de bon sens, républicaine. Contrairement à ce que j'ai entendu, le texte ne crée pas d'obligations nouvelles : il offre aux collectivités qui le souhaitent la possibilité de le mettre en oeuvre.
L'intention de l'article 2 est bonne elle aussi, mais attention à ne pas appliquer ses dispositions de manière uniforme. (M. Alexandre Basquin en convient.) Un point d'apport volontaire pour 200 habitants, c'est valable pour les métropoles, mais pas pour nos campagnes - n'est-ce pas, monsieur le ministre ? (M. Michel Fournier le confirme.)
Il faut redonner la voix aux citoyens : tel est l'objet de l'article 3. C'est une belle idée démocratique, non une structure supplémentaire : ce comité pourrait devenir un beau lieu de dialogue, empreint de richesse démocratique.
Ce texte ne renverse pas la table, mais il envoie un message fort : les politiques environnementales ne réussiront que si elles sont partagées. Si la transition écologique suscite plus d'inégalités, elle échouera en suscitant rejet, colère et défiance.
Le service public fort, qui protège les plus faibles, doit être notre boussole. Quand il fonctionne bien, il renforce la confiance. Quand il devient injuste, il alimente le sentiment d'abandon.
La transition écologique n'a d'avenir que si elle est juste et partagée. Le groupe SER votera ce texte, qui incarne une écologie qui protège. (Applaudissements à gauche ; Mme Maryse Carrère applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
Mme Cécile Cukierman . - Merci à tous ! Au bout de quatorze ans de mandat, on craint les banalités : on se dit que la libre administration des collectivités locales, c'est acquis. On se dit qu'offrir une faculté aux collectivités, c'est participer à un mouvement souvent défendu ici, la différenciation.
Nous serions dans la posture, dites-vous ? Mais c'est vous qui l'êtes !
À commencer par vous, monsieur le rapporteur, car vous avez d'emblée rejeté ce texte, alors que la coutume sénatoriale pour ce type de propositions de loi serait plutôt de chercher à supprimer les irritants éventuels par des amendements.
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - Il fallait en déposer !
Mme Cécile Cukierman. - Ce texte serait technique ? Mais la détermination d'une taxe est éminemment politique. Nous voulons y insuffler un peu de justice sociale ; pour le comprendre, encore faut-il reconnaître que dans notre pays, il y a des pauvres et des riches ! (Mme Catherine Belrhiti s'exclame.) Les pauvres ne choisissent pas de la même manière leurs déchets et la taxe n'a pas le même impact dans le budget.
J'ai entendu s'exprimer un besoin d'écologie punitive, de la part d'une droite sénatoriale qui n'a de cesse d'en accuser les maires écologistes. Nous en apprenons beaucoup à travers cette proposition de loi : la droite sénatoriale ne veut rien changer ni offrir cette liberté aux communes qui le souhaitent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
Mme Marianne Margaté . - La justice fiscale est un thème au coeur du débat, au moment où l'Assemblée nationale examine le PLF. La TGAP augmente encore cette année ; elle pourrait atteindre 105 euros la tonne d'ici à 2030 contre 65 euros actuellement.
Elle pèse sur les collectivités, donc sur les usagers.
L'article 1er aborde la répartition des coûts : qui paie ? Teom et Reom ne sont pas parfaites, car elles ne sont pas justes. Une grande majorité de Français a l'impression de payer pour les autres, pour des services dont ils ne bénéficient pas. Effectivement, quand on cotise ou quand on paie l'impôt, on le fait pour des services dont on ne bénéficie pas forcément, mais qui répondent à un besoin d'intérêt général. Ces contributions sont payées selon les moyens de chacun, à la différence des redevances.
La Teom s'appuie sur la valeur patrimoniale du logement : ce n'est pas beaucoup plus juste, mais cela dit quelque chose.
L'égalité stricte est bien éloignée de la notion d'équité : le manque de solidarité crée un sentiment d'injustice. Il faut davantage de justice fiscale : nous voterons cet article.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
M. Gérard Lahellec . - Avec cet article, la redevance serait plus juste : elle dépendra toujours de l'usage, puisque c'est le principe de la redevance, mais elle tiendra aussi compte des ressources. Quand un sac supplémentaire représente un coût supplémentaire de 5 euros, ce n'est pas la même chose pour une famille qui vit d'un seul Smic que pour une famille qui touche deux salaires de 5 000 euros !
En apportant davantage de justice fiscale, nous rendons la transition écologique acceptable : l'article 1er offre cette possibilité aux collectivités.
M. Alexandre Basquin . - Cet article est le point nodal du texte ; sa mise en oeuvre est laissée à la libre appréciation des collectivités locales. Pour ma part, je ne danse pas au bal des faux-culs ! (Mme Catherine Belrhiti proteste.)
On ne peut pas sans cesse parler de libre administration et de décentralisation et, en même temps, fermer la porte à la première proposition de loi qui ouvre des possibilités aux collectivités.
Monsieur le ministre, cette proposition de loi est largement soutenue par les maires ruraux de Dordogne.
Bien sûr, il faut produire moins de déchets, nous sommes tous d'accord. Mais certaines caractéristiques sanitaires et sociales empêchent parfois d'atteindre cet objectif : c'est alors la double peine pour les personnes concernées. Luttons contre une injustice de fait et de condition !
Mme Cathy Apourceau-Poly et Mme Cécile Cukierman. - Très bien !
M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission des finances . - La discussion générale a été de qualité, je ne veux pas en rajouter.
Mais « Le bal des faux-culs », jeune homme ! C'est assez méprisant. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Alexandre Basquin. - C'est une expression !
M. Loïc Hervé. - Ce n'est pas digne du Sénat.
M. Laurent Burgoa. - On se croirait à l'Assemblée nationale !
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - Vos propos de tribune ont, à mon sens, dépassé votre pensée... Ils me restent en travers de la gorge, en tout cas. Je ne pense pas que le ministre ou que nos collègues soient des « faux-culs ».
J'ai auditionné une dizaine de structures. Je n'ai jamais été dans la posture. J'ai rendu un avis défavorable à cette proposition de loi, avec le soutien de la quasi-unanimité de la commission des finances.
Pourquoi ? Parce que lors des auditions, les arguments contre ce texte revenaient en ritournelle : « hypercomplexification » du système, déresponsabilisation des usagers, respect des données personnelles et médicales. C'est l'exemple type de la fausse bonne idée !
Oui, l'intention est bonne. Le texte aurait été perfectible ; encore aurait-il fallu déposer des amendements, jeunes gens ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Cécile Cukierman. - C'est lunaire ! Depuis quand les rapporteurs ne déposent-ils pas d'amendements ?
Mme la présidente. - Évitons les écarts de langage, je vous prie : ce n'est pas le ton du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Catherine Belrhiti. - Rappel au règlement sur le fondement de l'article 33 de notre règlement. Les propos de M. Basquin sont choquants : je ne suis pas ici pour me faire insulter.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - C'est une expression ! Vous le savez bien ! (Mme Catherine Belrhiti s'exclame.)
M. Marc Laménie. - J'essaie toujours d'être objectif. Je souligne l'intérêt de la proposition de loi du groupe CRCE-K. L'intention est louable et répond à un enjeu de société.
Cela dit, le rapporteur a mené un travail très important. Nous sommes en démocratie et la Haute Assemblée la respecte sous toutes ses formes.
La Reom et la Teom ont chacune leurs aspects positifs et négatifs. Nous devons sensibiliser les personnes au tri sélectif ; malheureusement, tout le monde ne le fait pas. Il faut lutter contre les dépôts sauvages et les incivilités, sans oublier les impayés.
Pour ma part, par respect pour le groupe CRCE-K, je m'abstiendrai.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Monsieur le rapporteur, vous m'avez auditionnée en commission des finances.
« L'essentiel » avait déjà été distribué (M. Olivier Paccaud en convient) : votre décision était déjà prise ! Je me suis vue rajeunir : j'ai eu l'impression d'être une élève passant le bac avec un zéro pointé ! Ce sont des manières bien cavalières.
Complexification administrative, dites-vous ? Mais c'est ce que les collectivités vivent tous les jours ! Tenir compte du revenu fiscal de référence (RFR) ou demander un certificat médical pour les personnes incontinentes, je ne vois pas où est la complexité !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
M. Laurent Burgoa. - Rappel au règlement sur le fondement de l'article 33. Nous avons le droit de débattre ; mais certains mots ne doivent pas être prononcés dans cette enceinte si nous ne voulons pas ressembler à l'autre hémicycle, qui dégage une image détestable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Catherine Belrhiti. - Changez d'hémicycle !
