Déclaration du Gouvernement sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP et UC ; Mme Sabine Drexler applaudit également.) Ce débat était d'abord imaginé pour vos collègues députés. En raison de la non-adoption de la première partie du PLF, ceux-ci n'ont pu examiner la mission « Défense ». Lors de son discours à Brienne, le 13 juillet dernier, le Président de la République a décidé d'une accélération, d'une marche de 3 milliards d'euros supplémentaires pour la loi de programmation militaire (LPM). Pour des raisons démocratiques, ce débat devait avoir lieu.

En revanche, au Sénat, vous avez pris le temps de débattre de cette mission et du budget des armées. Cet après-midi, je vous propose que ce débat aille un peu plus loin. Il nous faut débattre de la méthode pour mettre à jour la LPM au premier trimestre 2026.

Ce débat amène plusieurs questions, dont certaines ont déjà trouvé des réponses lors de la discussion de la LPM en 2023, et d'autres non.

Premier sujet, notre autonomie, notre souveraineté, notre indépendance. Je parle d'indépendance au sens strict, le fait de ne dépendre de personne, ni de Moscou, ni de Pékin, ni de Washington ; le fait de s'inscrire dans un coeur souverain d'indépendance nationale tel que le général de Gaulle nous l'a légué, consacré par tous les présidents de la République qui ont suivi.

La dissuasion nucléaire, elle, ne se partage pas. En revanche, certains programmes sont mutualisés, pour des raisons aussi bien politiques que budgétaires - je pense au système de combat aérien du futur (Scaf), au système principal de combat terrestre (MGCS), aux frégates nouvelle génération. Nous devons débattre : pourquoi y consacrer autant d'argent ? Acheter à l'étranger coûte moins cher, mais acheter en France est un enjeu d'autonomie, de souveraineté et de croissance économique.

Deuxième question : les sauts technologiques brutaux, comme l'IA ou le quantique, le New Space. Faut-il s'accrocher coûte que coûte, ou se laisser aller à une forme de déclin ? La réponse est dans la question. Le Gouvernement propose de s'accrocher. Il nous faut des moyens, et réinventer la dualité, qui conjugue civil et militaire.

Troisième sujet, le rapport entre l'appareil de défense et la nation, entre la jeunesse et les forces armées, entre la jeunesse et les anciens combattants. La question concerne les réserves, le service national, le lien entre les institutions civiles et militaires. Le général de Gaulle et Michel Debré voulaient que le ministère s'appelle « des armées », car le périmètre de la défense nationale est plus large. La Constitution le dit, c'est tout le Gouvernement qui est responsable de la défense nationale. Cela pose toute la question du spectre, de la sécurité économique, des approvisionnements ou des matériaux critiques.

La guerre est hybride. C'en est fait de l'éternelle caricature des chars arrivant sur Belfort. On peut être défait sans être envahi. Routes maritimes, fonds marins et cyber sont les nouveaux espaces de conflictualité. Sont aussi visés les infrastructures étatiques, les collectivités territoriales, les hôpitaux, les entreprises.

Dernier débat, le rapport entre notre système de défense, le pays et nos alliances. L'Union européenne n'est pas compétente en matière de défense. Mais, en matière économique, elle peut faciliter ou ralentir les choses. Ces dernières années, il y a eu plus de coups de frein que d'accélérateur. Le spatial est particulièrement concerné.

Enfin, ayons le débat - seule cette chambre peut le mener calmement  - sur le rapport entre notre armée, la France et l'Otan. Nous avons réintégré le commandement intégré de l'Otan depuis la présidence Sarkozy, mais nous ne sommes pas membre du Comité des plans de défense. Avec l'administration Trump, le rapport à l'Alliance évolue. Comment faire vivre le pilier européen de l'Otan ? Nous ne changerons pas de géographie. La relation avec Londres est la clef.

Il faut aussi revoir notre rapport avec l'Indo-Pacifique et le continent africain.

En conclusion, le débat est moins aux reports de charges qu'à des questions fondamentales : modèle d'armée, rythme de renforcement, relations avec la base industrielle et technologique de défense (BITD), capacité à exporter. Nos alliés sont plus exigeants que par le passé.

Je souhaite que ce débat nous permette de tirer quelques lignes de réflexions stratégiques pour les prochains mois, décisifs pour les armées françaises. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et du RDSE ainsi que sur quelques travées du groupe UC ; M. Christian Cambon applaudit également.)

Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.) Mes premiers mots sont pour les femmes et les hommes qui constituent nos armées. Je rends hommage à ceux qui servent la France dans l'Hexagone, les outre-mer et les théâtres du monde entier. Ils veillent, nous protègent, loin de leurs familles, toujours au service de la nation.

Leur visage représente l'engagement de ceux qui nous ont précédés, parfois jusqu'au sacrifice ultime. Leur courage nous oblige. C'est pour eux et nos concitoyens que nous devons regarder le monde tel qu'il est, et non tel que nous voudrions qu'il soit, avec lucidité et gravité.

Depuis l'agression russe contre l'Ukraine en 2014, et depuis 2022 encore plus, l'insécurité s'est aggravée.

Ce conflit n'est pas un accident de l'histoire. Voyons-le comme un révélateur du retour des empires, qui ne connaissent pas de frontières, ou s'imaginent comme tels ; un révélateur des illusions que nourrissaient ceux qui pensaient que les dividendes de la paix auraient conjuré pour toujours le spectre de la guerre en Europe. L'invasion de l'Ukraine a dissipé ces illusions.

Révélateur aussi des mutations de la conflictualité moderne. La guerre de haute intensité est de retour. Elle combine des armements de haute technologie et une dronisation massive du champ de bataille, avec un chantage nucléaire assumé dans le conflit russo-ukrainien.

Ces recompositions n'épargnent aucun continent : en Afrique, où les équilibres sont précaires ; en Asie-Pacifique, où les rivalités s'exacerbent sur fond de rivalité sino-américaine ; en Amérique latine, où le niveau de tension monte, comme au large du Venezuela.

Ces tensions sont d'autant plus inquiétantes lorsqu'elles concernent des États disposant de l'arme nucléaire. Les risques liés à la prolifération nucléaire ou balistique s'ajoutent à ce tableau.

Je ne vous ferai pas la liste des conflits, tant elle est longue.

Un constat s'impose : la guerre ne se limite plus aux champs de bataille traditionnels. Elle se joue partout, jusque dans le cyberespace et dans les profondeurs des fonds marins, voire jusque dans l'espace extra-atmosphérique que certains cherchent à militariser.

Notre pays en a pris toute la mesure.

La guerre se joue aussi dans la lutte contre les trafics, notamment le narcotrafic. Oui, les trafics de criminalité organisée s'additionnent au terrorisme ; ils viennent nourrir l'instabilité.

Hier encore, une attaque terroriste antisémite a frappé la capitale australienne. J'ai une pensée pour les familles endeuillées et le peuple australien. Nous devons rester totalement mobilisés : la menace terroriste n'a pas disparu, elle se transforme, à l'heure où nous commémorons les dix ans des attentats de 2015.

Oui, le monde se transforme sous nos yeux. La force redevient un axe central des relations internationales. Le monde fondé sur la primauté du droit et le multilatéralisme s'effrite, malheureusement. La force redevient un instrument assumé de politique étrangère, y compris pour les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous avons changé clairement d'époque. C'est ce que le Président de la République a choisi de présenter sans fard aux Français, dans ses discours du 5 mars et du 13 juillet dernier.

Les menaces se cumulent : menaces terroristes, menaces cyber, dans les fonds marins, menaces hybrides... Et le retour de la guerre en Europe.

