B. LA PLANIFICATION ET LA STRATÉGIE DANS LA CONFORMATION DU NOUVEAU TERRITOIRE

La stratégie syndicale a été de mettre dans le segment une activité qui, en l'absence des journalistes, serait développée par d'autres groupes professionnels. Cette action peut même être vue comme une action de défense du territoire original, à savoir les rédactions. Sauf à laisser un autre groupe se former à leur porte, les journalistes se doivent d'incorporer ces individus qui inventent un nouveau territoire professionnel - notent RINGOOT et RUELLAN 556 ( * ) . Il est difficile de déterminer le moment précis où a débuté ce processus de transformation du territoire du journalisme institutionnel. Le XIXe Congrès National des Journalistes, qui s'est tenu du 8 au 11 septembre 1982 dans la ville de Guarapari, dans l'Espírito Santo, est considéré comme l'un des repères politiques dans la série d'initiatives corporatives pour absorber les activités de communication institutionnelle.

Les annales du congrès 557 ( * ) permettent de constater la préoccupation et la décision de mettre en oeuvre des actions dans diverses sphères et divers champs d'action : marché du travail, respect de la déontologie et résolution du conflit entre professions. Le changement de posture des structures institutionnelles, devenant des éléments de transparence du pouvoir public, fait aussi partie des optiques adoptées. Les données présentées dans l'encadré 1.8, avec les principales délibérations concernant le thème, révèlent la planification stratégique de la corporation, tout comme l'unité politique des journalistes dans la manière d'analyser le problème.

ENCADRÉ 1.8

DÉLIBÉRATIONS DU XIXE CONGRÈS NATIONAL DES JOURNALISTES QUANT AUX SERVICES DE PRESSE 558 ( * )

Commission I - Législation professionnelle.

1.3.2 - Conflit/relations publiques.

a) Qu'il y ait des ententes entre la Fenaj et le Conseil Fédéral de relations publiques pour définir officiellement les activités spécifiques des journalistes ;

b) Que soit réalisée, au travers des Syndicats, une vaste campagne d'orientation sur les attributions réservées aux journalistes professionnels ;

c) Que les syndicats surveillent l'édition des bulletins informatifs édités par les services de relations publiques et de Presse.

1.4 - Journaliste dans le service public et l'entreprise privée

a) Que les syndicats se positionnent, par le droit de syndicalisation et d'organisation autour de leurs luttes spécifiques, vis-à-vis des journalistes du service public 559 ( * ) ;

b) Que disparaisse, dans la législation professionnelle, le registre spécial (de journaliste) pour le fonctionnaire public titulaire d'un poste dont les attributions coïncident avec celles du journaliste 560 ( * ) ;

c) Que les activités des services de presse soient incluses parmi celles réservées au journaliste professionnel ;

d) Que le journaliste recruté par des entreprises et des organes publics soit nommé «journaliste», en faisant disparaître les euphémismes utilisés ;

e) Que les syndicats créent des groupes de travail pour analyser la situation des journalistes dans les services des entreprises non journalistiques qui éditent des house organs et qui produisent des communiqués de presse.

«Commission II - Marché du travail - Propositions 561 ( * ) :

2. Que les syndicats recherchent une entente avec les associations responsables de l'édition de journaux de quartier dans le but de faire cadrer l'activité des professionnels de presse avec les conditions existant sur le marché du travail ;

3. Que les syndicats et la Fédération réalisent un relevé du marché alternatif présent et futur (revues spécialisées, services de presse, journaux de syndicats, coopératives, publications spécialisées, vidéotexte et house organs) visant un positionnement plus judicieux sur ce marché. Des études dans ce sens doivent avoir lieu de façon permanente, pour garantir l'élargissement de l'offre d'emploi et la conquête d'un espace politique plus grand pour les journalistes.

Quant aux assessorias (services) de presse, la commission propose :

g) Que là où des services de communication sociale existent, les activités de presse doivent être exercées exclusivement par des journalistes ;

h) Que les syndicats réalisent une étude visant à tracer le profil professionnel de ceux qui travaillent dans les services ;

i) Que la fonction de relations publiques ou gérants de relations avec le marché, prévue dans la Loi des Sociétés Anonymes soit réservée au professionnel ayant une formation en Communication Sociale ;

j) Que soit exigé des candidats aux gouvernements des états (un processus électoral indirect pour le choix de gouverneurs allait se dérouler deux mois après la réalisation du Congrès), indépendamment des partis, l'engagement que tous les services de presse des organes publics municipaux et des états soient occupés par des journalistes, par concours ;

k) Que ne soient divulgués que les communiqués contenant l'identification complète des journalistes responsables, y compris le numéro du registre professionnel au Ministère du Travail.

