CLÔTURE

M. Nicolas HULOT, Envoyé spécial du Président de la République française pour la protection de la planète

D'abord, merci au Sénat une fois encore de montrer qu'il est pleinement engagé pour faire en sorte que la Conférence de Paris aboutisse non pas à des déclarations d'intention mais, je l'espère, à des actions.

Je voulais saluer la présence du Président de la République des Palaos, à plusieurs titres. D'abord, il est utile de rappeler que ce petit État du Pacifique a inscrit il y a longtemps déjà dans sa Constitution, comme priorité politique, le respect non seulement de la bonne santé des écosystèmes mais aussi la conservation de l'intégrité et de la beauté des écosystèmes. Je dis souvent que l'histoire est restée aveugle à la nature. Mais si, par malheur, nous restons dans cette situation d'arrogance, nous devons faire attention à ce que la nature ne se manifeste pas dans notre histoire.

Je voudrais simplement dire, au-delà des constats que je ne vais ni commenter ni enrichir, parce qu'il me semble qu'ils ont déjà été largement nourris, qu'il y a une étrange coïncidence à ce que les territoires qui nous réunissent aujourd'hui soient rassemblés sous l'intitulé « les îles du Pacifique ». Je voudrais que l'on garde bien à l'esprit que l'enjeu climatique ou la menace climatique, c'est l'ultime injustice qui frappe prioritairement des hommes, des femmes et des enfants qui n'ont pas forcement profité d'un mode de développement mais dont ils subissent les conséquences. Il en va des territoires du Pacifique comme des territoires du Sahel, et je pourrais citer d'autres territoires encore.

Si nous souhaitons effectivement que le monde reste pacifique, je pense que l'heure de vérité a sonné pour que, notamment à Paris, les mots et les actes trouvent enfin une forme de cohérence. Je voudrais dire simplement aux représentants de ces territoires, loin géographiquement mais proches dans mon engagement, que la Conférence de Paris va être un moment de vérité. Évidemment, nous ne devons pas nous soustraire à l'espérance mais je ne veux pas non plus que l'on cède aux illusions. Si les mots ont un sens, si effectivement il ne s'agit plus simplement d'un problème d'environnement, si l'objectif n'est pas simplement de sauver la planète qui, au passage se passerait très bien de l'humanité - mais je ne suis pas certain que l'humanité puisse se passer de la planète - si effectivement, comme j'entends maintenant enfin, et je m'en réjouis, les plus hauts responsables le dire, il s'agit, ni plus ni moins, des conditions d'existence de l'humanité, alors ne cédons pas aux illusions des mots mais cédons simplement au réalisme des engagements.

Oui, les îles du Pacifique auront probablement, comme les Philippines l'ont fait, leur contribution face à cet enjeu-là. Le Président philippin, quand nous avons été sur place avec le Président François Hollande, simplement pour rappeler que l'enjeu climatique est un enjeu absolu de solidarité, a dit, alors que son pays subit des phénomènes qu'il n'a pas provoqués : « nous allons faire notre part ».

Mais il y a un certain nombre d'États - vous avez évoqué le G7, je pense aussi aux 15 États qui seront réunis en Turquie 15 jours avant la Conférence de Paris - qui représentent 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Il existe une responsabilité historique de ces États qu'ils doivent assumer. Imaginer que nous pourrions simplement, par la technologie ou l'économie, permettre à tous ces territoires de faire face à l'enjeu climatique si nous laissons ce phénomène nous échapper est une illusion à laquelle je ne veux pas souscrire.

Nous devons briser un ordre cannibale, un modèle économique qui n'est basé non pas sur la gestion mais sur la prédation des ressources. Dit autrement, la Conférence de Paris doit être un moment où nous allons changer de paradigme et pour changer de paradigme, il faut sortir d'une forme d'incohérence, et je vais être peut-être un peu plus sévère, d'une forme de schizophrénie.

Le problème porte un nom, il s'agit des énergies fossiles, qui sont en grande majorité responsables de la situation climatique. Imaginez un seul instant que nous pourrions avoir une chance d'endiguer ces phénomènes en réorientant des centaines de milliards de dollars, 650 milliards de dollars selon la Banque Mondiale, plusieurs milliers de milliards de dollars selon le dernier rapport du FMI, qui sont accordés en subventions, en exonérations, en défiscalisation aux énergies fossiles.