Les fondements mêmes de la sécurité européenne sont remis en question. Les États-Unis veulent réduire leur engagement en Europe, alors que la Russie s'inscrit durablement dans une posture de menace à l'égard de notre continent, menace assumée, structurée, pensée dans le temps long. La Russie a choisi d'entrer dans une économie de guerre. Elle poursuit, sans relâche - j'insiste - son agression contre l'Ukraine, dans le but de terroriser la population et de briser sa résistance, puisque depuis trois ans cette dernière la tient en échec.

Depuis les accords de Minsk, la Russie a démontré un non-respect systématique de la parole donnée. Depuis 2014, vingt ans après les mémorandums de Budapest, elle n'a jamais respecté le moindre accord. C'est une stratégie cohérente fondée sur l'épreuve de force et la conviction que la puissance militaire peut à elle seule redéfinir les frontières.

Une seule conduite possible pour les Européens : ne jamais sous-estimer ou détourner le regard, ne jamais céder à l'aveuglement. En même temps, ne jamais répondre à l'escalade. Notre main doit être ferme et nos mots comptés, notamment face aux incursions d'aéronefs dans le ciel européen.

Une seule réponse vaut : l'anticipation plutôt que l'agitation, la détermination plutôt que l'hésitation, l'action plutôt que l'incantation. Le coeur de la question est : les Européens étaient-ils, sont-ils ou seront-ils prêts ? La question n'est pas de savoir qui a eu tort ou raison hier, mais que devons-nous faire aujourd'hui ?

Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre disait que c'est la place de la France et des Français dans ce nouvel environnement qui est en jeu. La France restera-t-elle indépendante ?

Le général de Gaulle disait en 1959 à l'École militaire : ...

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre.  - Très bien !

Mme Catherine Vautrin, ministre.  - « Il faut que la défense de la France soit française. [...] S'il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu'il est depuis ses origines, avec son rôle, avec l'estime qu'il a de lui-même, avec son âme. Naturellement, la défense française serait, le cas échéant, conjuguée avec celle d'autres pays. Cela est dans la nature des choses. »

Dans cette citation, chaque mot compte. C'est précisément cette ligne que nous vous proposons d'assumer. La responsabilité de protéger la France et les Français n'incombe à personne d'autre qu'à nous-mêmes. Notre pays est singulier, la seule puissance dotée de l'arme nucléaire au sein de l'Union européenne. Notre armée d'emploi professionnelle est la plus efficace du continent.

Assumer, c'est aussi construire une véritable autonomie stratégique avec nos partenaires européens, sans couper la relation transatlantique. Nous devons assumer notre rôle de pilier de l'Otan. Les Européens doivent prendre leur destin en main.

Même chose pour l'industrie de la défense : il faut produire, plus vite, moins cher, davantage, et produire en France et en Europe.

En 1972, lors de sa déclaration de politique générale, Pierre Messmer (M. Rachid Temal s'exclame ; « Très bien ! » à droite) disait : « Nous savons qu'il faut d'abord compter sur soi, c'est-à-dire avoir les moyens de décourager les agresseurs. » Cette déclaration n'est-elle pas d'une brûlante actualité ? (Mme Cécile Cukierman proteste.)

Nous sommes le camp de la paix. Pour cela, nous devons être crédibles. Nous avons dû relocaliser nos capacités de production, en particulier pour les munitions simples et complexes. Nous l'avons fait à Bergerac ou à La Ferté-Saint-Aubin. Notre filière de drones est en pleine croissance ; ce sera utile lors du prochain exercice Orion.

Nous devons constituer des stocks, améliorer notre approvisionnement en matières premières, constituer des stocks et renforcer notre résilience. La LPM a renforcé nos outils réglementaires. Les entreprises nous ont demandé d'accéder plus facilement au financement privé. Le dialogue de place montre le dynamisme animant le secteur. Je salue les premiers résultats obtenus.

Le renforcement de la BITD est aussi un enjeu pour nos territoires. Elle représente 220 000 emplois non délocalisables, avec des effets positifs sur chacun des bassins d'emploi.

Près des deux tiers des équipements militaires européens sont achetés hors de l'Union européenne, principalement aux États-Unis. En matière d'autonomie stratégique, la France défend un principe simple : l'argent européen doit servir les intérêts européens - c'est la préférence européenne. D'où notre insistance sur l'origine européenne des armes. D'où les programmes Safe dotés de 150 millions d'euros, pour des acquisitions conjointes, et l'Edip (programme pour l'industrie européenne de la défense). Les lignes commencent à bouger.

L'indépendance ne se décrète pas, elle se conquiert, comme le dit le Premier ministre. Depuis 2017, sous l'impulsion du Président de la République, cette prise de conscience s'est traduite par une première LPM. M. Lecornu a porté la seconde loi dite de réarmement et nous proposons d'accélérer avec les surmarches. Entre 2017 et 2027, nous aurons doublé le budget de la défense.

Jeudi dernier, vous avez adopté les crédits de la mission « Défense ». Avec les surmarches, ceux-ci auront des effets concrets : 2,4 milliards d'euros consacrés aux munitions, triplement de la livraison d'obus, 900 millions alloués à la défense sol-air, 750 millions pour l'espace, avec la commande de quatre satellites, 600 millions pour les drones et les robots. C'est du concret pour notre BITD, mais aussi pour nos soldats, nos marins, nos aviateurs.

L'argent est le nerf de la guerre, mais il ne suffit pas à lui seul. Une politique de défense repose aussi sur les forces morales, l'engagement et le sens du collectif, sans oublier le lien de confiance entre l'armée et la nation. C'est le rôle des associations du monde combattant ou du service militaire volontaire annoncé par le Président de la République le 27 novembre dernier. Dès 2026, de jeunes Français pourront s'engager pour dix mois dans l'une des trois armes. Toute une classe d'âge pourra mieux comprendre les enjeux de défense, et notre réserve progressera.

Le réarmement n'est pas que militaire, il est aussi moral et humain.

Face à un monde en pleine mutation stratégique, les réponses sont plurielles : financières, technologiques, avec l'arrivée de l'IA. La France a choisi la lucidité et la responsabilité. Le Gouvernement vous demande de débattre autour de la question : face à un monde en pleine mutation stratégique, soutenez-vous le renforcement de nos armées ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Mireille Jouve applaudit également.) « L'aveuglement d'une nation qui refuse de voir monter la menace prépare toujours les défaites les plus lourdes » disait le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre.

Le Sénat a adopté les crédits de la mission « Défense » voilà deux jours. Lors de l'examen de la LPM ou de la loi de 2023, le Sénat a toujours été au rendez-vous, dans un consensus républicain qui approchait l'unanimité.

Dès lors, quel peut être l'objet de ce débat ?

Monsieur le Premier ministre, ces questions font consensus, mais vous voulez un débat politique. Le groupe Les Républicains ne se dérobera pas - c'est dans notre ADN politique. Vous demandez au Parlement de se positionner sur la stratégie de défense nationale, sur les moyens et sur les efforts industriels à engager. Nous avons déjà validé l'augmentation de 6,7 milliards d'euros des crédits de la mission.

Monsieur le Premier ministre, nous vous proposons de faire de ce temps un moment utile. Disons-nous les choses franchement.

Depuis 2017, le Président de la République a mis un terme à la saignée et augmenté les moyens de la défense nationale. Nous lui en donnons acte.

À de nombreuses reprises, le Sénat a regretté un manque de transparence. Parfois, la communication l'a emporté. En témoigne l'usage de l'expression « économie de guerre » du Président de la République, qui relevait de l'affichage. En outre, 13 milliards d'euros de non-crédits sont apparus. D'où un sous-financement de la LPM, ce qui a nécessité son actualisation, dont nous espérons qu'elle sera sincère et exhaustive, et qu'elle autorisera enfin un débat sur la masse, le format et le modèle d'armée. Autant de sujets que le Gouvernement n'avait pas voulu traiter en 2023.

