M. László TRÓCSÁNYI, Ambassadeur de Hongrie, constitutionnaliste

Monsieur le président,

Chers collègues,

Chers amis,

Je n'ai pas à l'esprit beaucoup d'exemples de pays dont la Constitution a provoqué tant de débat. Une Constitution intéresse généralement juristes et politiciens, mais préoccupe peu les médias. Pour quelles raisons, dans une Europe unie, une Constitution peut-elle susciter de telles discussions ? Une Constitution est un document politique, juridique et littéraire. J'emploierai une analogie pour la définir : tel un bâtiment de théâtre, elle fournit un cadre nécessaire à l'action. Mais plus important encore est le jeu des acteurs, en l'occurrence, la pratique constitutionnelle.

Pour M. Jean-Marc Sauvé, une Constitution est une mémoire et un projet. L'analyse de la Constitution de la Hongrie implique d'interroger son histoire et de se projeter dans l'avenir.

Parmi les pays de l'ancien bloc soviétique, la Hongrie est le seul à ne pas avoir adopté une nouvelle Constitution lors du changement de régime. En effet, celui-ci résulte en Hongrie d'un compromis entre l'ancienne élite, qui n'avait pas intérêt à ce que la Constitution soit modifiée, et une nouvelle élite, qui n'avait pas les moyens de procéder à ce changement. La Constitution de l'époque était donc un document neutre, dépourvu de valeur idéologique : un document de compromis. Il fallait alors disposer d'un organe fort pour représenter les valeurs constitutionnelles de la société hongroise. C'est le rôle qu'a joué la Cour constitutionnelle. Composée de juristes éminents, elle a exercé pendant vingt ans un pouvoir considérable en Hongrie. Pour désigner le vaste pouvoir d'interprétation dont disposaient les juges, est apparue la notion de « Constitution invisible ».

Pendant vingt ans, aucune tentative d'adoption d'une nouvelle Constitution n'a pu aboutir. Le gouvernement Orbán, face à une opposition affaiblie et fort de sa majorité des deux tiers, fut finalement le premier gouvernement à disposer de la légitimité nécessaire pour changer de Constitution, dans un contexte de crise morale, politique et économique.

Le pouvoir constituant a souhaité que cette Constitution soit empreinte d'une forte valeur mémorielle et identitaire, ce qui a pu paraître choquant pour les observateurs étrangers, mais s'inscrit bien dans la culture hongroise. La volonté de renforcer la fierté nationale à travers la Constitution résulte certainement des souffrances que la Hongrie a subies au fil de l'histoire. La Constitution réserve une place centrale au patrimoine national, ainsi qu'au rôle de l'Homme dans la société. Ces éléments se retrouvent dans la profession de foi nationale figurant en préambule de la Loi fondamentale.

Chaque pays dispose d'une histoire spécifique, de problématiques originales et donc d'une identité constitutionnelle qui lui est propre. Aussi, il n'est pas pertinent de comparer les Constitutions des différents pays. Le pouvoir constituant hongrois a souhaité souligner l'importance des valeurs dans la Loi fondamentale : les racines chrétiennes, ainsi que le rôle du mariage et de la famille, qu'il a estimé nécessaire de protéger. Ces points ont immédiatement suscité un débat en Europe, alimenté par les médias qui ont perçu un danger dans l'affirmation de cette identité constitutionnelle.

La question de la séparation des pouvoirs a également suscité de nombreuses réactions. Qu'en est-il réellement en Hongrie ? Pour des raisons politiques conjoncturelles, le Parlement est en position de faiblesse. Mais le rôle du Premier ministre en Hongrie est comparable à celui du Chancelier en Allemagne. La nouvelle Loi fondamentale modifie les relations entre la Cour constitutionnelle et le Parlement. Auparavant, la Cour constitutionnelle représentait l'organe le plus important de la société hongroise, endossant, par exemple, un rôle bien plus central que le Conseil constitutionnel français. Rapidement, la Cour constitutionnelle est devenue surchargée, devant traiter de multiples requêtes, présentant souvent peu d'intérêt. Avec l'adoption de la nouvelle Loi fondamentale, la Cour constitutionnelle reste la gardienne de la Constitution, mais ne dispose plus du pouvoir constituant, désormais confié au Parlement.