Par ailleurs, ce problème qui nous coûte des centaines de milliards de dollars est à l'origine du sacrifice de centaines de milliers de vies humaines chaque année. Tant que nous ne sortirons pas de cette incohérence, tant que nous n'aurons pas acté que c'est bien d'une économie carbone dont nous devons nous extraire, tant que nous n'aurons pas mis en place les instruments juridiques, politiques, institutionnels, pour sortir de cette économie carbone, tant que nous n'aurons pas transféré ces subventions aux énergies fossiles vers la transition énergétique, tant que nous n'aurons pas fixé un taux d'émissions de carbone limite, tant que par ailleurs nous n'aurons pas créé des mécanismes qui permettront aux pays détenteurs des plus beaux écosystèmes, de réhabiliter ces écosystèmes, cela perdurera. Je pense aussi évidemment aux sols désertifiés, aux menaces pesant sur les zones humides, aux océans et vous avez bien fait de rappeler que ceux-ci constituent un bénéfice pour tout le monde.

Quand on investit un euro pour l'extension des aires marines protégées, un récent rapport démontre que le bénéfice est multiplié par trois au moins, sans tenir compte des nombreux emplois créés. Cela coûte beaucoup moins cher de réhabiliter des zones qui ont été désertifiées, pour notamment anticiper sur le milliard et demi d'individus que nous aurons à prendre en charge d'ici 2050. En réhabilitant les zones désertifiées notamment, nous proposons des lieux d'adaptation pour aider les populations concernées par cette désertification à rester sur leur territoire, et nous avons aussi un effet d'atténuation parce qu'en réhabilitant ces sols, nous pouvons stocker le CO 2 avec tous les bénéfices humains que je viens d'expliquer.

C'est avec ces outils-là, et simplement avec ces outils-là que nous devons agir, de manière crédible et volontaire. Je ne mets pas en doute la sincérité des différents acteurs. Mais, pardon, l'histoire m'a appris à me méfier des mots et des intentions. Si je dis cela, c'est pour les représentants des îles du Pacifique, poussés dans leurs retranchements, et pour celles et ceux qui vont se fixer un certain nombre d'objectifs qui les engageront. Qui sera encore là en 2050 pour savoir si nous serons parvenus enfin à une neutralité carbone ? Il n'y aura plus forcément les mêmes acteurs. C'est sur ces instruments, financiers, politiques, fiscaux, que nous pourrons juger que Paris aura été ou non un moment d'ambition collective.

Voilà ce que je voulais vous dire aujourd'hui. S'il y a un message que nous devons collectivement porter, soyons inspirés à Paris, écrivons l'histoire, ne la subissons pas. L'autre jour, j'étais au Maroc, pays qui a une contribution aux émissions de gaz à effet de serre peut-être un peu supérieure à celle des îles du Pacifique, mais qui reste un faible émetteur. Il a pourtant proposé un engagement qui est loin d'être négligeable. À cette occasion, il y avait dans la salle des représentants de plusieurs pays africains et notamment des femmes qui se sont engagées pour le climat. L'une de ces femmes s'est levée et elle a eu une phrase que je demande à tous ceux qui parlent maintenant sur le climat de garder à l'esprit. Elle nous a dit : « A Paris, vous allez décider de qui va mourir ou pas ».

Je veux simplement rappeler que ce n'est pas un sujet purement environnemental. C'est un sujet profondément humain qui affecte les populations les plus vulnérables. Mais n'imaginons pas une seule seconde que si nous sacrifions les îles du Pacifique sur l'autel de notre indifférence ou de notre fatalisme, les pays qui auront été à l'origine de cette situation pourront, à un moment ou à un autre, tirer leur épingle du jeu. En clair, nous sommes liés par une communauté de destin avec les îles du Pacifique et si nous ne le faisons pas pour elles, faisons-le pour nous.

Je vous remercie.

M. Steeven GNIPATE . - Merci à vous tous d'avoir participé à ce colloque concernant les incidences du changement climatique sur les Îles du Pacifique.

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