M. Laurent Burgoa. - Si vous traitez vos collègues de « faux-culs »...
M. Alexandre Basquin. - Je ne l'ai pas fait ; c'est une expression !
M. Laurent Burgoa. - ... ne vous étonnez pas des violences contre les élus. Je vous demande de retirer vos propos, monsieur Basquin.
M. Ian Brossat. - Nous avons droit à des leçons de maintien, à la suite de l'expression utilisée par mon collègue et camarade Alexandre Basquin.
Si vous voulez jouer à ce jeu, ce qui me reste en travers de la gorge, à moi, c'est d'avoir entendu hier, lors des questions d'actualité, l'une des membres de votre groupe citer Maurice Barrès, auteur notoirement antisémite.
Lors de la même séance de questions, un collègue socialiste a prononcé les noms de Zyed et de Bouna, adolescents morts pour rien il y a vingt ans : un murmure de protestation s'en est suivi sur vos travées. (Mme Catherine Belrhiti proteste.) Lisez le compte rendu !
Vos références idéologiques me choquent beaucoup plus que l'expression populaire utilisée par M. Basquin. (Applaudissements à gauche)
M. Pascal Savoldelli. - Je vois bien que cette expression a suscité une émotion forte ; mais faut-il en rajouter ?
Teom et Reom divisent nos concitoyens (Mme Catherine Belrhiti s'exclame) - tout le monde le sait, ici !
L'hypocrisie - puisqu'il faut parler correctement - porte sur une seule question : la libre administration des collectivités territoriales. C'est le débat ! (Mme Marie-Claude Varaillas renchérit.)
Le rôle du ministre et des sénateurs est de trouver l'harmonie entre une réponse universelle, républicaine, et la spécificité de l'exercice de la libre administration des collectivités territoriales. Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, je suis très étonné que vous n'ayez pas qualifié ce texte d'appel : il y avait une occasion d'ouvrir le débat.
Mme Cathy Apourceau-Poly et Mme Cécile Cukierman. - Exactement !
M. Pascal Savoldelli. - Nulle polémique, c'est politique : pourquoi ne pas avoir pris ce texte pour ce qu'il est ? Ne dévoyons pas la nature de ce texte.
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - J'espère que c'est ma dernière intervention...
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous avons le temps !
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - Merci ! Sans ironie, Barrès est un très grand auteur (murmures à gauche). Lisez La Colline inspirée : c'est un très bon livre, (Mme Colombe Brossel s'exclame) mais, comme d'autres écrivains, il a tenu des propos regrettables...
Mme Colombe Brossel. - Regrettables ?
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - ...antisémites. Je pense à Voltaire, par exemple. La démocratie, c'est le débat, bien sûr, mais c'est aussi accepter d'être minoritaire, Madame Varaillas.
Vous vous êtes émue de la présence de « l'essentiel » sur les tables ; c'est qu'il présente la position du rapporteur...
Mme Marie-Claude Varaillas. - De la commission !
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - ...position qui doit ensuite être soumise au vote des commissaires ; c'est ainsi au Sénat. Il se trouve qu'ils ont voté comme moi, mais ils ne sont pas à mes ordres. Dire que les jeux étaient pipés dès le départ, c'est malhonnête.
M. Jacques Fernique. - Je ne voudrais pas qu'on monte en épingle une expression à travers une réaction un peu surjouée.
Lors des questions d'actualité du 24 janvier dernier, selon le compte rendu, Kristina Pluchet, largement applaudie sur les travées du groupe Les Républicains a utilisé cette expression : « ras-le-bol du bal des faux culs ». (Applaudissements à gauche ; Mme Catherine Belrhiti s'exclame.)
M. Vincent Louault. - J'ai couru pour revenir dans l'hémicycle, car je suis un spécialiste des déchets.
Les collectivités territoriales sont très gênées par la complexification de ce domaine. Les factures, elles, augmentent de 30, 40, 50, 60 %. La TGAP va passer à 125 euros. La vache à lait des poubelles marche à plein !
Les collectivités ont le choix entre taxe et redevance incitatives. Chez moi, on avait mis en place cette dernière, mais on en est revenu, parce que 25 % des usagers arrêtaient de payer leurs factures ! La taxe est plus facile à gérer parce qu'elle est incorporée aux impôts locaux.
Pourquoi, par le biais des poubelles, n'appliquez-vous pas la solidarité qui vous est chère ? Certains retraités ne produisent plus de déchets et ne paient pas la redevance incitative ; il n'y a plus de solidarité avec la famille nombreuse qui a des kilos et des kilos de couches et qui paie une redevance élevée. On crée ainsi des systèmes pour séparer les Français : ceux qui ne consomment pas, ceux qui ont un grand logement et ceux qui peuvent faire du biocompostage finissent par ne plus rien payer. Je ne voterai pas ce texte.
Mme Colombe Brossel. - Monsieur Paccaud, vous dites que Maurice Barrès a tenu des propos « regrettables ».
Vous auriez dû dire : il a tenu des propos antisémites. L'antisémitisme n'est pas une opinion, mais un délit : ce n'est donc pas regrettable, mais condamnable. (Applaudissements à gauche)
À la demande des groupes CRCE-K et Les Républicains, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°12 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 335 | 
| Pour l'adoption | 109 | 
| Contre | 226 | 
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
Mme Cécile Cukierman . - Puisque les mots ont un sens, vous choisirez le vôtre, monsieur le rapporteur : malhonnêteté ou incompétence.
Voici les termes de l'article 2 : « Lorsque la collecte s'appuie sur des points d'apport volontaire, le nombre de points est au moins égal à un pour 200 habitants. »
Sauf erreur, la ville de Paris n'est pas soumise à la collecte par points d'apport volontaire. Lorsque vous évoquez un point d'apport volontaire tous les 50 mètres rue de Vaugirard, c'est soit de l'incompétence, parce que vous n'avez pas lu l'article 2, soit de la malhonnêteté, parce que vous souhaitez discréditer cette proposition de loi. (Mme Catherine Belrhiti s'exclame.)
Nous avons tous des exemples dans nos départements d'EPCI qui ont mis en place l'apport volontaire de manière différenciée selon la densité des territoires. C'est cela la réalité de notre pays, monsieur le rapporteur.
La vérité, c'est que vous avez voulu contester ce texte a priori. Vous pouvez me dire : « ma petite, vous auriez dû faire des amendements ! » Mais quand le rapporteur veut faire une ouverture sur une proposition de loi d'appel, il rédige des amendements avec l'appui des services de la commission ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
Mme Micheline Jacques . - La délégation sénatoriale aux outre-mer a beaucoup travaillé sur les déchets ; leur gestion en outre-mer est extrêmement difficile. Je voterai les amendements de Gisèle Jourda, qui reprennent les recommandations du rapport de la délégation.
M. Vincent Louault . - Un point d'apport volontaire pour 200 habitants ? La dernière cerise sur le gâteau a été la concomitance entre la hausse des factures et le fait que le camion ne passe plus devant chez vous - il faut parfois faire 3 kilomètres pour apporter vos poubelles ! (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
Résultat : les maires doivent ramasser près de la borne d'apport volontaire tous les déchets qui n'entrent pas dans le conteneur. Vous croyez que cela les amuse de ramasser toutes ces immondices ? Cela ne relève pas de leur compétence, mais ils doivent assurer le service après-vente !
Les gens trient, mais ils paient toujours plus cher ; c'est incompréhensible !
Le critère d'un point d'apport volontaire pour 200 habitants ne veut strictement rien dire ! J'étais dans les Ardennes ce week-end : il faudra faire 10 kilomètres pour déposer ses déchets !
Mme Cécile Cukierman. - Mais non !
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°13 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 319 | 
| Pour l'adoption | 93 | 
| Contre | 226 | 
L'article 2 n'est pas adopté.
Après l'article 2
Mme la présidente. - Amendement n°1 de Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet.
Mme Gisèle Jourda. - Cet amendement s'inspire des conclusions du rapport sur les déchets dans les outre-mer que j'ai rédigé avec Viviane Malet.
La communauté intercommunale de La Réunion Est (Cirest) a mis en place des déchèteries mobiles pour suppléer aux réseaux insuffisants de collecte, notamment des encombrants. Cela fonctionne bien. Des bennes sont installées à tour de rôle dans les quartiers.
