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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Hommages à Pierre Hérisson et à Jean-François Humbert
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre
Lutte contre les violences faites aux femmes (I)
Pollutions éternelles à l'étang de Berre
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique
Lutte contre les violences faites aux femmes (II)
Pour porter la paix face aux bellicistes
Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants
Lutte contre les violences faites aux femmes (III)
Convention citoyenne sur les temps de l'enfant
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur
Polémique à l'université Lyon-2
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale
Permission de sortie d'un narcotrafiquant
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer
Lutte contre les violences faites aux femmes (IV)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice
Financement de la sécurité sociale pour 2026 (Suite)
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics
Mises au point au sujet de votes
Avenir de la filière automobile
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains
M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie
Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains
Ordre du jour du jeudi 27 novembre 2025
SÉANCE
du mercredi 26 novembre 2025
23e séance de la session ordinaire 2025-2026
Présidence de M. Gérard Larcher
La séance est ouverte à 15 heures.
Hommages à Pierre Hérisson et à Jean-François Humbert
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs et membres du Gouvernement se lèvent.) J'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Pierre Hérisson, sénateur de la Haute-Savoie, et Jean-François Humbert, sénateur du Doubs.
Maire de la commune de Sevrier, Pierre Hérisson fut vice-président de la région Rhône-Alpes de 1992 à 1998. Il fit son entrée au Sénat, en 1995, et y siégera pendant près de vingt ans. Il rejoignit le groupe Union Centriste, puis le groupe Union pour un mouvement populaire (UMP) en 2002. Il fut membre de la commission des affaires économiques, dont il devint vice-président en 2004.
Comme président de cette commission, je peux témoigner combien Pierre Hérisson fit bénéficier l'ensemble de ses collègues de ses connaissances, s'agissant notamment des activités postales. Dès 1997, j'ai eu l'occasion de travailler avec lui dans le cadre d'un rapport d'information intitulé Sauver La Poste, sujet toujours d'actualité ; il fut rapporteur du projet de loi relatif à cette entreprise publique.
En 2011, il fut missionné par le Premier ministre, François Fillon, pour étudier un sujet complexe, un nouveau statut des gens du voyage, sujet qui concernera nombre de ses travaux au Sénat.
Le parcours de Jean-François Humbert fut marqué par les valeurs de la République. Il fut président du conseil régional de Franche-Comté de 1998 à 2004. Il fut sénateur du Doubs de 1998 à 2014. Il rejoignit le groupe des Républicains et Indépendants, puis le groupe UMP en 2002. Il fut membre de la commission des lois, puis en 2002 de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires européennes en 2010.
Le sport fut son domaine de prédilection ; il présida notamment une commission d'enquête contre le dopage.
Au nom du Sénat tout entier, je veux présenter nos condoléances à leurs familles ainsi qu'à leurs collègues du Sénat.
En leur mémoire, je vous propose d'observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs et membres du Gouvernement observent un instant de recueillement.)
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.
Taxe foncière
M. Mathieu Darnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP) Sommes-nous riches quand on a accès à l'eau courante, au chauffage, à un lavabo ou à une baignoire ? C'est ce que suggère le nouveau mode de calcul de la taxe foncière, qui instaure des mètres carrés fictifs... un chef-d'oeuvre de cynisme !
L'eau courante, 4 m2 supplémentaires, la lumière, 2 m2, le chauffage, 2 m2, les toilettes, 3 m2, le lavabo, 3 m2, et, comble du luxe, la baignoire, 5 m2. (« Oh ! » répétés sur les travées du groupe Les Républicains, ponctuant l'énumération de l'orateur.) Quand on a un studio de 15 m2, on se fera imposer sur 34 m2.
Ces équipements ne sont pas du confort, mais de la décence ! Donnerez-vous une suite favorable à ce nouveau mode de calcul ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP ; Mmes Cécile Cukierman et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre . - Au nom du Gouvernement, je salue la mémoire des deux parlementaires dont vous avez rappelé les éminents mérites.
Il faut changer de méthode à court et à long terme. Les approches nationales sont mort-nées, il faut une approche départementale ou infradépartementale, voire commune par commune. (Mme Sophie Primas acquiesce.) Le sujet n'a rien à voir d'un département à l'autre.
Toutefois, une approche infradépartementale prend du temps. Face aux extrêmes démagogues qui veulent taper sur les élus (protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains), n'allons pas mettre de l'huile sur le feu. Le calendrier s'étalera jusqu'à mai ou juin.
Les bases locatives de 1959 ont montré leurs limites - vous l'avez montré dans un rapport de 2023. Cela fait dix ans qu'on le dit, et dix ans que l'on ne réforme pas.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Plus de dix ans !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Le sujet est très technique et très politique.
Si le Président du Sénat en est d'accord, amorçons un travail dans la durée, avec le sens de l'intérêt général, en protégeant les élus locaux et leur pouvoir de taux, à la hausse comme à la baisse.
Les règles administratives ne sont pas là pour gêner, mais le système fiscal a simplement mal vieilli. (Mme Sophie Primas acquiesce.) Cela pose la question du consentement à l'impôt.
Départementalisation, changement de méthode, nouveau calendrier... essayons de tracer un chemin nouveau pour une révision des bases locatives. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Mathieu Darnaud. - À la veille du PLF, notre message est clair : plus d'économies, moins de taxes injustes. Et puisque je me trouve face à la statue de Colbert, je refuse que votre méthode soit celle qu'il décrit en ces termes : « L'art de l'imposition consiste à plumer l'oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Marc-Philippe Daubresse. - Nous en sommes tout déconfits !
Lutte contre les violences faites aux femmes (I)
Mme Samantha Cazebonne . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) À l'heure où nous déplorons la mort d'une femme, hier, dans la région de Nantes, je rends hommage aux 153 victimes de féminicides depuis le début de l'année.
En 2025, une femme sur trois dans le monde indique avoir subi au cours de sa vie des violences physiques ou sexuelles.
Cependant, au cours des deux derniers quinquennats, les avancées sont notables. Le budget du ministère est passé de 30 millions à près de 90 millions d'euros. Le Parlement n'est pas en reste : la proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et pénalisant le non-consentement a été définitivement adoptée il y a quelques semaines.
Mais qu'en est-il à l'étranger ? Postes consulaires et associations en témoignent : le problème se pose. Des initiatives sont à saluer - convention avec la plateforme Save you, permanence juridique dans la communauté expatriée de Singapour -, mais elles restent trop peu déployées à travers le monde.
Le groupe de suivi transpartisan sur la loi-cadre s'est mis d'accord sur 53 propositions : pourrions-nous y intégrer les Français de l'étranger ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Vous avez raison. À travers le monde, dans tous les conflits et au-delà, les femmes sont les premières victimes des mouvements réactionnaires, néoconservateurs, religieux et intégristes. Nous avons cru que la marche de l'histoire allait vers toujours plus de droits humains. Ce n'est pas le cas, et la France mène ce combat avec une approche universaliste très claire.
Le même jour, la semaine dernière, quatre femmes de milieux et de régions différentes ont été assassinées. C'est un fait de société qui doit tous nous mobiliser.
Je remercie les membres du groupe de travail transpartisan.
Toutes les femmes françaises doivent être protégées. D'où la signature d'un accord avec The Sorority Foundation, la plateforme Save you, la nomination de 200 postes consulaires pour accueillir cette parole, des aides d'urgence et la modification du site internet arretonslesviolences.gouv.fr.
La situation de ces femmes est encore plus précaire. L'éloignement avec la France ne peut signifier l'éloignement de la protection que la France leur doit. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Société Exaion
M. Dany Wattebled . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le Gouvernement va-t-il laisser les Américains racheter une filiale d'EDF ?
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique . - Exaion n'est pas une filiale d'EDF. Elle n'a pas un poids important dans les enjeux technologiques et numériques d'avenir - elle ne fait pas de minage de bitcoins. Elle n'a pas non plus de poids important dans les capacités de calcul de la France - à peine 0,1 %.
EDF incube des start-up en France, mais chaque start-up n'a pas vocation à devenir une filiale du groupe. On ne peut pas, d'un côté, se féliciter de l'attractivité de la France pour les investisseurs étrangers et, de l'autre côté, fermer la porte.
La procédure des investissements directs étrangers va s'appliquer. Le groupe Mara a de lui-même déposé un dossier et s'est engagé à ce que cette entreprise puisse continuer à se développer dans le respect de notre souveraineté technologique, au service de la France et des Français. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)
M. Dany Wattebled. - Mara injecte 115 millions d'euros en augmentation de capital et rachète toutes les actions d'Exaion pour 33 millions d'euros : c'est bien un rachat ! EDF Pulse passe de 92,5 % à 10 % du capital. Or Exaion est un partenaire privilégié de la Société Générale et de BNP Paribas, qui mènent des tests grandeur nature sur l'euro numérique.
À l'heure où Trump développe son stablecoin dollarisé, gardons Exaion dans le giron européen, pour développer notre propre stablecoin.
Comment expliquer aux Français que l'État devienne ultra-minoritaire au profit d'un fonds dont 100 % des revenus proviennent d'investissements étrangers ? Le Gouvernement va-t-il laisser passer sous contrôle américain le partenaire technologique privilégié de l'euro numérique européen ? (Applaudissement sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Pollutions éternelles à l'étang de Berre
Mme Mireille Jouve . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La COP30 s'est achevée à Belém : les polluants éternels restent un enjeu majeur. On les retrouve notamment dans les mousses anti-incendie.
Un incendie s'est déclaré à LyondellBasell, à Berre-L'Étang, et a été éteint par les sapeurs-pompiers des Bouches-du-Rhône grâce à ces mousses dont l'efficacité est indiscutable contre les feux d'hydrocarbures. Les résidus des mousses ont été stockés dans une cuve, mais ils se sont dilués dans l'étang de Berre. Le traitement de cette pollution coûte 7 millions d'euros.
Des investissements ont déjà été réalisés pour protéger cet étang. Selon des chercheurs du Nebraska, il est possible de neutraliser l'acide perfluorooctanoïque, un des PFAS les plus nocifs, grâce à une bactérie photosynthétique.
Au moment où la décarbonation de la zone industrielle de Fos représente plusieurs milliards d'euros d'investissements, pourquoi ne pas faire de ce sinistre une opportunité, afin que notre pays devienne un pionnier de la lutte contre les polluants éternels ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du GEST)
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué chargé de la transition écologique . - Le Gouvernement est pleinement mobilisé. Une cinquantaine de sites à risque ont été identifiés autour de l'étang de Berre. Nous les incitons à réduire leur production de PFAS.
L'État s'est mobilisé pour lutter contre les incendies. Malheureusement, il n'y a pas d'autre solution que ces mousses, qui contiennent des PFAS. De nombreuses inspections ont été menées dans les sites Seveso. Le règlement Reach limite également le recours aux PFAS. Le préfet a aussi pris un arrêté pour limiter les rejets.
Je suis disposé à étudier la solution que vous proposez, avec le préfet et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui suit le dossier. Une question : les rejets effectués par l'industriel ont-ils été conformes aux taux prévus par arrêté ? Si ce n'est pas le cas, nous en tirerons toutes les conséquences. (M. François Patriat applaudit.)
Lutte contre les violences faites aux femmes (II)
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Comme d'autres collègues, je vous parlerai des violences infligées aux femmes et aux enfants.
Observation positive : en vingt ans, le nombre de féminicides conjugaux a baissé de 30 %, signe que la mobilisation de la société civile produit des résultats. Mais ce nombre de féminicides reste dramatiquement élevé. Nous devons et pouvons intensifier la lutte.
Une centaine d'associations ont soumis une proposition de loi intégrale, qu'une coalition de parlementaires de gauche et de droite a reprise. La ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes a annoncé le dépôt d'un projet de loi qui reprend toutes ces propositions.
Monsieur le Premier ministre, c'est vous que nous avons besoin d'entendre. Nous avons besoin de votre engagement personnel. Dites-nous quand ce projet de loi sera adopté en conseil des ministres et inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Il y va de la vie de nombreuses femmes et de la qualité de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Je suis désolée d'être celle qui vous répond, mais je travaille en lien direct avec le Premier ministre et en interministériel.
La mobilisation du Gouvernement est générale et totale. Le Sénat a démontré qu'une concorde parlementaire était possible. Sans le Sénat, pas de droit à l'IVG dans la Constitution, pas de non-consentement dans la définition du viol.
Des textes sont en cours de discussion : le texte sur le contrôle coercitif, voté au Sénat, et la proposition de loi que, avec Céline Thiébault-Martinez et des centaines de parlementaires, vous avez déposée. S'y ajoutent les travaux du groupe de travail transpartisan qui se réunit depuis six mois. Une cinquantaine de mesures de consensus ont émergé. Reste à les expertiser pour qu'elles puissent faire l'objet d'un projet de loi. C'est le travail que nous ferons dès le premier semestre avec le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous ne vous engagez pas...
Pour porter la paix face aux bellicistes
M. Jérémy Bacchi . - Face aux maires de France, le chef d'état-major des armées (Cema) déclarait que la société devait « accepter le risque de perdre ses enfants, de souffrir économiquement ». Ce discours anxiogène et belliciste a laissé les maires et la nation incrédules. L'armée est aux ordres du politique et non l'inverse ; avez-vous demandé au Cema de tenir de tels propos ? Cautionnez-vous ce discours sacrificiel, contraire à l'idéal républicain de progrès humain, qui décrit un scénario de guerre mondiale impliquant la France en Ukraine ?
Nous, communistes, connaissons le prix du sang, l'engagement ultime pour défendre la nation, en ardents patriotes que nous sommes. Aujourd'hui, vous entérinez le passage d'un État social à un État guerrier. Les coupes dans les services publics sont justifiées par l'accroissement des besoins militaires. Or, selon Jaurès, « on ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre ».
Ces annonces tonitruantes attestent en réalité d'une crise majeure de la diplomatie française : réforme du corps diplomatique passée en force, désaveu en Afrique et au Moyen-Orient, mise à l'écart par le président Trump. La France recule. Depuis 2017, le Président de la République a sacrifié nos réseaux diplomatiques et notre influence. Or nous devons mener une coalition pour la paix en Ukraine, avec des lignes rouges et un plan de paix crédible, juste et durable.
Toute escalade guerrière est à rebours de ce qu'exige l'avenir de notre humanité. Nous avons déposé une proposition de loi pour limiter les rentes des grandes entreprises de défense et neutraliser les dividendes de guerre. L'économie de guerre engendre la valorisation des portefeuilles boursiers, la commande publique se transforme en dividendes privés, la destruction et la peur deviennent des indices sur les marchés financiers. Comme le disait Victor Hugo, « La paix est la vertu de la civilisation, la guerre en est le crime ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants . - Les maires sont des acteurs majeurs du lien entre l'armée et la nation - il y a des bases militaires et des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) dans tous les territoires. Le Président de la République est le chef des armées ; le Cema est conseiller du Président de la République et du Gouvernement, il coordonne les armées et exprime leurs besoins. Ses propos se sont inscrits dans les termes de la Revue nationale stratégique 2025 et de ceux tenus par le Président de la République à l'hôtel de Brienne. Oui, les choses ont changé, les dividendes de la paix, c'est malheureusement terminé.
Hier après-midi, le Président de la République présidait une réunion avec trente-cinq pays de la coalition des volontaires, qui veulent préparer l'après-guerre en Ukraine. Il s'agit de garantir une paix durable et juste sur leur territoire. La France est aux côtés de l'ensemble des pays engagés dans la paix en Ukraine. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI, MM. Marc Laménie et Cédric Chevalier applaudissent également.)
Lutte contre les violences faites aux femmes (III)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Depuis deux quinquennats, la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants est une grande cause nationale. Le Grenelle de 2019 marquait une étape importante. Des dispositifs ont été créés, des lois adoptées : nul ne peut nier votre volonté d'agir. Pourtant, 150 femmes sont mortes cette année, 600 nourrissons ont été victimes de violences sexistes et sexuelles. C'est un échec collectif, de l'État, des institutions mais également des parlementaires : nous avons voté des lois qui ne produisent pas encore les effets attendus. J'en prends aussi toute ma part.
