C. LE RÉGIME JURIDIQUE DE LA RATIFICATION
La seule exigence résultant de l'article 38 de la Constitution en ce qui concerne la ratification des ordonnances est le dépôt devant le Parlement d'un projet de loi de ratification dans le délai prescrit par la loi d'habilitation. Ce seul dépôt évite la caducité des ordonnances prises en application de l'article 38 de la Constitution, à la différence des ordonnances prises sur le fondement de l'habilitation permanente conférée au Gouvernement par l'article 74-1 de la Constitution, qui deviennent caduques en l'absence de ratification par le Parlement dans un délai de 18 mois après leur publication.
Le Conseil d'État a pu expressément énoncer que « la circonstance que le projet de loi n'ait pas été inscrit, depuis son dépôt, à l'ordre du jour de la discussion parlementaire, [n'était] pas de nature à rendre caduques les dispositions de l'ordonnance [...] édictées sans condition de durée » 94 ( * ) . Il a également eu l'occasion de préciser que le dépôt d'un nouveau projet de loi de ratification n'était pas nécessaire en cas de changement de Gouvernement pour assurer la pérennité des ordonnances ayant donné lieu, précédemment, au dépôt d'un tel projet de loi 95 ( * ) .
La seule formalité du dépôt d'un projet de loi de ratification ne vaut pas ratification des ordonnances. Celle-ci ne peut résulter que d'un examen par le Parlement des mesures prises par voie d'ordonnance, selon des modalités qui peuvent être diverses.
1. Les modalités de la ratification : ratification expresse et ratification implicite
L'article 38 de la Constitution , dans la mesure où il ne comporte de référence qu'au « projet de loi de ratification », semble ne viser que la ratification expresse . Celle-ci résulte en principe de l'inscription à l'ordre du jour du Parlement et du vote d'un projet de loi de ratification ou comportant une mesure de ratification, mais elle peut aussi résulter de l'adoption d'un amendement à un projet de loi ordinaire , ce qui est d'ailleurs de plus en plus fréquent.
Encore faut-il que l'amendement tendant à la ratification d'une ordonnance - qui peut être d'initiative gouvernementale ou d'initiative parlementaire - respecte les règles de droit commun de recevabilité d'un amendement et la nécessité de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie .
Le Conseil constitutionnel a ainsi été amené à censurer, dans sa décision n° 2007-552 du 1 er mars 2007, un article tendant à la ratification de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, dont il s'est saisi d'office, jugeant cet article dépourvu de tout lien avec l'objet du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, au sein duquel il avait été inséré par un amendement du Gouvernement 96 ( * ) .
Cependant, la jurisprudence admet que la ratification puisse être implicite. Le Conseil constitutionnel a ainsi admis dès 1972 qu'une ordonnance puisse faire l'objet d'une ratification implicite.
Dans sa décision n° 72-73L du 29 février 1972, il a déclaré que « l'article 38, non plus qu'aucune autre disposition de la Constitution ne [faisait] obstacle à ce qu'une ratification intervienne selon d'autres modalités que celle de l'adoption du projet de loi » de ratification et que « par suite, cette ratification [pouvait] résulter d'une manifestation de volonté implicitement mais clairement exprimée par le Parlement ».
Il se situait ainsi dans le prolongement d'une jurisprudence élaborée par le Conseil d'État sous la IV e République en matière de ratification des décrets pris sur délégation législative 97 ( * ) .
Le juge constitutionnel a confirmé sa position en 1987, par sa décision n° 86-224 DC du 23 janvier sur la loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence en déclarant : « il n'est pas exclu que la ratification de tout ou partie des dispositions d'une des ordonnances visées à l'article 38 de la Constitution puisse résulter d'une loi qui, sans avoir cette ratification pour objet direct, l'implique nécessairement [...] saisi d'une loi de cette nature, il appartiendrait au Conseil constitutionnel de dire si la loi comporte effectivement ratification de tout ou partie des dispositions de l'ordonnance en cause et, dans l'affirmative, si les dispositions auxquelles la ratification confère valeur législative sont conformes à la Constitution ».
Le Conseil d'État , selon une jurisprudence constante, a confirmé sous la V e République la possibilité de procéder à des ratifications implicites 98 ( * ) .
Il tend d'ailleurs à reproduire dans ses arrêts la formule du Conseil constitutionnel selon laquelle la ratification de tout ou partie des dispositions d'une ordonnance intervenue à la suite d'une loi d'habilitation prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution « peut résulter d'une loi qui, sans avoir cette ratification pour objet direct, l'implique nécessairement » 99 ( * ) .
Si le contrôle de la légalité d'une ordonnance non ratifiée constitue pour le juge judiciaire une question préjudicielle dont l'examen relève de la compétence de la juridiction administrative 100 ( * ) , la Cour de cassation s'est en revanche reconnue compétente pour apprécier la validité d'une ratification implicite 101 ( * ) .