Dans le CGCT, on ajouterait : « le maire et le président d'EPCI encouragent le développement de ces déchèteries mobiles. » Allons chercher les déchets là où ils sont !
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - Avis défavorable. Cet amendement encourage certes, mais rien ne l'empêche dans le droit actuel. Il n'a aucune portée législative, nul besoin de le graver dans le marbre de la loi.
M. Michel Fournier, ministre délégué. Les collectivités territoriales sont à même de s'organiser. L'encouragement est donc recherché ; mais nul besoin de l'inscrire dans la loi. Avis défavorable.
M. Stéphane Fouassin. - Vous parlez de la Cirest : ces déchèteries mobiles ont été installées dans ma commune, Salazie, depuis plus de dix ans. Nul besoin de cet amendement. (Mme Catherine Belrhiti renchérit.)
Mme Gisèle Jourda. - La situation n'est pas égale. Monsieur Fouassin, tant mieux si cela fonctionne chez vous, mais à Mayotte et dans certains secteurs de La Réunion ou de la Guyane, ce n'est pas pareil. Je préfère que cet amendement soit inscrit dans le texte, c'est nécessaire et vital.
À la demande du groupe Les Républicains l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°14 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 335 | 
| Pour l'adoption | 110 | 
| Contre | 225 | 
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2 de Mmes Jourda et Malet.
Mme Gisèle Jourda. - Cet amendement, qui prévoit une gratification, est né du déplacement que nous avons fait, avec Mme Malet, à Mayotte. Le tri ne fonctionne pas, particulièrement dans les quartiers informels. Les points d'apport volontaire sont éloignés, vite dégradés et la collecte est limitée, faute de voies carrossables.
Une collecte alternative a été expérimentée en s'appuyant sur les commerces de proximité, les doukas, et en offrant des récompenses sous forme de produits sanitaires aux apporteurs de déchets triés.
Les systèmes classiques de collecte ne fonctionnent pas. Il faut donc habituer les populations au tri.
M. Olivier Paccaud, rapporteur. - Voilà un amendement jumeau du précédent. Vous avez démontré vous-même que les initiatives se faisaient sans qu'une modification de la loi soit nécessaire. Mêmes causes, mêmes effets : avis défavorable.
M. Michel Fournier, ministre délégué. - Le Gouvernement respecte la libre administration des collectivités territoriales : avis défavorable.
Mme Micheline Jacques. - Je voterai cet amendement. Dans les quartiers informels de Mayotte, nous avons mesuré les difficultés que leurs habitants connaissent. Adoptons cet amendement, ne serait-ce que symboliquement pour nos compatriotes mahorais.
Mme Gisèle Jourda. - M. Magras, l'un des prédécesseurs de Mme Malet à la tête de la délégation aux outre-mer, prônait la différenciation.
Il faut montrer notre soutien à ces initiatives : monsieur le rapporteur, c'est plus que de l'encouragement ! Nous parlons poliment de « quartiers informels », mais ce sont de véritables bidonvilles ! La loi se doit d'être stimulante, encourageante pour les populations.
M. Marc Laménie. - La solidarité de la métropole avec l'outre-mer est importante. Nous avons examiné des textes importants concernant Mayotte ou la vie chère en outre-mer. À titre personnel et par solidarité, je voterai cet amendement.
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°15 :
| Nombre de votants | 340 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 334 | 
| Pour l'adoption | 111 | 
| Contre | 223 | 
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
Article 3
Mme la présidente. - Je vais mettre aux voix l'article 3. S'il n'était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l'article 4, qui deviendrait sans objet.
Il n'y aurait par ailleurs plus lieu de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi puisque tous les articles qui la composent auraient été successivement rejetés par le Sénat. Il n'y aurait donc pas d'explications de vote sur l'ensemble.
Mme Cécile Cukierman. - L'article 3 vise à instaurer un comité des usagers. Monsieur le ministre, je ne crois pas qu'il faille les balayer d'un revers de la main. La vraie difficulté des maires ruraux, c'est qu'ils sont en première ligne. Il n'existe jamais d'espace intermédiaire pour que la colère puisse s'exprimer. Aux élections de 2020, on a vu des municipalités se faire balayer à cause de la question des ordures ménagères, et il est possible que 2026 nous réserve quelques surprises...
Ces comités ne sont pas une charge supplémentaire, mais une protection. Nous souffrons de l'absence d'espaces intermédiaires - et pour cause, le Président de la République n'en veut pas...
Nous avons retenu une rédaction souple, en renvoyant au décret la composition et les missions. Ces comités viendront en appui aux décisions, car nos concitoyens s'interrogent : on produit de moins en moins de déchets, on paye de plus en plus cher, à qui cela profite-t-il ?
M. Vincent Louault . - Chaque EPCI a déjà une commission « ordures ménagères » - c'est celle qui a le plus de succès !
Mme Catherine Belrhiti. - Bien sûr !
M. Vincent Louault. - Chaque EPCI est libre de s'organiser comme il l'entend.
L'article 4 demande une compensation par la DGF. Vous mélangez les choux et les carottes ! J'espère que vous faites mieux le tri sélectif... (Mme Cécile Cukierman proteste.) Vous pouviez demander une réduction de la TGAP, que toutes les collectivités payent. Tout cela n'est pas crédible. (Mme Cécile Cukierman proteste derechef.)
Mme Marie-Claude Varaillas . - Le Sénat s'apprête donc à rejeter cette proposition de loi. Merci à mes collègues du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste d'avoir voté pour. À n'en pas douter, ce sujet reviendra, car je crains que le problème des déchets ne soit le carburant qui déclenchera un nouveau mouvement des gilets jaunes... Les élus de mon territoire savent que je mesure leurs problèmes quotidiens, ceux du gestionnaire du syndicat mixte. J'espère que ce débat aura été utile et qu'un texte aboutira rapidement.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°16 :
| Nombre de votants | 342 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 335 | 
| Pour l'adoption | 109 | 
| Contre | 226 | 
L'article 3 n'est pas adopté, non plus que l'article 4.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national, présentée par Mme Cécile Cukierman, MM. Guillaume Gontard, Patrick Kanner, Fabien Gay, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe CRCE-K.
Discussion générale
Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi . - Cette proposition de loi part d'un constat simple, brutal : depuis vingt ans, ArcelorMittal a transformé notre acier national en un actif financier au service de ses actionnaires. Elle est le fruit d'un travail collectif, avec les salariés qui produisent encore l'acier dans notre pays, et avec mes collègues des groupes de gauche qui ont cosigné le texte.
Notre acier, notre savoir-faire, nos emplois sont devenus des lignes comptables dans les bilans d'un groupe multinational. Ce qui était une fierté n'est plus qu'un produit spéculatif. L'économie capitaliste ne cherche pas à produire pour répondre aux besoins des peuples mais pour rémunérer le capital. Et nous perdrions une production essentielle, simplement parce qu'un fonds d'investissement exige une rentabilité immédiate ? Pour nous, l'économie doit servir l'intérêt général - c'est pourquoi elle doit être régulée par la puissance publique, et non livrée à la spéculation et à la loi du profit.
La nationalisation n'est pas un gros mot. C'est une décision souveraine pour reprendre la main sur notre destin industriel. Depuis des années, on nous fait croire, cyniquement, que le marché, les actionnaires étrangers, feraient mieux que l'État. Pendant ce temps, nos usines ferment, nos ouvriers sont licenciés, nos régions se vident et la France perd peu à peu le contrôle de son industrie.
La droite se réclame de la souveraineté nationale, mais on ne peut pas, d'un côté, brandir le drapeau tricolore et de l'autre, s'en remettre aux décisions d'un conseil d'administration installé au Luxembourg !
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
Mme Cécile Cukierman. - La souveraineté, ce n'est pas un slogan.
L'acier est la base de notre puissance industrielle : sans acier, pas de construction, pas de transition énergétique, pas de défense nationale. Turbines, rails, éoliennes, ponts, infrastructures vertes, tout cela dépend de la filière sidérurgique. C'est la fierté des femmes et des hommes qui la font vivre. Florange, Fos-sur-Mer, Dunkerque, Saint-Chély-d'Apcher sont les symboles d'un pays qui ne veut pas voir mourir son industrie.