La formation des forces de l'ordre est encore partielle, alors que le premier accueil peut sauver une vie. Elle dépend souvent du volontariat et de financements locaux, encore en baisse dans ce budget, et de moyens dédiés.
La mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) pilote ce dispositif, alors qu'elle n'a que neuf postes et 9 000 euros de frais de fonctionnement. Comment remplir des objectifs ambitieux avec de tels moyens ? À quand une formation obligatoire, tant initiale que continue, des forces de l'ordre et des magistrats ? À quand un pilotage national fort ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes INDEP et SER)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Je vous remercie de vos travaux au sein de la délégation aux droits des femmes, notamment en faveur de la santé des femmes ou de la lutte contre la pornographie, véritable fléau pour les représentations des adolescents notamment. La formation initiale des policiers et des gendarmes est une obligation. (M. Laurent Nunez acquiesce.) Plus de 200 000 policiers et gendarmes ont déjà été formés sur le recueil de la parole des victimes. Il y a des procès-verbaux type - vous pouvez le vérifier dans un commissariat - , qui prend en considération de nouveaux types de violence ou des violences parfois minimisées - économiques ou psychologiques -, voire sexuelles au sein du couple, puisqu'il reste encore des personnes qui croient en l'existence du devoir prétendument conjugal.
Une grille d'évaluation du danger garantit que l'ensemble des aspects sont bien identifiés, notamment le risque suicidaire. Elle a été faite en français facile à lire et à comprendre (Falc) pour les personnes en situation de handicap ou qui ne parlent pas bien notre langue.
Avec Françoise Gatel, nous allons signer une convention pour renforcer la coopération avec les élus locaux, notamment de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). (M. Jean-Baptiste Lemoyne le confirme.) Plus de 600 élus locaux participent à ce réseau.
Mme Dominique Vérien. - Le centre Hubertine Auclert sera ravi d'apprendre qu'il pourra continuer sa formation des policiers en Île-de-France. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP)
Convention citoyenne sur les temps de l'enfant
Mme Ghislaine Senée . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Annie Le Houerou applaudit également.) La convention citoyenne sur les temps de l'enfant a rendu ses conclusions après six mois de travaux. Le constat est sans appel : les temps de vie des enfants sont trop fragmentés, trop construits autour des besoins des adultes. Les temps de transports ou d'écran impactent leur bien-être, leur santé et leurs apprentissages, et accentuent les inégalités sociales et territoriales. Je salue ce travail : à travers vingt propositions, la convention met au centre du débat les besoins de l'enfant.
Alors que vous vous apprêtez à couper près d'un milliard d'euros aux politiques dédiées aux enfants - colos apprenantes, Pass'Sport, missions locales, postes d'enseignants, AESH, associations - comment mettrez-vous en oeuvre ce rapport ? (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; M. Alexandre Basquin applaudit également.)
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale . - La convention sur les temps de l'enfant est un jalon substantiel. Comme vous, j'adresse mes remerciements aux 133 citoyens et citoyennes qui l'ont constituée, ainsi qu'au Cese.
Il en ressort des points de convergence, comme le fait de penser comme un tout le continuum des temps de l'enfant, et d'avoir une vision partenariale de ces temps : parents, éducation nationale, collectivités territoriales sont concernés. L'école ne concerne que 18 % de ce temps. Des expériences ont été menées. La suite des travaux ne peut être envisagée que de manière partenariale et en tenant compte des contraintes propres du service public de l'éducation.
Nous poursuivrons la réflexion, y compris sur des sujets qui dépassent l'école. Je reviendrai bientôt vers vous pour travailler ensemble sur les écrans, sujet qui sera aussi étudié par le Conseil supérieur de l'éducation.
Mme Ghislaine Senée. - Je vous mets en garde. Depuis 2017, c'est la troisième convention citoyenne lancée par Emmanuel Macron. Trois exercices de démocratie participative, trois promesses d'écoute. Les citoyens ont travaillé avec sérieux, mais avec peu de résultats de votre part : sur le climat, un mépris total des 149 recommandations formulées ; sur la fin de vie, un soutien frileux et sans cesse repoussé. Avez-vous l'intention de les écouter ? Vous êtes attendu sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Narcotrafic à Marseille
Mme Valérie Boyer . - (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains) Samedi, l'hommage rendu à Mehdi Kessaci a montré combien les Français n'en peuvent plus que leurs enfants tombent sous les balles des narcotrafiquants. L'an dernier, le narcobanditisme a fait 14 victimes innocentes - autant de vies arrachées et de familles détruites. Je rends un hommage solennel aux victimes et leur dis que la France ne les oubliera pas et qu'elle réagira avec toute la force nécessaire.
Ces crimes ne sont pas des faits divers, mais une narcoviolence qui ressemble au terrorisme. L'ancien garde des sceaux a préféré minimiser les alertes que reconnaître l'effondrement de l'autorité de l'État. Nous perdons du terrain. Les magistrats marseillais ont dit sous serment qu'ils livraient une guerre asymétrique contre des organisations riches et armées, implantées dans 173 narcocités, qui réalisent 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an.
Ces réseaux ont déclaré la guerre à la République française.
Avec Martine Vassal (protestations à gauche), nous voulons faire de Marseille le fer de lance de la reconquête de la sécurité.
À la suite de la loi portée avec Bruno Retailleau, Étienne Blanc et Jérôme Durain, je réitère la demande formulée par Martine Vassal (mêmes mouvements) de créer à Marseille une antenne régionale du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Tout est prévu pour accueillir cette nouvelle juridiction. (Mme Marie-Arlette Carlotti ironise.)
Cette demande est portée par les élus locaux ou des magistrats : il faut agir là où la guerre se joue. (Applaudissements et bravos sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur . - Comme vous, je veux saluer le rassemblement de samedi à Marseille. C'est une réponse de la société civile extrêmement forte aux narcotrafiquants. Notre réponse policière et judiciaire est extrêmement présente. Nous avons saisi 150 kg de drogue il y a quelques minutes, et empêchons des règlements de compte - deux d'entre eux ont été empêchés la semaine dernière - grâce à l'engagement des forces de police, sous l'autorité du préfet des Bouches-du-Rhône. Nous poursuivrons et renforcerons ces actions grâce à la loi de juin 2025 qui donne des pouvoirs renforcés aux policiers et aux magistrats - gel administratif des avoirs, interdictions de paraître ou de gérer un commerce - pour mieux coordonner les services entre eux. La lutte contre le narcotrafic bénéficie désormais des mêmes moyens que la lutte contre le terrorisme. Nous pourrons prendre des interdictions de paraître, saisir des avoirs, fermer des commerces. Le Pnaco fait partie de cet arsenal, en regard de l'état-major permanent (Emap).
Tous les services pourront échanger des informations. Ce qui fait la force de notre état-major et du Pnaco, c'est sa centralisation, sa capacité à réunir toutes les informations pour mieux mener la répression, qu'elle soit de renseignement, policière ou judiciaire. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Mme Valérie Boyer. - Nous avons demandé que le Pnaco national soit basé à Marseille. Face à l'islamisme...
M. Guy Benarroche. - Amalgame !
Mme Valérie Boyer. - ... comme au terrorisme et au narcotrafic, il faut un signal fort de reconquête. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Fermeture des usines NovAsco
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La fermeture des usines NovAsco illustre l'échec d'un État qui rechigne à intervenir directement dans l'économie mais se ruine en aides publiques inefficaces : 85 millions d'euros pour NovAsco, 298 millions pour ArcelorMittal...
En retour ? ArcelorMittal distribue 200 millions d'euros de dividendes - et licencie 600 salariés à Dunkerque, à Florange et à Basse-Indre. Greybull n'aura investi qu'1,5 million d'euros sur les 90 promis, entraînant la fermeture des usines NovAsco à Hagondange, à Custines et à Saint-Étienne ; 549 emplois perdus, par la faute de ce fonds d'investissement voyou. Vous saisissez la justice, mais un peu tard...
Le Gouvernement, qui a engagé - à fonds perdu - plus de 200 millions d'euros dans NovAsco, persiste pourtant à écarter toute participation publique au capital.
Allez-vous enfin renforcer le pouvoir de l'État sur la gouvernance des entreprises stratégiques, plutôt que de payer les pots cassés ? Et interdire les licenciements économiques lorsque les entreprises sont viables, comme le prévoit la proposition de loi de Thierry Cozic ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique . - Ce qui se passe chez NovAsco est difficile pour les salariés, bien sûr, mais aussi pour moi, qui étais ministre de l'industrie lors de la reprise.
Au nombre des bonnes nouvelles, le site de Fos a été repris par Marcegaglia, qui investit et décarbone : plus de 300 emplois sauvés. Métal Blanc va pouvoir reprendre le site de Dunes : des dizaines d'emplois sauvés. L'État a accompagné ces reprises, félicitons-nous-en.
Greybull n'a pas été au rendez-vous, c'est vrai. Sébastien Martin m'a proposé de saisir la justice, et nous irons jusqu'au bout. Il faut désormais accompagner les salariés, donner un espoir aux territoires. Sébastien Martin y travaille avec les élus de la région.
Je ne pense pas que ce soit en nationalisant l'industrie française qu'on lui permettra de faire face à la compétition internationale, ni que l'on créera de l'emploi en France en interdisant les licenciements. Là-dessus, nous ne serons pas d'accord. Je reste persuadé que l'industrie se développe si l'on investit dans l'innovation, dans la décarbonation...
M. Fabien Gay. - Avec de l'argent public !
M. Roland Lescure, ministre. - ... si l'on protège au niveau européen le secteur de l'acier en obtenant une clause de sauvegarde. Nous sommes dans une économie ouverte. (M. Fabien Gay ironise.) Il nous faut être innovants, compétitifs, protéger nos entreprises contre la concurrence déloyale, mais être offensifs ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Fabien Gay proteste.)
M. Michaël Weber. - Nous ne serons pas d'accord, car vous faites preuve de dogmatisme. Je pense, moi, qu'il est de votre devoir de tout essayer, pour les salariés et pour les territoires. (Applaudissements à gauche)
Polémique à l'université Lyon-2
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'ai mal à mon université publique. Ce haut lieu de la connaissance et de l'universalisme vacille sous les assauts répétés d'idéologues qui menacent ses fondamentaux. Oui au débat et à la liberté d'expression ; non à l'incitation à la haine, au racisme et à l'antisémitisme.
C'est, hélas, ce qui se passe à l'université de Lyon 2, qui incarne cette gangrène. Après le professeur Balanche (applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains), chassé de son amphithéâtre sous la menace physique de militants d'extrême gauche, après le vice-président poussé à la démission pour s'être exprimé sur le conflit entre Israël et le Hezbollah, un nouveau cap a été franchi dans l'ignominie : le professeur Julien Théry a publié sur ses réseaux sociaux une liste de vingt personnalités, qualifiées de « génocidaires », qu'il appelle à boycotter - des personnes dont le seul tort est d'être juives. Ce retour de l'étoile jaune rappelle les heures les plus sombres de notre histoire.
Monsieur le ministre, quelles sanctions exigez-vous à l'encontre de M. Théry ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale . - Je vous prie d'excuser Philippe Baptiste, actuellement à Brême pour la conférence de l'Agence spatiale européenne.
En République, on ne fait pas de liste des gens qu'on voue aux gémonies, qu'on livre à la vindicte des réseaux antisociaux. On ne fait pas des listes à raison des convictions philosophiques ou religieuses, réelles ou supposées, des personnes. Ce qui s'est passé est une honte. (« Très bien » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)
Au nom du Gouvernement, je le condamne, et apporte mon soutien aux personnes visées.
M. Olivier Paccaud. - Et donc ?
M. Edouard Geffray, ministre. - Ensuite, il faut une réponse judiciaire. Je salue la réaction de la présidente de l'université : elle a fait un signalement sur le fondement de l'article 40, et le procureur a ouvert une enquête. Il y aura donc une suite pénale.
Nous sommes confrontés à un indéniable regain d'antisémitisme. Vous avez voté une loi pour renforcer la lutte contre l'antisémitisme à l'université ; les décrets d'application paraîtront prochainement, pour que nul ne détourne le regard ni ne relativise ces pratiques. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, du RDPI et du RDSE ; M. Laurent Lafon manifeste son insatisfaction.)
M. Stéphane Piednoir. - La mise à pied immédiate et à titre conservatoire me semblait un prérequis indispensable. (Marques d'approbation et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe SER) L'émotion et l'indignation ne suffisent plus : il faut des sanctions fermes, alors que l'antisémitisme prospère depuis le 7 octobre 2023, encouragé par des formations politiques à des fins électorales. Toute hésitation est aveu de faiblesse. Nous ne pouvons pas transiger ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et sur des travées du RDSE)
Permission de sortie d'un narcotrafiquant
Mme Brigitte Bourguignon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le garde des sceaux, vous affichez une justice ferme - ce matin, à Nanterre, avec une opération de fouille en prison, comme lors de l'ouverture du quartier de lutte contre la criminalité organisée à Vendin-le-Vieil : convois blindés et hommes cagoulés pour accueillir les cent détenus les plus dangereux de France.
Pourtant, lundi, l'un de ces détenus, déjà évadé par le passé, a quitté seul le quartier dit de haute sécurité, pour un entretien d'embauche à l'autre bout de la France, en vue d'une sortie espérée en 2029. Il a pris le train puis est revenu le soir, retard de 20 minutes de la SNCF compris. (Sourires)
Mesurez-vous l'incompréhension des surveillants, mais aussi des Français ? À l'heure de la visioconférence, ce trajet de 600 kilomètres était-il indispensable ?
Nous sommes profondément attachés à l'indépendance de la justice.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - On ne dirait pas...
Mme Brigitte Bourguignon. - Nous savons la complexité du droit. À vous d'y remédier.
Dans ce centre sont incarcérés d'autres criminels dont la dangerosité n'est plus à prouver. Quels moyens allez-vous mettre en place pour conjuguer la sécurité de nos concitoyens et la réinsertion des détenus ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Quand on pense qu'elle était au PS...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice . - J'espère que les Français mesurent le danger que représente le narcotrafic dans notre pays - un danger au moins égal au terrorisme. Il tue tous les jours, dans tous les pays, y compris ceux qui emploient l'armée contre les narcotrafiquants. Malgré le volontarisme de M. Trump, la première cause de mortalité aux États-Unis est le fentanyl.
En 2015, toute la classe politique a soutenu le gouvernement de l'époque quand il a décidé de répondre avec force au terrorisme islamiste. Nous devons changer de braquet. C'est ce que vous avez fait avec la loi contre le narcotrafic, c'est ce que nous faisons avec les prisons haute sécurité. Je veux appliquer aux narcobandits les mêmes règles qu'aux terroristes.
Notre droit ne permet pas à un condamné pour terrorisme de sortir pour un entretien d'embauche trois ans avec son éventuelle sortie alors qu'il est considéré comme particulièrement dangereux. Ce n'est pas le ministre qui décide de la dangerosité d'un détenu, mais les juges d'instruction spécialisés.
La prison du bassin minier, à Vendin-le-Vieil, doit être une prison sans drone, sans clé USB, sans téléphone. Dès janvier, je proposerai de mettre fin aux aménagements décorrélés des besoins de la lutte contre le narcotrafic. J'espère que le Parlement me suivra. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDPI)
Sécurité civile
Mme Françoise Dumont . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 28 septembre 2024, le Premier ministre Michel Barnier annonçait la reprise du Beauvau de la sécurité civile, censé déboucher sur un grand projet de loi. Après douze mois de travaux, le rapport de synthèse a été présenté, le 4 septembre dernier, par François-Noël Buffet.
Mme Sophie Primas. - Excellent !
Mme Françoise Dumont. - Je salue l'action menée par François-Noël Buffet et Bruno Retailleau en faveur de la sécurité civile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Mickaël Vallet. - Fayots !
Mme Françoise Dumont. - Depuis leur départ, le Gouvernement ne communique plus sur ces projets.
