Colloque Asie Centrale du
Jeudi 17 novembre 2011
« 1991 - 2011 : La France et les États d'Asie Centrale, 20 ans après les indépendances »

Allocutions d'ouverture

André DULAIT
Président du groupe sénatorial d'amitié France-Asie Centrale
Le groupe d'amitié au service des relations entre la France et l'Asie Centrale

Monsieur le Président, Messieurs les Ambassadeurs, Chers collègues, Mesdames, Messieurs.

Le groupe d'amitié est heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat. Comme vous le savez, notre assemblée vient de se renouveler, et les groupes d'amitié doivent, eux-aussi, se reconstituer dans les prochaines semaines, mais nous tenions à organiser cette rencontre dès maintenant, car l'année 2011 marque le 20ème anniversaire de l'indépendance du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan.

Ces cinq États nous font aujourd'hui l'honneur de leur présence, quatre à travers leurs ambassadeurs et le cinquième, le Kirghizstan, à travers le ministre conseiller de l'ambassadeur, retenu par un empêchement impératif de dernier moment.

J'ai aussi la joie de saluer nos ambassadeurs de France dans ces cinq pays, et de leur dire combien nous apprécions leur action au service de la coopération bilatérale et de la présence française dans cette région. Je remercie également le Quai d'Orsay, avec lequel nous travaillons toujours en liaison étroite.

Je ne peux citer nommément toutes les personnalités qui nous font l'amitié de leur présence, aussi bien dans la salle qu'à la tribune, mais je tiens à souhaiter une chaleureuse bienvenue à la délégation de députés turkmènes qui s'est jointe à nos travaux, profitant d'un séjour en France à l'invitation du groupe homologue de l'Assemblée nationale.

Le groupe France-Asie centrale m'a confié sa présidence en 2004, mais je connais l'Asie Centrale depuis les années 60. A l'époque, il était impossible de prévoir comment évoluerait cette région, difficile d'accès durant l'époque soviétique. Après 1991, les autorités françaises ont établi les premiers contacts et, depuis lors, elles mesurent mieux le fort potentiel de ces cinq nouveaux pays, notamment sur le plan des échanges économiques et des relations culturelles. Nos contacts diplomatiques ont été ponctues de nombreuses visites officielles de très haut niveau, initiées par celle du Président Nazerbaïev en France en 1992, puis par le voyage en retour, l'année suivante, du Président François Mitterrand au Kazakhstan. Concernant le Sénat, je mentionnerai plusieurs visites en France du Président du Tadjikistan, Monsieur Rakhmon, celle du nouveau Président du Turkménistan, Monsieur Berdimoukhamedov, en février 2010, ou encore celle de la Présidente kirghize, Madame Otounbaeva, en mars 2011. Depuis lors, le Kirghizstan s'est doté d'un nouveau Président, dont je souhaite aujourd'hui saluer l'élection, marquée par un transfert pacifique du pouvoir.

Nos relations interparlementaires se sont également enrichies, notamment sous l'égide de la commission des affaires étrangères et de la défense, qui a effectué plusieurs missions d'information en Asie Centrale depuis 1998. Cela démontre que l'action du Sénat s'inscrit dans la durée et la continuité.

La vocation de notre groupe d'amitié est le « resserrement tous azimuts » de nos liens bilatéraux avec chacun de ces cinq pays. Nous nous efforçons notamment de promouvoir les échanges institutionnels, la coopération décentralisée, la francophonie et la coopération interparlementaire, qui offre de réelles opportunités de développement à vos pays. J'ajouterai un point auquel le Sénat ne peut qu'être attentif : nous avons assisté avec intérêt à la création de secondes chambres au Kazakhstan, en Ouzbékistan et au Tadjikistan.

Parmi les activités du groupe, j'évoquerai également les rencontres que nous organisons presque chaque année avec Ubifrance sur la région Caspienne et Asie centrale, et dont plusieurs parmi vous sont de fidèles abonnés.

Tout en nous félicitant de ces acquis -que j'aurais du mal à détailler en quelques minutes- nous devons aller plus avant. La France est encore loin d'avoir épuisé son potentiel de coopération et d'échanges avec l'Asie Centrale. C'est d'autant plus souhaitable que ces pays ont les yeux tournés vers l'Union Européenne, qui leur offre un champ d'ouverture internationale pouvant contrebalancer l'influence de leurs deux grands voisins, la Chine à l'est et la Russie au nord. N'en doutons pas : une partie des enjeux majeurs du XXIème siècle se jouera sur l'échiquier centrasiatique.

Je souhaite à tous un excellent colloque et je vous donne rendez-vous en 2021, pour célébrer les trente ans des indépendances !