Pourtant, ArcelorMittal ne cesse de trahir ses engagements. Jugez donc : 23 milliards d'euros de valorisation, 62 milliards de chiffre d'affaires, 13 milliards de dollars versés aux actionnaires depuis 2020. Dans le même temps, 392 millions d'euros d'aides publiques rien qu'en 2023, sans contrepartie sociale ou environnementale. ArcelorMittal a aussi bénéficié de quotas gratuits d'émission carbone, soit une aide implicite d'environ 960 millions d'euros. Malgré cela, les investissements sont reportés, les emplois supprimés, les usines menacées. La logique qui prévaut est celle du profit à court terme.
La nationalisation est une nécessité : économique, pour planifier la décarbonation de la filière ; industrielle, pour garantir nos approvisionnements stratégiques ; sociale, pour protéger les travailleurs, les territoires et le savoir-faire. Je salue les travailleurs de l'acier qui sont en tribune. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Nous proposons de créer une société nationale de l'acier, sous contrôle public et démocratique. Sans État stratège, il n'y aurait pas eu EDF, GDF, Airbus ou le CEA ! L'histoire industrielle française est indissociable de l'action publique.
La nationalisation serait trop coûteuse ? Mais qu'est-ce qui coûte le plus cher ? Investir pour sauver nos usines et nos emplois, ou payer des plans sociaux et dépolluer des territoires ravagés ? Les fonds existent : 15 milliards d'euros dans le plan européen pour l'acier, 6 milliards pour la décarbonation de l'industrie en France. Mettons-les au service du pays !
La nationalisation ne serait pas conforme au droit européen ? C'est faux : l'article 345 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne reconnaît le droit des États de choisir leur régime de propriété. Nous affirmons un choix politique souverain, comme d'autres avant nous.
Cette nationalisation n'est pas un retour en arrière, mais un acte de souveraineté moderne, pour piloter la décarbonation de la filière, planifier des investissements dans les hauts fourneaux électriques, garantir l'emploi et la formation. L'acier est la colonne vertébrale de notre puissance industrielle. Il faut protéger ce bien commun stratégique.
Notre proposition est ambitieuse, mais lucide. Il n'y aura pas de réindustrialisation sans reprise en main publique, pas de transition écologique sans souveraineté productive, pas de justice sociale sans rupture avec la loi du profit à court terme. Notre démarche, c'est la promesse d'une France qui reprend la main.
En adoptant ce texte, vous voterez pour une vision, pour une France qui choisit de produire, de protéger et de planifier. L'acier n'est pas un produit financier mais un bien commun, une force nationale, un levier d'avenir. Il est urgent de le traiter comme tel ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances . - Sans surprise, au regard de la position constante de la majorité sénatoriale, la commission des finances a rejeté cette proposition de loi, pour deux raisons essentielles. D'abord, la nationalisation serait extrêmement coûteuse. Ensuite, elle n'apporterait pas de solution durable à la crise du secteur de l'acier en Europe.
La filière sidérurgique en Europe traverse une crise structurelle qui dépasse largement les sites français d'ArcelorMittal. Pas moins de 100 000 suppressions d'emplois entre 2007 et 2024, dont 18 000 pour la seule année 2024, et le groupe allemand ThyssenKrupp envisage de supprimer 11 000 emplois à horizon 2030.
Il serait illusoire de nier le caractère global de la crise en rejetant la faute sur l'actionnariat d'ArcelorMittal. Plusieurs facteurs se conjuguent.
Premièrement, la baisse de la demande d'acier en Europe. Notre continent subit depuis plusieurs décennies une désindustrialisation qui a pour effet de réduire la demande en acier, largement portée par l'industrie automobile et par le secteur de la construction.
Deuxièmement, une surcapacité massive de production d'acier. En 2024, le surplus s'élevait à 602 millions de tonnes d'acier par rapport à la demande mondiale.
Troisièmement, l'instauration, au niveau européen, du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) qui a entraîné une réduction des quotas d'émission carbone gratuits alloués aux aciéristes.
Quatrièmement, l'envolée des coûts de l'énergie depuis la guerre en Ukraine. La décarbonation repose sur l'électrification, sur le gaz naturel et l'hydrogène ; or les incertitudes sur les prix de l'électricité freinent les projets d'investissements, et ArcelorMittal estime que le prix de l'hydrogène vert doit être divisé par deux pour pouvoir être compétitif.
Les sites de production du groupe ArcelorMittal voient leur équilibre économique se dégrader, au point que la direction a annoncé en avril dernier la suppression de 636 postes, soit 4 % des effectifs en France. Non seulement la nationalisation n'aurait aucun effet sur les problèmes que j'ai décrits plus haut, mais elle fragiliserait les sites, notamment de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. En effet, ceux-ci bénéficient très largement du carnet de commandes du groupe, géré à l'échelle européenne. L'acier produit à Dunkerque ou à Fos-sur-Mer est souvent exporté. D'où un risque commercial majeur en cas de nationalisation.
En outre, cette option ne fait pas l'unanimité parmi les syndicats du groupe : si la CGT est pour, la CFE-CGC, deuxième syndicat le plus représentatif avec 25 % des voix, y est opposée.
Enfin, la nationalisation aurait un coût massif pour les finances publiques. Je n'ai pas de chiffrage robuste, mais le prix d'achat avoisinerait 1 milliard d'euros. En ajoutant les investissements massifs de décarbonation, le coût serait de plusieurs milliards d'euros. C'est incompatible avec l'impérieuse nécessité de consolider nos comptes.
Il existe des alternatives plus efficaces pour soutenir cette filière stratégique. À l'échelle nationale, une enveloppe pluriannuelle de 6 milliards pour soutenir les investissements privés dans la décarbonation, qui aura un effet levier important. À l'échelle européenne, l'annonce encourageante par la Commission, début octobre, de la taxation à hauteur de 50 % des importations d'acier au-delà d'un certain quota. Le Gouvernement français s'emploie à convaincre la Commission de déployer ces instruments de protection. Je vous encourage à poursuivre ce combat, monsieur le ministre.
Merci au groupe CRCE-K d'avoir attiré notre attention sur cet enjeu majeur. Pour autant, la nationalisation serait sans effet sur une crise structurelle ; elle immobiliserait inutilement plusieurs milliards d'euros en faisant courir aux sites concernés un risque de fragilisation. Je préconise le rejet de ce texte, au profit de mesures alternatives de protection. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie . - Merci au groupe CRCE-K pour ce débat qui aborde le sujet fondamental de notre avenir industriel. Merci aussi au rapporteur pour la qualité de son argumentation.
Cette industrie des industries, on en voit partout les oeuvres : dans nos rails, nos routes, nos ponts, nos usines, nos armées. Elles soutiennent nos infrastructures, irriguent nos chaînes de valeur. Derrière, ce sont des femmes, des hommes, des territoires qui façonnent la France industrielle.
Le constat des difficultés profondes que traverse la sidérurgie européenne, surtout la filière des hauts-fourneaux, est partagé. Les causes sont connues. D'abord, une demande européenne et mondiale en recul, entraînant des surcapacités massives alors que les débouchés se contractent avec la crise de la construction et de l'automobile.
Ensuite, une concurrence mondiale déloyale, avec des aciers asiatiques subventionnés qui nous arrivent à des prix artificiellement bas, avec un rapport de 1 à 3, voire de 1 à 5 ou 6 avec les États-Unis. Certains pays pratiquent clairement le dumping - il faut y répondre.
Enfin, un coût de production européen tiré vers le haut par les prix de l'énergie, la fiscalité et le coût de la décarbonation, que l'Europe, lucide, a choisi de mener la première.
À la clé, des angoisses humaines et territoriales, la peur de la fermeture, la crainte du déclassement, l'incertitude sur l'avenir. Je connais cette détresse, en tant qu'élu d'un territoire qui a vécu, entre autres, la fermeture de Kodak.
Pour autant, la réponse proposée n'est pas la bonne. La nationalisation n'est pas l'apanage d'un camp politique ; la France y a eu recours à plusieurs reprises - EDF, Atos, Alcatel Submarine Networks - pour protéger une infrastructure critique. Mais la situation d'ArcelorMittal n'entre pas dans ce cadre. Nationaliser, ici, n'est pas sauver, mais différer. C'est traiter le symptôme sans s'attaquer à la cause.
Pire, nationaliser ajouterait aux difficultés à l'entreprise, car ArcelorMittal fonctionne en réseau intégré : en nationalisant seulement la partie française, on perd les clients du groupe ailleurs dans le monde. Les concurrents en profitent, et la compétitivité s'effondre.