Mais voilà, la réalité du monde nous rattrape. Les digues du droit tombent. Nous ne plongeons pas dans l'inconnu pour autant. Le monde devant nous est celui où les peuples ont toujours vécu jusqu'au XXe siècle, celui où la force primait sur le droit.

Pourtant, combien de bonnes âmes, certaines sincères, d'autres subverties par le narratif de nos adversaires, voudraient détourner les yeux. Voyez les réactions insensées au discours du chef d'état-major des armées devant les maires.

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. Cédric Perrin.  - Oui, faisons de ce moment un débat utile. Parlons à nos partenaires européens, à nos compatriotes qui se laissent charmer par les sirènes d'une politique d'apaisement avec la Russie.

Les intentions pacifiques n'ont jamais prémuni personne contre la guerre. Luttons contre les défauts de la société de l'information - ou de la désinformation peut-être. Il faut écouter les chercheurs plutôt que ceux qui tweetent et qui clashent.

Julien Freund disait : « Vous pensez que c'est vous qui désignez l'ennemi ? Comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous. Or c'est l'ennemi qui vous désigne, et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitié, du moment qu'il veut que vous soyez l'ennemi, vous l'êtes. »

Oui, il faut prendre au sérieux les Russes ou les Américains quand ils veulent faire de l'Europe une proie. Les Chinois ont la finesse de ne pas affirmer publiquement cette vision des choses, qu'ils partagent entièrement.

Quel est le tribut ? Pour les Russes, c'est le rétablissement de l'empire soviétique. Pour les Américains, c'est l'obligation de droits de douane déséquilibrés, voire la revendication stupéfiante de territoires européens comme le Groenland. Pour les Chinois, c'est l'acceptation de la prise en main d'infrastructures civiles et les masses de produits industriels que la Chine peine de plus en plus à écouler.

S'y ajoute une ingérence constante dans la vie institutionnelle et le processus démocratique des sociétés européennes.

Dans ce monde de loups, cessons d'être des agneaux. Le 13 juillet dernier, le Président de la République a eu raison de dire qu'il faut être respecté pour être craint. Mais encore faut-il s'en donner les moyens.

La sécurité ne s'hérite pas. Elle se construit, elle s'organise, elle se prépare. En 1939, nous n'étions ni unis ni prêts. C'est ce qu'affirmait le général de Gaulle... Madame la ministre, nous avons les mêmes références.

Mme Catherine Vautrin, ministre.  - Cela ne m'étonne pas !

M. Cédric Perrin.  - Il faut se rappeler les débats homériques, en 2023, pour que le Sénat arrache quelques centaines de millions d'euros ! La suite nous a donné raison, ô combien !

Des moyens supplémentaires sont indispensables. Dominique de Legge a rappelé que nous sommes loin des taux d'efforts de la guerre froide, même avec la surmarche.

Nous aurons néanmoins deux exigences.

Nous devons aborder les sujets de fond, en particulier le modèle et le format des armées. Vous avez reconnu, monsieur le Premier ministre, qu'il manquait plusieurs dizaines d'avions et trois frégates. Nous saluons votre évolution sur ce sujet. Cela devra figurer dans la loi d'actualisation.

Il vous faut aussi revoir le rôle réservé au Parlement. Celui-ci n'a été que marginal pour le moment. L'exécutif tient le Parlement pour quantité négligeable. C'est cette conception du pouvoir qui nous a placés dans l'impasse institutionnelle actuelle.

Le service militaire volontaire doit être clairement défini et budgété, pour éviter qu'il ne finisse comme le service national universel (SNU), une opération de communication mal ficelée.

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Cédric Perrin.  - Plus de moyens, cela veut dire plus de contrôles. Le Sénat ne décevra pas les attentes des Français.

Le réarmement industriel est indispensable. Nous avons baissé la garde. S'ajoute à cela l'effroyable désindustrialisation de la France pour les années 1980, qui s'explique surtout par une vision mortifère faisant de l'industrie une vision du passé. C'est absurde. Nous en payons le prix aujourd'hui.

Nous en payons un prix plus dangereux encore, dans nos faibles capacités à passer dans une industrie de guerre.

Ce sursaut devra se traduire dans la loi d'actualisation de la LPM. Elle devra comprendre un important volet normatif, revenant sur le maquis des contraintes abusives. Il faudra aussi remettre sur le métier l'ouvrage largement avancé par le Sénat sur le financement des entreprises de la BITD.

Il convient aussi de repenser le fonctionnement de la DGA. Depuis plusieurs années, le Sénat demande plus d'agilité et de réactivité, notamment pour la captation des innovations. Il faut aussi mieux entendre les utilisateurs, nos forces armées ; cela nous aurait sans doute évité des erreurs, comme sur les drones.

À la question posée, Les Républicains répondent : oui. Oui à un redressement de l'effort de défense, à une prise de conscience sur le monde qui vient, à une riposte aux ingérences et manipulations. Oui pour que l'esprit français se réveille enfin et donne une vraie chance à la paix en préparant la guerre. Oui à une France forte dans une Europe souveraine, qui refuse de se laisser dévorer par les grandes puissances. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur des travées du groupe UC ; Mme Mireille Jouve applaudit également.)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du RDSE) Enfin ! Enfin un débat et un vote sur la défense nationale. Le groupe SER l'avait demandé, au regard notamment de la situation stratégique et du décalage de la LPM. De fait, il aurait été logique de parler de stratégie d'abord, de budget ensuite.

Approuvons-nous le principe d'une augmentation du budget de la défense pour soutenir la montée en puissance plus rapide de nos forces armées dès 2026 ? Plus précisément, il s'agit de savoir si nous sommes d'accord pour ajouter 3,2 milliards d'euros aux 3,5 milliards prévus par la programmation.

Au préalable, je reviendrai sur notre doctrine. Vous me pardonnerez, monsieur le Premier ministre, de ne pas citer le général de Gaulle, ni bien sûr Pierre Messmer, mais un autre grand Français : Jean Jaurès. En 1911, dans L'Armée nouvelle, il se demandait : « Comment porter au plus haut, pour la France et pour le monde incertain dont elle est enveloppée, les chances de la paix ? Et si, malgré son effort et sa volonté de paix, elle est attaquée, comment porter au plus haut les chances de salut, les moyens de sa victoire ? »

Nous, socialistes, sommes pour la paix, le droit international et le multilatéralisme. C'est pourquoi nous sommes pour une défense nationale puissante, fondée sur la dissuasion, en mesure de défendre notre pays, ses citoyens et ses intérêts vitaux. Telle fut la doctrine du président Mitterrand et de Charles Hernu, de Lionel Jospin et d'Alain Richard, du président Hollande et de Jean-Yves Le Drian.

À mon tour, je rends hommage aux femmes et aux hommes qui servent dans nos forces armées, parfois jusqu'au sacrifice suprême, sous le drapeau français ou dans le cadre d'opérations de l'ONU, de l'Union européenne ou de l'Otan.

L'année qui s'achève nous aura fait entrer dans un nouveau monde. Après la fin des dividendes de la paix, voici le retour des empires contrariés, qui font de la puissance la grammaire des relations internationales. Nos stratégies de défense doivent s'adapter.

Je pense d'abord à la mutation de nos principaux alliés que sont les États-Unis, profonde et durable : ne croyons pas qu'il suffirait d'attendre la fin de la présidence Trump pour que tout redevienne comme avant. Il y a un an, le vice-président américain disait sans ambages : il faut changer les régimes européens - pour vassaliser l'Europe. De même, la récente revue stratégique américaine annonce la couleur : l'Europe vassalisée fait partie d'un ensemble occidental auquel la Russie appartient aussi et qui doit contenir celui mené par la Chine.

