SÉANCE

du mardi 18 novembre 2025

15e séance de la session ordinaire 2025-2026

Présidence de M. Gérard Larcher

La séance est ouverte à 14 h 30.

Lutte contre les fraudes sociales et fiscales (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

Explications de vote

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ainsi que sur quelques travées du RDPI et du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.) Les fraudes, fiscales ou sociales, abîment notre capacité collective à agir pour l'intérêt général.

Collectivités, Sdis, hôpital public, monde associatif, éducation nationale vont être soumis à de nouveaux efforts budgétaires et nous devons trouver des ressources -  nous débattrons prochainement de l'opportunité de renforcer la fiscalité.

Les ressources que nous retrouverons grâce à la lutte contre la fraude seront utiles au budget 2027. La fraude fiscale est estimée à près de 100 milliards d'euros, contre 13 milliards d'euros pour la fraude sociale. En 2024, le Gouvernement a recouvré 20 milliards d'euros, dont 3 milliards dans le champ social.

Toutes les fraudes doivent être combattues, mais je regrette que le projet de loi se focalise surtout sur les fraudes dont les montants sont les plus faibles. Contre les grandes fraudes, il faut de grands moyens.

Ce projet de loi a le mérite de renforcer notre arsenal. Il fluidifie la circulation des données entre administrations et étend leur accès à certains fichiers. Leur coopération est élargie aux établissements bancaires et aux organismes de formation.

Il s'intéresse aussi aux nouvelles formes de fraude, sur les plateformes de VTC et dans le transport sanitaire. Les données des plateformes seront ainsi intégrées au périmètre de Tracfin.

Nous nous félicitons des avancées sur le compte personnel de formation (CPF) : il est inacceptable que des organismes sans existence réelle détournent des fonds publics.

L'article 14 corrige une erreur de droit manifeste : un trafiquant ou un fraudeur ne pourra plus bénéficier de la solidarité nationale. Cela fait suite à la commission d'enquête sur le narcotrafic à laquelle j'ai participé.

L'article 19 autorise le recours aux techniques spéciales d'enquête - c'est une avancée majeure. La fraude organisée doit être traitée comme un crime économique. Les peines sont alourdies, la confiscation générale du patrimoine devient possible.

Nous devons voter ce texte, mais il n'est pas un blanc-seing à l'administration. Attachés au principe de proportionnalité, nous regrettons que le Sénat ait rejeté l'amendement de Guylène Pantel visant à éviter que le recouvrement ne prive un allocataire de tout moyen de subsistance. L'État doit être ferme, mais juste.

Ce texte s'inscrit dans un cadre européen refondé par la directive ViDA sur la lutte contre la fraude à la TVA : extension du guichet unique européen, facturation électronique obligatoire des transactions transfrontalières et harmonisation des systèmes nationaux d'ici à 2035. Chaque année, la fraude à la TVA coûte 50 milliards d'euros à l'Europe. Le calendrier de mise en oeuvre de la directive mériterait d'être accéléré. L'Union européenne doit lutter efficacement contre la concurrence déloyale et le crime organisé, qui gangrènent nos territoires.

Ce texte ne résoudra pas tout, mais il est attendu. Le RDSE le votera, car la lutte contre la fraude garantit le consentement à l'impôt. (Applaudissements sur les travées du RDSE, sur quelques travées du groupe UC et au banc des commissions)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Je félicite mes collègues rapporteurs Bernard Delcros et Alain Duffourg, ainsi que ma complice Frédérique Puissat que je remercie pour son écoute. Si nous avons un bon texte, plus musclé, c'est grâce à notre volonté de coconstruction.

Je remercie aussi Alain Milon, qui a présidé notre commission, un peu jeune dans le métier (on s'en amuse sur diverses travées), mais qui a du potentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Je salue enfin Nathalie Goulet, pionnière de la lutte contre la fraude (applaudissements sur les travées du groupe UC), qui a eu du courage. J'espère que son texte sur le blanchiment poursuivra son chemin législatif.

Grâce à notre travail, nous avons amélioré le texte, avec l'ambition de lutter contre toutes les fraudes, d'où qu'elles viennent, de manière impitoyable, partout et de tout temps, pour détecter, mieux récupérer et sanctionner plus sévèrement. D'où un durcissement des procédures, notamment sur la fraude fiscale à l'initiative de Bernard Delcros, pour criminaliser la fraude en bande organisée -  une révolution !