Deux ans après la réalisation de ce Congrès, les journalistes brésiliens ont décidé d'organiser un forum permanent dans le but de mettre en pratique les décisions de Guarapari et de rechercher à dignifier le secteur. En 1984, mené par la Fenaj, 234 journalistes exerçant en tant qu'attachés de presse de tout le pays se sont réunis à Brasília au cours du premier Enjai (Rencontre Nationale des Journalistes de Services de Presse), organisée par le Syndicat des Journalistes Professionnels du District Fédéral (SJPDF). C'était la première fois que des journalistes de tout le pays liés à des structures de communication institutionnelles, publiques et privées, et les syndicats s'asseyaient autour d'une même table pour analyser la réalité du marché, des professionnels et de l'activité développée par ces derniers. Des débats sur la question, ressortait la constatation que les services de presse jouaient et étaient destinés à jouer un rôle important sur le marché du travail 562 ( * ) .

Aux yeux de tous, dignifier l'activité de communication constitutionnelle signifiait l'amener dans le champ journalistique, de façon à ce qu'elle promeuve une transparence maximale, aussi bien vis-à-vis de la presse que de l'opinion publique. Ils voulaient mettre fin à l'image de manipulateurs, censeurs, dissimulateur, obstacles pour le travail journalistique, des pratiques considérées comme antidémocratiques et idéologiquement suspectes 563 ( * ) . Le pays vivait les derniers instants d'une dictature militaire. Par conséquent, ceux qui défendaient la fin de la censure, l'existence de l'information en tant qu'élément transformateur social et stimulateur de la transparence des faits publics, ne pouvaient que défendre des principes similaires pour l'exercice de la communication institutionnelle. Ainsi, les conclusions de ce premier Enjai, en plus du plan d'action corporatif, allaient contenir des propositions et des positions idéologiques qui éclairent bien le sens que les journalistes voulaient donner au territoire qu'ils désiraient occuper légalement (voir encadré 1.9). Il s'en détache la préoccupation de catéchiser les divers secteurs de la société (voir résolution n° 3) en ce qui concerne la reconnaissance sociale du nouvel espace.

C'est en 1984, au cours de l'Enjai de Brasília, que l'accord - cité auparavant - entre la Fenaj et le Conseil Fédéral de relations publiques délimitant les frontières de chaque territoire a été présenté 564 ( * ) . La première édition du Manuel de Service de Presse, lancée deux ans après le premier Enjai, montre que le modèle journalistique de communication institutionnelle commençait à se consolider:

Les professionnels de service de presse sont, avant tout, journaliste [...]. Leur travail vise à contribuer au perfectionnement de la communication entre l'institution, ses fonctionnaires et l'opinion publique. Dans une perspective sociale qui privilégie cette dernière, le service de presse accélère et complète le travail du reporter, en l'aidant et en lui offrant des alternatives adéquates, garantissant le flux d'information pour les supports de communication - porte-parole de l'opinion publique - professe le Manuel 565 ( * ) .

Les propositions approuvées au cours de l'Enjai et contenues dans le Manuel rassemblent des objectifs et des sentiments similaires à ceux rapportés par DAGENAIS et SAUVAGEAU, selon lesquels le grand pouvoir entre les mains de la presse exige un instrument de défense des diverses institutions 566 ( * ) . L'outil capable d'exercer cette défense, apte à intervenir dans la logique et les routines journalistiques, serait justement l'organisation de systèmes de communication institutionnels.

La Charte de Brasília, approuvée lors de l'assemblée plénière finale, fait ressortir l'engagement social que ce segment professionnel se propose de respecter. Dans la motion n° 1 (voir encadré 1.9), il est souligné que les professionnels doivent être conscients du fait que, avant d'être des attachés de presse, ils sont journalistes et, en tant que tels, ils ont un rôle social important à remplir en tant qu'agents d'information de l'opinion publique, qui a le droit d'être éclairée. Certains des positionnements politico-idéologiques adoptés condamnent le rognage de la liberté de se manifester, les lois arbitraires de Sécurité Nationale et de la Presse et la structure autoritaire de la société brésilienne. Ils défendaient la liberté syndicale, la renégociation de la dette externe brésilienne, la convocation immédiate d'élections générales dans le pays et d'une Assemblée Nationale Constituante libre et souveraine. Ils revendiquaient une politique économique nationale qui combatte le chômage, un programme d'urgence contre la faim, ainsi que la réforme agraire. Le fait que les communicateurs institutionnels soutiennent ces revendications politiques était important, car les entités syndicales considéraient les journalistes hors des rédactions comme des pièces fondamentales pour le processus de démocratisation 567 ( * ) . À travers l'action de ces derniers, la société pourrait avoir accès à un plus grand volume d'informations.