La réforme des retraites prévoyait l'attribution de trimestres de retraite pour les sapeurs-pompiers volontaires dès dix ans de service. Vous avez confirmé la semaine dernière à l'Assemblée nationale l'entrée en vigueur prochaine du décret, mais avec l'attribution d'un trimestre supplémentaire au bout de quinze ans d'engagement seulement.
Une voix à droite. - C'est petit !
Mme Françoise Dumont. - Pouvez-vous expliquer ce choix ? Les sapeurs-pompiers volontaires sont essentiels à notre modèle de sécurité civile. Quelles sont vos intentions concernant le projet de loi de sécurité civile annoncé à l'automne 2024, s'agissant notamment du financement des Sdis ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hussein Bourgi et Mme Émilienne Poumirol applaudissent également.)
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur . - Vous me prêtez de mauvaises intentions : j'ai toujours dit que nous donnerions une suite au travail mené dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile (quelques exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et SER), lancé par Gérald Darmanin, repris par Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, dont je salue le travail. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.) Cent propositions ont été émises, sur de nombreuses thématiques. Le projet de loi abordera la question du financement, des missions, des statuts.
La question des trimestres supplémentaires pour les sapeurs-pompiers volontaires a fait l'objet d'un débat interministériel. Nous accorderons un trimestre après quinze ans de service, un deuxième après vingt ans, un troisième après vingt-cinq ans. Il est important pour pérenniser leur engagement, car ils jouent un rôle clé dans le système de sécurité civile à la française. Le décret est devant le Conseil d'État, après avoir été soumis à divers organismes, dont les caisses de retraite. Il sera publié avant la fin de l'année, pour une application l'année prochaine.
Nous tenons à notre modèle de sécurité civile et sommes déterminés à le conforter. (Applaudissements sur des travées du RDPI)
« Passeport pour le retour »
Mme Catherine Conconne . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Chaque année, entre 2 500 et 4 000 âmes manquent à l'appel en Guadeloupe et en Martinique. Solde démographique négatif, vieillissement massif : c'est la triste réalité que vivent nos deux pays. À très court terme, c'est une épopée humaine qui sera rayée de la carte. Et quelle épopée ! Des siècles à lutter, y compris contre l'ignoble, à construire une humanité qu'on n'attendait pas.
Dans les années 1960, pour faire taire la rébellion contre la misère, le pouvoir d'État n'a rien trouvé de mieux que d'expédier massivement nos jeunes compatriotes en France : il fallait dégonfler la légitime contestation, par ailleurs réprimée dans le sang. Quelque 45 000 des nôtres sont ainsi partis. « Adieu foulards, adieu madras »...
Mais l'extinction de cette flamboyante humanité n'est pas une fatalité ! Voilà trois ans, le Passeport pour le retour a été voté - même si le dispositif a été bien ébréché par nous-mêmes. C'était un tout petit début d'inversion du passeport le plus courant, un aller sans retour : celui du Bumidom, des enfants de la Creuse et autres scélératesses. Trois ans après, où en sont les arrêtés d'exécution tant attendus ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Annick Girardin et MM. Dominique Théophile et Philippe Grosvalet applaudissent également.)
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer . - L'attractivité des territoires ultramarins doit être au coeur des politiques de développement économique. Des réponses adaptées doivent être apportées à ces territoires.
En Martinique, au vieillissement de la population s'ajoute le départ de nombreux jeunes diplômés. J'entends ouvrir rapidement un chantier sur ce sujet, en vue de réponses structurelles.
L'aide au retour, proposée par les députés Olivier Serva et Max Mathiasin puis reprise par le comité interministériel des outre-mer de 2023, a été inscrite dans le projet de loi de finances pour 2024. Plusieurs dispositifs ciblés sont prévus : salariés, entrepreneurs, stagiaires. Mais vous avez raison : leur mise en oeuvre prend beaucoup trop de temps. Ce n'est pas normal, compte tenu de l'attente sur le terrain.
Néanmoins, les choses avancent. Les dispositifs ont été précisés par un décret du 6 septembre dernier. Un arrêté reste nécessaire pour fixer les montants : mes services, en lien avec ceux d'Amélie de Montchalin, sont en train de le finaliser ; il sera publié avant la fin de l'année. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Catherine Conconne. - Merci pour cette réponse rassurante. Je reste vigilante et me tiens à votre disposition. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Lutte contre les violences faites aux femmes (IV)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Corinne Bourcier applaudit également.) Une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son dit partenaire ; toutes les trois minutes, un viol ou une tentative est commis. Les féminicides repartent à la haute ; 94 % des plaintes pour viol sont classées.
Je pense avec émotion aux enfants de Claire, 34 ans, amiénoise victime d'une mort annoncée. Le 9 mai 2021, elle a été criblée d'une vingtaine de coups de couteau par son dit compagnon, cocaïnomane connu de la justice pour violences. Le verdict a été rendu hier. Nous n'oublierons jamais.
Quelle évaluation faites-vous des dispositifs censés protéger les victimes ? On a promis aux victimes écoute et sécurité, ainsi qu'un traitement judiciaire adapté ; aux bourreaux, qu'ils seraient cernés par les institutions. Le 3919 a reçu 100 000 appels l'année dernière, triste record. La moitié des féminicides surviennent à la campagne, où vivent 30 % des femmes : elles n'ont pas accès aux mêmes ressources qu'en ville.
Grande cause des deux quinquennats, Grenelle en 2019, mais pour quels résultats ? Une victime sur six porte plainte, 107 féminicides en 2024, quatre femmes tuées jeudi dernier. La Somme est parmi les départements les plus touchés, avec le Pas-de-Calais, La Réunion et la Seine-Saint-Denis.
Vous annoncez de nouvelles mesures : avec quels moyens et dans quels délais seront-elles mises en oeuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Corinne Bourcier et Cathy Apourceau-Poly et M. Didier Marie applaudissent également.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Vous avez raison, notamment sur la ruralité : le dire n'est pas stigmatiser ces territoires, mais constater qu'ils concentrent certaines difficultés. Manque d'anonymat, de mobilité : les femmes y subissent les violences plus longtemps qu'ailleurs.
C'est pourquoi nous déployons plus de moyens dans ces territoires. Dans la Somme, 60 places d'hébergement d'urgence sont prévues, ainsi que sept intervenants sociaux pour garantir un soutien dès le dépôt de plainte, possible désormais à l'hôpital. Ce n'est pas suffisant, mais tout cela n'existait pas il y a quelques années. Moyens, protocoles, formation : la mobilisation collective doit se poursuivre.
Hier, la justice est passée : l'assassin a été condamné à 25 années de prison. Quand une enquête est ouverte, la justice passe dans 95 % des cas.
Nous disons aux victimes : quand elles déposent plainte, elles sont accueillies, écoutées, protégées - téléphone grave danger, bracelet antirapprochement, ordonnance de protection. C'est ainsi que nous éradiquerons les violences. (MM. François Patriat et Thani Mohamed Soilihi et Mme Véronique Guillotin applaudissent.)
M. Laurent Somon. - Comme le dit une vice-présidente engagée de mon département, les associations oeuvrent malgré des budgets dérisoires, les professionnels se battent avec des effectifs insuffisants, les femmes meurent après avoir pourtant signalé les violences, la justice tarde. Assez de minutes de silence et de promesses ! Une vraie politique publique coordonnée est urgente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Paulette Matray et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
Situation sécuritaire au Mali
M. Jean-Luc Ruelle . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 7 novembre, la France a appelé ses ressortissants à quitter temporairement le Mali, emboîtant le pas aux États-Unis et au Royaume-Uni. Le pays est à un point de rupture sécuritaire, dans un contexte instable et alors que se dessine un califat consenti.
Depuis 2012, le Mali est plongé dans une crise profonde. Le coup d'État de 2020-2021 a installé une junte autoritaire. Le retrait de nos forces a entraîné une recomposition des alliances. Les djihadistes contrôlent désormais une grande partie du territoire. La déstabilisation franchit les frontières, faisant craindre un effet domino au Burkina Faso. La contagion s'étend au Bénin, au Togo, au Sénégal, à la Mauritanie, entre autres : multiplication des attaques terroristes, pression migratoire, expansion du narcotrafic.
C'est toute l'architecture sécuritaire de l'Afrique de l'Ouest qui est menacée, une zone où vivent 55 000 Français. En particulier, je vous alerte sur la situation du lycée Liberté de Bamako, fragilisé par un possible retrait de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).
Saluons la mobilisation exemplaire de nos agents diplomatiques et consulaires au Mali. (M. Jean-Noël Barrot renchérit.)
La coopération internationale et régionale peut-elle encore contenir la déstabilisation ? Que faisons-nous pour prévenir l'embrasement ? Le dispositif de protection et d'évacuation de nos ressortissants au Mali et dans les pays voisins est-il prêt ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - La dégradation de la situation au Sahel est due notamment au blocus énergétique organisé par les terroristes du Jnim autour de Bamako. Des répercussions sécuritaires comme migratoires se font sentir à l'échelle régionale.
Oui, le courage et l'exemplarité de nos agents méritent les applaudissements du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe UC ; MM. Louis Vogel, Thani Mohamed Soilihi et Simon Uzenat et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)
La situation actuelle au Mali, c'est l'échec patent de la Russie, qui avait prétendu repousser les assauts du terrorisme et résoudre tous les problèmes du Sahel.
Au début du mois, nous avons invité les 4 200 Français qui vivent au Mali à quitter temporairement le pays. Vendredi, nous avons décidé d'ajuster à la baisse notre dispositif diplomatique, en maintenant sur place les agents essentiels pour fournir à nos ressortissants les services consulaires dans cette période éprouvante. Pour la population malienne comme pour nos compatriotes, nous espérons une détente et un retour à la normale. (MM. Thani Mohamed Soilihi et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)
Politique carcérale
M. Christopher Szczurek . - (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.) Le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais, établissement modèle, prouve que l'on peut, avec de la volonté politique, mener une politique carcérale intransigeante, qui protège la société tout en restant digne pour les détenus.
Brigitte Bourguignon a rappelé la récente autorisation de sortie d'un narcotrafiquant dangereux. Direction de l'établissement, parquet, garde des sceaux : tout le monde s'y est opposé. Mais la cour d'appel de Douai a confirmé la décision du juge d'application des peines.
Certes, le détenu est rentré. Mais ce précédent pourrait faire jurisprudence, en plus de démotiver le personnel pénitentiaire. Hasard ou non, la mère du détenu vient d'être gardée à vue pour trafic de stupéfiants. Récemment, à Rennes, un détenu s'est évadé à la faveur d'une sortie au planétarium...
Monsieur le garde des sceaux, ce n'est pas vous qui êtes en cause, mais un climat d'inversion des valeurs qui fait du criminel une victime. Cette dérive est le fruit d'un mauvais rousseauisme et d'un sociologisme à l'américaine. Mais, entre le bien et le mal, les individus font un choix !
La séparation des pouvoirs ne peut fonctionner que sur la base d'un équilibre, sans volonté permanente du judiciaire de défier et d'humilier l'exécutif et le législatif. Vous ne pourrez pas commenter ce point, je le comprends.
Depuis l'affaire Amra et l'exécution de Mehdi Kessaci, il y a urgence ! Les évolutions législatives que vous annoncez nous préserveront-elles de mauvaises décisions judiciaires ou administratives ? (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart et Mme Vivette Lopez applaudissent.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice . - J'ai déjà répondu à Mme Bourguignon au sujet du centre pénitentiaire de haute sécurité du bassin minier.
Oui, nous modifierons la loi en ce qui concerne les narcotrafiquants et les criminels les plus dangereux. J'espère que vous nous soutiendrez.
Comme de nombreux Français, j'ai été choqué par la participation à une visite au planétarium d'un détenu qui avait déjà commis une évasion, en dépit de mes instructions écrites aux directeurs de prison. J'ai décidé de ne plus confirmer le directeur de la prison. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sylvie Vermeillet et MM. Louis Vogel et Pierre-Jean Verzelen applaudissent également.)
M. Olivier Paccaud. - Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Les organisations syndicales ayant souligné qu'il y avait peut-être d'autres responsables de cette décision, j'ai demandé une inspection, qui rendra ses conclusions sous dix jours.
Chaque année, plusieurs détenus ne reviennent pas de ces sorties. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j'ai essayé de changer en profondeur la politique carcérale. Les agents pénitentiaires font un travail formidable, mais quatre mille agents manquent. Nous leur devons un budget - le PLF prévoit mille recrutements. Les téléphones portables doivent être bannis en prison, et pas seulement pour les terroristes et les narcotrafiquants : il est choquant qu'une femme soit harcelée au téléphone par son ex-conjoint, emprisonné pour violences.
Cette action suppose des moyens ; le Premier ministre les donne. Elle suppose une volonté : je l'incarnerai. (Applaudissements sur des travées du RDPI, des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du RDSE)
La séance, suspendue à 16 h 25, reprend à 16 h 45.
Financement de la sécurité sociale pour 2026 (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, transmis en application de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution.
Explications de vote
M. Martin Lévrier . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Il y a quelques semaines, nous célébrions les 80 ans d'un modèle qui a changé le visage de la France, celui de la sécurité sociale, construit par des femmes et hommes réunis par des convictions opposées, mais unis par la certitude que le redressement du pays exigeait un compromis audacieux fondé sur la solidarité et la fraternité.
Quatre générations plus tard, alors que la sécurité sociale demeure le coeur battant de notre pacte républicain, notre chambre devait prendre les décisions qui s'imposent.
L'architecture du texte issu de l'Assemblée nationale était brinquebalante. Les mesures étaient juxtaposées et non inscrites dans une vision d'ensemble. Le PLFSS contenait néanmoins des avancées.
Le Sénat a joué un rôle déterminant. La majorité sénatoriale a d'abord nettoyé le texte, en retirant des mesures incohérentes et mal articulées, et en rétablissant une certaine clarté.
Cependant, nous regrettons plusieurs suppressions : création du réseau France santé, amélioration des compensations de l'APA et de la PCH ou encore taxe sur les revenus du capital.
Une fois l'élagage achevé, la majorité sénatoriale a réaménagé le budget vers la maîtrise des dépenses, formulant des économies dont certaines vont dans le bon sens, notamment l'année blanche. Mais, pour que l'effort soit partagé, il aurait fallu conserver l'article 6 bis.
Les contradictions de la majorité sénatoriale restent difficiles à saisir. L'orthodoxie budgétaire se résume à la maîtrise de la dépense, procédant d'une seule obsession : contrecarrer la suspension de la réforme des retraites.
Pourtant, cette ligne ne vous a pas empêchés de créer une recette en supprimant l'exonération des cotisations sociales pour les apprentis. Cette mesure, au rendement de 1,2 milliard d'euros, pèsera directement sur le pouvoir d'achat des jeunes en formation. Elle ne vous a pas empêchés non plus d'augmenter le temps de travail de tous les Français, au détour d'un amendement heureusement inopérant.
Les économies pèsent sur la jeunesse, les apprentis et les plus fragiles d'entre nous.
L'esprit de négociation est absent. C'est inquiétant. Il n'y a aucun consensus. La majorité et les minorités se sont installées dans le refus systématique : la première en comprimant les dépenses, et les secondes en formulant des propositions si extrêmes qu'elles en sont devenues inacceptables. Avez-vous oublié que vous avez proposé le gel des prestations sociales par le passé ? Ce n'est pas digne d'un parti qui a gouverné la France.
La trajectoire du déficit, ramenée à 17,6 milliards d'euros, le transfert de 15 milliards d'euros à la Cades ou le maintien de la Lodeom sont, entre autres, des avancées positives.
Nous nous réjouissons de l'adoption de nombreux amendements du RDPI : mise en place d'une contribution exceptionnelle de 2,05 % sur les complémentaires santé ou création d'un plan épargne association sur le modèle du plan d'épargne entreprise (PEE).
Le texte est cohérent si l'on se place du point de vue de la majorité sénatoriale. Mais le Sénat n'est pas une île. Il est confronté à la réalité de la France d'aujourd'hui et donne le sentiment d'une rupture assumée. Ce n'est pas le bon chemin, alors que notre pays est confronté à deux forces centrifuges, LFI et le RN. Courir après l'un ou l'autre est une garantie d'être éjecté. Il est temps que les forces ayant gouverné le pays acceptent le compromis.