Les dispositions transitoires ont été approuvées dans le cadre d'une loi distincte du Parlement, afin que la Constitution puisse entrer en vigueur le 1 er janvier 2012. La Cour constitutionnelle a jugé nécessaire d'annuler ces dispositions pour qu'elles soient intégrées à la Loi fondamentale, arguant que celles-ci n'avaient pas un caractère transitoire. Leur intégration a fait l'objet du quatrième amendement, le plus controversé, portant notamment sur l'Église, la famille et les révisions constitutionnelles.

À mon sens, le débat sur la nouvelle Constitution hongroise est exagéré. En effet, si la Constitution hongroise, vue dans son ensemble, renvoie une image négative aux observateurs étrangers, les articles qui la composent ne posent que peu de problèmes.

Concernant l'organisation de la justice, la nouvelle Loi fondamentale sépare le Conseil supérieur de la magistrature hongroise de la Cour suprême, conférant au premier un pouvoir supérieur. L'abaissement de l'âge de retraite des juges représente la mesure la plus discutée. N'oublions pas qu'en France, il a été fait de même sous les présidences de Charles De Gaulle et de François Mitterrand. La Hongrie a accepté les critiques de la Cour de justice de l'Union européenne sur ce point. Concernant à présent les critiques formulées sur l'usage des lois organiques, j'estime qu'elles sont davantage d'ordre politique que juridique.

La Hongrie a demandé à plusieurs reprises l'avis de la Commission de Venise sur les amendements constitutionnels. La Commission a formulé certaines critiques, ce qui est légitime, cette Commission visant à favoriser les « meilleures pratiques ». Le gouvernement de Hongrie est conscient de la nécessité de respecter les traités européens. Il est prêt à débattre et à argumenter pour défendre sa position. Ce débat n'aura de sens que s'il est exempt de préjugés et de positions de principe.

M. Pierre DELVOLVÉ

Avant de réagir aux propos de Monsieur l'Ambassadeur de Hongrie, permettez-moi de saluer la venue de Madame l'Ambassadeur d'Autriche, dont la présence aujourd'hui témoigne de la proximité des relations entre l'Autriche et la Hongrie, mais rappelle aussi que l'Autriche est la « mère » du contrôle de constitutionnalité.

Monsieur l'Ambassadeur de Hongrie, vous avez mis en évidence avec talent les raisons d'être des réformes constitutionnelles de 1991 et de 2011. Vous avez souligné deux points fondamentaux, communs à tout régime constitutionnel. Le premier concerne l'identité constitutionnelle, que l'on retrouve dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français, ainsi que dans l'article 1 paragraphe 5 du projet de traité instituant une constitution pour l'Union européenne, repris dans l'article 4 paragraphe 2 du Traité sur l'Union européenne. L'identité constitutionnelle, de même que la mémoire constitutionnelle d'une nation se trouvent réalisées dans de nombreux textes essentiels. Le préambule de la Constitution de 1958 renvoie à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'au préambule de la Constitution de 1946. Comme la Hongrie, bien que certes de manière moins prolixe, la France admet dans ses textes fondateurs un rappel de ce qu'est le coeur de son patrimoine constitutionnel.

Le second point d'importance que vous avez évoqué, sans pour autant le nommer, concerne le problème du gouvernement des juges, que rencontrent les Cours constitutionnelles lorsque l'exercice de leur contrôle entre en conflit avec une volonté exprimée par le Parlement. La justice constitutionnelle n'est pas une justice ordinaire. La spécificité du contrôle de constitutionnalité des lois justifie, de la part du constituant, l'aménagement d'un dispositif particulier ; et de la part de la Cour constitutionnelle, le respect d'une prudence de caractère juridico-politique.

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