Désireux de vassaliser toujours plus la France et l'Europe, les États-Unis ont aussi opéré un changement d'alliance en Ukraine, fermant les robinets des armes et du renseignement. Nous réaffirmons notre soutien au président Zelensky, aux forces armées et à la population ukrainiennes qui combattent contre Poutine. La ministre l'a dit : depuis 1989, Poutine n'a fait que des guerres - Caucase, Moyen-Orient, Afrique, Ukraine par deux fois. (Mme Catherine Vautrin renchérit.) Sans accord sur les conditions de la paix, il y aurait une troisième guerre en Ukraine. Nous saluons l'action du président Macron sur la coalition des volontaires, mais des moyens financiers doivent suivre.

La Russie est aujourd'hui le seul pays en économie de guerre, et tout le monde s'accorde à dire qu'elle sera plus puissante après la guerre qu'avant.

Napoléon disait : on fait la politique de sa géographie. La Russie étant en Europe, nous aurons à nous interroger sur notre rapport avec elle. Quant à la Chine, elle assume de promouvoir un nouvel ordre mondial. À Pékin, il y a quelques jours, quand le président Macron a voulu aborder les relations entre la Chine et la Russie, Xi Jinping lui a répondu : « On ne parle pas de ça. » Voilà qui en dit long...

Je pourrais parler aussi du conflit entre Israël et l'Iran, de la fin de la Françafrique - ou de la France en Afrique ? Du Moyen-Orient entre espoir et chaos, du terrorisme utilisé comme arme de guerre asymétrique, alors que nous commémorons les dix ans des attentats de Charlie Hebdo et du Stade de France, et de la place du climat et de l'eau dans les conflits à venir.

S'agissant de l'Otan, l'accord récent prévoit que nous achetions des armes américaines, ce qui nous interroge, surtout quand la présidente de la Commission européenne explique qu'il faudra acheter des armes américaines pour essayer de ne pas avoir de droits de douane.

La France et l'Europe sont désormais seules, et nous devons en tirer les conséquences en rassemblant le pays et en renforçant nos armées.

Sur le plan politique, l'exécutif doit associer davantage le Parlement. Le Président de la République doit arrêter sa politique des annonces - SNU, coalition contre Daech, « mort cérébrale » de l'Otan. Le domaine réservé n'interdit pas l'association. (Mme Catherine Vautrin approuve.) Hélas, certains partis ont embrassé le narratif de nos concurrents, de même que certains médias. Quant à la baisse des crédits du ministère des affaires étrangères, elle est une mauvaise nouvelle, car la diplomatie doit être intégrée à l'effort régalien.

Sur le plan budgétaire, nous soutenons l'effort, mais pas au prix de notre modèle social. La question des recettes budgétaires est donc posée. Peut-être pourrions-nous aussi faire bénéficier la défense du 1,5 milliard d'euros économisés sur France 2030.

Sur le plan industriel, peut-être faut-il concevoir plusieurs avions qui nous permettraient de répondre aux exigences diverses de nos pays et aussi de mieux exporter. On pourrait imaginer aussi que les grands groupes aient l'obligation d'investir à hauteur de 5 % dans des start-up.

S'agissant de la résilience de la nation, pourquoi ne pas lancer des débats dans le pays ? Nous devons aussi nous doter d'une politique nationale contre les ingérences étrangères ; M. de Legge et moi sommes à l'origine d'un rapport sur le sujet. Enfin, nous devons nous mettre d'accord sur la nature du service militaire volontaire et sa coordination avec, notamment, les réserves.

La question matricielle est celle de notre architecture de défense, de notre rapport avec l'Otan et de notre rôle en Europe, qui doit diversifier ses partenariats pour sortir d'une logique totalement occidentale.

Nous répondons par l'affirmative à la question posée, mais il ne s'agit nullement d'un blanc-seing.

Mme Cécile Cukierman.  - À la guerre !

M. Rachid Temal.  - Ma chère collègue, vous vous exprimerez dans quelques instants. Nous savons quelles sont vos obédiences. Je considère pour ma part que les belligérants sont au Kremlin et à la Maison-Blanche, pas à l'Élysée ou au Sénat.

Nous réaffirmons notre soutien ferme à nos forces armées et à une doctrine de souveraineté nationale et demandons que le Parlement soit pleinement associé à la construction d'une nouvelle loi de programmation militaire, qui renforce notre capacité de défense dans l'esprit du propos de Jean Jaurès que j'ai cité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Raphaël Daubet applaudit également.)

M. François Bonneau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous exprimons nos condoléances aux proches des victimes de l'attentat de Bondi Beach ; nous pensons en particulier à notre compatriote Dan Elkayam. De Sidney à Paris, partout, l'antisémitisme doit être combattu : il est une guerre à nos valeurs.

Depuis l'invasion russe de l'Ukraine, en février 2022, la guerre a fait son sinistre retour sur notre continent. Il faut aussi dire que nous avions refusé d'en voir les signes avant-coureurs. Dès l'annexion de la Crimée, en 2014, les visées expansionnistes du Kremlin étaient sous nos yeux. Or qu'avons-nous fait ? Peu de choses.

Le budget de nos armées a stagné à 1,8 % du PIB pendant cinq ans, ne remontant à 2 % qu'en 2020. Mais c'est pendant une quarantaine d'années que, par aveuglement, nous avons bradé le financement de nos armées. Ces dividendes de la paix ne furent qu'une dette que nous devons désormais rembourser.

Sommes-nous favorables à une augmentation de 6,7 milliards d'euros du budget de la défense en 2026 ? L'adoption par le Sénat des crédits de la mission « Défense » du projet de loi de finances prouve que, en majorité, nous le sommes.

Pour les admirateurs du Kremlin, cette hausse illustrerait notre prétendue hostilité. Mais, depuis 1991, la Russie est constamment l'agresseur : Transnistrie, Géorgie, Tchétchénie, Ukraine. Sans parler de la répression soviétique qui s'est abattue sur les pays d'Europe centrale et orientale.

Quant aux nostalgiques de l'esprit de Munich, français, européens ou américains, rappelons-leur que céder du territoire à un dictateur ne fait que renforcer ses appétits. Le Donbass ou les pays baltes ne doivent pas être à Poutine ce que les Sudètes ont été à Hitler.

Si nous voulons peser dans les négociations, il nous faut une armée à la hauteur de nos ambitions. D'où notre soutien à la hausse du budget des armées, qui ne va pas sans inquiétude, tant les incertitudes sur l'issue du PLF sont grandes.

Nous attendons avec impatience l'actualisation de la LPM, car la programmation actuelle ne suffit plus. Espérons qu'elle ne soit pas la victime collatérale de l'instabilité politique.

De nombreux investissements sont nécessaires pour assurer la projection de nos forces. Nous devons aussi être en mesure de protéger l'ensemble de nos territoires ultramarins.

Nous soutenons le développement du porte-avions de nouvelle génération. Pour reprendre le mot de Kissinger, un porte-avions, c'est 100 000 tonnes de diplomatie... Nous devons rester crédibles sur les mers, car les prédations de nos compétiteurs visent aussi Mayotte, la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie.

Nos projets d'armement doivent avancer, ce qui suppose des arbitrages en matière de gouvernance. Je pense au Scaf et au MGCS, qui ne peuvent plus être retardés.

Les nouvelles technologies - IA, robotique, drones - doivent trouver une place renforcée dans notre armement. En particulier, il est certain que l'IA jouera un rôle majeur dans le pilotage des essaims de drones, mais aussi pour l'autonomisation de nos matériels terrestres, navals et aériens.