C'est pourquoi le RDPI choisit l'abstention responsable pour laisser la CMP cheminer vers un accord. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Cédric Chevalier et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous avons abordé le PLFSS 2026 dans l'idée de rétablir l'équilibre à terme de notre sécurité sociale.
Nous voulions agir sur les recettes sans imposer les ménages les plus modestes, maîtriser les dépenses sans rogner sur les prestations, assumer les dépenses nouvelles pour financer les retraites et desserrer l'étau financier de nos hôpitaux, Ehpad et crèches.
À gauche, nous souhaitions préserver le pouvoir d'achat des Français, des revenus de ceux qui ont peu, des services publics de soins, la suspension de la réforme des retraites.
Quant à eux, le Gouvernement et la majorité sénatoriale ont défendu les revenus de ceux qui ont déjà beaucoup. Vous avez culpabilisé les personnes malades - comme si on « prenait » des congés maladie - et les médecins qui les prescrivent.
Vous avez refusé toutes les recettes justes. Vous nous avez présenté un budget d'économie à court terme plutôt qu'un modèle global. Nous avons réussi à faire adopter un seul amendement visant à plafonner les exonérations de cotisations à 6 000 euros annuels pour les salariés au-dessus de trois Smic. Nous espérons que cette disposition perdurera dans les discussions à venir. C'est maigre, alors que tous les partis de gauche ont été force de proposition.
À droite, vous préférez geler le RSA ou l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Vous osez abaisser le salaire horaire en augmentant le temps de travail annuel de 12 heures, alors que la ministre a révélé que cela n'apportait aucune recette supplémentaire, preuve, s'il en était besoin, de votre dogmatisme.
Contrairement au souhait du Premier ministre de trouver un compromis, ici, au Sénat, le Gouvernement a rejeté toute avancée, y compris celles adoptées à l'Assemblée nationale pour un budget plus juste et équilibré.
Le bilan de ces derniers jours est plus qu'insatisfaisant. Vous mettez encore plus en difficulté ceux qui peinent à garder la tête hors de l'eau, alors que la pauvreté et la précarité augmentent.
Vous avez rejeté la hausse de la CSG sur les revenus du capital alors que vous avez rétabli les cotisations sur les maigres rémunérations des apprentis (Mme Cathy Apourceau-Poly renchérit) et taxé les assurés via leurs mutuelles. Vous laissez la financiarisation gangrener notre système.
Vos propositions vont à l'encontre des besoins des assurés et des comptes sociaux. Comment justifier les exonérations des heures supplémentaires, qui coûtent 3 milliards d'euros par an à la sécurité sociale ? Comment justifier votre refus de la taxation comportementale sur le sucre ? Comment justifier la suppression d'obligation d'affichage du Nutri-score qui n'est pas une taxe, mais une information ? (Mme Émilienne Poumirol renchérit.)
Nous avons proposé un budget responsable, avec des financements pérennes. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie réclame plus d'attention pour l'oratrice.) Mais, par idéologie, vous vous y êtes opposés.
Vos propositions n'améliorent pas la vie des gens ni l'accès aux soins. La seule proposition du Gouvernement : le réseau France Santé, une coquille vide qui a été rejetée. Pas d'amélioration non plus des conditions de travail via des mesures incitatives. Or, quand on travaille deux ans de plus, les arrêts de travail et le chômage de fin de carrière augmentent.
Vous n'avez pas démontré votre volonté de préserver notre modèle de sécurité sociale. Parce que la population vieillit et que les maladies chroniques progressent, ce budget ne peut pas réduire aussi drastiquement les dépenses. Il faut y faire face en investissant dans la prévention et en prévoyant une programmation pluriannuelle. Vous demandez plus à ceux qui ont moins et moins à ceux qui ont plus. Nous ne voterons pas ce musée des horreurs que nos collègues députés avaient tempéré légèrement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, sur plusieurs travées du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K.)
Mme Silvana Silvani . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) La copie du PLFSS 2026 présentée en conseil des ministres le 14 octobre était particulièrement régressive.
Le texte, même édulcoré par l'Assemblée nationale, est marqué du sceau de l'austérité. La majorité sénatoriale avait annoncé la couleur : vous avez bien nettoyé au Karcher les mesures de progrès. Vous avez supprimé la taxation du capital, la transparence du prix du médicament, les mesures en faveur de l'accès au logement des salariés.
Néanmoins, nous avons supprimé ensemble le réseau France Santé ou la ponction de la Caisse nationale des industries électriques et gazières (Cnieg), entre autres.
Il est important de relever les points positifs. Mais cela s'arrête là. Vous avez rétabli le gel des prestations et la désindexation des retraites, baissé la contribution des industriels du médicament par exemple. Vous avez supprimé les maigres mesures de justice et rétabli des mesures injustes, auxquelles vous avez ajouté l'ingrédient magique du Sénat : le mépris de classe décomplexé. (« Oh ! » à droite et au centre)
M. Olivier Paccaud. - C'est légèrement caricatural.
Mme Silvana Silvani. - Vous avez refusé nos propositions de recettes. À l'inverse, la majorité sénatoriale a ajouté l'augmentation de la durée hebdomadaire du travail. Mais, cette nuit, vous avez appris qu'on ne peut pas agir par un seul amendement sur le temps de travail des salariés.
Nous avons des désaccords de fond.
Pour le chercheur Léo Rosell, dans La Sécu, une ambition perdue, le modèle social procède d'une rencontre entre des conceptions républicaine et ouvriériste de la protection sociale, entre une haute fonction publique et le mouvement ouvrier. Quatre-vingts ans plus tard, les logiques de rentabilité ont tourné le dos aux visées révolutionnaires de 1945.
Ce PLFSS est une suite de mesures d'ajustement des comptes publics. Même le congé supplémentaire de naissance pourrait être financé par les coups de rabot.
Vous compressez les dépenses des hôpitaux et de médecine de ville à un niveau inférieur aux besoins. Les démissions des agents hospitaliers augmentent. Alors que le déficit des hôpitaux explose, vous soufflez encore sur les braises. (« Oh ! » à droite) Le Gouvernement se satisfait du déblocage d'un milliard d'euros supplémentaire, mais la hausse des cotisations de la CNRACL représentera un montant équivalent. Ces sommes doivent être mises en regard des 80 milliards d'euros d'exonérations accordés aux entreprises et des 35 milliards non compensés par l'État à la sécurité sociale.
En juillet dernier, le Sénat a adopté à l'unanimité les préconisations de la commission d'enquête Aides publiques. Nous regrettons que nos amendements qui les reprenaient n'aient pas été retenus.
Les sénateurs CRCE-K s'opposeront à ce PLFSS ainsi qu'au projet, chaque jour plus explicite, de démantèlement de notre système de protection sociale et de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Mme Anne Souyris . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou applaudissent également.) Permettez de vous lire une citation, dont je vous laisse deviner l'auteur : « Pour le maintien du même salaire, nous pourrions faire un plan de quatre ou cinq ans pour réduire le temps de travail ». C'était Alain Poher, président du Sénat de 1968 à 1992. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Une autre époque !
Mme Anne Souyris. - Sur quels bancs aurait siégé Alain Poher ?
M. Loïc Hervé. - Alain Poher était centriste !
Mme Anne Souyris. - La sécurité sociale est au bord de l'implosion, et pourtant nos débats ont porté sur les cures thermales et nous avons aussi disserté sur le verre de vin au dîner.
M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. - Grâce à vous !
Mme Anne Souyris. - Tout cela n'est pas à la hauteur. Nous étions prêts à discuter. Mais non ! La majorité sénatoriale, qui aime appeler la gauche à ses responsabilités, s'est montrée d'un sectarisme sans précédent. (Protestations à droite)
M. Olivier Paccaud. - Vous êtes maîtres en la matière !
Mme Anne Souyris. - Nous avons débattu avec une majorité sénatoriale déterminée à faire payer les malades, les personnes âgées et les plus pauvres, qui n'a proposé aucune mesure contre la financiarisation de la santé ou les déterminants économiques, sociaux ou environnementaux.
Le Sénat a rétabli le gel des prestations sociales et la sous-indexation des retraites. Geste de charité, l'effort envers les petites retraites et les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) est faible. Mais vous réclamez 3,6 milliards d'euros aux bénéficiaires du RSA, aux personnes en fin de vie, aux familles endeuillées, aux victimes de violences conjugales.
Vous avez refusé de rehausser la taxation des plus fortunés, qui aurait pourtant rapporté 2,8 milliards d'euros. Vos priorités sont claires : « Ma cassette, ma cassette, mon argent, mon cher argent. »
M. Loïc Hervé. - Harpagon !
Mme Anne Souyris. - Il eût fallu s'attaquer aux niches sociales - 5,5 milliards d'euros en 2024 - et aux allègements généraux - 77 milliards d'euros -, mais vous ne le faites pas. Ah si ! Vous supprimez les exonérations de cotisations sociales des apprentis. No comment...
Vous avez rejeté nos propositions pour endiguer la financiarisation de la santé, sous prétexte que nous avons besoin du privé lucratif. Mais comment pouvez-vous dire cela quand les deniers publics permettent à cinq grands groupes d'acquérir un capital immobilier chaque jour plus important, alors même que celui de l'AP-HP est bradé pour couvrir ses besoins ?
Enfin, alors que 90 % des actifs contestaient la réforme des retraites, vous avez choisi de vous opposer à sa suspension.
Je relève toutefois quelques avancées, bien maigres au demeurant : la poursuite de l'expérimentation des haltes soins addictions (HSA) ou le soutien aux centres de santé existants, entre autres.
Nous sommes revenus à la copie initiale du Gouvernement. Ce texte ne sera pas adopté en l'état à l'Assemblée nationale. La CMP sera difficilement conclusive. Pourquoi s'opposer à tout compromis ? Reste-t-il des tenants de la droite sociale, un peu comme Alain Poher ? (Le temps de parole de l'oratrice étant terminé, les protestations à droite couvrent la voix de l'oratrice ; applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mmes Céline Brulin, Silvana Silvani et Patricia Schillinger applaudissent également.)
M. Joshua Hochart . - Je pourrais, comme d'autres, disserter sur les avancées et les reculs du texte. Mais cette discussion est factice, l'Assemblée nationale ayant déjà validé le calendrier de la deuxième lecture, toute CMP est vouée à l'échec. Une fois n'est pas coutume, je salue l'abnégation de quelques sénatrices de gauche de l'hémicycle qui ont défendu le texte avec passion alors que leurs collègues masculins étaient peu nombreux - sauf lorsque les caméras et les micros étaient dressés au service de leur propre narcissisme. (Sourires)
M. Mickaël Vallet. - Pendant ce temps, vous ne parlez pas du fond...
M. Joshua Hochart. - Pourquoi refuser encore le principe de priorité nationale, pourtant ardemment demandé par les Français ? Un système national ne peut devenir l'asile du monde entier. C'est un principe de cohérence, de justice et de survie pour notre modèle social.
Nous avons pris acte de la suppression des retraites. Nous avons voté contre les amendements de suppression, mais nous ne sommes pas dupes : cela ne vaut pas abrogation, nécessaire, de la réforme.
M. Mickaël Vallet. - Où étiez-vous pendant les manifestations ?
M. Joshua Hochart. - Le débat reviendra en CMP ou en seconde lecture. Je vous l'annonce déjà : vous céderez face à la pression populaire et à la peur de vos députés de perdre leur siège. Loin de participer au compromis demandé par le Premier ministre, le Sénat a contribué au blocage, en validant les pires mesures de ce PLFSS - des augmentations d'impôts sur les plus faibles. Les personnes ayant travaillé toute leur vie et servi la nation méritaient mieux que le gel des pensions et le déclassement. C'est un texte de forcené, un texte pour rien. Nous voterons contre. (M. Aymeric Durox applaudit.)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Cédric Chevalier et Marc Laménie applaudissent également.) L'examen d'un PLFSS n'est jamais simple. C'est encore moins le cas cette année au regard de la situation financière de la sécurité sociale, quatre-vingts ans après sa naissance. Pour Pierre Laroque, la sécurité sociale n'est pas une oeuvre de charité, mais un devoir national.
Notre modèle doit évoluer, car la France de 2026 n'est plus celle de l'après-guerre avec l'explosion des malades chroniques, la natalité en baisse, les inégalités territoriales, mais aussi des avancées médicales. Nous avons besoin d'une vision structurelle. Nous ne pouvons chaque automne reconstruire un équilibre précaire. Fidèle à sa culture du compromis, le RDSE souhaitait la maîtrise des comptes de la sécurité sociale et la justice sociale.
Le texte issu de l'Assemblée nationale portait le déficit à un niveau intenable. De fait, il a complexifié la tâche du Sénat. Plusieurs choix de la majorité sénatoriale nous préoccupent : je pense à la hausse de la CSG sur les revenus du capital, qui aurait rapporté 2,6 milliards d'euros et que le Gouvernement préférait à d'autres options. En la supprimant, nous privons le texte d'un financement important et d'un signal d'équité. La suppression de l'exonération des cotisations sociales des apprentis est contraire à la volonté d'insertion et un mauvais signal envoyé à la jeunesse.
Je déplore le rejet de notre amendement qui prévoyait une indexation partielle du barème de la CSG sur les revenus de remplacement. C'était pourtant une solution de compromis. C'est ce même compromis que la majorité sénatoriale a rejeté en refusant l'amendement de compromis du RDPI sur le gel des pensions et des prestations sociales.
La majorité du RDSE regrette que le Sénat se soit opposé à la suspension de la réforme des retraites, choix de responsabilité pour éviter une nouvelle crise politique et une censure du Gouvernement. La France n'a pas besoin d'un choc institutionnel supplémentaire, il faut du dialogue et du temps pour reconstruire la confiance et pour travailler à une réforme systémique, demandée par notre groupe depuis longtemps.
Le RDSE a estimé qu'il n'était pas utile d'ajouter de la complexité avec la création du réseau France santé, dont l'utilité n'est pas avérée.
Ce texte comporte plusieurs avancées : incitation à l'installation dans les zones sous-denses, baisse de tarifs médicaux ou encore congé supplémentaire de naissance, qui, nous l'espérons, engagera le virage en faveur de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.
La taxe sur les sucres ajoutés dans les produits destinés aux jeunes enfants renforce notre politique de santé. Mais nous regrettons le rejet de la disposition relative au Nutri-score, dont le périmètre avait été pourtant encadré.
Certes, le texte comporte des avancées, mais aussi des choix qui pèsent sur les plus modestes. Nous regrettons que les efforts n'aient pas été davantage partagés.
La majorité du RDSE ne votera pas le texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et du groupe SER ; Mmes Patricia Schillinger et Marianne Margaté applaudissent également.)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Nous avons eu un beau débat et nous en sommes fiers, n'en déplaise à Mme Souyris. Alain Poher et Jean Lecanuet seraient fiers de nous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Loïc Hervé. - Bravo !
M. Olivier Henno. - Nous avons abordé ce PLFSS avec une boussole, fruit d'un travail mené toute l'année et que nous avions présenté à François Bayrou en juillet dernier. Je félicite la rapporteure générale d'avoir tenu la barre avec pour cap la préservation de notre modèle social, le refus d'augmenter les prélèvements sur les entreprises et les assurés et la limitation du déficit - 17,6 milliards d'euros, pari tenu.
Monsieur Lévrier, si l'opinion retient que le Sénat et la majorité sénatoriale sont les seuls à se soucier d'économies pendant que tous les autres se polarisent sur la créativité fiscale et les impôts nouveaux, alors tant mieux, vive le Sénat ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP)
Faire reposer le financement de notre modèle social sur les générations à venir est immoral. L'histoire jugera sévèrement les acteurs de cette triste réalité. (Protestations sur quelques travées à gauche)
M. Loïc Hervé. - Bravo !
M. Olivier Henno. - Notre pays est malade alors que la France est un pays de cocagne et que les Françaises et les Français sont l'un des peuples les plus inventifs. Quelles sont les maladies françaises ?
M. Mickaël Vallet. - La rente !
M. Olivier Henno. - Des dépenses sociales mal ciblées et des dépenses publiques qui pèsent sur notre compétitivité, une suradministration, une dette abyssale...