Nationaliser, c'est placer l'entreprise sous perfusion publique sans régler ce qui mine la filière. Les pertes, en revanche, deviendraient celles de l'État, donc du contribuable. Dans le contexte budgétaire actuel, ce ne serait pas soutenable. Une nationalisation reviendrait à essayer de gagner du temps pour perdre beaucoup d'argent.
L'exposé des motifs cite l'exemple britannique ou italien, mais British Steel coûte 700 000 livres par jour en pertes au contribuable britannique, tandis que l'État italien peine à trouver un repreneur pour Ilva. Est-ce là le modèle que nous voulons ?
Préserver la vitalité industrielle passe par des projets industriels, pas par des transferts de propriété. Il faut donner des solutions structurelles à des problèmes structurels. Le coeur du sujet, c'est la compétitivité.
Nous avons des leviers pour agir, à commencer par alléger la fiscalité sur nos entreprises. Le projet de loi de finances propose une réduction de CVAE de 1,3 milliard d'euros, que les entreprises pourront réinvestir.
Nous soutenons les investissements annoncés par ArcelorMittal sur ses sites français, mais sa volonté d'investir 1,2 milliard d'euros dans un four électrique à Dunkerque dépend de deux éléments : un marché européen protégé du dumping et un MACF réellement appliqué.
La survie de la sidérurgie européenne se joue d'abord à Bruxelles. Il s'agit de rétablir une concurrence loyale dans une guerre économique mondiale. Nous plaidons pour une véritable défense commerciale et une préférence européenne concrète. La France a bataillé et obtenu un plan d'urgence sur l'acier : au-delà d'un certain seuil, des droits de douane de 50 % seront imposés sur les importations d'acier étranger. Nous nous battons désormais pour une mise en oeuvre dès le 1er janvier 2026, avec une dizaine de pays rassemblés dans l'Alliance pour l'industrie lourde. Comptez sur ma mobilisation.
La France plaide également pour une taxe carbone aux frontières qui fonctionne réellement, sans contournement possible. Ces avancées, nous les avons arrachées, nous nous battrons pour leur adoption rapide.
Non, la nationalisation n'est pas la solution, mais nous ne nous interdisons pas d'agir. Nous soutenons la décarbonation, nous finançons les technologies nouvelles, nous défendons la réciprocité commerciale, nous renforçons la compétitivité de notre industrie. Nous agissons sur tous les leviers pour que nos usines restent en France.
ArcelorMittal n'est pas à vendre. L'indépendance ne se décrète pas par un rachat, elle se construit par une stratégie industrielle. Sauver une entreprise, c'est lui donner un avenir, pas une perfusion. Cet avenir passe par la compétitivité, par l'investissement et par une action européenne cohérente.
Je partage les conclusions du rapporteur et vous invite à les suivre.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Micheline Jacques. - Lors des scrutins publics nos14 et 15, Mme Viviane Malet souhaitait voter pour.
Acte en est donné.
La séance est suspendue à 13 h 10.
Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président
La séance reprend à 14 h 40.
Nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal (Suite)
Discussion générale (Suite)
M. Thomas Dossus . - Malgré des fonds propres colossaux et des aides publiques massives, ArcelorMittal vient d'annoncer la suppression de centaines d'emplois et le report d'investissements dans la décarbonation. Face à une forme de cynisme, à la crise structurelle de l'acier européen et à une urgence climatique absolue, ce texte, cosigné par tous les groupes de gauche et écologistes, est d'une importance majeure.
La modernisation des outils de production, notamment l'électrification, est indispensable à notre transition. En 2019, les trois sites de Dunkerque, Fos-sur-Mer et Florange représentaient 24 % des émissions industrielles et 4,5 % du total des émissions dans notre pays.
Dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone, ArcelorMittal a signé en 2023 un contrat de transition écologique prévoyant une réduction de 35 % de ses émissions d'ici 2030 et l'atteinte de la neutralité en 2050. Les pouvoirs publics ont soutenu la modernisation à hauteur de 850 millions d'euros - la moitié des besoins. Hélas, le revirement d'ArcelorMittal remet en cause notre stratégie.
Cette modernisation de notre industrie est essentielle ; sans elle, il n'y aura pas de transition écologique. En particulier, la filière acier est hautement stratégique. Son avenir ne saurait dépendre de décisions erratiques prises sans aucune planification.
La Commission européenne a enfin amorcé un virage protectionniste : doublement des droits de douane, division par deux des quotas d'importation. C'est un début de réveil salutaire, alors que 150 000 emplois sont menacés de disparition dans la sidérurgie européenne.
Cette proposition de loi n'est pas idéologique, mais pragmatique. Elle vise à préserver nos capacités et nos emplois industriels, comme l'a fait le gouvernement britannique. C'est un premier pas essentiel dans la reprise en main de notre destin. Pour une souveraineté industrielle réelle et la planification des emplois et des savoir-faire, nous voterons ce texte.
Mme Mireille Jouve . - (Mme Maryse Carrère applaudit.) Il est bien difficile pour les habitants des Bouches-du-Rhône d'être insensibles à l'avenir d'ArcelorMittal. Il en va de même dans toutes les régions qui ont subi la crise liée au recul de nos capacités sidérurgiques, avec son cortège de licenciements. S'en désintéresser serait de la désinvolture - je pense notamment au site de Fos-sur-Mer, fruit d'une longue histoire, et à ses 4 000 emplois.
Ce secteur est au coeur des enjeux de décarbonation et de souveraineté. Je partage donc les interrogations et les inquiétudes des auteurs du texte ; elles sont légitimes.
Toutefois, je suis perplexe. Nationalisation : pour les uns, c'est un gros mot ; pour les autres, un totem. En commission des finances, j'ai eu la désagréable impression de revivre un film qui a donné lieu à de nombreuses querelles sous le quinquennat de François Hollande. Ne rejouons pas ad nauseam le combat des Anciens et des Modernes !
Dans le contexte des débats financiers actuels, ce texte est un cas d'école, et chacun affûte ses arguments. Oui, il est légitime de tirer la sonnette d'alarme face aux menaces sur l'emploi. Oui, nous avons besoin d'une réponse au niveau européen. Mais l'antienne « ce n'est pas nous, c'est Bruxelles » est insuffisante...
Ne passons pas à côté du débat essentiel. Les 200 milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises sont nécessaires, soit ; mais elles doivent servir notre souveraineté et nos emplois, et le chantage auquel elles donnent parfois lieu n'est pas acceptable. Il faut les réglementer, les évaluer et les contrôler à l'aune de l'investissement, de l'emploi et des stratégies des entreprises.
Voilà une démarche qui serait fructueuse. Et si des entreprises font un usage abusif des aides reçues, nous sommes en droit de dire, comme Margaret Thatcher : « I want my money back ! »
À titre personnel, je voterai contre ce texte ; les autres membres du RDSE se détermineront librement.
M. Michel Canévet . - L'Union centriste remercie le groupe CRCE-K d'avoir déposé ce texte, car l'industrialisation de la France et, en particulier, l'avenir de la sidérurgie sont des questions majeures.
Nous ne sommes pas opposés par principe à la nationalisation : nous avons soutenu, l'année dernière, la nationalisation intégrale d'EDF - même si nous aurions préféré une plus grande participation des salariés au capital. Nous ne sommes pas hostiles à un État fort au service du développement économique, notamment dans un domaine aussi crucial que celui de l'énergie.
D'autre part, nous sommes particulièrement sensibles aux enjeux de l'acier. En 1951, la Communauté européenne s'est construite, pour notre plus grand bien, à partir du charbon et de l'acier. C'est là que s'est forgé l'esprit de l'Europe.
L'acier demeure un enjeu essentiel, dans un contexte paradoxal : au niveau mondial, production largement excédentaire, qui pose des problèmes de compétitivité ; en France, un acteur de première importance, ArcelorMittal, employant 15 000 salariés sur une quinzaine de sites.
À chaque difficulté, faut-il envisager une nationalisation ? Nous pensons qu'il faut y réfléchir à deux fois. Nous pourrions être entraînés à des dépenses considérables, alors que la priorité est à la baisse des dépenses publiques. La surtaxation, qui semble en faveur à l'Assemblée nationale, ne peut que provoquer un recul des investissements nécessaires à l'expansion du pays. Nous voulons un pays prospère qui fait la prospérité de ses habitants ; pour cela, il faut se retrousser les manches.