La meilleure façon de prévenir la guerre, c'est de dissuader nos compétiteurs de nous agresser. Nos services de renseignement doivent avoir les moyens d'exercer leur mission essentielle.

Il faut aussi garantir la résilience de la nation. Si nous venions à être attaqués, le pays ne devrait pas s'effondrer sur les plans énergétique, alimentaire et sanitaire. Un véritable esprit de défense doit imprégner tous les pans de la société.

Le financement des entreprises de la BITD est un enjeu majeur. Nous nous félicitons de la création d'un fonds spécialisé par Bpifrance. Lever les obstacles au financement de nos entreprises de défense doit être une priorité du Gouvernement.

Enfin, la dissuasion nucléaire est l'ultime recours si les armes conventionnelles ne suffisent pas.

L'Allemagne et l'Angleterre intensifient aussi leur effort de défense. Si la prise de conscience des Européens est tardive, au moins est-elle partagée. À nous de doter notre défense d'un budget à la hauteur de nos ambitions. Souvenons-nous de cet avertissement de Churchill : « Que la stratégie soit belle est un fait, mais n'oubliez pas de regarder le résultat ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Sylvie Vermeillet et M. Michel Canévet applaudissent également.) Si l'Ukraine perd la guerre, l'Europe sera en confrontation directe avec la Russie, dans les pires conditions. La conclusion est claire : l'urgence est que l'Ukraine ne perde pas la guerre.

« Pire que le bourreau, son valet », disait Mirabeau. Ceux qui ne sont pas convaincus que Trump est le valet de Poutine devraient méditer les derniers événements : plan de paix américain rédigé à Moscou, Witkoff expliquant aux Russes comment manoeuvrer son patron, arrêt quasi total de l'aide économique et militaire, stratégie nationale de sécurité implacable contre l'Europe et complaisante envers la Russie.

Au mieux, l'Europe est seule. Au pire, elle affronte deux ennemis : la Russie et le trumpisme. Demain, dans les livres d'histoire, on ne dira plus Munich, mais Anchorage ; plus Daladier et Chamberlain, mais Trump. Le système Maga est en train de briser toutes les valeurs américaines. Au-delà des changements de cap en fonction de l'humeur du boss, il y a une continuité : humilier et vassaliser tous les alliés. Churchill disait qu'il n'y a qu'une chose pire que de combattre au côté d'alliés, c'est de combattre sans eux. Trump et ses promoteurs immobiliers travestis en diplomates s'apercevront un jour qu'aucune puissance ne peut se passer d'alliés. Tout le monde le sait depuis la défaite d'Athènes contre Sparte.

L'objectif de Poutine, c'est le retour à Yalta. Karaganov le dit : la guerre ne prendra fin que lorsque l'Europe sera défaite. Le but de Poutine n'est pas de prendre un territoire, mais sa revanche sur l'Occident. Il veut un concert des grandes puissances - Moscou, Washington, Pékin. Hélas, c'est aussi la vision de Trump.

L'Europe est seule. Or depuis trois ans, anesthésiée par trente ans de tranquillité, entravée par ses divisions et les lourdeurs de ses procédures, fragilisée par sa désindustrialisation et terrorisée par Poutine, elle n'a réussi qu'à éviter le pire, grâce à l'héroïsme des Ukrainiens. Il est temps de se ressaisir. Geler définitivement les avoirs russes était la première urgence, car Trump comptait les kidnapper, l'agresseur devenant un partenaire commercial, la victime un centre de profit et le médiateur empochant une rente sur les bénéfices.

L'urgence est à présent d'utiliser ces fonds pour armer l'Ukraine. Les États-Unis ont coupé toute aide et il n'y a plus d'argent pour leur acheter des armes. Si l'argent russe n'est pas débloqué dans les semaines qui viennent, l'Ukraine perdra la guerre. Dans trois jours, à Berlin, la France a la responsabilité historique d'en convaincre ses partenaires.

L'autre urgence est de nous réarmer. Où est l'économie de guerre annoncée par le Président de la République il y a trois ans ? Alors que le PIB européen est dix fois celui de la Russie, nous avons été incapables de mettre l'Ukraine à parité d'armement avec son agresseur... Qui peut croire à notre réarmement, alors que nous avons été incapables de mettre en oeuvre plus de 10 % du rapport Draghi ?

La hausse du budget militaire est une bonne nouvelle. Elle fait suite à une augmentation sensible depuis 2017. Je salue ces efforts, mais c'est une augmentation de temps de paix.

« La Russie entretient une confrontation avec l'Europe. Elle n'emprunte pas les traits d'une guerre classique, mais c'est une forme de guerre. » Ce propos est de Sébastien Lecornu, ministre des armées, dans son livre Vers la guerre. Oui, nous sommes en guerre.

En mai 1940, Winston Churchill nomme l'industriel Lord Beaverbrook à la tête d'un nouveau ministère de la production aéronautique ; quelques semaines plus tard, l'Angleterre produit plus d'avions qu'elle n'en perd au combat. Il crée une autorité interministérielle de l'industrie de défense, qui confie aux industriels la responsabilité de produire vite et bien : stratégie efficace.

La même idée appliquée à la reconstruction de Notre-Dame a fonctionné. Ce que nous avons fait pour Notre-Dame, il faut le faire pour la sécurité du pays. Si nous voulons vraiment préparer la guerre, ce qui est le meilleur moyen de l'empêcher, oublions les procédures de temps de paix. Nous avons aussi besoin de chefs : le triumvirat Macron-Merz Starmer fonctionne ; il faut lui adjoindre l'incontournable Pologne.

Enfin, il s'agit de gagner la bataille de l'opinion. C'est un miracle que, malgré l'extrême droite et l'extrême gauche, les sondages confirment que son soutien à l'Ukraine ne faiblit pas. Ces laquais de Poutine se disent patriotes, mais ce sont des patriotes russes, comme leurs devanciers étaient des patriotes allemands ou soviétiques.

L'Union européenne est face à une alternative : vassalisation ou transformation en puissance souveraine. Elle doit assurer sa sécurité, imposer un plan de paix favorable à l'Ukraine et dénoncer les ingérences de Trump et des nababs de la tech dans les affaires de l'Europe.

Trump n'est pas éternel. Cote de popularité en chute libre, élections perdues, dissidents Maga, affaire Epstein, agriculteurs victimes des droits de douane : quand les élus républicains comprendront que Trump les fait perdre, le navire prendra l'eau. Cessons les génuflexions et encourageons les Américains qui relèvent la tête !

Nous répondons oui à la question du Gouvernement. L'Europe peut redevenir la grande puissance qu'elle fut pendant des siècles, si elle en a la volonté. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur de nombreuses travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Raphaël Daubet et Mme Gisèle Jourda applaudissent également.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Si vis pacem, para bellum : la devise de l'École de guerre est d'une actualité frappante.

Je me réjouis que le Sénat ait adopté le projet de loi de finances pour 2026. Dans sa mission « Défense », nous avons autorisé 6,7 milliards d'euros de crédits supplémentaires, portant l'effort de défense à 57 milliards d'euros. J'espère ardemment qu'un accord sera trouvé pour une adoption définitive dans le délai fixé par la Constitution. C'est la responsabilité de tous : députés, sénateurs, Gouvernement.

La nouvelle donne géopolitique, ce sont des crises tout le temps et sous toutes les formes : guerre de haute intensité, comme en Ukraine, mais aussi ingérences, désinformation, cyberattaques ou chantage au nucléaire. Les points chauds se multiplient : détroit de Taïwan, Proche-Orient, Corne de l'Afrique, Sahel, notamment. Les acteurs, de même : groupes armés terroristes, organisations criminelles... Bref, nous sommes entrés dans un temps de permacrise et de polycrises.