Je remercie Alain Milon de nous alerter sans cesse sur cette question : le décrochage de la France en matière d'innovations thérapeutiques risque de devenir réalité.
Autre combat : le temps de travail. Nous ne travaillons pas suffisamment - non pas que les Français seraient paresseux (marques d'ironie sur les travées du groupe CRCE-K) - mais c'est un problème d'organisation. Nous connaissons une croissance molle depuis trop longtemps. Il serait trop facile d'incriminer le seul vieillissement de la population. Les causes sont nombreuses : accès au marché du travail pour les jeunes et les personnes éloignées du marché de l'emploi, emploi des seniors, temps de travail et âge de départ à la retraite. Nous devons travailler plus et mieux pour sécuriser la sécurité sociale, l'un n'étant pas contradictoire de l'autre.
Le travail doit mieux payer et le temps de travail doit être revisité - d'où ces propositions de douze heures en plus payées. C'est bien la première fois que j'entends que le fait de travailler plus ne créerait pas de richesse. Une conférence sociale sur le travail s'impose pour ceux qui croient au paritarisme.
Le décalage de la réforme des retraites est un combat d'arrière-garde. Son acceptation est beaucoup plus forte que vous ne le croyez. (M. Mickaël Vallet s'en offusque ; M. Éric Kerrouche ironise.)
Nous pourrions parler pénibilité, égalité hommes-femmes ou carrières longues. Mettre comme préalable à toute discussion la remise en cause de la réforme des retraites est une folie.
Nous avons bien compris que notre position vous gêne ; selon vous, elle fragiliserait le compromis, mot magique lancé à tout bout de champ. Le groupe UC est favorable, par nature, au compromis.
M. Rachid Temal. - Ça ne se voit pas.
M. Olivier Henno. - Mais comme le disait dans la presse le président Marseille, ce dont on parle ce n'est pas un compromis. Pour cela, il faut que chacun fasse un pas vers l'autre (Marques d'ironie à gauche)
Là, il faudrait remplir les conditions posées par le PS pour ne pas voter la censure... (Applaudissements à droite ; exclamations ironiques à gauche)
Mme Laurence Harribey. - Jaloux ! (Sourires sur les travées du groupe SER)
M. Olivier Henno. - C'est nourriture contre pétrole - mais je crains que le pétrole ne tarde à venir.
Nous avons voté le congé supplémentaire de naissance afin que les parents prennent plus de temps à accueillir un enfant ; cela favorisera aussi l'égalité entre le père et la mère pour l'éducation des enfants.
La commission des affaires sociales et la rapporteure Imbert ont suivi un principe : nous ne régulerons pas les dépenses maladie par la contrainte et la suspicion contre les professionnels de santé. (M. Rachid Temal proteste.) Il faut créer la confiance entre professionnels de santé et responsables publics, car celle-ci est fragilisée. Nous misons sur le paritarisme et donc sur les accords conventionnels.
Mme Laurence Harribey. - Mais pas pour les retraites !
M. Olivier Henno. - Redonnons envie aux Français d'exercer ces beaux métiers de médecin, d'infirmière et de soignant. Le groupe UC votera ce PLFSS avec enthousiasme et fierté. (Acclamations et applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Dans un monde idéal, tous les soins seraient pris en charge, les taxes seraient faibles, les entreprises compétitives et le salaire net proche du salaire brut. Mais la réalité, c'est un pays où le nombre des personnes de plus de 80 ans explose. En 2023, le Japon s'alarmait que 10 % de sa population ait plus de 80 ans ; le Japon d'aujourd'hui, c'est la France dans vingt ans. Nous passerons de 2 millions à 4 millions de personnes de plus de 85 ans ; la perte d'autonomie doublera alors que le plan Grand âge n'a pas été financé.
Parallèlement, le taux de natalité chute, le taux de fécondité atteignant 1,6 enfant par femme. Je regrette que mon amendement en faveur de la PMA ait été jugé irrecevable : il faut plus d'un an pour avoir un rendez-vous ! Je suis favorable au congé supplémentaire de naissance et à un meilleur recouvrement des pensions alimentaires.
Notre protection sociale, conçue pour aider les Français face à la maladie, n'a pas anticipé l'explosion des maladies chroniques, des ALD et du vieillissement de la population. Il y a quinze ans, 9 millions de personnes étaient en ALD pour 12,5 milliards d'euros de dépenses ; elles sont désormais 14 millions, et seraient 18 millions en 2035. Si nous ne faisons rien, ce système s'effondrera avec un déficit systématique chaque année.
« Les déficits prolongés sont le signe des collectivités qui s'abandonnent » disait Pierre Mendès France.
M. Emmanuel Capus. - Excellent !
M. Daniel Chasseing. - Nous devons sauver notre système de protection sociale, pilier de la République. Nous n'augmenterons pas les cotisations qui réduiraient le salaire et nuiraient à la compétitivité des entreprises. Il ne s'agit pas non plus de taxer davantage l'épargne.
La solution, c'est le social-libéralisme et plus de travail. Si le taux d'emploi - de 68 % pour les 15-64 ans - était le même qu'en Allemagne, où il atteint 77 %, nous aurions 90 milliards d'euros de recettes fiscales en plus. (Mme Cécile Cukierman ironise.) C'est ce que prévoit ce texte en augmentant de douze heures la durée de travail. Il aurait fallu aller beaucoup plus loin, j'avais proposé une à deux heures par semaine en plus. (M. Rachid Temal proteste.) Un nouveau débat pourrait être utile l'année prochaine, compte tenu du déficit de 17 milliards d'euros.
Pourquoi ne pas étudier une taxe sur les holdings dont la seule raison d'être est d'éviter l'impôt ? Il faut aussi chercher de nouvelles recettes, comme une TVA sociale, en exonérant bien sûr les produits de première nécessité. Sinon, les dépenses exploseront à cause des maladies chroniques et du vieillissement. L'Ondam atteint 270 milliards d'euros en 2025, et cela ne suffit pas...
Les arrêts de travail représentent 11 milliards d'euros de dépenses par an. Les ALD non exonérantes explosent, en augmentation de 6,5 % par an. Je regrette le rejet de mon amendement qui aurait permis un accompagnement pour le retour au travail et éviter la désinsertion.
Je salue le maintien du parcours d'accompagnement préventif et de notre proposition pour mieux encadrer le renouvellement des arrêts de travail délivrés en téléconsultations. Je me réjouis de l'expérimentation OSyS (orientation dans le système de soins) chez les pharmaciens.
Je regrette la suppression du réseau France Santé : la ministre m'avait convaincu, cela aurait permis de renforcer nos territoires.
Malheureusement, l'article 44 nécessitera le gel des pensions en 2026, hormis celles en dessous du Smic.
Pour la suspension de la réforme des retraites, les chiffres parlent d'eux-mêmes : 4 actifs pour un retraité en 1980 contre 1,6 actif pour 1 retraité en 2025. Nous aurons 21 millions de retraités en 2035, contre 18 millions actuellement. Avec les partenaires sociaux, nous devons anticiper cette évolution. Même s'il y a un compromis sur le budget, nous devrons revenir à un âge de départ à la retraite à 64 ans si nous voulons pouvoir maintenir le pouvoir d'achat des retraités et conserver les 43 ans de cotisations mis en place par François Hollande, que j'ai votés.
Le maintien de cette réforme permettra de préserver notre modèle par répartition, même si nous devrions parler, avec les partenaires sociaux, d'une dose de capitalisation. La démographie s'impose à nous et le système par répartition ne peut fonctionner lorsqu'il y a plus de retraités que d'actifs.
Oui, le Sénat demande un effort important, plus de travail, mais pour avoir une retraite viable. Il propose un contrat social pérenne. Le groupe INDEP, quasi unanime, votera ce texte (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Corinne Imbert . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.) La discussion de ce texte rappelle l'importance du rôle du Sénat, d'autant plus que l'Assemblée nationale n'a pas pu se prononcer en première lecture sur l'ensemble des dispositions du texte.
Cette année, le PLFSS a été largement amendé par les députés, jusqu'à aboutir à un texte baroque.
Comme M Henno, je pense que nous avons eu des échanges de qualité et nous pouvons nous en réjouir.
M. Jean-François Husson. - Très bien !
Mme Corinne Imbert. - Le calendrier a été néanmoins très serré. Je remercie mes collègues rapporteurs pour la rigueur de leurs travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Cette bonne tenue ne saurait faire oublier la situation préoccupante de nos comptes sociaux : les déficits atteignent le niveau de la crise sanitaire.
M. Mickaël Vallet. - Et de 2010 !
Mme Corinne Imbert. - Le Gouvernement transmet la dette sociale aux générations futures, sans une once d'embarras.
Le groupe Les Républicains rejoint donc la position de la commission des affaires sociales : la trajectoire de financement du PLFSS est insincère et incohérente.
Nous sommes opposés à toute hausse de la pression fiscale. Nous avons rejeté la hausse de la CSG patrimoniale ou l'élargissement des franchises médicales.
Nous avons exclu du gel des prestations les Français les plus fragiles, notamment les retraités qui touchent moins de 1 400 euros par mois et les bénéficiaires de l'AAH. Nous avons voté la suppression de la suspension de la réforme des retraites.
Deux mesures ont mis en danger notre système : la retraite à 60 ans et les 35 heures. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; Mme Véronique Guillotin applaudit également ; protestations à gauche)
M. Mickaël Vallet. - C'est la faute des congés payés en 1936...
Mme Corinne Imbert. - Sans ces choix, les déficits ne seraient pas aussi graves. (Mêmes mouvements)
Venons-en à la branche maladie, grande malade de la sécurité sociale. Si le Gouvernement projette un déficit de 12,5 milliards d'euros en 2026, il atteindrait 16,1 milliards en 2029. Aucune trajectoire de retour à l'équilibre ni de réduction du déficit n'a été présentée.
Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), comme le comité d'alerte, relèvent le caractère ambitieux et peu documenté des prévisions économiques. Le Gouvernement envisage 7,1 milliards d'euros d'économies, le double des deux dernières années.
L'Ondam projeté pour 2026, initialement de 270 milliards d'euros, n'est pas à la hauteur des besoins. Sa hausse sera limitée à 2 %.
Or Daniel Chasseing l'a bien dit : les ALD et les innovations médicales, entre autres, coûtent cher.
L'article 19 crée des parcours d'accompagnement préventif, l'article 33 améliore la diffusion des biosimilaires en ville, gisement d'économies considérables ; par un amendement adopté au Sénat, ont également été ajoutées des dispositions pérennisant l'accès direct pour les patients tout en conservant l'accès précoce. Après accord entre le Gouvernement et le Conseil national de l'ordre des médecins, nous avons mieux encadré la médecine esthétique. Nous avons soutenu des dispositifs participant à l'efficience et la pertinence des soins, sans nuire à la sécurité et à leur qualité.
Néanmoins, le Sénat n'a pas souhaité créer de nouvelles franchises ou participations forfaitaires. Nous avons rejeté, par 90 % des votes, la création d'un réseau France Santé qui relève de la communication.
La réforme de l'hôpital, la prévention, le grand âge... Autant de sujets sur lesquels les professionnels ont besoin d'un cap. Nous devons rassurer nos concitoyens sur la pérennité de notre système.
Nous assumons nos choix avec fierté et responsabilité et voterons ce texte largement remanié. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur plusieurs travées du groupe UC)
L'ensemble du PLFSS est mis aux voix par scrutin public solennel de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°61 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 315 |
| Pour l'adoption | 196 |
| Contre | 119 |
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est adopté.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités . - J'associe à mes propos mes collègues ministres. Je vous remercie pour cette semaine de débats intenses dans des délais contraints. Je prends acte du vote du Sénat et me félicite de votre écoute et du respect. Nous partageons la même exigence en matière de maîtrise des comptes publics. Le processus parlementaire se poursuivra, permettant, je l'espère, de voter définitivement ce PLFSS. La CMP se réunira dès ce soir.
Au fil de ces dernières semaines, j'ai vu des compromis se construire là où je ne les attendais pas.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ah bon ?
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - J'ai vu des parlementaires mettre leurs divergences de côté et faire des pas les uns vers les autres.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il faut changer de lunettes.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - C'est la stabilité du pays qui l'exige. Nous ne pourrons pas financer la solidarité nationale sans ce texte. C'est aux parlementaires de trouver un chemin.
Mme Frédérique Puissat. - Non, au Gouvernement.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre. - À défaut de trouver les moyens d'atterrir sur une copie commune, nous arriverons à un déficit de 29 milliards d'euros, et à une crise de trésorerie majeure. Le temps qui vient doit être un temps utile pour traiter les sujets de fond.
Nous en avons abordé plusieurs au cours des débats. Le Gouvernement a pris les devants en lançant une conférence Travail et retraites qui se réunira le 5 décembre prochain. Le dialogue social sera utile. Mais chacun chose en son temps. Les Français ont besoin d'un budget pour la sécurité sociale. Je sais que vous pouvez être d'accord sur l'essentiel et trouver un consensus en responsabilité pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics . - À mon tour de vous remercier de votre temps, de vos convictions et de vos arguments pour la « Sécu », comme disent les Français, sans se rendre compte qu'elle va au-delà de l'assurance maladie. Les débats se poursuivront avec la CMP sur les sujets essentiels, ceux du quotidien : retraite, année blanche, fiscalité du capital, complément de salaires, temps de travail, gestion de la dette sociale...
Nous ne sommes pas au bout du chemin. Ce texte n'est qu'une étape pour la construction d'ici au 31 décembre d'un budget qui représente la moitié des finances publiques.
Le déficit à la sortie de l'Assemblée nationale était de 24 milliards d'euros ; vous l'avez porté à 17,6 milliards - en réalité 20 milliards d'euros si on neutralise les nouveaux transferts.
Mme Frédérique Puissat. - Non ! Et les 12 heures ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il faut toujours considérer ces transferts. Les 12 heures supplémentaires de travail, à l'heure où nous parlons, seraient d'un rendement très minime, et il y aurait des problèmes de pouvoir d'achat pour 40 % de salariés qui ont des heures supplémentaires.
M. Patrick Kanner. - Jolie avancée sociale...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il y a des effets de bord.
M. Mickaël Vallet. - Ça ne paye pas, le travail...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le Gouvernement cherche, faute de 49.3, à construire le compromis avec les parlementaires. Nous aurons la même persévérance dans notre devoir face aux Français de fixer des budgets, avant que les débats de l'élection présidentielle n'arrivent, et avec eux des propositions structurelles, approfondies, voire novatrices. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et des personnes handicapées . - Je remercie, en y associant Stéphanie Rist, le président de la commission des affaires sociales, les rapporteurs et l'ensemble des sénateurs qui ont permis d'adopter un texte. C'est une étape ô combien importante pour notre pays. Ce serait très grave de ne pas adopter un PLFSS.
Vous avez permis de faire un pas vers une adoption définitive. Cela permettra des revalorisations salariales des professionnels de santé, de faire des investissements pour lutter contre le cancer, pour créer un congé supplémentaire de naissance, nécessaire pour lutter contre la dénatalité, pour répondre aux problèmes des concitoyens en situation de handicap, pour nos Ehpad : autant de réponses concrètes. Nous mettrons tout en oeuvre pour trouver un compromis et adopter définitivement un PLFSS. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ainsi que sur quelques travées du groupe UC ; Mme Pascale Gruny applaudit également.)
M. le président. - Je voudrais moi aussi remercier nos collègues de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et sur plusieurs travées du RDSE et du groupe SER) Nous avons eu soixante-sept heures de débat pour examiner l'ensemble du texte. À méditer.
La séance, suspendue à 18 heures, reprend à 18 heures 10.
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
Mises au point au sujet de votes
M. Jean-Luc Brault. - Lors du scrutin public n°57, Pierre-Jean Verzelen souhaitait s'abstenir.
M. Philippe Grosvalet. - Lors du scrutin public n°59, Raphaël Daubet souhaitait s'abstenir.
Mme Annick Jacquemet. - Lors du scrutin public n°57, Christine Herzog souhaitait voter contre. Lors du scrutin public n°59, Vincent Capo-Canellas et Christine Herzog souhaitaient s'abstenir. Lors du scrutin public n°36, Ludovic Haye souhaitait voter contre. Lors du scrutin public n°56, Christine Herzog souhaitait ne pas prendre part au vote.