Les pouvoirs publics ne sont pas un puits sans fond, et nous devons garder des capacités financières pour mener des politiques publiques utiles. Soyons donc extrêmement prudents.
Monsieur le ministre, nous vous souhaitons pleine réussite dans votre combat pour la réindustrialisation. La tâche n'est pas aisée. Elle suppose d'abord de restaurer la compétitivité des entreprises, notamment en baissant leurs charges.
La majorité de l'Union centriste ne soutient pas ce texte.
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Ce texte prévoit - tout simplement - le rachat par l'État des actifs français d'ArcelorMittal. L'État deviendra donc sidérurgiste.
Surprenante, l'idée n'est pourtant pas nouvelle. Au début des années 1980, les socialistes, poussés par les communistes, ont nationalisé Usinor-Sacilor. Treize ans plus tard, au moment de la privatisation, il est clair que l'État n'a pas pu empêcher la casse sociale. L'affaire lui a, en revanche, coûté extrêmement cher : 100 milliards de francs engloutis.
L'institut La Boétie, think tank des Insoumis, a lui-même estimé le coût de l'opération à 4 à 6 milliards d'euros : une bagatelle... Sans compter les investissements massifs nécessaires ni la facture sociale. Bref, nous paierions trois fois au lieu d'une.
Le contexte est similaire à celui des années 1980, marqué par une surproduction mondiale et une plongée du cours de l'acier. Il faut, en outre prendre en compte l'impératif climatique. Notre pays ne dispose ni d'importants gisements ni d'énergie et de main-d'oeuvre à bas coût. L'URSS, qui bénéficiait de ces atouts, a pourtant échoué par dirigisme économique ; des milliards de roubles ont été engloutis, au détriment, par exemple, de l'alimentation.
L'alternative est simple : soit nous utilisons des milliards fictifs pour nous approprier une entreprise qui n'est pas à vendre, soit nous employons cet argent à bon escient pour investir dans notre souveraineté industrielle.
Notre industrie doit être protégée contre les distorsions de concurrence. Nous devons aussi restaurer notre compétitivité par une fiscalité équivalente à celle de nos concurrents. Il faut aussi accompagner le verdissement du secteur par des investissements ciblés.
Voilà les réponses attendues par les salariés d'ArcelorMittal ou de Novasco ! Le groupe Les Indépendants s'opposera à ce texte qui obéit à une logique d'un autre temps.
Mme Catherine Belrhiti . - ArcelorMittal est un enjeu éminemment stratégique pour notre industrie. Celle-ci affronte des turbulences qui affectent durement nos territoires. Élue de la Moselle, au coeur du bassin sidérurgique lorrain, je parle en connaissance de cause.
L'usine ArcelorMittal de Florange est un immense complexe qui emploie 4 000 personnes. Vous vous souvenez de la visibilité de nos hauts-fourneaux lors de la campagne de 2012. Lorsqu'Arnaud Montebourg avait mis sur la table la nationalisation, les syndicats n'étaient pas unanimes : la CFE-CGC y était opposée - sa position n'a d'ailleurs pas varié. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe CRCE-K) La nationalisation ratée d'Usinor a marqué les esprits.
Il faut regarder la réalité en face : concurrence féroce des aciers importés, dépendance à un marché automobile fluctuant, manque d'investissements. Nationaliser n'aura aucun impact sur les équilibres économiques mondiaux. Avec quels moyens l'État pourrait-il investir massivement ?
Quelques jours après l'annonce du plan acier de la Commission européenne, ArcelorMittal a annoncé la suppression de centaines d'emploi. Je pense notamment au site de production de chaux vive à Dunkerque, où la disparition de 636 postes est envisagée.
Oui, les pouvoirs publics doivent prêter attention aux enjeux humains et sociaux. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) Mais nous avons besoin d'une vision globale et de long terme. Et si la décarbonation est un horizon souhaitable, il faut se garder de surnormer. Il faut aussi agir au niveau européen : la Commission européenne a réduit les quotas d'importation et rehaussé les droits de douane, ce qui est un bon début - même si nous aurions dû agir plus tôt.
Les Républicains votera contre cette proposition de loi.
M. Stéphane Fouassin . - Cette proposition de loi est ambitieuse sur le papier mais périlleuse dans les faits. Nul ne pourrait s'opposer aux objectifs de ses auteurs, mais encore faut-il choisir les bons outils. Or la nationalisation proposée ne serait ni réaliste, ni efficace, ni responsable.
Sur le plan juridique, nationaliser n'est pas interdit, mais il y faut une nécessité impérieuse. Ici, quelle est l'urgence ? ArcelorMittal est une entreprise solide, qui emploie autant de salariés qu'il y a cinq ans et investit, certes trop lentement ; rien à voir avec la situation d'EDF en 2023. En outre, les indemnisations prévues sont incertaines. Le risque de censure constitutionnelle est donc manifeste.
Sur le plan économique, la nationalisation créerait un monstre économique non viable. Dans le cadre d'une chaîne mondiale intégrée, isoler la partie française reviendrait à couper le moteur du reste du véhicule. L'État serait seul à financer des pertes structurelles et le coût colossal de la décarbonation.
Sur le plan politique, l'adoption de cette proposition de loi enverrait un très mauvais signal aux investisseurs étrangers, celui du repli et de la défiance. Cela ruinerait tous les efforts menés ces dernières années pour rendre la France attractive.
Mme Cécile Cukierman. - On voit les résultats...
M. Stéphane Fouassin. - Au Royaume-Uni, le bilan des nationalisations menées dans les années 1960 a été catastrophique. Chez nous, dans les années 1980, les nationalisations ont coûté très cher et se sont terminées par une privatisation.
Oui, ArcelorMittal doit faire plus pour l'emploi et l'investissement. Oui, les aides publiques doivent avoir pour contrepartie des engagements fermes. Mais cette proposition de loi n'est pas une bonne solution. Il faut agir par la transparence, la régulation et l'investissement conjoint.
Le RDPI votera contre ce texte.
Mme Isabelle Briquet . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci au groupe CRCE-K d'avoir pris l'initiative de ce débat. Parler d'acier, c'est parler de ce que nous sommes, d'une Europe forgée dans le feu des hauts-fourneaux, d'une France bâtie sur le travail industriel et la fierté ouvrière.
La sidérurgie européenne traverse une crise profonde. Entre 2014 et 2023, la production a baissé de 20 %, l'emploi de 8 %. L'Europe ne représente plus que 6,8 % de la production mondiale.
Ce recul a trois causes : ralentissement des secteurs de la construction et de l'automobile ; coûts de l'énergie élevés ; surcapacités mondiales entretenues par la Chine.
ArcelorMittal a récemment annoncé la suppression de plus de 600 emplois en France, après avoir réalisé plus de 700 millions d'euros de bénéfices au seul premier trimestre, perçu de nombreuses aides publiques et distribué 9 milliards d'euros de dividendes depuis 2020.
Comment accepter qu'un groupe ayant bénéficié de la solidarité nationale se comporte en investisseur opportuniste, sans égard pour les engagements pris, les salariés et les territoires ? Je pense à nos bassins industriels, aux salariés et à leurs familles, aux sous-traitants.
Nationalisation, mise sous gestion publique temporaire, prise de participations, conditionnement des aides : toutes ces pistes méritent d'être examinées, sans tabou.
Le péché de notre époque est d'avoir cru que le marché pourrait tout structurer en tout temps. Nous ne sommes pas hostiles à l'économie de marché, mais voulons un État stratège et non spectateur. Tirons les leçons de décennies de désarmement public et défendons nos intérêts stratégiques face à des multinationales qui s'affranchissent de toute responsabilité. Conditionnons les aides publiques et interrogeons-nous sur la cohérence des politiques industrielles depuis vingt ans.
Sortant enfin de la naïveté, la Commission européenne a commencé à agir. La clause de sauvegarde sur les investissements étrangers va dans le bon sens, mais ne suffit pas. Il faut une stratégie ambitieuse fondée sur la réciprocité normative. Une part des marchés publics doit aussi être réservée à la production locale.
La désindustrialisation a fracturé nos territoires et nourri le sentiment d'abandon. La réindustrialisation est un objectif économique, mais surtout un impératif social et territorial. Ce texte nous donne l'occasion de retrouver l'esprit qui, un temps, nous a permis de nous rassembler pour la défense de la souveraineté et de l'indépendance de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K)
Mme Silvana Silvani . - La sidérurgie mondiale est en crise : la production dépasse la demande du fait des subventions massives de Pékin et la politique protectionniste de Trump restreint les débouchés.