Dans ce contexte, les mécanismes actuels de prévention des crises et de règlement des différends sont quasiment inopérants. Le système multilatéral hérité de 1945 est à l'agonie, servant ceux qui promeuvent un ordre mondial autour du droit du plus fort.

Et voilà que les alliances qui ont structuré les huit dernières décennies sont brutalement révisées. Comment interpréter autrement la nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine ? Puissent les États européens réagir par un sursaut salvateur plutôt qu'une peur panique les conduisant à raccourcir encore la laisse qui les attache aux Américains.

Les Européens ne doivent pas avoir peur de se projeter ensemble comme une puissance. À cet égard, la France avait vu juste depuis longtemps. Dès 2017, le Président de la République dressait le constat d'un désengagement inéluctable des États-Unis et de la nécessité d'une capacité d'action autonome de l'Europe en complément de l'Otan. Que d'énergie il a fallu déployer pour faire adopter le concept d'autonomie stratégique européenne, sous présidence française en 2022 !

Nous mettons à jour nos logiciels : revue nationale stratégique cet été, actualisation en vue de la programmation militaire, qui prévoyait déjà 413 milliards d'euros, accélération de notre effort dans le PLF 2026 avec une surmarche de 3,2 milliards d'euros, qui n'est pas du luxe au regard des enjeux. Le Premier ministre a présenté quatorze chantiers. Tous sont urgents : munitions, drones, IA, spatial...

N'oublions pas d'où nous venons : la France était tombée à 1,85 % du PIB pour sa défense en 2013. Entre 1991 et 2021, le nombre d'avions de chasse était passé de 686 à 254, celui des grands bâtiments de surface de 41 à 19. Heureusement, nous avons recommencé à investir, avec la relocalisation d'activités de production en France. Il faut encourager l'orientation de l'épargne vers le financement de l'économie de défense et soutenir la chaîne de valeurs des PME, trop souvent fragilisées par les retards de paiement de l'État.

Mais aucun réarmement matériel ne réussira sans réarmement civique et moral. L'attractivité et la fidélisation de nos soldats sont cruciales, comme la reconnaissance que nous leur devons. Je salue l'élan nouveau donné aux réserves opérationnelles. Nul doute que le nouveau service militaire volontaire permettra d'alimenter les forces d'actives comme de réserve dans la durée ; espérons que l'objectif de 50 000 jeunes participants sera atteint rapidement. Soutenons les acteurs qui concourent au lien armée-nation, dont l'IHEDN, les cadets et toutes les préparations militaires.

Notre défense doit être globale, dans l'esprit de l'ordonnance du 7 janvier 1959 du général de Gaulle : « La défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toute circonstance et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ». Français et Européens, nous devons nous en donner les moyens. Si nous voulons encore être Athènes, nous devons être aussi Sparte. Le RDPI votera oui au renforcement des moyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur des travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Puisque d'aucuns se sont risqués à des comparaisons historiques, je rappellerai que les guerres du Péloponnèse sont aussi le berceau d'un impérialisme, la thalassocratie, par laquelle Athènes assura sa domination sur l'ensemble du monde méditerranéen.

On a aussi parlé de Jean Jaurès. Il disait que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ». C'est pour s'opposer aux discours martiaux que Jaurès conçoit un socialisme réformiste qui l'éloigne progressivement de l'idéal révolutionnaire. On peut être contre la guerre et avoir à l'esprit l'intérêt du pays.

Je salue l'organisation de ce débat, suivi d'un vote - fait assez rare. Sans surprise, nous voterons contre. Mais je remercie le Gouvernement de nous permettre de traduire nos positions en vote.

Immigration de masse, effacement civilisationnel : selon la National Security Strategy américaine, ces menaces existentielles pèsent sur le continent européen. Ce discours xénophobe, racialiste et néocolonial reprend la théorie complotiste du grand remplacement. Tel est le visage du fascisme contemporain, avec lequel l'Union européenne continue pourtant de collaborer au sein de l'Otan. La cheffe de la diplomatie européenne a affirmé que les États-Unis demeuraient le plus grand allié de l'Union européenne, illustrant l'aveuglement stratégique dans lequel s'enferme notre continent.

M. Mickaël Vallet.  - C'est vrai !

Mme Cécile Cukierman.  - Le discours de la Sorbonne promettait souveraineté européenne et autonomie stratégique. Huit ans plus tard, où en sommes-nous ? Les dirigeants européens acceptent docilement une charge douanière de 15 % sur nos exportations vers les États-Unis. Nous sommes passés d'une dépendance au gaz russe à une dépendance au gaz de schiste américain, plus coûteux et plus polluant.

L'autonomie stratégique nous échappe tout autant : l'Union européenne s'aligne sur la position américaine contre la Chine dans un retour à la bonne vieille guerre froide - les gentils contre les méchants. Cela conduit l'Union européenne à refuser toute mesure protectionniste face aux USA, qui eux, se sont dotés de l'Inflation reduction act. (IRA). Cette fuite en avant contre la Chine pourrait bien nous mener à une catastrophe industrielle en cas de guerre commerciale.

Nous nous sommes laissés entraîner dans une guerre en Ukraine qui n'avait rien d'accidentel. Seul Donald Trump veut une paix, quel qu'en soit le prix, mais c'est pour mener une nouvelle guerre ailleurs.

Alors qu'elle a déjà causé la mort de 350 000 soldats ukrainiens et russes, la guerre a été encouragée par les États-Unis et le Royaume-Uni jusqu'au moment où l'investissement n'était plus rentable... Après avoir tenté un accord pour mettre la main sur les ressources ukrainiennes, Trump négocie directement avec la Russie. Et l'establishment européen veut prolonger la guerre coûte que coûte, certains disant même que pour faire la paix, il faut faire la guerre... (Mme Cathy Apourceau-Poly renchérit.)

Le double standard est éclatant : silence sur le massacre au Proche-Orient, indifférence face à la guerre de procuration au Soudan, au pillage des ressources en République démocratique du Congo. L'Union européenne ne suit pas des principes ou des valeurs, mais des intérêts impérialistes et économiques.

Nous devons parler sincèrement. La guerre, ce sont des vies humaines qui disparaissent. Le discours martial que vous tenez, avec le Président de la République, prépare notre opinion à une guerre qui serait la seule possibilité.

J'ai en tête les premières images du film Joyeux Noël, au début de la Première Guerre mondiale. On y voit des enfants allemands et français élevés dans la haine de l'autre.

Tout ce que vous nous avez vendu, le respect des règles de l'Union européenne, d'un déficit limité à 3 %, peut disparaître pour satisfaire les besoins de l'armement. Nous sommes dans des logiques de spéculation financière nous empêchant de contrôler notre stratégie de défense nationale.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Très bien !

Mme Cécile Cukierman.  - Oui ou non, nous, membres de l'Otan, voulons-nous continuer à être sous la coupe d'un homme qui ne cherche pas à faire la paix, mais à régler des conflits pour en ouvrir d'autres ailleurs ? Nous ne voulons pas et voterons contre la déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Mireille Jouve .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.) Les mots ont un sens. Nous le savons tous, même si certains, vivant sous le régime éphémère des réseaux sociaux, l'oublient. Guerre, paix, défense.

Trois ans après l'invasion de l'Ukraine, chacun reconnaît que la benoîte tranquillité dans laquelle l'Europe s'était installée a vécu. Les mots, souvent galvaudés, retrouvent leur signification.

Le long processus de l'Union européenne des vingt-sept avait instauré la sérénité. Désormais, l'Europe se réveille avec la gueule de bois.

L'Union européenne discutait sur la forme des bananes, cédant au mirage d'un grand marché protégé par le parapluie américain... Ses dirigeants ont oublié d'être des politiques et de mettre en place une politique de défense. On peut le comprendre : la France dispose d'une place au Conseil de sécurité garantie par sa force nucléaire ; l'Allemagne voulait tourner la page des années sombres.

François Mitterrand disait : « Dans les épreuves décisives, on ne franchit correctement l'obstacle que de face ».

Depuis 2022, nous ne vivons plus en temps de paix. Face à cette déliquescence et aux menaces qui l'accompagnent, tant les dirigeants que les militaires sont en alerte, mesurant notre faiblesse face à la folie populiste d'États qui allient agressivité économique et attitude belliqueuse en tout genre. Le 11 décembre, à Berlin, le secrétaire général de l'Otan, Mark Rutte, indiquait que nous devions nous préparer à une guerre semblable à celle de 1939-1945. Certains présentent le réarmement comme une ruse, faisant preuve d'une naïveté coupable.

Certains d'entre vous se demanderont quand je parlerai enfin de la défense nationale. Mais je le fais depuis ma première phrase ! Celle-ci ne peut être élaborée qu'inscrite dans un cadre européen. Elle doit intégrer les questions liées à l'Indopacifique et aux grands fonds marins.

Monsieur le Premier ministre, vous avez contribué à la trajectoire de progression, avec un budget qui atteindra 57,1 milliards d'euros.

Je me félicite du livret défense, mis en place en octobre dernier. La BITD doit être coordonnée et autonome, pour profiter d'une sécurité technologique et d'une robustesse de la chaîne d'approvisionnement. Elle doit se construire en lien avec la BITD européenne, dont le rapport de Pascal Allizard et d'Hélène Conway-Mouret montre qu'elle doit être musclée. Elle mobilisera entre 5 et 7 milliards d'euros d'investissements nouveaux pour répondre à l'augmentation des carnets de commandes d'environ 17,5 milliards d'euros d'ici à 2030.

Dissuasion nucléaire, sous-marins nucléaires d'attaque, spatial militaire, défense surface-air, lutte anti-drone, limitation de notre dépendance technologique, réserves de munitions, défense antimissile balistique, de préparation de la guerre d'attrition... : la liste est longue.

Oui aux moyens supplémentaires : c'est notre devoir envers les générations futures, pour notre pays et pour l'Europe qui doit se dégager de sa dépendance à l'industrie américaine.

Le défi est de faire accepter l'économie de guerre. Voyez l'émotion provoquée par les propos de Fabien Mandon, chef d'état-major des armées ; il faut pourtant se préparer et faire preuve de pédagogie, sans céder à la facilité de la propagande.

C'est ainsi que chacun comprendra que la défense du vieux continent est une condition de sa survie, de sa liberté, qui nous pétrit depuis soixante-dix ans, et dont nous voulons que les générations futures profitent.

Le RDSE votera en faveur de la trajectoire haussière des moyens de la défense nationale, tout en demandant un débat devant le Parlement sur le retour à un service militaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.) Monsieur le Premier ministre, les écologistes partagent le constat que vous avez formulé et qui rejoint celui de Mark Rutte. Nous n'avons aucun doute sur le fait que l'avenir de l'Union européenne se joue dans le Donbass. Nous n'avons aucun doute sur les volontés de Vladimir Poutine, prêt à sacrifier toute une classe d'âge pour retrouver les anciennes limites de l'URSS, consacrant à la guerre 40 % du budget et 70 % de son industrie lourde. Mis au ban des nations, Poutine ne peut plus reculer : il doit être battu.

Il nous faut consentir à ce rapport de force en défendant le droit international.

Nous avons regretté que le soutien à l'Ukraine n'aille pas assez loin ni assez vite. Nous ne nous sommes pas opposés à la LPM, malgré votre dogmatisme néolibéral.

Depuis un demi-siècle, persuadée d'avoir atteint la fin de l'histoire, votre famille politique a désarmé l'État, s'inspirant de Milton Friedman et Francis Fukuyama. Vous avez cru pouvoir toucher les dividendes de la paix, sans réaliser que la puissance de l'État est indivisible : en démocratie, quand on affaiblit l'État providence et l'État stratège, on affaiblit l'État régalien.

Monsieur le Premier ministre, chers collègues de droite, si vous voulez décréter la mobilisation générale, ne croyez pas que le pays l'acceptera en amputant les derniers services publics.

Les sondages l'indiquent, dans leur majorité, les Françaises et les Français ne veulent réduire les crédits d'aucune politique publique.

Votre message ne sera pas entendu si vous ne proposez pas de nouvelles recettes fiscales - comme en 1914 avec l'impôt sur le revenu - et la contribution de nos milliardaires, qui devront sortir du bois : veulent-ils défendre la France, ou l'arrivée à la tête de notre République des valets de Poutine ?

Malgré le respect que je vous porte, votre discours n'était pas celui d'un chef du Gouvernement, mais d'un ancien ministre des armées.

La menace est protéiforme. Le néolibéralisme a bâti un monde interdépendant et terriblement fragile. L'économie prévaudrait sur les querelles territoriales, éloignant ainsi la guerre ? Poutine a balayé ce présupposé, car il sait qu'il nous tient économiquement.

La sécurité du continent ne peut relever du seul effort militaire : l'Europe a acheté plus d'hydrocarbures à Moscou, pour 22 milliards d'euros, qu'elle n'a fait de dons à l'Ukraine - 19 milliards d'euros.

À quand une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) consacrant un mix énergétique souverain et sûr, alors que nos centrales nucléaires fonctionnent depuis quatre ans avec de l'uranium enrichi en Russie et que le bouclier de Tchernobyl, perforé par un drone, n'est plus étanche ? À quand une politique de transition agricole digne de ce nom, alors que nos importations d'engrais azoté russe ont progressé de 90 % depuis le début du conflit ? C'est aussi absurde que criminel.

Idem pour l'action extérieure : nous sabrons les budgets de notre diplomatie et de notre aide publique, notre influence s'effondre dans tout le Sud global - mais nous nous retranchons derrière notre ligne Maginot.

Idem pour notre sécurité civile, qui peine à faire front, ou pour nos hôpitaux, pour lesquels nous avons arraché nuitamment un compromis.

Vous ne dites rien de nos engagements otaniens : nous nous sommes engagés à porter nos dépenses de défense à 5 % du PIB, soit 130 milliards d'euros - plus du tiers du budget de l'État !

Comment nous prononcer sur un budget de la défense, sans avoir la moindre idée de l'évolution des recettes de l'État ? Le flou règne sur le cadre otanien et européen. Vous avez dit qu'il ne fallait compter que sur nous-mêmes. Ce n'est pas juste ! Vous invoquez de Gaulle ; nous lui préférons Jean Monnet, qui disait : « Nos pays sont devenus trop petits pour le monde actuel, à l'échelle des moyens techniques modernes, à la mesure de l'Amérique et de la Russie d'aujourd'hui, de la Chine et de l'Inde demain. » Un propos visionnaire ! À quand d'un commandant européen de l'Otan ? Sans ses partenaires européens, la France n'a pas les moyens de ses ambitions.

Monsieur le Premier ministre, faute de vision suffisamment large et précise de votre part, le GEST s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants .  - Merci à tous les intervenants.

Madame Jouve, nous ne sommes pas en guerre, il est important de le rappeler. Mais nous ne sommes pas complètement en paix non plus.

Monsieur Gontard, nos trois objectifs sont de dissuader, de renforcer notre posture de défense et de renforcer la résilience de la nation : cela concerne tout le Gouvernement.

Monsieur Temal, notre objectif, c'est la paix. C'est pour défendre la paix que nous avons le devoir de renforcer nos armées, avec la volonté de lutter contre ceux que vous avez qualifiés d'« empires contrariés ».

Monsieur Malhuret, je partage votre analyse. Le Conseil européen du 18 décembre portera sur le soutien à l'Ukraine et son financement.

