4. Les réflexions en cours au sein des instances internationales
a) Sur les implications statistiques et comptables de la mondialisation
La question des implications statistiques et comptables de la mondialisation a été au coeur des débats du dernier colloque de l'association de comptabilité nationale qui s'est tenu à Paris en juin 2008.
Les discussions qui ont eu lieu à cette occasion ont montré qu'il s'agit, en ce qui concerne les groupes sous contrôle national 109 ( * ) , de pouvoir mesurer correctement non seulement leurs échanges transfrontières de biens et de services mais également les revenus que leur procurent, en l'absence de ce type de transactions, les activités de leurs filiales à l'étranger (notamment dans les services 110 ( * ) ).
Une des interventions les plus marquantes de ce colloque a été celle de M. Hubert Escaith, expert de l'OMC et professeur au Centre d'économie et de finances internationales d'Aix-en-Provence.
Celui-ci a tout d'abord rappelé quels sont les changements qui affectent l'économie industrielle mondiale et la pertinence des instruments de mesure des échanges correspondants :
• la chaîne de production des marchandises
s'allonge et se segmente ;
• la sous-traitance internationale (externalisation)
et les échanges intragroupe (« insourcing »...)
connaissent un essor spectaculaire ;
• les avantages comparatifs tiennent aujourd'hui
à la
spécialisation dans certaines phases du processus de
production
autant qu'aux qualités du produit fini et
l'échange des services complète celui des biens.
M. Escaith a consacré, en second lieu, une large part de son propos à la mesure du commerce international en termes de valeur ajoutée. Il a souligné la fécondité de cette approche mais en a montré aussi les difficultés du fait de la complexité des relations commerciales actuelles et du caractère inextricable des échanges industriels : la localisation des unités de production ne coïncide pas avec celle de la création de valeur ajoutée et il est vain de vouloir procéder à un suivi statistique de chacune des opérations que suppose la fabrication d'un bien.
Il y a deux approches statistiques et comptables possibles de la mesure de la création internationale de valeur ajoutée :
• la première tend à mesurer
directement
la part qui revient à l'économie
nationale dans les exportations et les importations d'un pays ;
• la deuxième suppose une mesure
indirecte
de la valeur ajoutée nationale à
l'aide des tableaux entrées-sorties (TES) de la comptabilité
nationale.
Cette analyse peut être effectuée à partir d'une perspective nationale (approches en termes de produits ou par secteurs productifs 111 ( * ) ) ou en considérant le monde comme une économie globale.
Dans ce cas, il est procédé à une interconnexion des tableaux nationaux 112 ( * ) qui rendent compte des flux bilatéraux d'échanges de marchandises et de services en évaluant les consommations intermédiaires correspondantes de produits importés.
Les données manquantes doivent être estimées en recourant à des extrapolations ou à l'utilisation de modèles économétriques.
Le bouclage physico-financier final tient compte des relations financières entre filiales (qui permettent le rapatriement sous forme de profits vers la société mère de la valeur ajoutée créée à l'étranger par les filiales lorsqu'il n'y a pas d'échanges intragroupe de produits).
C'est à ce type de tentatives que se rattache le travail, précité, de l'OFCE dont les auteurs ont pu reconstituer les flux de valeur ajoutée entre pays et entre branches dans le monde grâce à la base de données GTAP 113 ( * ) .
M. Escaith estime pertinentes les conclusions de l'étude selon lesquelles la prise en compte de la division internationale de la production change la perception du commerce extérieur d'un pays bien qu'elle repose, selon lui, sur des hypothèses qui n'échappent pas à toute critique 114 ( * ) .
M. Escaith a, enfin, évoqué les évolutions et les réflexions en cours au sujet de l'adaptation à la mondialisation du système statistique international dans ses différentes composantes 115 ( * ) .
Les recommandations en faveur d'une classification plus fine des produits et des services afin, notamment, de mieux prendre en compte les effets des évolutions technologiques ne soulèvent pas d'objection.
Une autre mesure préconisée ne fait pas, en revanche, l'unanimité.