Pendant que d'autres planifient et protègent, la France choisit la passivité. ArcelorMittal joue avec notre outil industriel comme on déplace des pions sur un échiquier. Présidents et ministres se succèdent, oubliant que derrière les restructurations, les rationalisations et les plans sociaux, il y a des visages : ceux de Dunkerque, Gandrange, Hayange, Florange et Denain, entre autres.
ArcelorMittal dispose de 17,6 milliards de fonds propres. Entre 2021 et 2024, le groupe a réalisé 32,6 milliards d'euros de bénéfices et versé 13,2 milliards à ses actionnaires. Pourtant, il a reçu 392 millions d'euros d'aides publiques en France en 2023, tout en se livrant à un chantage permanent à l'emploi.
Cette situation est le produit d'un modèle servant à enrichir les actionnaires. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat en témoigne : 211 milliards d'euros sont distribués chaque année aux entreprises sans contreparties ni contrôle.
L'argent existe, mais il nourrit la rente et crée des déserts économiques et sociaux. L'État verse des aides qui soutiennent la casse de notre outil productif et accepte que des secteurs stratégiques soient soumis aux groupes privés. Quelle est la vie des jeunes dans la vallée de la Fensch ? Qui agit contre le déracinement ou le kilométrage à rallonge pour accéder à l'emploi après avoir versé une larme à la lecture de Nicolas Mathieu ?
La sidérurgie française est à un carrefour historique : disparition ou renaissance grâce à une vision publique alliant écologie, indépendance nationale et intérêts sociaux. La nationalisation n'est pas un retour en arrière, mais une réponse adaptée aux défis du XXIe siècle. Décarboner sans désindustrialiser, innover sans dépendre : tels sont les défis à relever pour que la France reste une nation industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)
M. Joshua Hochart . - Voici un texte d'une importance capitale pour notre industrie, mon territoire du Nord et des milliers de familles. À Denain comme dans tout le bassin sidérurgique du Nord, l'histoire de l'acier est celle de nos vies, de nos luttes et de notre dignité.
Hélas, depuis des années, aucun investissement sérieux n'a été consenti, alors même que nous parlons d'un secteur essentiel à notre souveraineté et confronté à des concurrents étrangers qui n'ont aucune contrainte environnementale ni sociale.
Nationaliser peut sembler à première vue un acte de souveraineté et de reconquête industrielle. Mais il n'aurait de sens que si l'État s'y engageait avec lucidité, une stratégie et la volonté de rendre des comptes à la nation. Or rien dans ce texte ne l'assure : il s'agit d'une nationalisation sans cap ni garantie. Elle pourrait bien n'être qu'un rachat à perte, une aventure technocratique faisant de l'État l'actionnaire passif d'un géant sans boussole.
Le Rassemblement national ne peut donc pas soutenir ce texte. Nous ne rejetons pas l'idée que l'État puisse reprendre la main sur des actifs stratégiques. Au contraire, nous avons toujours défendu une politique industrielle ambitieuse, mais guidée par une logique de souveraineté et d'efficacité, non par une logique idéologique ou opportuniste.
M. Ian Brossat. - Porte-parole du Medef !
M. Joshua Hochart. - Nos territoires ne veulent plus de symboles, mais des actes. Notre industrie a besoin d'un État fort, pas d'un État figurant. La défense de l'acier français n'est pas une posture, mais un devoir.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Entre ce qu'on lit sur vos tracts et ce que vous dites à la tribune...
Discussion des articles
Article 1er
Mme Mireille Jouve . - La nationalisation serait particulièrement coûteuse pour nos finances publiques et, dans un contexte mondial de concurrence déséquilibrée, seule une initiative européenne pourrait être efficace.
Mais il faut apporter une réponse urgente aux salariés d'ArcelorMittal. Une prise de participation via l'Agence des participations de l'État ou Bpifrance serait une solution de moindre coût : l'État pourrait s'opposer à la suppression d'emplois et contribuer au verdissement de l'activité. D'autres États pourraient rejoindre l'actionnariat, dans une logique européenne.
Les entreprises sidérurgiques les plus performantes sont souvent celles où les salariés participent aux décisions : l'entreprise suédoise SSAB en est un bon exemple, alliant compétitivité, transition écologique et responsabilité sociale.
Mme Audrey Linkenheld . - Merci au groupe communiste pour l'initiative de ce débat sur un sujet douloureux. Parmi les sites concernés, je pense en particulier à Dunkerque, mais aussi à Mardyck.
Plusieurs solutions sont possibles : la nationalisation en est une. Il est important d'en discuter.
Nous faisons face à une concurrence importante et déloyale, surtout en provenance d'Asie. L'Europe a tracé des solutions avec les quotas d'importation. Mais pourquoi ne pas poser la question du capital à l'échelle européenne ? Nous gagnerions à réfléchir dans cette perspective d'européanisation.
M. Pascal Savoldelli . - Monsieur le ministre, vous avez donné une interview au Journal économique. On y lit que le nouveau baromètre des ouvertures et fermetures des sites industriels en France, réalisé par Bercy, confirme les ratés de la politique de réindustrialisation... Ce n'est pas L'Humanité qui le dit ! Vous dites que vous mobiliserez les préfets. Tout le monde a bien compris qu'il s'agissait uniquement d'un problème administratif... Ce n'est pas très sérieux.
Pas moins de 150 000 emplois sont menacés à l'échelle européenne d'ici à 2030, après 18 000 suppressions en 2024. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues de droite, vous avez critiqué la nationalisation, mais n'avez formulé aucune autre proposition. Quelle sera la position de la France à l'égard des propositions de la Commission européenne ?
M. Ian Brossat. - Exactement !
M. Pascal Savoldelli. - Au reste, sans relance de la production, les mesures d'harmonisation européenne n'auront aucun effet face à une concurrence exacerbée. Il y va de notre souveraineté !
M. Marc Laménie . - Merci au groupe CRCE-K pour l'initiative de ce débat. Mme Cukierman a rappelé que 15 000 personnes étaient concernées par ce débat. Je pense en particulier aux 150 salariés du site de Mouzon, dans les Ardennes.
Le fret ferroviaire décline, hélas. Or il est un débouché essentiel pour la sidérurgie.
Monsieur le ministre, de nombreux dossiers qui concernent les Ardennes ont été portés à votre connaissance. Dans le cadre de la commission d'enquête sur les aides publiques, nous avons auditionné le patron d'ArcelorMittal avec Fabien Gay et Olivier Rietmann.
Fidèle à mes engagements, je ne voterai pas contre ce texte ; je m'abstiendrai donc.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°17 :
| Nombre de votants | 345 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 342 | 
| Pour l'adoption | 107 | 
| Contre | 235 | 
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
Mme Karine Daniel . - Je remercie à mon tour le groupe CRCE-K de mettre en lumière les enjeux liés à l'acier et à la transition écologique. Ils sont essentiels pour l'économie de demain.
Défendre l'acier européen, c'est un enjeu de souveraineté, mais aussi de dignité et de reconnaissance pour les ouvriers de cette filière. J'ai une pensée spéciale pour la centaine de salariés des forges de Basse-Indre, en Loire-Atlantique, touchés par un plan social.
Il est temps de renouer avec une ambition industrielle forte, sans naïveté. ArcelorMittal utilise la concurrence interne entre ses sites pour affaiblir l'outil productif européen : nous devons combattre cette stratégie !
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°18 :
| Nombre de votants | 345 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 342 | 
| Pour l'adoption | 107 | 
| Contre | 235 | 
L'article 2 n'est pas adopté.
Article 3
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°19 :
| Nombre de votants | 345 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 342 | 
| Pour l'adoption | 107 | 
| Contre | 235 | 
L'article 3 n'est pas adopté.
Mme Cécile Cukierman. - Rappel au règlement, sur l'organisation de nos travaux. Monsieur le président, combien de temps nous reste-t-il dans le cadre de notre espace réservé ?
M. le président. - Nous avons jusqu'à 16 h 03.
Article 4
M. le président. - Je vais mettre aux voix l'article 4.
Si cet article n'était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l'article 5, qui deviendrait sans objet.