Madame Cukierman, dans la guerre du Péloponnèse, Athènes disposait de ressources financières très supérieures...

M. Mickaël Vallet.  - Elle n'avait pas Bruno Le Maire !

Mme Catherine Vautrin, ministre.  - ... mais elle a fait une erreur d'appréciation (Mme Cécile Cukierman le confirme), en sous-estimant les forces maritimes spartiates. De la même façon, ne sous-estimons pas nos compétiteurs. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Monsieur le président Perrin, il importe de définir notre modèle d'armée. Vous avez fait allusion au porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) et à l'acquisition de nouvelles frégates. Jeudi dernier, le Sénat a adopté un budget en hausse : 7 % de plus pour la dissuasion, 6 % pour l'infrastructure, 26 % pour les munitions, 7 % pour l'espace, 33 % pour les drones et robots, 33 % pour l'intelligence artificielle et 20 % pour le renseignement. Cela renforce notre crédibilité.

Monsieur Bonneau, nous allouons 1,3 milliard d'euros à l'innovation en 2026 : 70 millions pour les études amont, - hypervélocité, grands fonds, quantique -, 400 millions pour l'intelligence artificielle et 500 millions pour le cyber.

L'économie de guerre, ce n'est pas seulement augmenter le budget : il faut aussi considérer les commandes passées à notre BITD, qui ont triplé en dix ans, de 10 milliards à 30 milliards d'euros. La réindustrialisation avance, avec quinze projets de relocalisations industrielles en cours, et les efforts vont se poursuivre.

M. Lemoyne a insisté sur le ruissellement vers les PME. En 2024, 20 % des achats du ministère ont été réalisés auprès de 20 000 PME et ETI, et la moitié des paiements aux grands groupes leur sont reversés. Le problème des délais de paiement concerne la chaîne de sous-traitance, non les paiements directs. Je suis preneuse de cas concrets.

La DGA poursuivra sa transformation, en décentralisant certains programmes et crédits et en créant des plateaux avec les forces et la BITD, pour plus de complémentarité. Nous devons innover, comme nous l'avons fait pour les drones. Nous développerons la première unité robotique de combat terrestre dans le cadre du projet Pendragon, en collaboration avec l'Agence ministérielle pour l'intelligence artificielle de défense (Amiad) et l'armée de terre.

Monsieur Gontard, sachez que le PLF prévoit le financement de l'hôpital des armées dans les quartiers Nord de Marseille.

Monsieur Lemoyne, le service national est une des composantes du lien armée-nation, tout comme la réserve opérationnelle. Depuis 2024, nous avons plus de candidats que de postes, les carrières étant désormais plus attractives.

Le Premier ministre a confié une mission au député Julien Dive pour réécrire le rôle et les missions des correspondants défense avant les élections municipales. Ainsi, les nouvelles équipes municipales élues pourront expliquer ce que l'on attend d'eux et comment travailler avec les délégués militaires départementaux.

Monsieur Perrin, vous avez raison sur le rôle du Parlement. Le présent débat permet d'échanger. Mais au début de l'année 2026, nous devrons aussi travailler sur l'actualisation de la LPM.

Avec les rendez-vous de Brienne, j'ai voulu créer un autre moment avec les députés et sénateurs non membres des commissions de la défense pour échanger sur les sujets de défense, avec le directeur du renseignement militaire (DRM) et les équipes du ministère.

Monsieur Temal, j'ai bien entendu votre proposition de débats locaux sur les sujets de défense. Préparer la paix, c'est nous mobiliser et renforcer nos armées. C'est ce que nous proposons avec ce PLF dont vous avez bien voulu voter les crédits. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants .  - Le constat stratégique est largement partagé sur ces travées. Monsieur Perrin, vous avez raison de dire qu'il faut prendre au sérieux ce que disent nos adversaires, nos compétiteurs et parfois nos alliés. Ils disent ce qu'ils font et font ce qu'ils disent...

Monsieur Temal, le changement de paradigme s'est effectivement brutalement accéléré cette année, mais les revues nationales stratégiques l'avaient anticipé. Le cadrage géopolitique de la LPM soulevait déjà la question des partenariats et des alliances. La question, évoquée par le Premier ministre, de savoir ce qui relève de notre coeur de souveraineté et ce qui relève de la dépendance consentie a été structurante.

Monsieur Malhuret, c'est en effet une question de volonté. Toutefois, mon constat sur l'inertie européenne sera moins sévère que le vôtre. Au début de la guerre en Ukraine, RT France et Sputnik émettaient encore en Europe. Personne, hormis la France, ne semblait s'en émouvoir. Des progrès considérables ont été faits via la facilité européenne pour la paix (FEP), pour laquelle vous connaissez l'importance de la contribution française. Le rapport de force entre l'Europe et la Russie n'est pas forcément déséquilibré à condition que nous prenions conscience de nos atouts technologiques, économiques, militaires, et de nous-mêmes.

Monsieur Lemoyne, vous avez rappelé notre long combat en faveur de l'autonomie stratégique européenne. Il est un peu triste d'avoir eu raison trop tôt... Mais ce n'est pas une raison pour abandonner. Nous avons eu raison de dire, dès le sommet de Versailles, que l'Europe devait réduire ses dépendances. La guerre hybride a été bien anticipée.

Madame Cukierman, en toute honnêteté, s'il y a un pays qui sacrifie sa jeunesse et use de propagande pour la transformer en arme de guerre, y compris en prenant des enfants ukrainiens, c'est bien la Russie. Attention à ne pas nous confondre avec ceux qui instrumentalisent les enfants. Il faut faire de la pédagogie.

Le programme Safe a avancé. Certes, il est financé par l'endettement des nations ; c'est pourquoi le ministère des armées insiste sur le fait que la défense est une compétence nationale. Pour autant, cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas travailler avec les Européens, au contraire. La France s'est d'ailleurs rapprochée du Royaume-Uni sur le sujet nucléaire. La déclaration de Northwood comporte un volet coordination important. La France doit avoir un rôle de leader sur le réarmement conventionnel de l'Europe et agir aussi en coalition, dans la lignée de l'action menée par le Premier ministre lorsqu'il était ministre des armées.

Pour avancer, l'Europe doit changer. Huit ans après le discours de la Sorbonne, elle doit faire le tri entre ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné.

Quelle que soit la position américaine, l'alliance militaire au sein de l'Otan reste indispensable, ne serait-ce que parce qu'elle l'est pour nos alliés européens. Il faut continuer à créer le pilier européen. C'est d'ailleurs le sens de la coalition des volontaires : une prise en main des Européens par eux-mêmes. Nous devons aller au bout de cette logique, car c'est ainsi que se construira la défense de l'Europe. Il n'y a donc pas d'opposition entre la construction du pilier européen de l'Otan et la défense européenne.

Monsieur Gontard, nous sommes assez sceptiques sur le fait d'utiliser des points de PIB pour mesurer l'effort réalisé en faveur de la défense. Ce qui compte, c'est le nombre de bateaux, la quantité de troupes. Cela dit, le sujet de la résilience a bien été intégré dans le comptage négocié au sommet de La Haye. De plus, comme l'a rappelé le Premier ministre, la défense nationale dépasse le seul budget du ministère des armées.

Nous avons construit des partenariats stratégiques solides avec des pays du Sud : l'Inde, l'Indonésie ou encore les Émirats arabes unis. L'expression « partenariat stratégique » a parfois été galvaudée. C'est, là aussi, une question de dépendance consentie et de construction commune, sans contradiction avec le rôle de puissance que l'Europe doit jouer dans le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP ; Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)

La déclaration du Gouvernement sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°126 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 307
Contre   19

La déclaration du Gouvernement est approuvée.