Acte en est donné.
Avenir de la filière automobile
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir de la filière automobile, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) La commission des affaires économiques a adopté les conclusions de la mission d'information sur l'avenir de l'industrie automobile française. Nous avons alerté sur la situation catastrophique de la filière : elle est à l'agonie. La possibilité d'un avenir pour la filière automobile est de plus en plus hypothétique. Il y a un an, Luc Chatel nous disait : « l'industrie automobile française peut disparaître. » C'est ce qui est en train de se produire : après les plans sociaux chez Michelin et Valeo à l'automne dernier, les usines Stellantis de Sochaux, Mulhouse et Poissy ont été partiellement mises à l'arrêt. La crise se propage aux sous-traitants : chez NovAsco, 500 emplois sont supprimés et trois usines seront fermées.
Les causes sont connues : d'abord, nous assistons à une contraction sans précédent du marché. Depuis la crise sanitaire, les ventes de véhicules neufs ont chuté de 20 %. La part des ventes des véhicules électriques et hybrides rechargeables a même baissé en 2024 et 2025.
Ensuite, la Chine exerce une concurrence débridée et massive : elle représente un tiers de la production mondiale, deux tiers des voitures électriques. Elle produit plus de véhicules que l'Europe et les États-Unis réunis, et est devenue en 2023 le premier exportateur mondial. Inexistantes il y a quelques années, les importations chinoises dans l'Union européenne ont été multipliées par quinze depuis 2019, en raison de prix 30 % moins cher qu'en Europe.
L'Europe décroche en raison de son manque d'ambition industrielle, alors que la Chine, volontariste et planificatrice, a anticipé les évolutions. Nous avons réglementé le marché, sans nous demander si l'industrie allait suivre. Quelque 80 % des batteries utilisées viennent d'Asie. Le péché originel : le Green Deal européen, qui a fixé la date de fin de vente des véhicules thermiques neufs à 2035 - sans étude d'impact, sans concertation. Avec la Californie, nous sommes les seuls à avoir commis cette folie. Réglementer, ce n'est pas une politique industrielle. Le marché de la voiture électrique ne décolle pas.
La transition vers l'électrique à marche forcée est une menace existentielle, or l'industrie automobile constitue un enjeu de souveraineté : elle fait vivre 350 000 salariés, répartis sur 4 000 sites. Épine dorsale de l'industrie française, elle irrigue d'autres secteurs. La disparition de certains sous-traitants aurait des conséquences dramatiques sur la chimie ou la métallurgie. Notre capacité militaire pourrait être affaiblie.
Dans notre rapport, nous proposons dix-huit mesures, à mettre en oeuvre principalement à l'échelle européenne, à l'instar du relèvement massif des droits de douane sur les véhicules chinois, étendus aux composants clefs, ainsi que d'un seuil minimum de contenu européen dans les véhicules vendus en Europe. Cela évitera que notre industrie ne soit balayée, comme en matière de téléphonie ou de sidérurgie.
Nous proposons également de repousser la date d'interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs. S'arc-bouter aurait un coût social, économique et écologique démentiel. Alors que l'âge moyen du parc ne cesse de s'allonger, les solutions décarbonées pour les véhicules thermiques feront aussi baisser leurs émissions carbone.
Je plaide pour une réelle application du principe de neutralité technologique. Il faut tirer parti des biocarburants, solution que nous maîtrisons. Or vous proposez d'augmenter les taxes en la matière. Le Président de la République a réaffirmé sa volonté de maintenir l'échéance de 2035. (On le déplore à droite.) À quoi joue-t-on, alors que l'on parle sans cesse de réindustrialisation ? Même les « vertueux » Allemands s'y sont convertis.
Constructeurs, équipementiers, sous-traitants, concessionnaires nous l'ont dit : l'industrie française est en ordre de marche pour retrouver la place qu'elle détenait dans la compétition mondiale. Elle a besoin de temps, de nous et de vous, c'est-à-dire de la voix de la France à Bruxelles. Pas de réindustrialisation du pays sans l'automobile ! Il faut une stratégie claire et ambitieuse ne pas devenir de simples consommateurs de produits dont nous aurions perdu la maîtrise.
Quelles sont les intentions du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie. - Ne doutez pas de la volonté du Gouvernement d'être aux côtés de son industrie. Depuis octobre 2024, des droits de douane - de 30 % à 50 % en fonction des véhicules - sont appliqués, réduisant la part de marché des véhicules chinois de 18 % à 14 %. L'écoconditionnalité, mise en place en octobre 2023, a fait chuter la part de véhicules chinois de 41 % à 14 %. J'aurais aimé vous entendre parler de la préférence européenne ou du contenu local.
M. Alain Cadec. - J'en ai parlé...
M. Rémi Cardon . - Nous partageons tous le constat alarmant sur cette industrie qui fut un fleuron. Notre filière automobile, pilier historique de l'industrie française, traverse l'une des plus profondes crises de son histoire. Elle est le produit de deux décennies de délocalisation et de notre affaiblissement industriel. Notre rapport tire la sonnette d'alarme. Les ventes chutent, la production s'effondre, les marges des producteurs diminuent alors qu'il faut investir des dizaines de milliards d'euros ; pendant ce temps, la concurrence chinoise roule sur l'Europe, notamment grâce à son avance technologique et son accès privilégié aux matières critiques. Notre responsabilité politique est immense, pour non pas ralentir la transition énergétique, mais l'accélérer pour tous les Français. Nous ne devons pas nous résigner. Déjouons les pronostics qui parient sur le crash programmé de notre industrie.
La première exigence relève de la politique de l'offre et de la politique commerciale : nous devons protéger notre industrie avec des contenus locaux et européens. Les droits de douane sont-ils suffisants ? L'éco-score permet de nous protéger de l'invasion des véhicules chinois. La fourchette de 30 % à 50 % nous paraît trop juste. Il faut voir s'il n'y a pas de concurrence intraeuropéenne déloyale. La Commission européenne devrait mieux réguler le marché à ce niveau également. Nous devons protéger les différentes étapes en allant, pourquoi pas, jusqu'à conditionner l'accès au marché européen à des transferts de technologies. Certains pays à proximité de l'Union européenne n'ont pas de droits de douane, comme le Maroc ou la Turquie. Une usine de BYD s'implanterait même en Hongrie... Il faut surveiller tout cela.
La deuxième exigence est de maintenir l'ambition d'électrification de notre parc automobile - je diffère de mes co-rapporteurs à ce sujet. La taxe CAFE (Corporate Average Fuel Economy) pose davantage problème que la date de 2035, qui correspond à la fin des ventes de véhicules thermiques neufs - et non l'interdiction de rouler avec !
La troisième exigence est de rendre la voiture électrique accessible. Il faut une politique de demande. Le leasing social est réalisé avec l'éco-score. Mais il faut toucher surtout les classes moyennes et populaires. Le leasing social se concentre sur une tranche à 16 000 euros, alors que le Smic est à 17 000 euros par an - les personnes qui touchent le Smic n'y auraient pas droit. Repensons tout cela et multiplions les efforts pour accélérer l'achat de voitures électriques.
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - La date de 2035 ne doit pas être un dogme. (Marques de soulagement sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Rémy Pointereau. - Enfin !
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Nous sommes ouverts à des assouplissements, mais devons dans le même temps avancer sur le contenu local et la préférence européenne pour pérenniser une industrie européenne et française.
M. Rémy Pointereau. - C'est mal parti...
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Si le contenu local est inférieur à 75 %, on fermera des usines ; au-delà, on en rouvrira. Il s'agit donc d'assouplir, mais aussi de mieux protéger l'industrie européenne.
Oui à la souplesse, mais en défendant nos usines par la préférence européenne. (MM. Alain Cadec et Pierre Cuypers applaudissent.)
M. Rémi Cardon. - Les batteries sont un sujet majeur, notamment dans les Hauts de France, avec la perspective de 30 000 nouveaux emplois. Continuons, car cela va dans le bon sens.
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Absolument !
M. Fabien Gay . - Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat.
Souveraineté, réindustrialisation et transition écologique sont dans toutes les bouches, mais dans les ateliers, les fonderies et les usines, les salariés voient les chaînes s'arrêter et les sites fermer. En vingt ans, nous avons perdu 114 000 emplois dans l'automobile, et on anticipe 80 000 suppressions supplémentaires d'ici à 2030. La production nationale est au plus bas depuis 1962. Notre déficit commercial automobile atteint 24 milliards d'euros.
Cette spirale de désindustrialisation est la conséquence de choix politiques. Dans le même temps, l'argent public coule, sans transparence ni suivi. Près de 6 milliards d'euros d'aides ont été versés à la filière entre 2020 et 2022, sans être conditionnés au maintien de l'emploi ou à la relocalisation de productions stratégiques.
Les gouvernements successifs n'ont jamais essayé de corriger le tir. Les donneurs d'ordre ont les mains libres pour fermer les sous-traitants les uns après les autres. Toujours le même schéma : baisse des commandes, mise en concurrence avec des pays moins-disant, puis la liquidation. Et lorsque les salariés s'insurgent, le même le refrain : impossible d'aller contre le marché, d'intervenir sur les décisions des donneurs d'ordre, l'Europe l'interdit. Résultat, la sous-traitance, colonne vertébrale de la filière, s'effondre. Nos PME disparaissent dans l'indifférence. Sur le site historique de PSA à Aulnay, MA France a délocalisé sa production en Turquie.
La responsabilité est aussi politique : en sacrifiant la logique industrielle sur l'autel de la baisse du coût du travail, on organise notre désindustrialisation. L'incertitude autour du prix de l'énergie, du fait de la dérégulation du marché, décourage les investissements.
Une voiture neuve coûte désormais autour de 35 000 euros. L'âge moyen du premier achat est de 57 ans. La voiture populaire a disparu et avec elle, l'accès pour les jeunes et les classes populaires. Quand la Chine propose des voitures électriques à moins de 10 000 euros et le Japon, de petites voitures fiables et économiques, nous nous enfermons dans des modèles toujours plus lourds et plus chers.
M. Thomas Dossus. - C'est vrai !
M. Fabien Gay. - Il est temps de reprendre la main, de conditionner l'argent public, de renverser le rapport de force avec les donneurs d'ordres, de garantir un prix de l'énergie stable, de relancer une voiture populaire française. Nous avons les savoir-faire, il nous faut une volonté politique ferme. Écoutons les travailleurs et travailleuses de la filière ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et Les Républicains ; MM. Marc Laménie, Henri Cabanel et Guislain Cambier applaudissent également.)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Je connais votre combat sur la question des aides publiques - mais si nos entreprises allaient si bien, elles n'en auraient pas besoin. Notre tissu économique a besoin d'être soutenu. Face à la concurrence déloyale de la Chine, il faut une intervention publique.
Il est faux de dire que les 6 milliards d'aides ne sont pas conditionnés. Les 3,5 milliards qui vont à la batterie sont conditionnés à la sortie d'une vraie filière dans les Hauts-de-France. En face des 2 milliards pour les constructeurs et équipementiers, il y a des projets d'investissement, de transition, de soutien à la filière.
M. Fabien Gay. - Le combat sur les aides publiques devrait être le nôtre, le vôtre. Il faut bien sûr soutenir l'économie réelle, mais les aides publiques doivent venir en appui de politiques publiques ciblées.
Les sous-traitants qui avaient reçu des aides pendant la pandémie pour maintenir l'emploi n'ont pas hésité à licencier, car les aides n'étaient pas conditionnées au maintien des savoir-faire et des sites.
Attention : nous sommes en train de nous hyperspécialiser sur la batterie électrique, mais tout le reste part ailleurs. Nous perdons en réalité notre souveraineté sur l'ensemble de la chaîne de production.
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La voiture est une histoire industrielle française, celle d'un pays pionnier. Elle a longtemps été le symbole de la mobilité, donc de la liberté. Elle reste indispensable au quotidien de nombreux Français. Il y a une évolution, mais pas une révolution des modes de déplacement. Alors, comment expliquer l'agonie de la filière automobile ?
Cela tient d'abord à l'explosion du coût des voitures neuves, les constructeurs s'entêtant à privilégier les berlines et SUV toujours plus spacieux, toujours plus lourds et bardés de gadgets inutiles. En six ans, le prix moyen d'un véhicule neuf est passé de 26 000 à 36 000 euros. Les marchés extérieurs pour ces gros modèles thermiques onéreux se sont fermés, en particulier le marché chinois. Dire que certains voudraient brader notre agriculture avec le Mercosur pour essayer de vendre quelques berlines thermiques en Amérique latine...
Les constructeurs sont devenus des groupes mondialisés qui délocalisent, sous-traitent, méprisent leurs salariés, ne cherchent qu'à maximiser leurs marges, sans réinvestir dans l'outil industriel.
À l'heure des vérités alternatives, beaucoup ont l'explication : tout serait la faute des écologistes !
MM. Rémy Pointereau et Pierre Cuypers. - C'est vrai !
M. Daniel Salmon. - La faute aussi de Bruxelles, ou de l'Allemagne. Quelle clairvoyance ! Nous faisons fausse route, mais ne changeons pas de cap ! Dommage, il n'y aura pas de retour vers le véhicule thermique, car malgré la désinformation et le climatoscepticisme, l'avenir est à la sobriété, l'efficacité et la décarbonation.
La voiture restera indispensable, mais pas n'importe laquelle : une voiture électrique, plus petite, plus légère, plus sobre en gadgets, bien moins chère et beaucoup plus écologique.
M. Rémy Pointereau. - Ce n'est pas le cas !
M. Daniel Salmon. - La France avait pourtant de bonnes bases, avec la Zoe et la Kangoo. Quatorze milliards d'euros d'aides, pour un tel résultat... L'État doit redevenir stratège. La France peut redevenir un pilier européen en choisissant ses batailles, en coordination avec ses voisins. Cela implique de conditionner strictement l'argent public. Chaque euro doit créer de l'emploi ici, renforcer nos capacités industrielles et accélérer la transition écologique. L'État doit assumer son rôle d'actionnaire chez Renault et Stellantis. Les flottes d'entreprise doivent s'orienter massivement vers l'électrique pour abonder le marché de seconde main.
Rien ne tiendra toutefois si l'Europe reste une passoire. Elle doit lutter contre les importations déloyales et assumer la préférence européenne. Enfin nous devons revoir les règles sur les aides d'État, pour bâtir ensemble les Airbus de l'électromobilité. Regardons vers l'avenir, arrêtons le stop and go et fuyons le populisme et son obscurantisme. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Nous ne relèverons pas les défis sans les constructeurs. Nous avons besoin de champions industriels ; nous avons besoin de fixer un cap avec eux.
L'échéance de 2035 n'est pas un totem, mais faut maintenir un signal de marché. Ce n'est pas un point final, mais un nouveau départ.
Nous travaillons avec la Commission européenne sur le petit véhicule électrique. Nous voulons de la sécurité, mais ajouter des options renchérit le coût du véhicule. Ces petits véhicules plus sobres en équipement devront être construits en Europe, avec une part de préférence européenne autour de 75 % dans nos véhicules.
M. Daniel Salmon. - La nostalgie ne peut pas tenir lieu de politique. Le véhicule thermique a un rendement de 30 %, le véhicule électrique de 80 % : on voit bien dans quelle direction aller.
Il faut allier écologie, économie, santé - les particules fines tuent 40 000 personnes par an - et vision sociale.
Là où nous divergeons, c'est sur la confiance aux constructeurs. Ces capitaines d'industrie se sont surtout préoccupés de leur portefeuille et de celui de leurs actionnaires, et leur vision court-termiste nous a conduits dans l'impasse. Il est temps que le politique reprenne la main !