Il n'y aurait par ailleurs plus lieu de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, dont tous les articles auraient été successivement rejetés. C'est donc le moment d'expliquer son vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je viens d'une belle région industrielle, le Pas-de-Calais. Après la fermeture des mines, nous avons eu de nouvelles industries. Metaleurop : 800 salariés, virés du jour au lendemain. Synthexim, Meccano, Bridgestone : idem.
C'est pourquoi cette proposition de loi a du sens. J'avais proposé de nationaliser Synthexim, mais l'État s'y est toujours refusé. Résultat : des milliers d'emplois perdus dans le département, des reconversions promises mais qui ont laissé des milliers de familles sur le carreau.
Aujourd'hui, si nous laissons faire, si nous ne nationalisons pas, ArcelorMittal finira dans le même état que les entreprises que j'ai citées. Nous avons une responsabilité.
Monsieur Hochart, le discours que vous tenez ici est bien différent de celui que vous tenez aux salariés dans les tracts du RN !
M. Joshua Hochart. - Je n'ai pas de leçons à recevoir de vous !
M. Pierre Barros . - Ce débat renvoie à une histoire, à un positionnement stratégique. Quelle politique industrielle aujourd'hui en France ? Alsthom, devenu Alsthom Atlantique puis Alstom, était un fleuron qui faisait la fierté de la France : turboalternateurs, centrales nucléaires, barrages hydrauliques. Cette histoire s'est arrêtée dans les années 2010, quand un certain ministre a bradé l'entreprise à General Electric. La politique industrielle de la France, c'est l'abandon d'une histoire industrielle, l'abandon des hommes et des femmes qui ont fait l'honneur et la richesse du pays.
On a fait le choix du tout-tertiaire, avec la Chine et l'Inde pour grand atelier. Les résultats, en termes de dumping environnemental et social, sont édifiants. Pour garantir notre souveraineté, nous devons produire localement. C'est un choix politique.
Mme Silvana Silvani . - Monsieur le rapporteur, vous estimez le coût de la nationalisation entre un et quelques milliards d'euros. Ce ne me semble pas être un gouffre insurmontable.
Monsieur le ministre, vous avez proposé des aides supplémentaires pour soutenir la compétitivité. Mais des aides ne suffiront pas, vu l'état de nos entreprises !
Une collègue appelle à investir ? C'est déjà le cas. Mais il y a des cas où des investisseurs nous mènent par le bout du nez : l'État consent des aides, mais il n'y a aucune contrepartie !
Quel est le projet de réindustrialisation de la France ? Ce qui est sûr, c'est qu'on n'en voit pas les résultats depuis 2017.
Mme Cécile Cukierman . - Cette proposition de loi va être rejetée, je le regrette. On ne peut pas défendre la réindustrialisation, la souveraineté industrielle et se désintéresser de la question clé de la sidérurgie.
Un emploi industriel, c'est quatre emplois indirects. La fermeture des hauts-fourneaux aura des conséquences catastrophiques pour les territoires.
Des centaines de salariés sont inquiets. Le marché n'a rien fait pour eux, voilà la réalité ! La majorité des responsables politiques disent : « c'est malheureux, mais on ne peut rien pour vous ».
Si je fais de la politique, c'est que je crois à la mobilisation collective pour changer la vie des gens. Renoncer à ce combat, c'est servir la résignation, l'individualisme, l'immobilisme - terreau de l'extrême droite.
Au-delà de la question de la nationalisation, nous posons la question de l'action publique pour apporter des réponses aux Français. (M. Ian Brossat applaudit.)
M. Arnaud Bazin, rapporteur de la commission des finances . - Je voulais démontrer que la nationalisation des sites d'ArcelorMittal n'était pas la solution. Cela ne signifie pas que l'on ne peut, que l'on ne doit rien faire, bien au contraire !
Peut-il y avoir une France sans industrie ? Non. Peut-il y avoir une industrie sans acier ? Non. Mais face à la concurrence déloyale que nous fait la Chine et demain l'Inde, face à la surproduction, la solution est de garantir un prix de l'acier qui permette de produire en Europe. Cela suppose des mesures de protection. Le doublement des droits de douane est un premier pas ; il faut désormais une mise en oeuvre rapide de la compensation carbone aux frontières. Moyennant quoi, on attend qu'ArcelorMittal honore ses engagements en matière de décarbonation. Ces investissements colossaux seront soutenus par l'État mais essentiellement apportés par des fonds privés.
On peut regretter que l'Europe ait tardé à réagir. Nous commençons à obtenir gain de cause. Il faudra être vigilants.
Le débat a été de qualité. Nous resterons attentifs à ce dossier.
M. Joshua Hochart . - Mes collègues communistes nous ont accusés de tenir un double discours. C'est totalement faux ! Vous dénoncez aujourd'hui les effets d'une politique que vous avez vous-mêmes soutenue.
M. Ian Brossat. - N'importe quoi !
M. Joshua Hochart. - C'est en 2012, sous François Hollande, que les hauts-fourneaux de Florange ont été fermés. Je note que vos amis socialistes sont d'ailleurs peu nombreux... (Exclamations indignées sur les travées du groupe CRCE-K)
Vous soutenez le marché européen de l'acier, puisque vous soutenez l'Union européenne !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - N'importe quoi !
M. Sébastien Martin, ministre délégué . - Je suis satisfait de la qualité de nos échanges. Sur tous les bancs, vous avez représenté une part de la vision nationale s'agissant de la nécessité de soutenir l'industrie française et européenne.
Monsieur Savoldelli, ne faites pas dire à l'article des Échos ce qu'il ne dit pas : évidemment, la situation est très difficile, très complexe. Le modèle européen est attaqué avec des leviers économiques mais aussi politiques et numériques. La réponse n'est pas la nationalisation, mais la mobilisation, qui doit associer l'État, le monde économique, les territoires - je le dis en tant qu'ancien président d'une association d'élus.
L'industrie n'est pas qu'un sujet économique mais un sujet de cohésion nationale, de parcours professionnels, souvent plus intéressants dans l'industrie, un sujet de projet pour des territoires qui ne créent plus de valeur quand ils se désindustrialisent.
Sortons de la naïveté face à l'agression à laquelle nous sommes confrontés. Quand des produits importés sont massivement subventionnés, dans le seul but de casser les prix, de sorte que l'écart n'est pas rattrapable, c'est une agression. Nous nous défendons.
Des droits de douane devraient s'appliquer en janvier 2026. Nous ferons tout pour que le texte de la Commission entre en vigueur au plus vite, pour répondre à l'invasion de la sidérurgie asiatique.
Nous croyons à la nécessité de décarboner, mais encore faut-il mettre en place les mécanismes de protection aux frontières - d'où le MACF, qui ne doit pas pouvoir être contourné.
Enfin, nous devons nous battre pour le principe de préférence européenne. C'est le combat que je compte mener dans les mois à venir.
M. Thomas Dossus . - Le discours du ministre est oecuménique : on va tous se donner la main... (Mme Cathy Apourceau-Poly s'en amuse.)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Cela peut aider !
M. Thomas Dossus. - Je reste sur ma faim, car il manque une vision stratégique pour l'industrie française ou européenne.
L'Europe se réveille. Enfin ! Alors que les grands empires pratiquent l'archisubvention de leur économie, la concurrence déloyale et la surproduction, nous avons besoin de barrières - mais aussi d'une vision industrielle de filière.
Pour l'instant, la nationalisation est le seul outil mis sur la table ; aucune alternative n'a été proposée. Nous avons besoin d'une mobilisation et d'une vision stratégique pour l'industrie française.
M. le président. - Je mets aux voix l'article 4.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 4 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°20 :
| Nombre de votants | 345 | 
| Nombre de suffrages exprimés | 342 | 
| Pour l'adoption | 107 | 
| Contre | 235 | 
L'article 4 n'est pas adopté, non plus que l'article 5.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Prochaine séance, mardi 4 novembre à 9 h 30.
La séance est levée à 16 heures.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 4 novembre 2025
Séance publique
À 9 h 30, 14 h 30 et 21 heures
Présidence : M. Alain Marc, président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente Mme Sylvie Robert, vice-présidente
1. Questions orales
2. Débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances (Demande de la commission des finances)
3. Débat sur le thème : « L'avenir de la décentralisation » (Demande du groupe Les Républicains)
4. Débat sur le thème : « L'avenir de la décentralisation » (Demande du groupe Les Républicains)
5. Débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? » (Demande du groupe SER)
 
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                            