Pour apprécier s'il y a ou non intention du législateur de ratifier, le juge prend en compte toute expression de volonté quel qu'en soit le support, travaux préparatoires ou dispositif de ratification lui-même. Le législateur s'attache d'ailleurs de plus en plus fréquemment à indiquer explicitement la portée qu'il entend donner aux modifications des dispositions d'une ordonnance.
Le juge peut également déduire l'intention du législateur de la réitération et de la multiplicité des références faites à une ordonnance par des lois ultérieures.
Si le législateur n'a pas clairement exprimé l'intention de ratifier l'ensemble des dispositions d'une ordonnance 102 ( * ) , il revient au juge de délimiter le champ de la ratification intervenue.
Les modifications apportées par des lois ultérieures ne concernent le plus souvent que certains articles de l'ordonnance et la ratification ne s'étend pas alors nécessairement à toutes les dispositions 103 ( * ) . En particulier, il est arrivé au Conseil d'État de refuser d'admettre la ratification globale d'un code publié par voie d'ordonnance bien qu'il ait été modifié par plusieurs lois 104 ( * ) .
La haute juridiction a enfin récemment affirmé expressément qu'une ratification implicite pouvait n'être que partielle 105 ( * ) .
En revanche, le juge administratif a pu parfois considérer que la ratification s'étendait à des dispositions qui n'étaient pas directement modifiées 106 ( * ) ou même à toute une division d'une ordonnance dont les dispositions « forment entre elles un ensemble indivisible » 107 ( * ) .
Cette jurisprudence relative aux ratifications implicites a été confirmée et précisée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004 sur la loi de simplification du droit.
Était notamment mise en cause la ratification par cette loi de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat public/privé.
Cette ordonnance avait été prise sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, sur laquelle le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2003-473 DC, avait émis une réserve d'interprétation selon laquelle les ordonnances prises en application de l'article 6 devaient réserver les dérogations du droit commun de la commande publique à des situations répondant à des motifs d'intérêt général.
Saisi par plusieurs sénateurs, le Conseil d'État avait ensuite confirmé la légalité de l'ordonnance du 17 juin 2004 108 ( * ) . Il avait, à cette occasion, vérifié qu'avait été respectée la réserve d'interprétation apportée par le Conseil constitutionnel, tout en considérant que les requérants ne pouvaient utilement contester les dispositions de cette ordonnance implicitement ratifiées par la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la santé publique (qui y faisait référence).
Appliquant de même sa jurisprudence selon laquelle « la conformité à la Constitution des termes d'une loi promulguée ne peut être utilement contestée qu'à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine » 109 ( * ) , le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de la loi déférée se bornant à réitérer la ratification des dispositions de l'ordonnance implicitement ratifiée par la loi du 9 août 2004, sans en modifier le contenu ni le domaine d'application, sortaient du champ de son contrôle.
Le Conseil constitutionnel a ainsi aligné sa jurisprudence sur celle du Conseil d'Etat, les commentaires publiés aux « Cahiers du Conseil constitutionnel » saluant « l'heureux dénouement, en l'espèce, du « dialogue des juges ».
On peut se demander s'il ne risquerait pas d'en résulter, en quelque sorte, paradoxalement, un « angle mort » dans le contrôle de constitutionnalité. En effet, les dispositions déférées, que le Conseil constitutionnel n'avait pas examinées lors du contrôle du texte relatif à la santé publique, ne sont pas non plus soumises à son examen à l'occasion du contrôle de la loi de ratification « explicite », tandis que le Conseil d'État a, quant à lui, en application de la théorie dite de la « loi écran », refusé de se prononcer sur des dispositions qui revêtaient un caractère législatif.
S'agissant des dispositions de l'ordonnance n'ayant pas fait l'objet d'une ratification implicite, le Conseil constitutionnel a néanmoins vérifié qu'avait été respectée la réserve d'interprétation qu'il avait précédemment émise dans sa décision précitée du 26 juin 2003, dont il a considéré qu'elle était « revêtue de l'autorité que confère à ses décisions l'article 62 de la Constitution » .
L'arrêt récent du Tribunal des conflits du 19 mars 2007 sur l'ordonnance instituant le « contrat nouvelles embauches » (CNE) constitue une autre illustration intéressante de la jurisprudence relative aux ratifications implicites.
En effet, contrairement à l'appréciation précédente de la Cour d'appel de Paris, qui avait considéré cette ordonnance comme non ratifiée 110 ( * ) , le Tribunal des conflits a jugé que les lois prévoyant des mesures de financement de l'allocation forfaitaire allouée par l'ordonnance litigieuse aux titulaires d'un CNE privés d'emploi avaient eu pour effet de ratifier implicitement un article de l'ordonnance non séparable de l'ensemble de ses autres dispositions. L'ordonnance ayant donc été jugée implicitement ratifiée dans son ensemble, elle n'a plus valeur réglementaire 111 ( * ) .
* 94 Arrêt du Conseil d'État du 17 décembre 1999, Union hospitalière privée.
* 95 Arrêt du Conseil d'État du 16 février 2001, Centre du château de Gleteins : « Considérant qu'un projet de loi de ratification de l'ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 a été déposé devant le Parlement le 29 mai 1996, c'est-à-dire dans le délai imparti par la loi d'habilitation du 30 décembre 1995 ; que la circonstance que le Gouvernement nouvellement formé le 4 juin 1997 n'a pas déposé un nouveau projet de loi de ratification devant le Parlement n'est pas de nature à rendre caduques les dispositions des articles 24 et 25 de l'ordonnance précitée, qui ont été édictées sans condition de durée ».
* 96 La ratification de l'ordonnance portant réforme de la filiation a ensuite été reprise dans le cadre d'un projet de loi de ratification spécifique.
* 97 Arrêt d'Assemblée du Conseil d'État du 13 mai 1949, Sieurs Carrega, Tasso et autres : en modifiant le délai imparti initialement par le décret pour réaliser une réorganisation administrative, la loi a « approuvé la disposition » en cause et l'a « implicitement mais nécessairement ratifiée » ; arrêt du Conseil d'État du 12 novembre 1954, Commune de Saint-Yorre : il ressort tant des « travaux préparatoires [...] que des termes mêmes du texte » que le législateur, tout en retardant la publication du code général des impôts annexé au décret du 9 décembre 1948 jusqu'à sa mise en harmonie avec les nouvelles dispositions du décret portant réforme fiscale, « a entendu conférer valeur législative à toutes celles des dispositions de ce code qui ne se trouvaient pas en contradiction avec ledit décret ».
* 98 Arrêt du Conseil d'État du 10 juillet 1972, Compagnie Air Inter ; arrêt du Conseil d'État du 11 juin 1990, Congrès de la Nouvelle-Calédonie et dépendances ; arrêt du Conseil d'État du 7 février 1994, M. Ghez ou encore arrêt du Conseil d'État du 17 décembre 1999, Union hospitalière privée ; arrêt du Conseil d'État du 29 octobre 2004 précité.
* 99 Arrêt du Conseil d'État du 17 décembre 1999, précité ; arrêt du Conseil d'État du 26 novembre 2001, M. Francis Herbet ; arrêt du Conseil d'État du 17 mai 2002, M. René Hoffer.
* 100 Arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 2003, ADES Maison Saint-Vincent.
* 101 Arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 1992, Sociétés Colas Sud-Ouest et autres : après avoir énuméré la succession de textes de loi faisant référence à l'ordonnance n° 86-1243 du 1 er décembre 1986, le juge déclare qu'« en se référant expressément, soit à des dispositions essentielles de l'ordonnance [...], indissociables de l'ensemble de ce texte, soit à l'ensemble du texte lui-même, le législateur a manifesté la volonté implicite, mais réitérée, de ratifier l'ordonnance ». Le Conseil d'État a, à son tour, considéré cette ordonnance comme implicitement ratifiée dans un arrêt du 7 février 1994, M. Ghez.
* 102 A l'inverse, le législateur peut exprimer clairement l'intention de ne pas ratifier une ordonnance. Ainsi, l'article 6 de la loi n° 2007-1720 du 7 décembre 2007 a-t-il précisé que les modifications apportées à l'ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics, n'emportaient pas ratification de cette ordonnance (cf.supra).
* 103 Arrêt du Conseil d'État du 26 novembre 2001, précité.
* 104 Arrêt du Conseil d'État du 17 mai 2002, précité : les modifications opérées successivement par les lois du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques et du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne n'ont pas eu pour effet une ratification de l'ensemble du code monétaire et financier ; arrêt du Conseil d'État du 27 mai 2002, S.A. Transolver Service : bien que modifiée par huit lois, l'ordonnance relative à la partie législative du code de commerce n'a pas été considérée par le juge comme ratifiée dans sa globalité.
* 105 Arrêt du Conseil d'État du 29 octobre 2004 précité : « si les dispositions législatives en cause [...] ont nécessairement [...] rétroactivement conféré valeur législative aux articles de l'ordonnance attaquée auxquels elles se réfèrent à cette fin, elles n'ont pas eu pour effet de ratifier l'ensemble de cette ordonnance dont les autres dispositions sont divisibles de celles ainsi implicitement ratifiées ».
* 106 Arrêt du Conseil d'État du 17 décembre 1999, précité : ratification pour l'ensemble de leurs dispositions de deux articles du code de la sécurité sociale bien que certaines seulement aient fait l'objet de modifications.
* 107 Arrêt du Conseil d'État du 19 mars 2003, Association des élus de la montagne : ratification implicite du titre III de l'ordonnance du 11 avril 2001 relative aux sites Nature 2000 par la loi du 9 juillet 2001 d'orientation sur la forêt qui reprenait les notions essentielles mentionnées dans l'ordonnance et se référait aux programmes ou projets donnant une existence juridique aux sites Natura 2000.
* 108 Décision du Conseil d'État du 29 octobre 2004, Sueur et autres.
* 109 Décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, « État d'urgence en Nouvelle-Calédonie ».
* 110 Arrêt de la Cour d'appel de Paris du 20 octobre 2006, précité.
* 111 Arrêt du Tribunal des conflits du 19 mars 2007, précité.