M. Patrice GÉLARD, sénateur, constitutionnaliste

Monsieur l'Ambassadeur, Madame l'Ambassadeur,

Monsieur le Président,

Chers collègues,

Je débuterai mon intervention en rappelant certaines données historiques pour corriger deux erreurs commises ce matin :

- la première a été de présenter les Traités de Versailles et de Trianon comme étant basés sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'agit en réalité du contraire, sauf à considérer que la récompense aux anciens alliés réponde à ce principe. Le meilleur exemple est l'éclatement de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. Je suis d'ailleurs surpris que la partie hongroise de la Roumanie n'ait pas bénéficié des circonstances qui auraient pu contribuer à corriger les erreurs du Traité de Trianon.

- la seconde erreur a été de situer la démocratisation de la Hongrie en 1989. En réalité, dès 1985, le pays a mis en oeuvre des réformes capitales, telles que la création d'une Cour constitutionnelle qui remettait en cause une série de décisions prises par le pouvoir communiste ou la mise en place des recours pour excès de pouvoir contre les actes administratifs illégaux. En Hongrie comme en Pologne, la démocratie, dans l'ombre, progressait.

Je suis sensible à la conception juridico-constitutionnelle hongroise, également observée sous d'autres formes, en Suisse, en Autriche et en Allemagne, qui consiste à distinguer le statut personnel de celui de citoyen. Ce double statut se trouvait au fondement de l'Empire austro-hongrois. Le statut personnel était régi par la loi du pays d'origine - dans le droit hongrois, par sa naissance, l'enfant d'un citoyen hongrois est citoyen hongrois ; et le statut de citoyen par la loi en vigueur dans le pays de résidence. J'ai eu l'occasion de rencontrer des nostalgiques de cette situation, estimant que l'Union européenne aurait dû étudier cette cohabitation des nationalités, des traditions et des usages, telle qu'elle existait dans l'Empire austro-hongrois. Cette conception a été examinée par Lénine puis par Staline, reprise et totalement dénaturée dans la conception soviétique. En Autriche, Karl Renner a lui aussi développé cette notion de double statut. Certaines dispositions de la Constitution hongroise, qui stipulent qu'un citoyen hongrois reste Hongrois, quel que soit son pays de résidence, ont conduit le gouvernement à adopter des mesures telles que la délivrance d'un passeport hongrois ou la prise en charge des études d'un citoyen résidant dans un autre pays. Cette conception me semble intéressante dans l'Europe actuelle.

À présent, je formulerai quelques commentaires sur le contenu de la Constitution.

Il s'agit d'un document surprenant, qui ne correspond pas aux canons habituels d'une Constitution européenne. Une Constitution européenne est généralement composée d'une déclaration des droits et des libertés, d'une explication des statuts des organes de l'État, d'une transcription de dispositions du droit international et européen, et enfin, d'une description de situations exceptionnelles.

La Constitution hongroise est organisée en six grandes subdivisions, dont certaines sont divisées en chapitres.

La première subdivision, de caractère littéraire, est consacrée aux fondements de l'État hongrois. Il s'agit de la Constitution historique de la Hongrie. Etonnamment, elle est numérotée de À à U, l'article U étant prévu par le quatrième amendement déjà évoqué, dans lequel une disposition porte sur la condamnation vive du régime communiste. Par ailleurs, l'article B indique bien que la Hongrie est une république. Mais il est vrai que la Constitution historique n'est pas forcément républicaine.

La deuxième subdivision concerne les libertés et responsabilités du citoyen. Elle est numérotée de I à XXXI. L'article I renvoie aux droits et libertés, tels qu'ils sont conçus de façon universelle.

L'État fait l'objet de la troisième subdivision. Organisée en treize chapitres, elle pose plusieurs interrogations bien qu'elle demeure relativement classique. Les articles sont numérotés de 1 à 47. Les premiers articles concernent l'Assemblée nationale. Je regrette que le Sénat, prévu dans l'ancienne Constitution, ne soit pas mentionné. J'estime qu'il n'existe pas de véritable démocratie sans bicamérisme, quelle que soit la taille du pays. Même dans des pays scandinaves, une seconde chambre existe, composée d'anciens ministres, d'anciens responsables syndicaux, de hauts fonctionnaires. Les dysfonctionnements qui ont pu apparaître du fait de l'excès de majorité auraient pu être corrigés s'il existait en Hongrie une seconde chambre, composée différemment. La Constitution hongroise actuelle me rappelle étrangement la Constitution française d'avril 1946. Le chapitre suivant présente le rôle du Président de la République, relativement restreint tel que l'était celui du Président de la IV ème République française. Les dispositions relatives au gouvernement me semblent creuses, comme dans la plupart des constitutions. Les autorités indépendantes de régulation, objet du chapitre suivant, ne sont pas citées nommément, tout comme dans la Constitution française. La disposition concernant la Cour constitutionnelle précise que celle-ci statue préalablement à l'adoption de la loi, mais également a posteriori , à la demande d'un tribunal. L'encombrement de la Cour constitutionnelle en Hongrie mentionné par Monsieur l'Ambassadeur provient certainement du fait que la Constitution n'a pas prévu suffisamment de freins pour limiter les recours. Les chapitres suivants portent respectivement sur les tribunaux, le médiateur pour la défense des droits, les collectivités locales, les finances publiques, l'armée, la police et la sécurité (dont la présence dans la constitution me semble étrange) et enfin, la décision d'intervention militaire à l'étranger.

Vous aurez noté que la révision constitutionnelle ne figure pas dans les dispositions relatives à l'État. Il est précisé, dans la première subdivision, que l'Assemblée nationale peut modifier la Loi fondamentale si elle obtient la majorité des deux tiers. Cette disposition, qui rappelle encore une fois la Constitution française d'avril 1946, est problématique : si une assemblée disposant d'une telle majorité pourra modifier très facilement la Constitution, une assemblée disposant d'une majorité simple sera dans l'impossibilité de le faire.

Il est par ailleurs étonnant que les lois organiques soient adoptées à la majorité des deux tiers, tout comme les lois constitutionnelles, bien que le quorum ne soit pas le même. Une modification a été apportée dans le quatrième amendement pour clarifier les conditions de recours à ces lois.

La quatrième subdivision présente les ordres juridiques spéciaux, au nombre de cinq : l'état d'exception, l'état d'urgence, l'état de défense préventive, l'état d'agression imprévue et l'état de danger.

Pour terminer, vingt-huit articles sont consacrés aux dispositions finales, à valeur constitutionnelle.

La Loi fondamentale de la Hongrie est passionnante. Originale et complexe, elle est unique parmi les Constitutions des États ayant accédé à la démocratie après la chute du régime communiste.

Je signalerai quelques particularités du droit hongrois, qui me semblent d'actualité en France. La première concerne le foetus, dont la Constitution déclare qu'il est un être vivant dès sa conception. La seconde concerne le mariage, dont la Constitution précise qu'il s'agit de l'union d'un homme et d'une femme, qui doit être protégée par la loi. Cette disposition, qui existe également dans la Constitution de la Pologne, démontre que la conception du mariage n'est pas la même dans tous les pays de l'Union européenne et qu'en vertu du droit constitutionnel hongrois, la loi sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe ne pourrait pas être adoptée en Hongrie.

M. Pierre DELVOLVÉ

Une fois de plus, M. Patrice Gélard nous démontre par son intervention sa parfaite maîtrise du droit constitutionnel des États de l'Europe centrale et sa parfaite connaissance du contenu de la Loi fondamentale de la Hongrie.

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