Nous sommes passés d'une fraude occasionnelle à une fraude en réseau et organisée que l'on retrouve dans le narcotrafic, les certificats d'économies d'énergie (C2E), MaPrimeRénov' (MPR), la taxe carbone...

Nous donnons la possibilité aux administrations du champ social - CAF, CPAM, France Travail, départements  - d'accéder, comme le fisc, aux comptes à l'étranger ainsi qu'à certains fichiers, pour traquer notamment les entreprises éphémères. Les administrations pourront ainsi tenir les objectifs de récupération : plus de 1,5 milliard d'euros pour la fraude fiscale et 800 millions d'euros pour la fraude sociale.

Je n'ai pas compris votre gêne, sur certains bancs, de sanctionner la fraude sociale. Certes, elle n'est pas de même nature que la fraude fiscale et ses montants sont plus modestes. Alors que 11 milliards d'euros ont été récupérés sur 17 milliards détectés pour la fraude fiscale, 1 milliard seulement a été récupéré sur 5 milliards d'euros détectés pour la fraude sociale.

Nous devons traquer toutes les fraudes avec la même détermination. Car la victime, c'est toujours la même : le citoyen, le contribuable, l'ouvrier qui cotise...

Mme Cécile Cukierman.  - Ça va !

M. Olivier Henno.  - ... au nom de cette culture de l'excuse qui nous a fait tant de mal et qui a toujours fait progresser les populismes. (Mme Cécile Cukierman proteste.)

Le consentement à l'impôt est fragilisé parce que nos concitoyens ont souvent eu l'impression que les pouvoirs publics étaient trop indulgents avec celui qui triche ou qui profite.

Nous pouvons être fiers du travail du Sénat.

Ce texte n'est pas la fin de l'histoire, loin de là. Le monde change vite -  plateformes, cryptomonnaies... Notre législation devra continuer à s'adapter pour traquer cette pieuvre qu'est la fraude. C'est un combat permanent, indispensable, légitime. Comme le dit Montesquieu, la triche, même en petite quantité, finit par tout gâter.

Le groupe UC votera ce texte avec enthousiasme et fierté. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et sur quelques travées du RDSE)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Grâce aux apports de nos commissions, ce texte nous donne les moyens de lutter de manière transversale contre les fraudes fiscales et sociales. Détection, sanction, recouvrement : tous les volets sont renforcés.

Le partage d'informations entre administrations sera décloisonné, même si certaines coopérations évidentes n'auraient pas dû nécessiter l'intervention du législateur... Mais il faudra aussi que nos systèmes d'information soient interopérables, sécurisés et capables de traiter des masses de données -  et nos agents formés.

Nous avons besoin d'une administration numérisée, performante et cohérente, pour lutter contre tous les fraudeurs, sans stigmatiser aucun groupe -  employeurs, allocataires, professionnels de santé.

En commission, nous avons aggravé les peines pour escroquerie aux finances publiques en bande organisée, élargi l'accès à certains fichiers, prévu certains cas de refus de conventionnement par l'assurance maladie et développé les échanges d'informations.

Les prochains textes budgétaires traiteront des moyens nécessaires. Espérons que nous améliorerons le recouvrement !

Si toute fraude est un abus, tout abus est-il pour autant une fraude ? La fraude est le contournement volontaire de la règle, mais parfois cette règle est abusive, floue ou coûteuse... Ne multiplions pas les obstacles aux usagers de bonne foi. L'efficacité n'est pas l'ennemie de la simplicité. Quand les règles semblent injustes, il faut revoir le droit.

J'espère que le prochain PLFSS nous permettra d'aller vers plus de pérennité budgétaire, mais aussi d'équité, de justice et de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie mon complice Olivier Henno avec lequel nous avons travaillé matin, midi et soir ! (On s'en amuse sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Le 30 juin, était promulguée la loi de lutte contre toutes les fraudes aux aides publiques. Dans la même dynamique, nous examinons aujourd'hui un présent texte demandé par les présidents Darnaud, Wauquiez et Retailleau, ainsi que par la majorité sénatoriale.

Nous partons de bien bas et sommes bien démunis face à des dizaines de milliers d'euros qui s'évaporent chaque année. Notre administration est bien mal outillée et les fraudeurs déjouent nos systèmes de régulation.

