II. LA PAUVRETÉ MONÉTAIRE : UNE APPROCHE À COMPLÉTER

A. LES LIMITES ET VARIANTES

1. Les limites

La mesure de la pauvreté par le revenu, qui traduit de nécessaires choix conceptuels, est contrainte par l'imperfection des sources.

a) Des sources statistiques incomplètes

L'approche monétaire des inégalités se fonde sur l'enquête « revenus fiscaux » (ERF), qui est imparfaite, ce qui explique des divergences avec les résultats obtenus en comptabilité nationale. Cette source est toutefois en cours d'amélioration.

En premier lieu, le champ couvert par l'ERF est celui des ménages .

Ce champ présente deux inconvénients :


• d'une part, il suppose admis que les revenus sont également répartis au sein des ménages , et que le logement constitue bien le critère pertinent d' « unité de vie » . Pour vérifier la robustesse de ces hypothèses, le CNIS a suggéré, dans son rapport précité, de mettre en place une enquête visant à rendre compte :

- des disparités des situations individuelles au sein des ménages

- et de l'impact des liens familiaux hors ménages.


• d'autre part, ce champ d'enquête exclut les personnes ne disposant pas d'un logement (cf. infra ), ainsi que celles hébergées en collectivité ou dans des formes particulières de logement. Elle exclut notamment les personnes hébergées en institution, ainsi que les personnes sans domicile . Le champ de l'ERF est ainsi estimé à 98 % de la population de métropole .

En deuxième lieu, l'ERF appréhende mal les revenus du patrimoine, et en particulier du patrimoine financier.

Les revenus sont en effet appréhendés au travers des déclarations fiscales. Y échappent notamment les revenus issus des produits exonérés d'impôt (livrets d'épargne, plans d'épargne en actions). Ceux soumis au prélèvement libératoire ne sont pris en compte que depuis 2002. D'après des estimations réalisées par l'INSEE en 2001, l'ERF collectait alors entre 12 % et 23 % des revenus des valeurs mobilières enregistrés par la Comptabilité nationale. La couverture était meilleure mais n'atteignait que 47 % pour les revenus des patrimoines immobiliers.

Des informations détaillées sur les revenus du patrimoine existent toutefois, grâce aux enquêtes patrimoine de l'INSEE, réalisées environ tous les six ans depuis 1986. Des travaux 13 ( * ) ont été menés afin d'introduire les revenus du patrimoine dans l'enquête ERF en 2003, à partir des données recueillies dans le cadre de l'enquête patrimoine 2004. Puisque les revenus du patrimoine sont plus concentrés que les revenus d'activité, leur prise en compte dans les niveaux de vie accroît logiquement les inégalités et, dans une moindre mesure, le taux de pauvreté. L'ajout des revenus du patrimoine absents de la déclaration fiscale accroît le niveau de vie de 3 % pour les individus du premier décile de niveau de vie contre 9,8 % pour le dernier décile. Le rapport interdécile augmente de 3,19 à 3,34 et le taux de pauvreté (seuil à 60 %) passe à 12,7 % 14 ( * ) (contre 12 %) .

Une amélioration de la prise en compte des revenus du patrimoine doit intervenir lors de la prochaine ERF, à paraître fin 2008 (données 2006). Cette évolution devrait avoir un impact non seulement sur le taux de pauvreté, mais aussi sur les caractéristiques de la population pauvre. Les revenus du patrimoine s'accroissent en effet avec l'âge. En outre, ils sont concentrés chez les travailleurs indépendants et les cadres, et bénéficient plus particulièrement aux individus ayant les revenus hors patrimoine les plus élevés.

En troisième lieu, le montant des prestations familiales, minima sociaux et allocations logement est estimé dans l'ERF à partir de barèmes et de simulations économétriques.

Leur prise en compte sur des bases réelles nécessite un appariement des fichiers des organismes dispensateurs de prestations sociales avec les déclarations fiscales prises en compte dans l'ERF. Le principe de l'appariement consiste à essayer de retrouver les prestations perçues par les individus des ménages de l'enquête Emploi (dont l'ERF identifie déjà les déclarations fiscales). Ce travail est en cours de réalisation.

Par ailleurs, l'allocation personnalisée pour l'autonomie (APA), destinée aux personnes âgées dépendantes 15 ( * ) n'est pas prise en compte par l'ERF , ce qui constitue une lacune importante.

Prestations prises en compte par l'ERF

L'ERF évalue les niveaux de vie à partir des données fiscales, transmises par la DGI, et d'estimations des montants de prestations sociales.

Les prestations estimées sont les suivantes :

- Allocations familiales
- Complément familial
- APE (allocation parentale d'éducation) /APJE (allocation pour jeune enfant) / PAJE (prestation d'accueil du jeune enfant, à compter du 1 er janvier 2004)
- AES (Allocation d'éducation spéciale)
- ASF (allocation de soutien familial)
- ARS (allocation de rentrée scolaire)
- Minimum vieillesse
- AAH et Complément AAH (allocation adulte handicapé)
- API (allocation parent isolé)
- RMI (revenu minimum d'insertion)
- AL (allocations logement)

Par ailleurs, la prime pour l'emploi est prise en compte.

Source : INSEE

Plus largement se pose la question de l'augmentation de la taille de l'échantillon ERF, qui compte actuellement environ 40.000 ménages.

Une telle évolution aurait un double intérêt :

- d'une part, combinée au recours croissant à des données détenues par les prestataires sociaux, elle permettrait de mieux évaluer les niveaux de vie à l'échelon local ;

- d'autre part, elle permettrait de remonter jusqu'aux causes au moins apparentes, ou directes, du phénomène de pauvreté. L'impact du chômage et celui des politiques de redistribution pourraient être mieux appréhendés.

* 13 « Imputation de revenus du patrimoine dans l'enquête revenus fiscaux : travaux menés pour l'année 2003 à partir de l'enquête Patrimoine », Alexandre Baclet (INSEE), in rapport précité du CNIS (annexe n° 6)

* 14 Cette estimation est réalisée par imputation aux ménages de l'ERF de revenus du patrimoine simulés économétriquement à partir de l'enquête Patrimoine. Les résultats obtenus sont ensuite recalés sur le patrimoine de la comptabilité nationale. Ce recalage est réalisé en multipliant les revenus du patrimoine simulés par le coefficient qui permet de retrouver une masse imputée égale à la masse équivalente de la comptabilité nationale, à taux de détention inchangé. Ainsi les détenteurs voient le montant qu'ils détiennent modifié de manière uniforme, alors qu'on peut légitiment supposer que la sous-estimation est d'autant plus forte que les montants de patrimoine sont élevés.

* 15 Allocation créée par la la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie

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