M. Philippe Grosvalet . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.) Forte de ses capacités d'innovation, de ses sites industriels et d'une main d'oeuvre qualifiée, la France a longtemps été le deuxième producteur européen de véhicules particuliers. Hélas, ce temps est révolu. La production domestique est passée de 3,3 millions de véhicules à 1,5 million en 2023. Notre part dans la production européenne a été divisée par plus de deux. Au niveau mondial, elle a reculé de 5 % à 2 % entre 2000 et 2023.
Les causes sont à la fois structurelles et conjoncturelles. Le secteur a fait le choix stratégique des délocalisations vers les pays à bas coût depuis les années 2000 - d'abord la production finale, puis les sous-traitants. L'addition est sévère : 125 000 emplois perdus en vingt ans.
Le secteur traverse crise sur crise : covid, semi-conducteurs, énergie. Résultat, entre 2019 et 2024, le marché automobile européen a perdu plus de 2 millions d'unités.
La hausse des droits de douane américains et la prédation chinoise sur les véhicules électriques et les pièces détachées hystérisent la concurrence, alors que le secteur doit accélérer la transition énergétique.
La filière automobile est structurante pour nos territoires, avec 350 000 salariés sur 4 000 sites. Or depuis janvier 2024, près de 7 000 emplois ont été supprimés ou menacés chez les équipementiers et fournisseurs. Cette saignée doit cesser. Il faut un cadre européen protecteur. Ce qu'ont parfaitement souligné Alain Cadec, Annick Jacquemet et Rémi Cardon. Il est temps de protéger notre marché.
Comment comptez-vous maintenir et développer notre activité industrielle automobile dans nos territoires ?
Sur le volet énergétique, la transition passe par un déploiement massif des bornes de recharge, notamment en zone rurale, et par plus de sobriété sur le poids, la taille et les technologies embarquées. C'est aussi une question d'accessibilité, alors que le prix des voitures neuves a augmenté de 40 % entre 2018 et 2024.
Enfin il ne faut pas détricoter l'objectif de 2035, mais travailler avec les industriels en gardant le cap. Monsieur le ministre, vous inscrivez-vous toujours dans le cadre du Green New Deal ?
L'automobile, c'est aussi la promesse d'une mobilité accessible, populaire, or trop de nos concitoyens peinent à se déplacer, surtout en zone rurale. Cela affecte les trajectoires personnelles et professionnelles, et creuse les inégalités. Il faut intégrer les enjeux de partage des véhicules, de recyclage des pièces, de covoiturage. Quelles propositions du Gouvernement sur ces sujets ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Que de questions ! Sur l'échéance de 2035, je veux être précis. J'ai rencontré les industriels. Personne ne veut d'un retour en arrière technologique. Personne ne dit qu'il faut annuler l'échéance de 2035.
M. Rémy Pointereau. - Reporter !
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Ce qu'ils demandent, c'est un assouplissement, à travers le concept de neutralité technologique.
Ce que je vous demande, c'est que nous nous accordions pour dire que cela doit impérativement s'accompagner de la préférence européenne et du contenu local. Ce combat n'est pas forcément gagné.
Si nous sommes capables, en Europe, de produire des véhicules avec 75 % de contenu local, nous devons, dans le cadre de la négociation sur 2035, élaborer, avec nos constructeurs européens, cette stratégie de la préférence européenne qui fera vivre nos sous-traitants et nos territoires. Si nous ne tenons pas ce cap de 75 % de contenu local, alors nous ne serons pas au rendez-vous de l'emploi dans nos territoires.
Mme Annick Jacquemet . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Élue du Doubs, berceau historique de l'automobile, je sais la crise existentielle que traverse ce secteur, colonne vertébrale de notre tissu industriel.
Le constat que dresse notre rapport d'information est sans appel : avec la succession des crises, le marché automobile européen a perdu deux millions de voitures entre 2019 et 2024. Affaiblie par deux décennies de délocalisation, l'industrie française a moins bien résisté que ses voisins. En 2023, notre production restait inférieure de 40 % à celle de 2019.
Le problème n'est pas que conjoncturel. Notre production est passée de 3,3 millions de véhicules en 2000 à 1,5 million en 2023, soit son niveau des années 1960. La part de la France dans la production européenne a chuté de 20 à 8 %, et de 5,6 à 1,6 % dans la production mondiale. Conséquence des délocalisations, la part de production réalisée en France par les constructeurs nationaux a été divisée par deux entre 2003 et 2019, passant de 64 % à 31 %.
En parallèle, soulignons l'ascension fulgurante des constructeurs chinois, avec des voitures à des prix 30 % inférieurs à ceux des véhicules européens, qui ont quadruplé entre 2021 et 2023.
Face à ce péril mortel, nous avons formulé dix-huit recommandations pour redonner un avenir à la filière. Nos chefs d'entreprise sont aux abois. Il faut assouplir les règles européennes, reporter l'interdiction de vente des véhicules thermiques neufs, protéger notre industrie de la concurrence internationale et soutenir la demande. Notre industrie doit impérativement restaurer ses marges. Cela suppose d'agir sur les coûts, dont celui de l'énergie, d'adapter la réglementation et de favoriser l'émergence de petits véhicules abordables produits en France.
Il y a urgence. Le 10 décembre prochain, la Commission européenne doit faire des annonces. La France doit porter une voix forte dans ces discussions pour assurer la pérennité de son secteur automobile. Le Gouvernement a affirmé qu'il défendrait des flexibilités en matière de neutralité technologique, dès lors qu'elles s'accompagneraient d'une préférence européenne - c'est une de nos propositions.
J'ai entendu que la position du Gouvernement avait déjà été assouplie. J'ai l'impression que vous avez lu notre rapport... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - J'ai bien sûr lu votre rapport avant notre débat ; il est très riche.
Je note que vous soutenez la préférence européenne. On en parle beaucoup pour les marchés publics, pour l'accès au soutien public, mais il faut aussi l'étendre au contenu local à l'intérieur des véhicules.
Le déclin du marché automobile commence dès 2019 ; à l'époque, la part du véhicule électrique dans le marché français était de 1,9 %. Tout lui imputer est un raccourci facile.
Ensuite, la crise des semi-conducteurs est la conséquence d'une dépendance trop forte à la Chine. Nous n'en sommes pas sortis, comme l'a illustré l'affaire Nexperia. La préférence européenne, c'est aussi sortir de la dépendance.
Enfin, la France est en passe de réussir un pari sur le véhicule électrique : en octobre, sur les dix véhicules électriques les plus vendus en France, sept étaient de marque française !
Mme Annick Jacquemet. - C'est parce que nous avons confiance en eux que nous voulons aider nos constructeurs à poursuivre leur adaptation, dans laquelle ils ont déjà investi des dizaines de milliards. Laissons-leur le temps de s'adapter pour produire en France des véhicules de plus petite taille, ainsi que des batteries. Dans le Doubs, nous avons senti la grande fragilité des sous-traitants. Ne les laissons pas tomber. Ces sous-traitants travaillent aussi dans l'armement, nous avons besoin de leur savoir-faire.
M. Jean-Luc Brault . - En matière d'industrie, combien de belles histoires se sont soldées par des tragédies ? Merci à la présidente Estrosi-Sassone d'avoir reconstitué le groupe d'études dédié. Chaque famille du Loir-et-Cher compte un membre, un proche qui a travaillé dans la filière automobile. Bien optimiste celui qui pense que ce sera la dernière fois que nous parlerons du sujet...
La filière automobile représente encore 4 000 emplois en Loir-et-Cher, pour un chiffre d'affaires de 710 millions d'euros - après avoir perdu 4 000 emplois avec la disparition de Matra.
Il ne s'agit pas de maintenir artificiellement des emplois appelés à disparaître : la stratégie ultra-interventionniste mène à la faillite. Mais il faut soutenir les filières stratégiques pour notre souveraineté industrielle.
Nous pensons à toutes ces vies de labeurs, mais personne ne mérite de n'être sauvé que pour sa capacité de production.
À l'approche de la clause de revoyure de 2026, les débats s'intensifient : constructeurs allemands, italiens, français plaident pour le report de l'interdiction des moteurs thermiques prévue pour 2035. Le Président Macron semble désormais ouvert à une certaine flexibilité - je l'espère. Parfois nous voulons faire trop vite, trop bien, sans mesurer les conséquences. Et c'est face au mur que nous rétropédalons...
Un simple report suffirait-il à relancer la filière ? Certainement pas. Le débat porte aussi sur la neutralité technologique. Pourquoi imposer le 100 % électrique dont les composants viennent d'Asie, alors que nous développons dans le même temps des biocarburants ?
L'objectif européen est celui de la neutralité carbone, pas des moyens de l'atteindre. Alors que le marché de l'électrique se rétracte, gardons nos options ouvertes, y compris le thermique décarboné.
Le rapport sénatorial propose une vingtaine de pistes. Nous devons conjuguer ambition, flexibilité, pragmatisme. Il y va de notre sécurité. Voulons-nous que les données des véhicules connectés soient gérées par des acteurs extraeuropéens ? Nous devons produire en Europe des véhicules intelligents, des batteries et des logiciels. Il y va de notre souveraineté.
Ayons une vision engagée, une concurrence modérée, une politique publique favorable. Militons pour des politiques industrielles ambitieuses. Restons optimistes et innovons. Selon moi, une économie moderne et juste doit conjuguer liberté, progrès, solidarité, justice et écologie. (Applaudissement sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Tout est une question de mesure. La neutralité technologique doit être intégrée à la réflexion. Au rythme où vont les choses, l'objectif de 100 % de véhicules électriques en 2035 est difficilement atteignable. Il faut s'ouvrir à d'autres technologies, sans renoncer à l'électrification. C'est bien la technologie de demain, celle qui a le plus fort rendement énergétique - et c'est pourquoi nous soutenons le développement de la vallée de la batterie des Hauts-de-France.
Nous devons aussi veiller à ce que le principe de neutralité technologique nous protège en termes de contenu local.
Tout est une question de mesure et d'équilibre, sur le chemin vers un véhicule électrique produit en France et en Europe, en préservant l'emploi local.
M. Jean-Luc Brault. - Faisons travailler l'Europe. Il faut que les Allemands, les Italiens, les Français, et les Anglais s'unissent autour de projets industriels, comme on a su le faire à une époque, pour travailler notamment sur les petits véhicules, dont ont besoin les habitants de nos territoires.
M. Marc Séné . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) L'automobile est au carrefour de son histoire. Pilier de notre économie, elle irrigue des pans entiers de notre industrie et façonne encore nos territoires.
Mais la filière est profondément fragilisée. Les difficultés sont multiples : ralentissement de la production, hausse des coûts, concurrence internationale exacerbée, dépendance croissante à des technologies étrangères. À cet affaiblissement structurel s'ajoute un choc conjoncturel inédit, entre crise sanitaire, crise des semi-conducteurs et crise énergétique. Résultat : moins deux millions de véhicules sur le marché européen entre 2019 et 2024. En France, les immatriculations ne cessent de baisser. Le secteur devrait perdre 3,5 milliards d'euros de chiffres d'affaires cette année, soit plus d'un milliard d'euros de pertes fiscales.
Une dizaine de projets industriels ont échappé à la France au profit de pays voisins. Résultat : moins de recettes publiques et une désindustrialisation qui se poursuit.
À ces fragilités s'ajoute la perspective de l'interdiction par l'Union européenne de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035. Cette échéance impose des investissements colossaux, alors même que le marché ne parvient plus à absorber les volumes qui permettraient de les financer. Le danger d'un recul industriel préjudiciable à nos territoires est réel.
Ces derniers ne vivent pas la mobilité de manière uniforme. Dans les zones rurales et périurbaines, l'automobile est une nécessité quotidienne, faute de transports collectifs suffisants ou accessibles. Une transition mal pensée et imposée indistinctement risque de créer une nouvelle fracture territoriale et, à terme, sociale.
La voiture électrique est un levier pour réduire nos émissions, mais sa démocratisation exige du pragmatisme. Son coût demeure trop élevé et les infrastructures de recharge, insuffisantes, inégalement réparties et même inexistantes dans certains endroits. Notre dépendance à l'Asie pour 80 % des batteries met en péril notre souveraineté technologique.
En outre, notre industrie automobile a subi plus de dix modifications réglementaires en seulement un an : éco-score, suppression du bonus, abaissement des malus, création d'un malus sur les véhicules électriques à batterie... Pire, cette instabilité s'accompagne d'incohérences profondes : l'éco-score pénalise surtout les véhicules européens et un malus masse frappe désormais les véhicules électriques !
Dans ces conditions, la France connaît un ralentissement de l'électrification de son parc roulant, contrairement à ses partenaires européens. L'État se désengage budgétairement, puisqu'aides à l'achat, bonus et leasing social sont basculés sur les certificats d'économie d'énergie, financés par les consommateurs.
Pour autant, nous ne devons pas céder à la fatalité, car la France dispose encore d'atouts considérables. En Europe, 250 millions de véhicules sont à renouveler d'ici à 2040, dont 40 millions en France. C'est une opportunité industrielle majeure.
Nous n'avons pas besoin de nouvelles subventions, mais d'un cadre stable, cohérent et fondé sur une concurrence loyale au sein de l'Union européenne. Préservons nos emplois, renforçons notre souveraineté et veillons à l'équilibre de nos territoires. C'est ainsi que nous réussirons la transition, pour que nul ne soit laissé au bord de la route. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Oui, nos concitoyens sont attachés à l'automobile, en particulier dans la ruralité.
En 2024, le nombre de bornes de recharge était sans commune mesure avec celui de 2021 : 150 000 contre 30 000. Autre donnée intéressante : nous avons une borne pour neuf véhicules, contre vingt-trois en Allemagne. Cela reste bien sûr insuffisant, mais, non, la France n'est pas en retard.
Nous avons besoin de stabilité normative et de simplification. La Commission européenne présentera prochainement un omnibus de simplification sur l'automobile.
Vous avez raison, il faut se protéger. Car lorsqu'on met en place des dispositifs de protection, le résultat est au rendez-vous. J'ai sous les yeux un graphique montrant que, en 2023, avant l'écocontribution et les droits de douane, il y avait 41 % de véhicules chinois et 8 % de français parmi les voitures électriques vendues ; grâce à ces mesures, c'est 14 % et 23 %. Preuve que les mesures de protection sont efficaces.
M. Marc Séné. - Dans l'intercommunalité que je présidais jusqu'à peu, seuls quatre villages sur quarante-cinq disposent d'une borne - elle est souvent à recharge lente, pour des raisons de coût.
M. Bernard Buis . - Selon l'Organisation internationale des constructeurs automobiles, la France a perdu 38 % de sa production automobile en six ans. En dépit des efforts des gouvernements, notre industrie automobile est dans une situation très inquiétante par rapport à celles de nos voisins.
La potentielle reprise en main de Stellantis par l'actionnaire italien Exor est un autre signal inquiétant : que deviendront les 39 000 salariés du groupe toujours basés en France ? Rappelons que PSA employait plus de 120 000 personnes il y a vingt ans.
Le marché français présente certaines limites pour les constructeurs, dont notre coût horaire élevé. Mais notre économie possède des capacités humaines nous permettant de tirer parti des opportunités de l'électrification. Dans les cinq prochaines années, le secteur de la mobilité propre créera ou transformera environ 250 000 emplois : l'enjeu est donc majeur.
Or les constructeurs européens semblent en retard face aux géants asiatiques et américains, sans parler de notre dépendance dans le domaine des matériaux. Accélérons en matière de recherche et développement. Reprenons la main sur les éléments qui comptent dans la conception d'une voiture électrique : batteries, électronique, logiciels.
Lors d'un déplacement en Chine de la commission des affaires économiques, il y a un an, nous avons constaté l'avance des constructeurs de ce pays, notamment en matière de vitesse de charge des batteries. Faisons en sorte de ne pas décrocher ! Nous avons les talents et les instituts de formation, comme l'Institut supérieur de l'automobile et des transports, à Nevers.
Nous devons aussi densifier le maillage territorial des bornes de recharge et construire des véhicules à prix compétitifs, pour que le plus grand nombre de Français puissent les acheter.
Par ailleurs, nos constructeurs ont besoin de stabilité. Certains constructeurs demandent un report ou un aménagement de l'échéance de 2035, mais toute notre industrie se met en ordre de marche depuis plusieurs années pour la tenir.