L'encre du Gouvernement n'était pas encore sèche quand ce texte nous est parvenu. Mais il n'était qu'un patchwork de mesures, qui ne donnait pas à notre administration la force de frappe espérée. L'intention était là, mais il manquait une ambition à la hauteur des enjeux.

Mme Anne-Sophie Romagny.  - C'est vrai !

Mme Frédérique Puissat.  - Le Sénat a donc insufflé cette ambition, en créant de nouveaux canaux d'échanges d'informations et en élargissant l'accès à certains fichiers, comme ceux des compagnies aériennes ou des opérateurs téléphoniques. Nos administrations ont accès à des données, mais sans possibilité de les exploiter : quelle frustration quand les outils sont pourtant à portée de main !

Un chef d'entreprise qui ne déclare pas un salarié, c'est une fraude. (Mme Nadine Bellurot applaudit.) Une plateforme qui distribue abusivement des arrêts de travail, c'est une fraude. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Un formateur qui profite de l'argent public pour faire de l'entrisme via des formations réservées aux hommes, c'est une fraude. (Mêmes mouvements) Un demandeur d'emploi qui touche son allocation alors qu'il ne réside pas en France et ne cherche pas de travail, c'est une fraude. Une entreprise qui dépose le bilan au bout de douze mois et dont les salariés, arrêtés onze mois, perçoivent ensuite des allocations chômage pendant plus de dix-huit mois, c'est une forte suspicion de fraude. (Mêmes mouvements)

Il n'y a pas de petites ou de grandes fraudes, mais 13 milliards d'euros de fraudes. Personne ne doit échapper à la sanction.

À chaque personne auditionnée en commission, nous avons demandé : comment améliorer la lutte contre la fraude ? Cela nous a permis d'enrichir le projet de loi. Les moyens accordés - notamment à France Travail - ont pu susciter des débats, mais ils ont été demandés par les opérateurs. Nous sommes restés dans un cadre proportionné, respectant le contradictoire et les libertés.

En Isère...

M. Damien Michallet.  - Très bien !

Mme Frédérique Puissat.  - ... le parquet transmet à la CAF et à la CPAM tout jugement relatif à une personne dont les revenus étaient tirés d'activités illicites. Avec Yannick Neuder et mes collègues sénateurs isérois, Damien Michallet et Michel Savin, nous avons souhaité le généraliser à l'ensemble du territoire.

En matière de fraudes, nous avons trop souffert de nous restreindre. Espérons que nous allons enfin tourner cette page et passer à la vitesse supérieure. J'espère que les députés tiendront le cap.

Les Français ne supportent plus que des milliards d'euros d'argent public s'évaporent ; ils seront attentifs à la copie finale. Ce sont les fraudeurs qui doivent payer, pas les travailleurs !

M. Damien Michallet.  - Très bien !

Mme Frédérique Puissat.  - Les Républicains, qui avaient demandé ce texte, le voteront. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe UC ; MM. Cédric Chevalier et Marc Laménie applaudissent également.)

M. Dominique Théophile .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La fraude altère la confiance entre l'État et les citoyens, alors que nos comptes publics sont sous tension. L'édifice collectif s'en trouve fragilisé. Lutter contre la fraude, c'est donc réaffirmer le pacte commun qui fonde notre République.

Ce texte est un préalable essentiel du PLFSS et du PLF, que nous nous apprêtons à examiner. Comment demander des efforts à nos concitoyens si certains s'exonèrent des règles qui s'imposent à tous ? La solidarité ne saurait être sélective.

En 2024, 20 milliards d'euros de fraudes ont été détectés, dont 16 milliards de fraude fiscale et 3 milliards de fraude sociale. Nous avons manqué de vigilance et devons renforcer nos contrôles, nos procédures et nos moyens d'action.

D'où ce texte, enrichi par la commission et les groupes politiques, qui donne aux acteurs davantage de moyens pour faire face aux fraudeurs. Il tient aussi compte de l'évolution des pratiques frauduleuses, en rendant possible le contrôle des terminaux de paiement électroniques des professionnels et en sanctionnant les organismes de formation.

Notre groupe l'a aussi enrichi, afin d'améliorer le partage des données entre l'assurance maladie et les organismes complémentaires et de renforcer la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Nous avons aussi renforcé les exigences de transparence des entités étrangères et amélioré la lutte contre la fraude par omission, via la dissimulation de recettes. Enfin, nous avons sécurisé l'utilisation du mécénat et les avantages fiscaux des associations, car, pour être légitime, une niche fiscale ne doit pas être dévoyée. Ces avancées assurent au texte une cohérence à la hauteur des enjeux, car il est nécessaire d'agir vite et avec fermeté.

Le RDPI votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe INDEP, ainsi qu'au banc des commissions)

M. Jean-Luc Fichet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les fraudes, sociales et fiscales, - 110 milliards d'euros - sont inacceptables, car elles minent le consentement à l'impôt.

Si tous les chefs d'entreprise et professionnels de santé étaient vertueux ? ils le sont dans leur très grande majorité  - nous récupérerions près de 90 milliards d'euros et pourrions ainsi éviter de nous pencher sur les bénéficiaires du RSA et de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), de diminuer les remboursements médicaux et de nous focaliser sur le remboursement des psychanalystes par la sécurité sociale...

Mais ce projet de loi souligne en creux les enjeux que le Gouvernement n'aborde pas... Je pense à la fraude fiscale dans le système bancaire (Mme Nathalie Goulet renchérit) : des milliards d'euros échappent au fisc avec le scandale des CumCum dénoncé par le Sénat et pour lequel le Crédit Agricole doit s'acquitter d'une amende de 88 millions d'euros. Le Gouvernement est plus allant pour stigmatiser les bénéficiaires des minima sociaux ! Il aurait fallu deux textes, l'un sur les fraudes sociales, l'autre sur les fraudes fiscales.

Chers collègues de droite, vous avez multiplié les préjugés sur la fraude sociale. Pourtant, ce ne sont pas les ménages, mais les chefs d'entreprise et les travailleurs indépendants qui en sont les principaux responsables ! Le travail dissimulé coûterait ainsi, chaque année, 6,9 milliards d'euros aux Urssaf.

Pourtant, la fraude aux minima sociaux est revenue de manière lancinante sur les bancs de droite, alors qu'elle ne représente que 1,5 milliard d'euros. Le taux de non-recours au RSA est de 34 % -  d'où une économie de 3 milliards d'euros ; à l'AAH, de 61 %. Mettre autant l'accent sur la fraude sociale, réalisée maladroitement par les allocataires, est indécent. Vous stigmatisez les pauvres et protégez les riches.

Nous avons essayé de muscler la lutte contre la fraude fiscale, avec nos amendements visant la suroptimisation fiscale ou les cabinets de conseil. Mais la droite sénatoriale les a rejetés.

Mme Nathalie Goulet.  - Pas moi !

M. Jean-Luc Fichet.  - Toutefois, je me félicite de l'adoption de notre amendement, contre l'avis du Gouvernement, qui permet l'annulation automatique par l'assurance maladie des cotisations sociales prises en charge au bénéfice des professionnels de santé qui ont fraudé.

Nous aurions souhaité un texte sur la fraude sociale et un autre sur la fraude fiscale et préféré ne pas travailler dans l'urgence.

Compte tenu de cet examen expéditif et superficiel, nous ne pouvons que nous abstenir, et ce d'autant plus que la droite sénatoriale a introduit une disposition scandaleuse, la privation du tiers payant pour les assurés déjà sanctionnés -  c'est la double peine ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Pascal Savoldelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Tous les groupes de gauche nous ont rejoints pour demander le rejet de ce texte avant son examen. Non que nous soyons indulgents envers la fraude, mais parce que nous avions bien vu la manoeuvre : ce projet de loi, outil de diversion, crée une fausse symétrie entre fraude sociale et fiscale. Il y a pourtant un abîme entre la fraude de survie et la fraude d'organisation du capital !

La fraude qui ruine notre pays, celle des montages fiscaux et des multinationales, n'est presque pas traitée. Alors que 211 milliards d'euros d'aides publiques sont versés chaque année aux grandes entreprises, que les dividendes ont flambé de 85 % en six ans, que 30 000 postes ont été supprimés au fisc entre 2008 et 2024, vous rognez les APL, conditionnez les allocations, réduisez de 6 milliards d'euros en deux ans les crédits pour l'accompagnement vers l'emploi, faites des MDPH des organismes de contrôle, traquez les plus modestes. Vous protégez systématiquement les grandes entreprises et les actionnaires. (Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

En inversant les responsabilités, vous alimentez les discours de l'extrême droite, faisant des travailleurs précaires les boucs émissaires de difficultés qu'ils n'ont pas créées. (MM. Stéphane Ravier, Christopher Szczurek et Joshua Hochart protestent.)

C'est une justice à deux vitesses, une morale à géométrie variable, une politique de classe, qui criminalise les plus fragiles pour masquer les privilèges.

Mme Anne-Sophie Romagny.  - N'importe quoi !

M. Pascal Savoldelli.  - Vous imposez une austérité sociale déguisée et célébrez l'assistanat du capital. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du GEST)

Diviser pour régner : vous maniez ce vieil adage pour décrédibiliser toute alternative au néolibéralisme ; sinon, pourquoi auriez-vous rejeté l'intégralité de nos amendements contre la fraude fiscale ?

« La folie chez les grands ne doit pas aller sans surveillance », disait Shakespeare. Mais pour le Gouvernement et la majorité sénatoriale, mieux vaut que les Français s'inquiètent de la fraude du quotidien de leur voisin, plutôt qu'ils découvrent que l'État doit emprunter des milliards parce que les multinationales ne paient pas leurs impôts... Ça détourne leur attention et ça alimente les discours de l'extrême droite qui pactise avec le capital.

Pourtant, les chiffres sont clairs : la fraude sociale s'élèverait à 5,7 milliards d'euros, contre 100 milliards d'euros pour la fraude fiscale. Qui sont les vrais assistés ? (M. Stéphane Ravier ironise.)

Vous choisissez délibérément la mauvaise cible. Si cette loi faisait enfin payer les vrais fraudeurs, ce serait autant d'argent disponible pour l'éducation, la santé, les services publics - mais ce n'est pas l'objectif. Ce projet de loi, rédigé à la hâte, est là pour brouiller les conséquences sociales du PLF et du PLFSS. Concernant les plateformes, au lieu de transposer la directive européenne et d'instaurer une présomption salariale, vous laissez Uber ou Deliveroo échapper à leurs obligations.

Pire encore : vous instaurez un capitalisme de surveillance, en transformant l'État social en État liberticide. Vous créez un contrôle social permanent, algorithmique et discriminatoire. Pendant que vous pistez l'adresse IP des allocataires, 100 milliards d'euros s'envolent vers les paradis fiscaux chaque année. (M. Fabien Gay renchérit.)

Les algorithmes permettront de tracer les déplacements, communications, habitudes de vie, données téléphoniques, informations bancaires ; les personnes en affections de longue durée (ALD) et les bénéficiaires de l'AAH seront sous surveillance constante. Les allocations pourraient être suspendues sans jugement, le contradictoire venant après la sanction.

Aucune étude d'impact n'est prévue. Et lorsque j'ai posé la question sur l'avis de la Cnil, on m'a rétorqué, avec le sourire, « oh la Cnil, ça va ! » (Mme Frédérique Puissat le conteste.)

Partout, dans les démocraties néolibérales comme les États-Unis, l'Italie ou l'Argentine, nous voyons émerger le techno fascisme des plateformes numériques qui exploitent des milliers de travailleurs précaires, des Gafam et autres oligarchies numériques qui sont ravis de fournir les outils de surveillance des plus modestes. Les gouvernements exploitent les failles légales, tout en se présentant comme les défenseurs du peuple.

C'est un recul du droit. Quand l'État adopte les méthodes des grandes plateformes et transforme la solidarité en outils de surveillance, il change de nature. Ces outils n'ont pas leur place en démocratie. Le Gouvernement rend l'illégal légal et légitime l'illégitime.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Très bien !

M. Pascal Savoldelli.  - La misère devient suspecte et la fraternité est remplacée par la défiance. (Marques d'impatience à droite ; applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. le président. - Veuillez conclure.

M. Pascal Savoldelli.  - La République n'est pas un algorithme ; elle doit protéger et non pas traquer. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce projet de loi est marqué par une asymétrie entre les catégories de fraudes qui inverse les ordres de grandeur. Dans le texte initial, la fraude fiscale ne représentait que 14 % des articles, alors qu'elle représente 86 % de la fraude totale. Notre chambre n'a fait que renforcer ce renversement. Notre collègue Silvana Silvani a même renoncé à son amendement visant à rétablir l'ordre dans le titre...

La fraude sociale, qui doit être combattue sans réserve, a pour composante dominante la fraude au travail dissimulé, insuffisamment combattue. Mais ce texte orienté contre les bénéficiaires va jusqu'à doter France Travail de quasi-prérogatives de police, par l'accès intrusif à des données privées sur simple présomption de fraude. Qu'importe que le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) rappelle que la fraude sociale trouve son origine dans les pertes associées aux cotisations, vous voulez concentrer le débat sur la surveillance généralisée et la stigmatisation.

Nous souhaitions deux textes séparés, mais le texte unique a révélé vos arguments orthogonaux selon le type de fraude. Toute lutte contre la fraude doit être arbitrée en regard de principe de notre état de droit. Mais une analyse sémantique des débats révèle que vous l'avez toujours fait pour les entrepreneurs, jamais pour les assurés, pour qui présomption vaut mesures conservatoires.

Lorsque nous proposons qu'une entreprise condamnée pour fraude fiscale soit privée d'avantages fiscaux quelques années, le ministre s'alarme de la proportionnalité de la sanction. Aucun problème, par contre, lorsque les rapporteurs proposent que France Travail accède aux relevés téléphoniques dès qu'il y a des « indices sérieux »...

Quand nous proposons que l'attestation de paiement des cotisations ne soit délivrée qu'après paiement, le ministre nous invite au bon équilibre. Quand nous proposons que l'attestation de paiement des cotisations ne soit délivrée qu'après acquittement des cotisations fraudées, le ministre refuse de restreindre les droits de l'ensemble des cotisants à cause du comportement abusif d'une minorité - mais pas quand nous réclamons l'application d'un tel principe pour les demandeurs d'emploi.

Quand nous proposons de sanctionner les employeurs coupables de fraude aux cotisations sociales, le ministre nous répond que la fraude ne se présume pas - mais cet argument disparaît lorsqu'il s'agit d'assurés sociaux. Pour l'assuré, il faut de l'automaticité ; pour l'employeur, il faut personnaliser...

En discussion générale, le ministre évoquait une République lucide et déterminée. Une République qui respecte l'État de droit devrait suivre les préconisations d'instances aussi essentielles que le Défenseur des droits (exclamations à droite) concernant la proportionnalité des mesures au regard des droits et libertés. Elle devrait moduler ses efforts en fonction de l'échelle des fraudes et respecter l'avis défavorable du Conseil d'État sur une mesure difficilement compatible avec la garantie par notre République sociale d'un niveau de ressources minimales. Sans consultation de la Cnil, le Gouvernement aurait dû avoir le courage de donner un avis favorable et non de sagesse sur la suppression de l'article 28 liberticide.

Nous saluons l'échange d'informations entre agents des douanes et des services fiscaux. Mais les lignes rouges franchies sur les libertés fondamentales nous conduisent, à ce stade du parcours législatif, à un vote majoritairement contre. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes CRCE-K et SER)

M. Joshua Hochart .  - Dans nos permanences, une même inquiétude revient : l'argent public n'est plus protégé. Des fraudeurs profitent de failles énormes pendant que ceux qui travaillent dur sont contrôlés pour la moindre erreur. Cette fracture entre le pays réel et l'action publique nourrit une colère légitime, car la justice sociale commence par l'exemplarité de l'État dans la gestion de chaque euro prélevé.

Ce texte renforce certains contrôles, améliore quelques échanges d'informations et corrige les incohérences administratives - avancées que personne ou presque ne conteste, mais qui restent modestes. Tant que l'on ne s'attaquera pas aux causes du mal, la fraude restera un business rentable. Les Français veulent une stratégie globale comme celle soutenue par le Rassemblement national : sécurisons l'identité des bénéficiaires, pour éviter les usurpations ; imposons la présence physique lors de l'ouverture des droits.

M. Mickaël Vallet.  - Même chose pour les séances au Parlement européen !

M. Joshua Hochart.  - Contrôlons strictement les prestations versées aux Français hors de France pour éviter que la solidarité nationale soit une ressource exportable. Mettons fin au versement automatique des aides pour prévenir la fraude, plutôt que de la constater toujours trop tard. Enfin, il faut des sanctions dissuasives (M. Mickaël Vallet ironise) : certains fraudeurs préfèrent payer une amende que renoncer à leurs pratiques, tant elles sont profitables. Avec un remboursement intégral et des poursuites systématiques, rendons impossible la récidive.

Le texte laisse entière la question essentielle : voulons-nous une lutte véritable ou apparente ? Pour notre part, nous pensons que la France mérite une action plus ferme. Nous voterons ce texte, malgré ses insuffisances, tout en réaffirmant qu'il faut aller plus loin. (MM. Stéphane Ravier, Christopher Szczurek et Aymeric Durox applaudissent.)

Scrutin public solennel

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°29 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 271
Pour l'adoption 239
Contre   32

Le projet de loi est adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, UC et sur quelques travées du RDSE ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics .  - Merci pour votre soutien et pour vos travaux.

La fraude est surtout l'oeuvre de grands réseaux sophistiqués et de la criminalité organisée, qui détournent des centaines de millions d'euros dans l'objectif de les faire sortir du territoire.

Comme l'a dit David Amiel la semaine dernière, nous voulons poursuivre l'évaluation de la fraude fiscale et de la fraude sociale, car la fraude touche autant les finances de l'État ? donc des collectivités territoriales ? que celles de la sécurité sociale, alors que nous vivons une contrainte générale.

Ce texte est issu du bilan des actions antifraude du printemps dernier. Avec Catherine Vautrin, nous avons travaillé pour aboutir à un texte traitant à la fois de la fraude fiscale et de la fraude sociale.

Nulle volonté de faire peur aux Français : ce n'est pas un texte de surveillance et personne ne verra ses libertés remises en question. Au contraire, il donne corps au pacte républicain selon lequel chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ; personne ne doit faire entaille à l'unité de notre nation.

Les travaux se poursuivront durant la navette ; j'espère que nous parviendrons à un compromis -  pour le PLF et le PLFSS aussi.

En cas de conflit avec l'État de droit, nous saisirons les instances compétentes. Mais nous ne saurions vivre dans une République de l'impunité, de la naïveté ou de la faiblesse.

Votre vote nous engage : nous mènerons une action résolue. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe INDEP)

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités .  - La semaine dernière, vous avez enrichi le texte sur plusieurs points clés. La copie et ambitieuse et équilibrée.

Je salue la qualité de nos échanges, ainsi que l'engagement des rapporteurs (Mme Sophie Primas renchérit) et la ténacité de Nathalie Goulet. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe UC et sur quelques travées du RDSE)

Le combat contre la fraude fiscale et la fraude sociale nécessite l'ensemble des forces politiques et la coordination de toutes les administrations, car frauder, c'est voler l'argent de la France et des Français, c'est aller contre la promesse de solidarité républicaine qui est au coeur de mon ministère.

Vous aiderez les services de l'État, des Urssaf, des caisses de sécurité sociale, de France Travail et de la Caisse des dépôts : je veux les remercier et leur rendre hommage. Ils sont à pied d'oeuvre chaque jour pour détecter et sanctionner les abus, retrouver la trace de l'argent indu et le recouvrer.

Ils font face à des pratiques évoluant vite et de plus en plus variées et sophistiquées.

Le Gouvernement veillera à ce que les mesures mises en place soient proportionnées et respectueuses de la vie privée. Nulle volonté de stigmatiser ceux qui reçoivent des aides : nous ne mettons pas tout le monde sur le même plan. Je le sais, la recherche d'un emploi n'est pas un long fleuve tranquille ; mais ne soyons pas naïfs vis-à-vis de quelques-uns. Nous veillerons, au cours de la navette parlementaire, à renforcer l'efficacité de nos dispositifs sans affecter la vie privée des demandeurs d'emploi.

Le Sénat a enrichi ce texte, notamment pour lutter contre l'entrisme et le travail dissimulé, et je vous en remercie.

Les pratiques frauduleuses sont minoritaires. Mais le préjudice est tel qu'il mérite des réponses concrètes.

La complexité de notre système social contribue à la fois à la fraude et au non-recours : il faut le simplifier. La semaine dernière, lors des assises des départements de France, le Gouvernement a annoncé le dépôt d'un projet de loi relatif à l'aide sociale unique (ASU). (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - Je salue la forte mobilisation du Sénat sur ce texte qui permettra de mieux détecter, recouvrer et sanctionner.

La lutte contre la fraude permet de recouvrer des milliards d'euros, mais elle permet surtout de renforcer le coeur de notre pacte social - voilà l'élément important ! (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

La séance est suspendue à 15 h 40.

Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président

La séance reprend à 16 heures.