ENCADRÉ 1.9

CONCLUSIONS DU 1ER ENJAI 568 ( * )

Recommandations:

1) Recommander aux pouvoirs publics des sphères fédérale, des états et municipale d'adopter une politique démocratique de communication, tournée vers les intérêts de la population, qui garantisse la liberté d'expression journalistique et qui bénéfice de l'appui des syndicats et des associations de la catégorie.

2) Recommander à la Fédération Nationale des Journalistes Professionnels (Fenaj) la création d'un Manuel de Service de Presse, pour le présenter au IIe Enjai, [...]

3) Recommander aux syndicats et aux associations de journalistes la réalisation d'une campagne de sensibilisation auprès des gouvernements, des supports de communication, des entités publiques et privées, des journalistes et des écoles de Communication Sociale, sur l'importance du rôle de l'attaché de presse pour la recherche et la fourniture d'informations sur les organes pour lesquels ils travaillent, en ayant en vue la constatation de la discrimination, même par leur catégorie.

5. Fixer comme prérogative du journaliste professionnel la fonction ou le poste d'attaché de presse, ainsi que les autres activités prévues par la loi, aussi bien dans les organes publics que privés. Restaurer le Code d'Éthique, en l'adaptant à la pratique professionnelle du journaliste, y compris dans les Services de Presse [...]

8) Lutter pour que les fonctions de journalistes dans le service de presse des organes publics soient attribuées à travers des concours publics.

13) Recommander aux syndicats et aux associations la création d'une commission permanente de Services de Presse, élue en assemblée et coordonnée par un directeur qui travaille dans le domaine, avec la finalité de débattre et d'approfondir les problèmes spécifiques du secteur. Cette même commission devra être créée dans la Fenaj ... pour unifier, organiser et faire avancer les luttes des journalistes de service de presse, au niveau national.

15) Déterminer à la Fenaj d'officier auprès de tous les organes publics des gouvernements fédéral, des états et municipal et aux entreprises privées qui possède des services de presse afin que tout matériel journalistique distribué portent l'identification de l'auteur, avec son nom et son numéro de registre professionnel. Recommander aux supports de communication de remettre aux syndicats les matériels sans identification pour que soient prises les mesures nécessaires.

18) Défendre le droit de syndicalisation du journaliste du service public.

22) Suggérer aux Facultés de Communication la création de la chaire de Service de Presse, en exigeant que la discipline soit enseignée par un journaliste professionnel.

Les participants du premier Enjai approuvent aussi les motions suivantes :

1) Les professionnels qui travaillent dans le domaine doivent être conscients du fait que, avant d'être des attachés de presse, ils sont journalistes et, en tant que tel, ils ont un rôle social important à remplir en tant qu'agents d'information de l'opinion publique, qui a le droit d'être éclairée.

4) Protestation contre le Ministère du Travail qui, au travers de ses Services Régionaux, ne contrôle pas le respect de la loi, permettant aux organes publics de recruter des personnes non habilitées pour la fonction d'attaché de presse.

1. La modification de la structure syndicale

La décision de créer, au sein des syndicats, des commissions spécifiques pour représenter et coordonner les journalistes de service de presse (voir résolution 13 dans l'encadré 1.9) constitue une autre étape fondamentale dans le processus de délimitation des territoires professionnels. La mesure avait un double objectif : d'un côté, assurer une représentation corporative à un segment de travailleurs qui se sentait abandonné et, de l'autre, garantir à la structure syndicale elle-même un élargissement de sa base et donc de ses recettes. Les commissions ont été mises en place dans presque tous les états et la composition de la direction de la Fenaj a été modifiée pour abriter le Département de Mobilisation des Journalistes de Service de Presse.

Se consolidait ainsi un espace propre dans la structure syndicale des journalistes brésiliens, qui évitait y compris l'apparition d'entités parallèles. Une idée qui a été avancée à certaines occasions. Selon Cláudio Monteiro, un journaliste qui est intervenu dans toutes les éditions du Enjai, entre 1984 et 2007 la fondation d'une association nationale des attachés de presse, sans lien avec la Fenaj et la structure journalistique, et qui pourrait favoriser l'apparition d'une profession spécifique, détachée du journalisme et avec sa propre structure syndicale, a été proposée en 1983 dans l'État du Mato Grosso.