Enfin, nous ne pouvons pas demander toujours plus à nos usines et laisser entrer en Europe des véhicules produits dans des conditions sociales et environnementales bien moins exigeantes que les nôtres.
Ouvriers, techniciens, ingénieurs : tous se demandent s'ils auront encore un emploi dans cinq ans. Soit nous nous résignons à la disparition de sites et de savoir-faire, soit nous décidons de faire de la transition environnementale une chance pour notre industrie et nos territoires. Comment comptez-vous répondre à ces enjeux et défendre l'avenir de la filière automobile française ? (Mme Solanges Nadille applaudit.)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Oui, nous avons les talents, et c'est essentiel.
Je suis élu d'un territoire où il y avait Kodak : l'entreprise avait des talents mais n'a pas su prendre le virage technologique.
Mme Audrey Linkenheld. - C'est faux !
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Je connais bien le sujet...
Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'est pas ce que disent les dernières sources.
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Je vous invite à venir sur place, mais, visiblement, vous savez mieux de là où vous êtes...
En matière automobile, le virage est en train d'être pris. Sept véhicules électriques sur dix vendus en France sont de marque française.
Le rapport sénatorial ne préconise pas de renoncer à l'objectif de 2035, mais de prévoir des adaptations. Faut-il encore que ce soient les bonnes. Les biocarburants peuvent représenter une petite part, mais veillons à pouvoir continuer à nous nourrir à un coût abordable. Quant au véhicule hybride, s'il peut parcourir 100 kilomètres en électrique, c'est une bonne réponse ; si c'est 20, ce n'en est pas une.
M. Bernard Buis. - Faisons confiance à nos talents et oeuvrons ensemble à restaurer notre compétitivité.
M. Michaël Weber . - Les normes européennes pour l'électrification et l'objectif de 2035 sont non seulement une réponse à l'urgence climatique, mais aussi un cadre de stabilité indispensable aux investissements et un levier de souveraineté essentiel.
La transition ne repose pas sur le 100 % électrique. Les technologies hybrides jouent un rôle structurant pour remplacer rapidement les ventes thermiques et accompagner les usages jusqu'à la période de bascule. N'opposons pas les motorisations, mais bâtissons une trajectoire réaliste, progressive et protectrice de nos intérêts.
Les objectifs européens de décarbonation attirent des investissements massifs et créent des milliers d'emplois. En 2023, 265 milliards d'euros ont été investis dans les batteries et les véhicules électriques ou hybrides, dont plus de 80 % par des constructeurs européens. Remettre en cause nos engagements ralentirait la transformation de notre industrie, vitale pour les régions historiques de l'automobile, dont la Moselle.
Notre responsabilité est d'assurer que la transition écologique soit aussi une transition sociale : protégeons les emplois, accompagnons les reconversions, formons aux nouveaux métiers.
Alors que la concurrence mondiale n'a jamais été aussi forte, nous ne pouvons plus dépendre des énergies fossiles ni laisser l'Europe s'exposer aux surcapacités chinoises. Structurons une filière européenne intégrant batteries, moteurs hybrides et électriques, matériaux critiques et assemblage en assumant un protectionnisme européen, garantie que les investissements créent de l'emploi dans nos régions.
Pour atteindre l'objectif de 2035, les constructeurs devront accélérer la production de véhicules électriques d'entrée de gamme. Ces modèles abordables sont essentiels pour démocratiser la transition et redonner du souffle à nos sites industriels, notamment dans le Grand-Est. Retarder l'échéance reviendrait à retarder la mise sur le marché de ces modèles, accentuant notre dépendance et mettant en danger nos emplois.
Sans production européenne de batteries, nous resterons dépendants d'importations et vulnérables aux surcapacités mondiales. Pour que la transition écologique de l'automobile ne soit pas synonyme de déclassement industriel, construisons une filière européenne porteuse d'avenir pour les travailleurs et nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDPI et sur des travées du groupe INDEP)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - En effet, nous ne pouvons plus dépendre des énergies fossiles. Mais à moins que quelque chose m'ait échappé, nous avons peu de puits de pétrole... En revanche, nous maîtrisons le nucléaire et le renouvelable : défendre la voiture électrique, c'est défendre aussi notre modèle de production d'énergie électrique, fondé sur un mix équilibré entre ces deux sources. Notre stratégie repose sur une cohérence d'ensemble.
M. Michaël Weber. - Nous sommes tout à fait d'accord, mais la cohérence doit être plus large encore. Il y a quelques instants, j'ai posé une question d'actualité sur ArcelorMittal et NovAsco ; on pourrait penser aussi à la Fonderie lorraine. Accompagnons ces entreprises pour qu'elles réussissent la transition !
Mme Audrey Linkenheld. - Très bien !
M. Guislain Cambier . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Ce débat n'est pas technique, mais stratégique, social et de souveraineté.
Notre industrie automobile est une fierté, mais surtout l'un des piliers de notre puissance industrielle. C'est particulièrement vrai dans les Hauts-de-France, où la filière emploie 56 000 salariés. Nous comptons 7 sites de production, d'où sort un tiers de la production française.
Tous les interlocuteurs que je rencontre partagent le diagnostic du rapport sénatorial : la filière automobile française traverse une crise sans précédent. Il nous faut une stratégie industrielle cohérente et protectrice pour éviter la perte de souveraineté, de savoir-faire et d'emplois.
Au niveau local, les collectivités agissent déjà. La région Hauts-de-France soutient le développement massif des gigafactories. Les intercommunalités accompagnent l'implantation de nouvelles usines.
Les industriels investissent pour moderniser leurs sites. Stellantis a investi plus de 3 milliards d'euros, Renault a développé un pôle Ampère qui emploie 5 000 personnes avec des succès commerciaux remarquables, comme la R5 électrique, produite à Douai - de même, je ne doute pas du succès de la 4L électrique, produite à Maubeuge.
Reste que ces succès sont exceptionnels dans une filière à laquelle on impose l'adoption d'une seule technologie, sur laquelle les Chinois disposent d'un avantage compétitif majeur. Cette transition précipitée et déconnectée du marché menace la pérennité de notre industrie.
Au niveau européen, il faut promouvoir des mesures compensatoires. Au niveau national, des mesures simples et rapides peuvent être prises en matière de réglementation pour encourager toutes les technologies contribuant à la décarbonation. Je pense en particulier à la Toyota Yaris, produite à Valenciennes.
Or, dans le PLF, les véhicules hybrides sont la cible de malus : je défendrai des amendements pour que des modèles vertueux et fabriqués en France n'y soient pas soumis. Il faut aussi pérenniser les mesures incitatives, dont le leasing social.
Encourageons nos industriels à créer une nouvelle catégorie de petites voitures électriques à petit prix : c'est essentiel pour la mobilité accessible et l'emploi industriel. Les constructeurs sont prêts, il faut les accompagner, par exemple à travers un taux de TVA réduit ou une mesure de stationnement gratuit.
Les acteurs de la filière attendent une réglementation simplifiée et une fiscalité stable et incitative. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - En France, nous sommes capables de produire et de vendre des véhicules électriques : ne décourageons pas une filière qui est en train de réussir cette transition.
Vous appelez à la stabilité. Il ne faut donc pas changer la fiscalité...
M. Guislain Cambier. - Ni l'aggraver !
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Je fais confiance au Sénat pour trouver les voies de la stabilité.
Un véhicule hybride peut être pénalisé du fait de son poids, même si une franchise est prévue jusqu'à 200 kg. Il faut regarder de près quels véhicules français et européens doivent être particulièrement soutenus : ce travail est en cours.
M. Guislain Cambier. - On ne peut pas se contenter de nous dire : ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer. Il faut au niveau européen une volonté de protéger notre marché et au niveau national un geste d'accompagnement pour la filière.
M. Rémy Pointereau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) Merci à la présidente de la commission des affaires économiques et à M. Cadec d'avoir suscité ce débat.
Hélas, nous sommes en train d'étouffer un secteur d'excellence par une succession de contraintes administratives et fiscales absurdes qui s'ajoutent à une concurrence déloyale. Depuis des années, les politiques censées encourager le verdissement paralysent la demande, étranglent les sous-traitants et frappent les ménages et les PME de nos territoires.
Le marché est aujourd'hui bloqué, et l'attentisme domine. La production industrielle suit une trajectoire dramatique : moins de 1 million de véhicules produits l'an dernier, plus de trois fois moins que dans les années 1990. Les conséquences humaines et sociales sont majeures : 40 000 emplois perdus en dix ans, et 75 000 emplois supplémentaires pourraient disparaître d'ici à 2035 si la trajectoire n'est pas corrigée.
La marche forcée vers le tout-électrique va à l'encontre des attentes de nombre de ménages, qui souhaitent un véhicule polyvalent et abordable. Tout miser sur une réponse unique sans adapter l'offre aux usages réels est une erreur.
Nos dispositifs sont d'une complexité croissante et, parfois, incohérents. La confusion règne chez les professionnels comme chez les clients, qui disent tous : la fiscalité automobile, c'est « bienvenue chez les fous ! »
Enfin, nous souffrons d'une instabilité chronique : depuis 2017, pas moins d'une vingtaine de changements de fiscalité... Cette situation pousse à l'attentisme et empêche toute stratégie pérenne.
Les lourdeurs administratives deviennent insupportables. Prêts de trésorerie, avances d'aide, contrôles a posteriori : on demande même aux professionnels de remplir des missions de fonctionnaires d'État !
Nous avons déjà tué une partie du marché du neuf. Nous sommes en train de frapper le marché de l'occasion, dont dépendent pourtant la majorité des Français pour se déplacer.
Quelle est votre vision du secteur automobile en France ? Comment comptez-vous lutter contre la concurrence déloyale et mieux protéger le marché européen, mais aussi favoriser la compétitivité de l'industrie française ? Quelle trajectoire fiscale claire allez-vous proposer aux acteurs ? Allez-vous suivre l'exemple de l'Allemagne et donner du temps à la filière en acceptant enfin le report de l'échéance de 2035 ?
En vous écoutant, je pense à cette formule tirée d'un film célèbre : jusqu'ici, tout va bien... Non, monsieur le ministre, tout ne va pas bien et je crains l'atterrissage pour nos emplois industriels et nos territoires, si vous n'engagez pas une simplification administrative immédiate et n'entendez pas nos propositions pour un cadre clair et stable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Sébastien Martin, ministre délégué. - Au cours de ces échanges, j'espère que vous avez perçu chez moi une volonté combative et pragmatique de trouver les bons chemins pour notre industrie. Depuis six semaines que je suis en fonction, pas un jour ne passe sans que mon cabinet et moi-même soyons en contact avec les territoires confrontés à des difficultés. Non, jusqu'ici tout ne va pas bien. Les Échos m'ont même présenté comme la personne ayant accepté la mission la moins enviable du moment...
On pense parfois que nos amis allemands auraient la réponse à tous les problèmes, mais ils se sont mis eux-mêmes dans des situations problématiques : dépendance au gaz russe, aux chaînes d'approvisionnement asiatiques... Nous essayons de bâtir une filière nouvelle autour de l'électricité qui nous assurera une forme d'indépendance.
Je sais pouvoir compter sur vous dans notre travail de conviction auprès de l'Allemagne en matière de préférence européenne et de contenu local. Nous ne pourrons construire une filière européenne durable sans volonté d'assurer dans les véhicules un contenu européen. La France porte ce combat avec ses alliés, dont l'Italie.
Mme la présidente. - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.
M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie . - Je remercie la présidente Estrosi Sassone et les auteurs du rapport sénatorial. Vous avez montré l'importance territoriale de l'industrie automobile, à laquelle les Français sont attachés de manière viscérale.
Nous avons pu sauver certaines entreprises, comme Amis, à Montluçon. Pour d'autres, la situation est inquiétante - nous suivons les choses de près.
Ce débat a permis de construire collectivement une position commune. Nous considérons que l'échéance de 2035 peut faire l'objet d'assouplissements. Nous ne sommes ni sourds ni aveugles : compte tenu du marché, l'objectif de 100 % de véhicules électriques en 2035 est difficilement atteignable. De plus, l'industrie vit un changement technologique qui nécessite un accompagnement, notamment dans le cadre de France 2030.
En parallèle, nous devons promouvoir le contenu local. Dans une interview récente, le directeur général de Valeo a expliqué que nous savons faire des véhicules avec 75 % de contenu local. C'est là le moyen de sortir de la dépendance à l'Asie.
Enfin, nous appelons l'Europe à sortir de la naïveté. Pour fabriquer une automobile, il faut de l'électronique, de l'acier et de la chimie. L'acier a été attaqué, nous avons pris des contre-mesures. De même, il faudra une réponse forte dans le domaine de la chimie - je suis allé chez BASF à Chalampé, où l'on fabrique une molécule de nylon pour les airbags. C'est en défendant la préférence européenne que nous soutiendrons l'industrie française ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains . - Notre débat, de qualité, montre à quel point les difficultés de l'industrie automobile sont un enjeu majeur.
Auditionnés par la commission des affaires économiques, de grands acteurs du secteur, comme Jean-Dominique Senard, Florent Menegaux ou Luc Chatel ont pointé la situation critique des constructeurs et des équipementiers. Je félicite Annick Jacquemet, Rémi Cardon et Alain Cadec pour leur rapport, dont les conclusions sont sans appel : sans mesures drastiques, cette industrie va disparaître.
Au-delà de nos divergences, nous partageons tous le constat d'une crise profonde de la filière, qui souffre de l'instabilité réglementaire et du désengagement de l'État. En assurer la pérennité est déterminant pour notre industrie en général et pour notre souveraineté.
Les recommandations du rapport conjuguent des mesures d'urgence et des mesures de plus long terme visant à rendre à l'industrie française les moyens de rivaliser avec ses compétiteurs internationaux.
J'ai bien compris, monsieur le ministre, que vous ne faites pas partie de ceux qui s'arc-boutent sur l'échéance de 2035. Nous ne voulons pas renoncer à l'électrification, juste redonner un peu de souplesse à notre industrie. Il nous faut nous hâter lentement.
Que nous vaudrait d'avoir banni les voitures thermiques si c'est au prix de milliers d'emplois détruits, d'une fracture sociale exacerbée par le sentiment d'assignation à résidence, d'un affaiblissement de pans entiers de notre industrie et d'une dépendance totale envers la Chine ?
C'est sur le sol européen et français que nous devons concevoir et produire les technologies dont nous avons besoin pour réussir la transition écologique. Celle-ci ne doit pas se faire contre l'industrie, mais avec elle. C'est une question de souveraineté. C'est pourquoi la commission des affaires économiques soutient l'assouplissement de l'échéance de 2035 pour la fin de la vente des véhicules thermiques. Nous soutenons aussi le principe de neutralité technologique, le relèvement des droits de douane et l'application de règles locales pour les véhicules vendus en Europe.
Il faut aussi des mesures structurelles. Nous avons beaucoup de points forts : un savoir-faire historique, un maillage territorial et une recherche de très haut niveau. Toutefois, nous devons faire notre examen de conscience sur le coût du travail et de l'énergie, ainsi que sur toutes nos exceptions françaises qui grèvent notre compétitivité.
Il nous faut de la stabilité, de la cohérence et une concurrence loyale intra-européenne.
Ce débat rejoint celui, plus global, de la réindustrialisation, en échec. La politique de l'offre fonctionne. Confortons-la plutôt que de céder aux vieilles lunes fiscales. Facilitons l'accès au foncier et continuons à simplifier pour soutenir l'innovation.
Le sort de l'industrie automobile sera un avant-goût de ce qui attend toute l'industrie française et européenne. Des moyens que nous prévoirons pour la soutenir dépendra la crédibilité de toute notre politique industrielle, et, partant, celle de l'Europe, voire du politique dans son ensemble.
Soyons à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)
Prochaine séance demain, jeudi 27 novembre 2025, à 14 h 30.
La séance est levée à 20 h 05.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 27 novembre 2025
Séance publique
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
Présidence : M. Loïc Hervé, vice-président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président
. Projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2026 (n°138, 2025-2026)
=> Discussion générale
=> Examen de l'article liminaire
=> Examen de l'article 45 : évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'État au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne