Projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la Lolf

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), adopté par l'Assemblée nationale.

Discussion générale

M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique .  - Il y a un peu plus de deux mois, Amélie de Montchalin et moi-même avions l'honneur de présenter en conseil des ministres un projet de loi de finances (PLF) pour 2026.

On peut reconnaître que la méthode inédite annoncée par le Premier ministre a permis au débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) d'avoir lieu et d'aboutir à l'adoption de ce texte. Cette réussite crée un précédent et trace une voie pour les futurs débats budgétaires.

Reconnaissons aussi que les discussions à l'Assemblée nationale n'ont pas permis d'aller au bout de l'examen du PLF, les députés n'ayant pu examiner la partie relative aux dépenses et définir le budget qu'ils souhaitent ; ils ont même plutôt défini un budget qu'ils ne souhaitent pas, puisqu'ils ont quasi unanimement rejeté la première partie.

De votre côté, vous avez rejeté le PLFSS, mais adopté un budget. Si nous avons pu avoir quelques débats sur le résultat de celui-ci, je reconnais qu'il a été longuement et bien débattu par votre assemblée.

L'échec de la CMP procède sans doute de divergences politiques, mais aussi et surtout du caractère inachevé de la navette. Nous apprenons en marchant, et notre culture politique évolue. Prenons ces quelques jours ou semaines supplémentaires pour réussir à faire ce que font de nombreuses démocraties : trouver un compromis budgétaire.

Attention, toutefois : je vois poindre ici ou là -  peut-être moins ici que là  - une certaine accoutumance à la loi spéciale. Dire que le monde va s'écrouler avec la loi spéciale serait mentir. Mais dire que nous pouvons nous en contenter plus que quelques jours ou semaines serait un déni de réalité. Elle nous offre le temps nécessaire pour aller au bout de l'examen du texte, mais ce n'est qu'une roue de secours pour parcourir quelques kilomètres avant de changer de roue pour repartir de plus belle.

Ses trois articles visent à continuer à lever l'impôt, à garantir les ressources nécessaires au bon fonctionnement des collectivités locales et à autoriser l'État à continuer d'émettre de la dette afin d'assurer la continuité de son action et des services publics. Son adoption revient à ouvrir le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensables pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions approuvées par le Parlement en début d'année.

Ainsi, la loi spéciale ne peut modifier les barèmes d'impôt ou prolonger des dispositifs fiscaux : le Conseil d'État a été très clair sur ce point, l'année dernière et cette année encore. La loi spéciale interdit tout investissement nouveau ou, par exemple, tout soutien aux sous-traitants automobiles, au secteur aéronautique ou aux premiers ordinateurs quantiques français. Le guichet MaPrimeRénov' est aussi suspendu, de même que les investissements supplémentaires pour nos armées, que vous avez très largement approuvés dans le cadre du récent débat au titre de l'article 50-1 de la Constitution. Le prolongement de la garantie de l'État à l'AFD pour la Nouvelle-Calédonie est suspendu également.

Cette solution provisoire s'accompagne d'incertitudes importantes. Sur le déficit, d'abord. La loi spéciale limite les hausses discrétionnaires, mais pas les hausses tendancielles. Bref, on laisse prospérer le mauvais gras sans pouvoir développer le bon. Au total, cela fait du gras en plus, donc un déficit accru, ou du moins pas diminué, si le régime issu de la loi spéciale venait à se prolonger.

L'incertitude porte aussi sur la croissance : entreprises comme citoyens retiendront leurs investissements dans l'attente d'un budget.

Enfin, le financement de la dette aussi est entouré d'incertitudes. Pour l'instant, tout va bien : les taux d'intérêt sont relativement contenus relativement aux taux allemands. Mais ils ont fortement augmenté dans la période récente, ce qui risque d'alourdir la charge de la dette.

Nous devrons donc nous réveiller le 1er janvier avec la même obsession qu'en nous couchant le 31 décembre : adopter un budget rapidement. Nous reprendrons le travail à l'Assemblée nationale là où vous l'avez arrêté, en espérant une convergence en janvier autour d'un budget qui maintienne le déficit sous les 5 %. Cet objectif est ambitieux, mais atteignable. C'est notre devoir de l'atteindre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics .  - La CMP sur le PLF pour 2026 s'est avérée non conclusive. Le Gouvernement en a pris acte et vous soumet cet après-midi ce projet de loi spéciale pour nous donner collectivement quelques jours supplémentaires afin de donner au plus vite un budget à la France.

C'est une nécessité vitale, car une loi spéciale n'est pas un budget. C'est un non-choix qu'un pays comme le nôtre ne peut se permettre, un service minimum ne répondant ni aux urgences ni aux exigences des Français.

De plus, ce service minimum correspond à des risques maximums. Sans dramatisation, il est utile d'être transparent à cet égard. Le principal risque, c'est que cette loi ne nous permettra pas d'investir. Or nul ne souhaite que le pays reste immobile. Du provisoire qui dure, ce n'est pas ce que nous, responsables politiques, voulons pour notre pays. Il serait même indigne d'un grand pays comme la France de s'en contenter.

La loi spéciale autorise la levée des impôts, reconduit les prélèvements sur recettes et autorise l'emprunt. Ce régime du strict minimum aura des conséquences très concrètes dès le 1er janvier, à commencer par l'arrêt des investissements nouveaux, notamment pour les armées. De même, les ministères de la justice et de l'intérieur seront freinés dans leurs investissements. Toutefois, je veux dire aux entreprises qui les fournissent que les engagements pris seront honorés ; je pense notamment à notre porte-avions, qui a déjà fait l'objet d'engagements.

Les aides qui ne sont pas des dispositifs de guichet encadrés par un texte législatif ou réglementaire ne pourront être versées. S'agissant de MaPrimRénov', toutefois, les dossiers validés donneront lieu aux paiements attendus.

Enfin, les recrutements publics seront gelés, notamment 4 000 postes prévus dans les ministères régaliens. De même, les 8 800 recrutements nouveaux du ministère de l'éducation nationale par un nouveau concours au niveau de la licence ne pourront pas être concrétisés sans vrai budget.

J'ajoute que la loi spéciale n'entraîne pas mécaniquement des économies, puisqu'aucune réforme structurelle ne peut être mise en oeuvre. La seule manière de réduire durablement le déficit, c'est d'avoir un budget voté et un gouvernement qui l'exécute. C'est ce qui s'est passé cette année : la CMP a conclu que la cible de déficit était de 5,4 % et j'ai passé l'année, avec Éric Lombard puis Roland Lescure, à tenir cet objectif.

L'État sera là pour éviter le désordre et gérer les urgences, dont les catastrophes climatiques -  j'ai une pensée particulière pour nos compatriotes et les élus de l'Hérault. Je dis à nos agriculteurs que la loi spéciale ne remet nullement en cause la lutte contre la dermatose, par la vaccination, les indemnités d'abattage et le fonds d'urgence.

Mais nous ne pouvons nous contenter de gérer les urgences pendant un an. Les Français attendent non pas le minimum, mais le maximum. La trêve de Noël ne peut donc être la trêve du compromis. Nous devons nous mettre en ordre de marche pour que les jours passés sous le régime de la loi spéciale soient les moins nombreux possible.

Un chemin de compromis a été trouvé sur la loi de fin de gestion, sur la loi de financement de la sécurité sociale. Un tel chemin peut et doit être trouvé sur la loi de finances. Nous avons devant nous un exercice de responsabilité. Le réussir est une exigence de sérieux, mais surtout de respect envers les Français, qui vous ont indirectement, mais fermement élus et qui nous demandent d'agir. Par respect pour eux, nous devons remettre sur le métier le PLF dès janvier pour donner un budget à la France. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe INDEP)

Rappel au Règlement

M. Loïc Hervé.  - Alors que nous examinons le projet de loi spéciale, M. le Premier ministre est en train, non depuis Houston mais depuis Matignon, de tenir une conférence de presse pour expliquer ce qu'il en attend. Certes, il était présent à l'Assemblée nationale. Mais on ne peut faire de telles mauvaises manières au Sénat. Il faut respecter les deux chambres et attendre que la loi soit votée avant de commenter ! (Applaudissements)

M. Franck Dhersin.  - Quel mépris !

Acte en est donné.

Discussion générale (Suite)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Vincent Louault applaudit également.) L'année dernière, à la même période, mais pas dans les mêmes conditions, nous examinions le premier projet de loi spéciale en quarante-cinq ans, à la suite de l'adoption d'une motion de censure par l'Assemblée nationale.

C'était un grand saut dans l'inconnu, et nous ne savions ni quand ni comment nous parviendrions à adopter un budget, vu la fragmentation de l'Assemblée nationale. Nous y sommes finalement parvenus, et une loi de finances a été promulguée le 14 février.

C'est un travail collectif qui l'a permis ; chacun a tenu sa place et poussé vers le même objectif. Une majorité de centre-droit s'est unie en CMP pour avancer vers un texte commun, longuement négocié dans un esprit d'ouverture, David Amiel étant rapporteur pour l'Assemblée nationale. Ce succès tient aussi à l'investissement du gouvernement de François Bayrou, qui s'était attelé à déterminer les conditions d'un accord de non-censure avec les socialistes. Non seulement nous avons donné au pays un budget pour 2025, mais un budget de redressement, présentant une amélioration significative du solde public.

Que nous a-t-il manqué cette fois-ci ? Le Sénat n'a pas changé depuis la CMP du mois de janvier, l'Assemblée nationale non plus.

M. Olivier Paccaud.  - Le Gouvernement, si ! Et sa méthode !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - J'ai travaillé avec Philippe Juvin, mon collègue rapporteur général, en vue d'une CMP dont la composition est toujours de centre-droit. J'ai mis toute mon énergie à reproduire ce que nous avons fait avec succès en janvier. Madame, monsieur les ministres, je vous le demande : que nous a-t-il manqué ?

M. Thomas Dossus.  - Des recettes ! (M. Michel Canévet se récrie.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Non pas du temps, mais un gouvernement souhaitant reproduire les conditions de l'adoption du budget 2025 ; un gouvernement qui négocie avec les socialistes, comme en janvier, les conditions d'un accord de non-censure sur une copie de CMP de centre-droit ; un gouvernement qui propose des économies pour parvenir à un objectif de solde raisonnable.

Monsieur, madame les ministres, vous m'avez dit n'avoir aucune économie à proposer pour bâtir un compromis de CMP, à rebours de vos déclarations publiques ici-même. Mme la ministre m'a proposé comme voie unique près de 10 milliards d'euros d'impôts en plus. La majorité sénatoriale ne souhaite pas emprunter ce chemin.

Le Premier ministre aurait pu présenter les conditions d'un atterrissage en CMP en activant un article de la Constitution prévu précisément pour faire face à une telle situation politique, et qui a fait ses preuves en janvier pour doter la France d'un budget dans le calme et la clarté. Il s'y résoudra peut-être, mais nous aurons perdu du temps, des marges de redressement et de la crédibilité. Je crains que tout cela ne s'achève, comme pour la loi de financement de la sécurité sociale, par plus d'impôts, de dépenses et de déficits.

Comme l'an passé mais pour des raisons différentes, notre situation - un budget déposé dans les temps mais non adopté avant la fin de l'année - ne correspond pas strictement aux cas de figure prévus par la Constitution et la Lolf. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il appartient au Parlement et au Gouvernement de prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale. Tel est l'objet de ce texte. Tout cela, mais rien que cela.

Toutes les mesures qui ne seraient pas strictement nécessaires à cette poursuite n'y ont pas leur place. Ce texte est donc très court, et l'Assemblée nationale ne lui a apporté qu'une légère modification rédactionnelle, justifiée. Ses trois articles autorisent la perception des impôts, reconduisent l'affectation des prélèvements sur recette au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne et permettent à l'État d'emprunter.

Parce que ces articles nous paraissent nécessaires et suffisants et que la priorité est de rassurer les Français en garantissant la poursuite de la vie nationale, la commission des finances recommande l'adoption du texte sans modification. L'intérêt supérieur du pays doit prévaloir.

Mais quel est le chemin pour que la France ait un budget en 2026 ? Nous avons tout entendu : que le Gouvernement aurait souhaité une CMP conclusive, un report de la CMP, envisagé l'utilisation d'ordonnances dites négociées puis des ordonnances prévues par l'article 47 de la Constitution ; enfin, il étudierait la possibilité de faire usage de l'article 49.3... Il a fallu attendre hier soir pour savoir ce que le Gouvernement voulait ; et nous voici à examiner ce texte en urgence, avec 24 heures entre le conseil des ministres et l'adoption définitive.

Au milieu de ce flou, les agriculteurs continuent d'attendre des solutions, des entreprises de savoir quel niveau de surtaxe leur sera appliqué et si la CVAE baissera ou non, nos forces armées ignorent quand elles percevront les crédits supplémentaires que tous ou presque appellent de leurs voeux.

Je crains que le nouvel objectif de déficit, autour de 5 %, ne se traduise par une dégradation historique des comptes de la sécurité sociale et une énième augmentation de fiscalité. Hélas, ce n'est ni ce que les Français attendent ni ce que nous souhaitons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. Raphaël Daubet .  - Investissements bloqués, suspension du guichet MaPrimeRénov', coup d'arrêt au régime dérogatoire de la taxe d'apprentissage à Saint-Pierre-et-Miquelon : la France passera en mode dégradé à partir du 1er janvier.

La loi spéciale autorise à tourner au ralenti pour la deuxième année consécutive. Nous aurons substitué la continuité administrative à la décision politique. Il ne s'agit plus d'une péripétie, mais du symptôme de l'enlisement dans lequel nous a plongés la dissolution.

Cette loi spéciale est une défaite du Parlement. Le Parlement est un chaudron où bouillonnent les idées politiques. Mais, en l'absence de force majoritaire, rien ne le prédispose à faire surgir le compromis dont tout le monde rêve. Qu'une majorité fasse des concessions à l'opposition est souhaitable ; mais, dans l'état de fragmentation du paysage politique, la possibilité d'un compromis repose sur la responsabilité de chacun d'entre nous et sa capacité à renoncer à certaines exigences découlant de ses valeurs ou de ses engagements électoraux.

La loi spéciale nous renvoie aussi à nos propres limites. La CMP a trébuché sur la répartition de 9 milliards d'euros entre recettes nouvelles et économies. Le RDSE considère que cette difficulté était surmontable.

Nous devons prendre des décisions douloureuses, dans un contexte de stagnation économique et d'appauvrissement de l'État, faute de trouver le chemin du redressement industriel, agricole et économique. Face à cette réalité, le jeu des postures et des ambitions est dangereux.

Avec la loi spéciale, nous entrons dans une zone dangereuse. C'est désormais le moment du Gouvernement : l'impuissance du Parlement actée, il doit reprendre la barre avec dignité. Le 49.3 redevient l'instrument de prédilection que, chose cocasse, chacun appelle de ses voeux, mais aussi l'arme à double tranchant qui peut nous priver de gouvernement en même temps que de budget. Le Gouvernement a donc une lourde responsabilité, et notre groupe souhaite qu'il réussisse.

La complexité des débats budgétaires tient aux difficultés que nous traversons, mais aussi à notre chance de vivre dans un pays démocratique, où tous les choix sont discutables et âprement discutés. Malgré ce chahut, la France n'est pas à l'arrêt. Nous voterons le projet de loi spéciale en espérant l'adoption la plus rapide possible d'un budget.

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-François Husson applaudit également.) Le groupe UC aurait préféré que la CMP fût conclusive, et que le Parlement se mît d'accord. Mais il ne considère pas cette absence d'accord comme une défaite : le Sénat a réussi à élaborer un budget. C'est la chambre basse qui n'a pas su faire de même.

Le groupe UC voulait assurer la stabilité fiscale et modérer l'imposition des entreprises. Il fallait de la justice fiscale. L'administration doit avoir les moyens de lutter contre l'évitement fiscal. Il fallait également faire des économies. Notre pays vit au-dessus de ses moyens ; il ne peut demeurer indéfiniment le plus mauvais élève de la classe européenne. Nous avons pris des engagements à l'échelle de l'Union européenne, lorsque nous avons adopté la monnaie unique. Or nous ne les respectons pas, contrairement à nos voisins.

Face à cet échec en CMP, que prévoit la Constitution ? Le délai de 70 jours pour l'examen du budget arrive à échéance dans quelques heures. Alors, en application de l'article 47, le Gouvernement peut, par ordonnance, arrêter un budget. Pourquoi ne le fait-il pas, si la Constitution l'a prévu ? Selon le groupe UC, il faut utiliser cette faculté le cas échéant.

La ministre a dit qu'il ne fallait pas dramatiser le recours à la loi spéciale. Je le pense aussi. La loi spéciale permet de continuer à fonctionner. Vincent Delahaye me disait tout à l'heure : mieux vaut la loi spéciale qu'un mauvais budget.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Ah non !

M. Michel Canévet.  - Mais si. Un mauvais budget n'apporterait aucune réponse positive aux besoins de notre pays. La loi spéciale organise les dépenses de l'année à venir suivant celles de l'exercice précédent, en l'occurrence 2025.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Non, ce n'est pas cela.

M. Michel Canévet.  - Nous avons besoin d'économies. Or nous avons été incapables de présenter des budgets à l'équilibre ces dernières années. Cela ne peut pas continuer. Or la loi spéciale n'est pas génératrice de dépenses supplémentaires. Il faut arrêter de faire peur à nos concitoyens. Au contraire, la loi spéciale cadre les dépenses.

Ce matin, en commission des finances, la ministre a déclaré qu'on pourrait réaliser 40 à 50 milliards d'euros d'économies si la loi spéciale était poursuivie toute l'année.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

Mme Cécile Cukierman.  - Ce n'est pas une fin en soi !

M. Michel Canévet.  - Cela ramènerait le déficit à 3 % du PIB. Face aux errements de ces dernières années, il faut peut-être prendre le taureau par les cornes. (M. Xavier Iacovelli proteste.)

Prenons des décisions pour améliorer notre situation financière. Le groupe UC prône davantage d'efforts d'économie. Nous voterons la loi spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Pour la deuxième année consécutive, nous avons recours à une procédure conçue comme exceptionnelle par les rédacteurs de la Constitution. Notre régime parlementaire rationalisé est censé reposer sur un bicamérisme d'équilibre. Mais depuis 2024, l'esprit de responsabilité a quitté de trop nombreux bancs de l'Assemblée nationale. Et nous nous retrouvons de nouveau sans budget.

L'examen du budget n'était pas parfait au Sénat non plus. D'ailleurs, les sénateurs de mon groupe ne s'étaient pas associés au vote sur la première partie. Trop d'impôts nouveaux...

La montée en puissance des crédits de nos armées est vitale pour protéger nos territoires et nos enfants. Nous voulons financer le réarmement. C'est pour cela, et pour préserver les crédits de la diplomatie, que nous avons voté l'ensemble de ce PLF imparfait. Or l'échec de la CMP et cette loi spéciale mettent en péril notre réarmement. Pourtant, nous aurions pu trouver un accord. Il suffisait de baisser de 8 à 10 milliards d'euros seulement les dépenses non essentielles.

M. Thomas Dossus.  - Seulement...

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Moins de dépenses, moins d'impôts, et plus d'activités. Au lieu de cela, la gauche a demandé 10 milliards d'euros de dépenses en plus et 10 milliards d'impôts nouveaux, enterrant ainsi tout espoir de compromis en CMP.

Après avoir obtenu la suspension de la réforme des retraites, la gauche aurait pu faire un pas en avant. Entre 2022 et 2024, elle a couru derrière Jean-Luc Mélenchon en espérant récupérer un peu de son aura populiste.

M. Thomas Dossus.  - Hors sujet ! (M. Rachid Temal renchérit.)

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Nous avions cru percevoir un changement de stratégie en 2025, une transformation en gauche de gouvernement. Mais l'approche des élections municipales a fait primer l'intérêt des partis sur celui du pays. (M. Vincent Louault approuve.)

Pour la deuxième année consécutive, l'Assemblée nationale n'est parvenue à rien en matière budgétaire. Pas d'examen des dépenses, aucun accord sur les recettes. Les excès des uns et des autres n'ont rien produit si ce n'est plus de populisme et d'antiparlementarisme.

Contrairement à ce que j'ai entendu, la loi spéciale coûtera cher. Les crédits de nos armées n'évolueront pas tant qu'aucune loi de finances ne sera votée. La responsabilité des hommes et des femmes d'État doit reprendre le dessus pour l'examen du budget en janvier. L'Assemblée nationale n'a d'autre choix que de l'adopter. Chacun doit redevenir le représentant du peuple, non celui de son parti ou de son candidat pour 2027. (Mme Cécile Cukierman proteste.)

À partir du 1er janvier 2026, les dépenses sociales augmenteront du fait de l'accord du Gouvernement avec la gauche sur les retraites et la CSG. Cette erreur est faite. Est venu le temps pour la gauche d'un accord avec la droite et le centre, pour réduire le déficit par une baisse des dépenses. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Le groupe Les Indépendants votera cette loi spéciale. Rendez-vous en janvier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Cécile Cukierman proteste.)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'histoire financière de notre pays est riche d'enseignements à condition de la regarder sans complaisance. La responsabilité budgétaire est parfois moins jugée à l'aune des faits que des rapports de force. Jacques Coeur, grand argentier de Charles VII, en fit l'amère expérience. Alors que l'État était au bord de la banqueroute après la guerre de Cent Ans, il a rendu sa solvabilité à la monarchie, financé une armée permanente et restauré l'autorité du roi. Pourtant, il fut condamné pour de prétendues malversations financières au terme d'un procès inéquitable où l'on confondit sa réussite personnelle avec une faute politique. Il a été sanctionné pour avoir incarné une réussite politiquement dérangeante.

Ce qui est arrivé à Jacques Coeur hier arrive au Sénat aujourd'hui. (M. Jean-François Husson apprécie ; exclamations ironiques à gauche.) Un mauvais procès a été intenté à notre assemblée, à qui l'on fait porter la responsabilité d'un déficit à 5,3 % du PIB. Les faits, les chiffres et la chronologie des décisions racontent une tout autre histoire.

M. Rachid Temal.  - Enfin la vérité !

Mme Christine Lavarde.  - L'accusation d'un Sénat « jetlagué », lancée par le Premier ministre, est injuste. Loin du décalage horaire, le Sénat est à l'heure des comptes. Notre modèle institutionnel est bicaméral et le Sénat y a toute sa place. Il n'est pas une chambre de seconde zone.

M. Laurent Somon.  - Bravo !

Mme Christine Lavarde.  - Pourquoi la CMP a-t-elle échoué ? La réponse est claire : en renonçant à l'article 49.3, le Gouvernement s'est rendu dépendant du groupe socialiste, à tout prix, y compris celui d'un budget déraisonnable. Pourtant, il était possible d'élaborer un texte équilibré et responsable, conforme aux positions du socle commun. La volonté du Gouvernement d'aller chercher coûte que coûte l'appui du parti socialiste nous a conduits dans l'impasse.

M. Olivier Paccaud.  - Absolument.

M. Rachid Temal.  - Ce n'est donc pas la faute de la droite, mais des socialistes ?

Mme Christine Lavarde.  - Le compromis, vertu démocratique, ne peut pas être une compromission. (On ironise sur les travées du groupe SER.) Le budget ne peut pas être l'assurance-vie d'un gouvernement. Après l'abandon de la réforme des retraites, faudrait-il passer le taux d'impôt sur les sociétés à 33 %, en enterrant son abaissement à 25 % ? Ce serait sans nous ! Le groupe Les Républicains n'a qu'une boussole, l'intérêt supérieur de la nation.

Le Sénat a fait preuve de sérieux et de responsabilité. Il a fait des choix assumés pour soutenir l'activité économique, préserver le pouvoir d'achat et refuser une pression fiscale excessive. (M. Thomas Dossus ironise.) Il a voté 7 milliards d'euros de baisse de fiscalité. Ces choix traduisent une vision économique fondée sur la compétitivité et la croissance, que certains ne partagent pas.

M. Rachid Temal.  - C'est la démocratie !

Mme Christine Lavarde.  - Oui, et vous pourrez défendre votre opinion après. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Le Sénat a proposé près de 6 milliards d'euros de baisses de dépenses, mais seuls 4 milliards ont été adoptés. Nous sommes parvenus à 4,9 % de déficit. (M. Rachid Temal s'exclame.) Le déficit de 5,3 %, c'est la facture du Gouvernement. (M. Rachid Temal ironise.)

M. Olivier Paccaud.  - Faut assumer !

Mme Christine Lavarde.  - Cette aggravation résulte des décisions de transferts prises par le Gouvernement en miroir du PLFSS. Ces choix peuvent être débattus politiquement, mais ils doivent être assumés financièrement. En faire porter la responsabilité au Sénat est une contre-vérité. Comme pour Jacques Coeur, il est plus facile de désigner un responsable pour éviter d'assumer ses propres arbitrages.

M. Olivier Paccaud.  - C'est la stratégie du bouc émissaire !

Mme Christine Lavarde.  - Comment blâmer l'action sénatoriale au regard de nos prérogatives constitutionnelles ?

Le Sénat n'est pas le Gouvernement. Il n'a pas la responsabilité des choix qui structurent le budget. (M. Rachid Temal s'exclame.)

M. Christian Cambon.  - Très bien !

Mme Christine Lavarde.  - On ne peut pas à la fois revendiquer la maîtrise des orientations budgétaires et reprocher au Parlement de ne pas avoir corrigé leurs conséquences financières. On ne peut demander au Sénat, qui ne dispose ni des outils de l'exécutif ni des administrations centrales, de compenser les transferts à la sécurité sociale par des réductions de dépenses. Ces responsabilités ne sont pas les siennes.

M. Rachid Temal.  - La magie de Noël !

Mme Christine Lavarde.  - C'est précisément pour cela que la CMP existe. Elle n'est pas un lieu d'accusation, mais de compromis. Le Gouvernement aurait dû trouver une voie de sortie avec la majorité sénatoriale. Il aurait pu ouvrir la discussion, négocier, arbitrer. Or il est resté muet, puis il a accusé.

L'échec de la CMP résulte de son refus d'assumer son rôle.

M. Rachid Temal.  - Et des ministres Les Républicains !

Mme Christine Lavarde.  - Nous voterons cette loi spéciale par sens des responsabilités. Elle ne préempte pas les choix budgétaires à venir. Elle garantit la continuité du versement des dotations aux collectivités territoriales. Mais elle ne règle ni la question de la dynamique de leurs ressources ni celle de l'évolution de leurs charges. Elle ne préjuge pas non plus des choix du Gouvernement en matière de fiscalité locale ou de participation des collectivités au redressement des finances publiques.

M. Laurent Somon.  - C'est essentiel !

Mme Christine Lavarde.  - En la votant, le Sénat protégera la continuité de l'action publique et préservera les collectivités territoriales d'une instabilité préjudiciable, mais son vote n'est ni un quitus ni un renoncement. Il appelle à la recherche d'un compromis équilibré.

M. Christian Cambon.  - Très bien !

Mme Christine Lavarde.  - Comme Jacques Coeur, le Sénat n'a été attaqué ni pour ses erreurs ni pour sa rigueur. L'histoire lui donnera raison. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; exclamations ironiques à gauche)

M. Claude Raynal, président de la commission.  - C'est beau...

M. Xavier Iacovelli .  - Nous voici réunis à la veille du réveillon de Noël : c'est un aveu d'échec.

M. Rachid Temal.  - La magie de Noël !

M. Xavier Iacovelli.  - En effet, nous avons été incapables de nous mettre d'accord. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, la responsabilité de doter la France d'un budget reposait sur les épaules du Parlement, pas sur celles d'un exécutif surpuissant. Or nous avons manqué cette responsabilité historique. Nous avons été incapables de trouver le chemin du compromis.

M. Olivier Paccaud.  - Si vous voulez vous renier, reniez-vous !

M. Francis Szpiner.  - Il est fait pour être ministre...

M. Xavier Iacovelli.  - C'est la faute de l'ensemble des groupes parlementaires. Certains ont fait passer leur ambition personnelle en premier. Cela fragilise notre crédibilité financière alors que chacun a besoin de lisibilité. Les Français attendent nos actes. Que leur proposons-nous ? Une loi spéciale, une solution de dernier recours.

M. Olivier Paccaud.  - Ce n'est pas nous qui proposons une loi spéciale !

M. Xavier Iacovelli.  - C'est un pansement sur une fracture ouverte, un moyen de gagner du temps.

Le RDPI regrette vivement que la CMP n'ait pas trouvé d'accord. (MM. Francis Szpiner et Olivier Paccaud s'exclament.) Nous demeurons pleinement disposés à rechercher des compromis pour permettre l'adoption d'un budget dans les meilleurs délais. Celui qui émergera ne conviendra à personne. Ce ne sera ni le budget de la gauche ni celui de la droite, encore moins celui du bloc central...

M. Rachid Temal.  - Ce qu'il en reste !

M. Olivier Paccaud.  - Le PS !

M. Xavier Iacovelli.  - Où en est le nouveau Front populaire, monsieur Temal ? (M. Rachid Temal fait signe qu'il n'est pas concerné.)

Chacun devra voter dans l'intérêt supérieur du pays, pour éviter le chaos budgétaire dont personne ne sortirait gagnant.

M. Olivier Paccaud.  - La stabilité, ce n'est pas la paralysie !

M. Xavier Iacovelli.  - Les grands débats de société seront tranchés en 2027. Les Français arbitreront. Mais ils nous ont confié une responsabilité cardinale : assurer la continuité de l'État. J'en appelle au sérieux de chacun : cessons les postures politiques et les lignes rouges indépassables. (M. Jean-Raymond Hugonet dessine un moulinet avec ses bras.)

Sachons nous élever au-dessus de nos divergences. Tentons de nous satisfaire de petites victoires, plutôt que d'avoir une grande défaite. Le RDPI se tient à la disposition du Premier ministre... (Exclamations amusées sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Paccaud.  - Quelle surprise !

M. Xavier Iacovelli.  - ... et de toutes les forces politiques pour trouver une solution rapide.

Cet échec ne doit pas être définitif. Il peut être le point de départ d'un sursaut de volonté et de raison. Le RDPI votera pour cette loi spéciale.

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Une fois n'est pas coutume, nous voilà réunis pour voter une loi spéciale afin de ne pas sombrer dans les turpitudes d'un shutdown à l'américaine -  rustine sur le pneu bien crevé du PLF 2026.

Rien dans la Constitution ou la loi organique ne le prévoit : la loi spéciale est réservée au cas où le PLF n'est pas déposé en temps utile, ou bien lorsque la loi de finances est l'objet d'une censure totale par le Conseil constitutionnel. Aucune de ces conditions n'est réunie, mais nous nous sommes habitués à la vision très personnelle qu'a le Président de la République de la Constitution.

Pourquoi en sommes-nous là ? Emmanuel Macron a dit en substance : je n'appelle pas la gauche au pouvoir, pourtant arrivée en tête des dernières législatives, au nom de la stabilité... (M. Pierre-Alain Roiron ironise.) Résultat, en l'espace d'un an, nous avons eu droit à trois chutes de Premiers ministres, à des gouvernements qui durent moins de quatorze heures, à des demandes de démission du Président de la République en cascade...

M. Xavier Iacovelli.  - À cause de qui ?

M. Thierry Cozic.  - Une coalition de stabilité qui vole en éclats !

C'était bien la peine de barrer la route à la gauche. (M. Olivier Paccaud ironise.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - C'est la gauche qui s'est barrée !

M. Thierry Cozic.  - La droite sénatoriale est davantage préoccupée par son positionnement partisan que par le souci des Français.

Le Gouvernement, avec six ministres Les Républicains, est minoritaire. Il ne peut y avoir de majorité avec un budget macroniste.

Je sais que certains veulent une loi spéciale qui dure plus que l'an dernier, comme Laurent Wauquiez : cela effacerait tous les nouveaux impôts. (Mme Sophie Primas ironise.)

M. Loïc Hervé.  - Il n'est pas sénateur.

Mme Christine Lavarde.  - Il n'est pas ici !

M. Thierry Cozic.  - La droite est censée être responsable, mais elle aggrave les déficits.

La loi spéciale est très bloquante pour nombre de politiques publiques, comme la recherche, l'écologie, le logement, les collectivités territoriales - oui, une fois de plus, ces dernières feront les frais de cette situation ! (M. Laurent Somon le confirme.) Leurs projets seront retardés ou abandonnés. (Mme Sophie Primas s'exclame.) Ce sont des écoles non rénovées, des logements non construits.

À l'heure où la Russie se fait de plus en plus menaçante, il est impérieux de rehausser les crédits de la défense. Avec la loi spéciale, adieu aux 6,7 milliards d'euros de crédits supplémentaires (Mmes Marie-Claire Carrère-Gée et Sophie Primas s'exclament.), ce qui poserait un énorme problème pour payer les investissements lancés les années précédentes.

Cette loi spéciale, que nous voterons, n'est qu'une rustine. Il faut reprendre les négociations sur le budget.

Alors que la majorité sénatoriale a déjà soigneusement empilé les chiffons rouges devant le nez du Premier ministre...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Aucun !

M. Thierry Cozic.  - ... il ne faut pas croire qu'au nom de la sacro-sainte stabilité nous serons enclins à accepter n'importe quoi.

M. Olivier Paccaud.  - Négociation ou chantage ?

M. Thierry Cozic.  - Comment maintenir un semblant de cohésion avec le groupe Les Républicains quand Bruno Retailleau s'est élevé en premier procureur de votre gouvernement, qu'il avait soutenu puis quitté de façon colérique ? (Mme Marie-Carole Ciuntu proteste.)

Entre la règle de l'entonnoir et le principe de non-rétroactivité de la loi fiscale, comment garantirez-vous des marges de manoeuvre budgétaires sur la partie recettes, sachant que vous avez porté de 10 à 5 milliards d'euros la contribution des plus aisés par rapport au budget de Michel Barnier de l'année dernière ?

C'est votre capacité à répondre à ces questions qui conditionne la possibilité de doter la France d'un budget équitable et sérieux.

En attendant, nous voterons la loi spéciale en responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Ghislaine Senée applaudit également.)

M. Pascal Savoldelli .  - L'urgence ne saurait tenir lieu d'amnésie démocratique. Si nous en sommes là, c'est parce qu'un choix clair a été fait depuis 2024 : gouverner contre le verdict des urnes, proposer des projets minoritaires chaque jour plus illégitimes et socialement contestés. Contre vents et marées, ce gouvernement défend bec et ongles le projet ultralibéral de Macron, où les plus riches vivent cachés, mais heureux.

Lors de la CMP, des forces politiques, battues aux élections, se sont retrouvées en situation de décider pour ne rien décider. Cela révèle un divorce entre légalité institutionnelle et légitimité démocratique. Un budget soutenu par 8 % des Français ?

M. Francis Szpiner.  - C'est la démocratie.

M. Pascal Savoldelli.  - L'assise majoritaire n'est jamais apparue ni dans le pays ni à l'Assemblée nationale, ou alors seulement à huis clos ou à coups de 49.3. Vous avez fait des choix politiques minoritaires, dont celui de coups de rabots à l'aveugle. Ces choix renforcés par la majorité sénatoriale nous ont conduits à la crise : 6 milliards d'euros d'allègements ciblés sur les grandes entreprises et les hauts patrimoines... Qui vous l'a demandé dans le pays ? (M. Thomas Dossus renchérit.) Personne !

Nous voterons cette loi spéciale par responsabilité, et non par adhésion, pour la continuité de l'État et des services publics.

Votre gouvernement a défendu un budget avec 35 milliards d'euros d'efforts structurels, dont les deux tiers reposent sur un rationnement des dépenses publiques.

La loi spéciale ne doit ni devenir une loi de finances initiale déguisée ni une austérité politique par défaut. L'an dernier, les dépenses ont reculé de 5 % entre janvier et mars : c'est un choix politique, sans accord du Parlement.

Ce matin, nous avons proposé une porte de sortie institutionnelle et politique : le dépôt d'un projet de loi d'urgence portant des recettes nouvelles, décorrélées du budget. Vous l'avez refusé, le taxant de dangereux. Il serait donc dangereux de taxer les ultrariches, de garantir plus de justice sociale ? Ce n'est pas aux marchés financiers de faire la loi ni de fixer l'horizon des choix collectifs.

Émile Zola écrivait : « Quand l'avenir est dépourvu d'espoir, le présent acquiert une ignoble amertume. » Le groupe CRCE-K n'est ni désespéré ni amer, il est mobilisé, parce qu'il existe des alternatives : nous avons proposé 70 milliards d'euros de recettes nouvelles. C'est dangereux selon vous, mais c'est nécessaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER et du GEST)

M. Michel Canévet.  - Et les économies ?

M. Grégory Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Il est 20 h 30 le 23 décembre, le tic-tac résonne pour adopter un budget.

M. Olivier Paccaud.  - Ce sont les clochettes !

M. Grégory Blanc.  - Nous voterons cette loi spéciale car notre pays a besoin de stabilité. Avec la déstabilisation géopolitique actuelle, nous avons besoin d'une Union européenne solide et d'un État fort, aux finances saines - soit un déficit de moins de 5 % du PIB en 2026 - un État qui investisse dans son armée, les nouvelles technologies et adapte les infrastructures au dérèglement climatique. L'heure devrait être au rassemblement des forces. Pourquoi sommes-nous dans cette impasse budgétaire ?

Depuis fin août, nous vivons une mauvaise pièce de boulevard, mal assis dans un théâtre délabré, avec les portes qui claquent. Le socle commun n'arrive pas à définir une position commune : ce sont vos problèmes qui ont conduit à un dépôt tardif du budget le 14 octobre, une première sous la Ve République. Comment construire un compromis dans ce calendrier contraint et cette fragmentation politique ?

C'est aussi la faute d'un refus du compromis. Les Français espèrent la construction de ponts et non de murs. L'Assemblée nationale est fragmentée. Chacun pouvait espérer du Sénat qu'il joue la partition de la responsabilité pour deux, que les compromis ici deviennent possibles, que les élus dépassent leur idéologie sans la renier.

Un autre choix a été fait, celui de la radicalité. La copie de la majorité sénatoriale a été caricaturale, aboutissant à un déficit à 5,3 % du PIB. Une réalité est apparue : sans réforme structurelle, impossible de boucler un budget qui n'augmente pas la fiscalité.

Si le texte d'atterrissage du Gouvernement est une synthèse du seul socle commun, avec baisse de la surtaxe Barnier, allègement de la taxe holding et de la fiscalité sur les très hauts patrimoines, et une augmentation de l'effort des classes moyennes, il y aurait un problème. (Mme Sophie Primas s'exclame.)

Sur les dépenses, si vous faisiez peser l'effort sur l'investissement et la transition écologique avec MaPrimeRénov', le fonds vert et la décarbonation de notre appareil industriel, nous aurions là un deuxième gros problème avec des répercussions politiques par capillarité.

Mme Sophie Primas.  - Arrêtez !

M. Grégory Blanc.  - Le texte du Gouvernement, de consensus et non de compromis, faute d'autre solution, devra éviter ces écueils.

Bonnes fêtes de fin d'année. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; M. Pascal Savoldelli applaudit également.)

M. Roland Lescure, ministre.  - Je serai bref : la dernière fois que j'ai pris la parole après une discussion générale, cela a été un peu chahuté. (Sourires) Il a été beaucoup question de ce qui s'est passé cette année, moins de ce qui se passera dans l'année à venir.

M. Rachid Temal.  - Nous sommes encore dans le calendrier de l'avent !

M. Roland Lescure, ministre.  - Pourquoi pas ; c'est de bonne guerre : sans doute fallait-il évacuer les frustrations légitimes ; mais nous devons passer à autre chose.

Certains orateurs voulaient refaire le match. Ce n'est pas mon cas. Quelle est la situation actuelle ? Le PLFSS a été adopté et le PLF poursuit la navette, avec une volonté réelle du Gouvernement d'avancer. J'entends le consensus sur la loi spéciale : les parlementaires ont envie de travailler, c'est un message d'espoir.

Monsieur Canévet, la loi spéciale ne peut durer. Je peux comprendre qu'une économie de 50 milliards d'euros puisse séduire un sénateur qui n'a pas cessé d'en demander...

M. Rachid Temal.  - Sans succès.

M. Roland Lescure, ministre.  - Mais ce serait un peu à la serpe. Je ne pense pas que ce soit une bonne manière de faire ...

Cette loi nous donne un peu de temps pour trouver un autre chemin. Avec des méthodes différentes, nous pouvons y arriver. Nous avons commencé à évoquer certains points de convergence entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

« À coeur vaillant, rien d'impossible », était la devise de Jacques Coeur, madame Lavarde.

Quand il y a une volonté, il y a un chemin. Je ne sais plus qui l'a dit, Mao ou Lénine...

M. Rachid Temal.  - Mitterrand !

M. Loïc Hervé.  - Kennedy !

M. Roland Lescure, ministre.  - Faisons-le pour que la France ait un budget ! Bonnes fêtes à tous !

Discussion des articles

Article 1er

M. Vincent Delahaye .  - (Protestations sur les travées du groupe SER) Je vois qu'il y a des râleurs...

M. Vincent Éblé.  - On sait déjà ce que vous allez dire.

M. Vincent Delahaye.  - C'est la deuxième fois que nous allons voter une loi spéciale. Nous l'avons fait pour 2025, nous le faisons pour 2026 et pas besoin d'être grand clerc pour savoir que nous le ferons pour 2027 ! Pourquoi ? La cause de tout cela est la dissolution de 2024, cette idée de génie du Président de la République. (M. Olivier Paccaud le confirme.) Il n'y a plus de majorité pour voter les textes. (M. Aymeric Durox s'exclame.)

Le Gouvernement doit faire le grand écart ; mais le Premier ministre, lors de sa conférence de presse, n'a pas expliqué comment il comptait le faire... Nous devrions valider ce qu'on fait depuis des années : augmenter la dépense et les impôts, ce que la gauche sait bien faire ! (M. Rachid Temal proteste.) Parmi les 500 propositions des communistes, il n'y a que des augmentations de dépenses ! (Mme Cécile Cukierman proteste.)

Arrêtons d'augmenter les dépenses ! Les Français en ont assez qu'on augmente les impôts. (Vives protestations à gauche)

Mme Cécile Cukierman.  - Les Français veulent des écoles et des hôpitaux.

M. Vincent Delahaye.  - Si l'on veut que la France s'en sorte, il faut prendre cette direction. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

L'article 1er est adopté.

Article 2

M. Marc Laménie .  - Nous sommes la chambre des territoires. Il est important qu'il y ait une évaluation des prélèvements sur recettes de l'État pour les collectivités territoriales. Les trente prélèvements sur recettes cités par cet article 2 représentent 45,23 milliards d'euros, dont le principal est la dotation globale de fonctionnement. S'y ajoutent entre autres le FCTVA, la compensation de la réduction de 50 % des valeurs locatives pour la taxe foncière sur les propriétés bâties et la cotisation foncière des entreprises pour les locaux industriels... Le groupe Les Indépendants votera cet article.

M. Rachid Temal.  - Merci pour ce rappel.

L'article 2 est adopté.

Article 3

L'article 3 est adopté.

Le projet de loi spéciale est mis aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°136 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption 344
Contre     0

Le projet de loi spéciale est définitivement adopté.

Prochaine séance, mardi 6 janvier 2026 à 18 heures.

La séance est levée à 20 h 50.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 6 janvier 2026

Séance publique

À 18 heures et le soir

Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

1Débat sur la délinquance des mineurs (demande du groupe Les Républicains)

2Débat sur la sécurité dans les musées (demande du groupe Les Républicains)

3Débat sur l'accès à la culture dans les territoires ruraux (demande du GEST)