Ce fut justement pour s'opposer à la possibilité que cette association existe, et dans le but de renforcer les syndicats et la Fenaj, que nous avons articulé (quelques compagnons de São Paulo, du Rio Grande do Sul, plus quelques camarades de Brasília), d'y réaliser le premier Enjai en 1984. Avec ceci, le mouvement s'est organisé au niveau national et nous avons réussi à empêcher la création d'une telle association. Mais, depuis lors, au cours de l'histoire des Enjai, l'idée d'une association est réapparue plusieurs fois, souvent des propositions de non journalistes. Nous avons réussi à en faire échouer la majorité dans les débats préliminaires des commissions. Le peu d'entre elles qui ont été au vote en plénières finales ont été repoussées. Toujours dans le sens de renforcer la Fenaj, en défendant le fait que, en tant que journalistes professionnels, le segment des attachés doit s'organiser en commissions dans les syndicats des journalistes - rappelle le journaliste, qui a participé à la première Conjai 569 ( * ) .

A partir de 1997 et de la XIe édition de l'Enjai - aujourd'hui appelé Enjac (Rencontre Nationale des Journalistes de Service de Communication), l'objectif était de transmettre cette conception d'organisation syndicale et du modèle de journalisme institutionnel aux pays alors membres du Mercosul - Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay. La proposition éviterait que le processus sud-américain d'intégration régionale représente l'introduction de valeurs différentes des valeurs nationales. Un plan stratégique similaire au plan national a été adopté, démontrant la méticulosité de l'initiative corporative. Cette même rencontre a aussi marqué le début de la réalisation des Eijac-Sul, Rencontre Internationale des Journalistes de Service de Communication du Mercosul. Quatre éditions ont été réalisées puis le projet a été abandonné. La situation des pays membres du Mercosul est bien distincte, mais le Paraguay s'est montré favorable au modèle brésilien et le Syndicat National de ce pays compte déjà des journalistes institutionnels parmi ses membres.

* 556 RINGOOT, Roselyne et RUELLAN, Denis, 2006.

* 557 FENAJ et SJP-ES, 1982.

* 558 FENAJ et SJP-ES, 1982, p. 28.

* 559 La législation en vigueur durant la dictature militaire interdisait la syndicalisation des fonctionnaires publics.

* 560 A travers ce dispositif, des personnes ne détenant pas de diplôme en journalisme pourraient avoir droit à la carte de presse s'ils sont nommés à une fonction journalistique dans un organe public.

* 561 FENAJ et SJP-ES, 1982, idem. p. 35.

* 562 DANTAS, Audálio, 2001.

* 563 GUARESCHI, Pedrinho e outros, 2000, p. 99.

* 564 CHAPARRO, Manuel C., 2003, p. 46.

* 565 Os profissionais de assessoria de imprensa são, antes de tudo, jornalistas. [...] Seu trabalho visa contribuir para o aperfeiçoamento da comunicação entre a instituição, seus funcionários e a opinião pública. Dentro de uma perspectiva social que privilegia esta última, a assessoria de imprensa agiliza e complementa o trabalho do repórter, subsidia-o e lhe oferece alternativas adequadas, garantindo o fluxo de informação para os veículos de comunicação - porta-vozes da opinião pública. CONJAI, 1994.

* 566 DAGENAIS, Bernard et SAUVAGEAU, Florian, 1995, p. 4.

* 567 Des auteurs comme DEMERS, François, (1995: 23), même sans avoir analysé le cas brésilien, considèrent d'une manière générale les professionnels liés au journalisme institutionnel comme des pièces importantes dans le jeu de la démocratie fonctionnelle.

* 568 FENAJ et SJPDF, 1997, p. 10-11.

* 569 Foi justamente para se contrapor a possibilidade desta associação existir, e com o objetivo de fortalecer os sindicatos e a Fenaj, que nos articulamos (uns companheiros de São Paulo, do Rio Grande do Sul e mais uns camaradas de Brasília), para lá realizar o 1° Enjai em 1984. Com isso, o movimento se organizou nacionalmente e conseguimos impedir a criação da tal associação. Mas, desde então, ao longo da história dos Enjais, várias vezes a idéia de uma associação voltou a aparecer, muitas vezes proposta por não jornalistas. Conseguimos abortar a maioria nos debates preliminares das comissões. As poucas que foram chegaram à votação nas plenárias finais foram derrotadas. Sempre no sentido de fortalecer a Fenaj, defendendo que, enquanto jornalistas profissionais, o segmento dos assessores deve se organizar em comissões nos sindicatos dos jornalistas. Cet entretien a été accordé par courrier électronique le 28/03/2007. De toutes les initiatives de création d'une structure syndicale parallèle, la plus forte a eu lieu en août 1995, à l'occasion du 9e ENJAI. La proposition a été rejetée par un vote en assemblée plénière. Les journalistes ont toutefois décidé de transformer la Conjai (Commission Nationale des Journalistes en Services de Presse), qui fonctionnait comme une espèce de forum de débats sur les thèmes pertinents du secteur en un organe plus exécutif. De 31 membres, soit un représentant de chaque base syndicale, elle a été réduite à sept membres et elle a acquis le statut d'organe attaché de direction de la Fenaj.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page