Elle concerne les biens envoyés à l'étranger en vue de leur transformation puis rapatriés dans leur pays d'origine sans changer de propriétaire 116 ( * ) .
Dans ce cas (très fréquent) seul le résultat net des opérations concernées serait enregistré à la rubrique « services » du compte des transactions courantes de la balance des paiements afin que les résultats des échanges de marchandises ne se trouvent pas exagérément gonflés du fait de la multiplication de ce type d'échanges.
Une telle consolidation présenterait, néanmoins, plusieurs dangers :
• la
distinction biens-services
,
déjà actuellement difficile, serait faite pour ces transactions,
indépendamment du processus productif réel, selon qu'il y a ou
non transfert de propriété ;
• il risquerait d'en résulter un
relâchement des efforts, pourtant de plus en plus nécessaires,
accomplis pour mieux mesurer les
échanges intragroupe
(les données correspondantes cessant d'être collectées et
traitées, notamment dans les pays émergents, lorsqu'elles ne sont
plus strictement exigées pour l'élaboration de la balance des
paiements) ;
• le
partage prix-volume
des
échanges de biens et services
117
(
*
)
, effectué à partir
d'éléments statistiques indirects et non plus de données
brutes, serait rendu encore plus difficile.
Pour toutes ces raisons, l'expert de l'OMC a estimé souhaitable, en conclusion de son intervention, le maintien de la saisie de données brutes basées sur les mouvements physiques des marchandises au sein des groupes mondiaux.
Il a appelé de ses voeux une meilleure estimation des flux d'échanges internationaux de valeur ajoutée à partir de la constitution de bases de données intégrant les TES nationaux et d'enquêtes tendant à mieux connaître les relations de sous-traitance et d'intégration verticale des multinationales.
* 109 L'existence d'un tel contrôle, on l'a vu, est souvent difficile à établir étant donné la complexité des structures des groupes, le contrôle pouvant être indirect. Le critère de « participation majoritaire » est parfois d'application difficile.
* 110 En ce sens les FATS (Foreign affiliate trade statistics), relatives aux activités de services à l'étranger des filiales de groupes européens, constituent plus un indicateur de mondialisation qu'un indicateur d'échanges. En effet, ces dernières produisent des flux de revenus sans contrepartie réelle en termes d'échange de produits avec la société mère.
* 111 - L'approche en termes de produits s'effectue à partir du tableau ressources-emplois. Le contenu en importations des exportations et de la production sectorielle est évalué. On suppose, ce qui fragilise cette méthode, que les importations et la production nationale sont substituables et que les entreprises d'une branche ont des consommations intermédiaires analogues.
- L'approche par secteurs productifs utilise conjointement les données du commerce international et des tableaux entrées-sorties (TES) et s'intéresse plus aux firmes (internationalisées et verticalement intégrées) qu'aux marchandises. Cette méthode, plus « agrégeante » (les secteurs regroupent des entreprises et produits hétérogènes) est aussi plus robuste.
* 112 Tableaux ressources-emplois des différents produits mettant en évidence les consommations intermédiaires importées.
* 113 Global Trade Analysis Project de l'université de Purdue (Indiana). La base de données GTAP distingue par secteurs, dans chaque pays, les consommations intermédiaires domestiques et importées.
* 114 Hypothèse néo-classique d'homogénéité entre production interne et externe, de substituabilité des intrants domestiques et importés, absence de prise en compte des effets des changements de prix relatifs, classification trop agrégée par produits ou entreprises...
* 115 - SCN : Système de comptabilité nationale (ONU-FMI-Eurostat-OCDE) ;
- Manuel de la balance des paiements (FMI) ;
- Classifications internationales (SH : Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises ; CPC : Classification centrale de produits ; CTCI : Classification type pour le commerce international).
* 116 En fait la décision de transférer ou non la propriété de biens dépend de l'arbitrage entre sous-traitance externalisée et « insourcing » (délocalisation au sein du groupe), lui-même lié à des considérations essentiellement financières.
* 117 Il s'agit du calcul des déflateurs implicites du commerce extérieur, de l'estimation des valeurs unitaires et des valeurs ajoutées.