Aymeri de MONTESQUIOU
Président délégué du groupe d'amitié pour le Kazakhstan, Vice-Président de la commission des finances du Sénat
L'Asie centrale : coeur du grand jeu

Monsieur le Président, Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames, Messieurs.

Le Président Dulait connaît vraiment bien la région et son état d'esprit. Je voudrais souligner la présence aujourd'hui d'une délégation turkmène, un pays que nous connaissons trop peu. D'une manière générale, l'Asie Centrale est une région que les Français connaissent encore assez mal. Pour ma part, je commence à la connaître un peu mieux... Je me suis rendu dans tous ces pays à maintes reprises. Durant notre jeunesse, nous avons été bercés par la notion de « grand jeu », cette grande rivalité internationale entre l'empire britannique et l'empire russe. Aujourd'hui, nous assistons à un nouveau grand jeu, conséquence de la prise de conscience du rôle essentiel que joue l'Asie Centrale. Le monde diplomatique, le monde universitaire et le monde économique sont d'ailleurs présents aujourd'hui parmi nous pour mieux saisir les enjeux de cette région et son potentiel.

Toutes les grandes puissances font la cour à l'Asie Centrale. A l'est, la frontière avec la Chine s'étend sur 3 000 km. Les liens économiques et diplomatiques entre les deux parties sont extrêmement étroits, même si les pays d'Asie Centrale font maintenant preuve de modération face aux investissements chinois dans la région. Il existe une organisation, l'organisation de Shanghai, qui regroupe tous les pays d'Asie Centrale - sauf le Turkménistan -, la Russie et la Chine, plus l'Iran en tant qu'invité. Cette organisation a, me semble-t-il, un avenir très important. Au nord, la Russie fait figure de grand pays frère. Parfois, cette fraternité est un peu étouffante. L'affection russe peut peser. Néanmoins, il est certain que ce sont des pays frères.

Au sud, nous notons des poussées islamistes importantes vers l'Asie Centrale. D'ailleurs, les talibans avaient pour objectif de transformer les Etats d'Asie Centrale en émirats. Des évènements inquiétants montrent bien que ces pays regardent le sud avec préoccupation. Lorsque les forces de l'OTAN auront quitté l'Afghanistan, les cinq pays pourront, à juste titre, ressentir de l'inquiétude.

A l'ouest, tous ces pays se tournent vers l'Union Européenne, dont ils attendent beaucoup. Or l'Union Européenne et la France ne sont pas encore assez présentes. Tournons-nous vers cette région essentielle par son sous-sol, mais également politiquement. Pour améliorer nos relations avec les grandes puissances que sont la Chine et la Russie, nous avons peut-être besoin de l'intermédiaire des pays d'Asie Centrale. Ces derniers ne veulent pas donner toutes les clés à la Russie. De même, les Etats-Unis ont parfois une tendance hégémonique. L'Union Européenne, et la France en particulier, a donc un rôle important à jouer dans cette région du monde.

Le Kazakhstan est le plus grand pays de la zone. Il représente 3 % des réserves pétrolières et 2 % des réserves gazières mondiales. Ainsi, plus de 130 milliards de dollars ont été investis sur le champ géant de Kashagan. Le Kazakhstan est également le premier exportateur de farine au monde. On le sait moins, mais c'est une puissance agricole de premier plan.

Le Turkménistan est moins connu. Il possède pourtant d'importantes réserves de gaz. C'est un second Koweït. Cette nouvelle puissance est très importante.

L'Ouzbékistan est le pays le plus peuplé de la zone, avec 26 millions d'habitants. Il possède une véritable tradition industrielle et une production de gaz importante. C'est un grand producteur de coton, ce qui génère cependant des problèmes d'approvisionnement en eau.

Le Kirghizstan et le Tadjikistan disposent d'un potentiel hydroélectrique considérable, mais conflictuel dans la mesure où l'Ouzbékistan regarde avec inquiétude la possible construction de barrages dans une zone tellurique. Pour ses irrigations, l'Ouzbékistan a besoin d'une eau régulée. La France pourrait jouer un rôle d'arbitre. Il serait inacceptable que l'Ouzbékistan vive sous la menace des conséquences hydrauliques ravageuses d'un tremblement de terre dans les pays amont, mais il serait dommage que la région ne puisse pas exploiter son potentiel hydraulique extrêmement important.

Pour valoriser et exporter toutes ces richesses, il faut des réseaux. Au nord, les réseaux existants sont l'héritage des années soviétiques, mais il existe également un potentiel transcaspien. Total a pour projet de sortir une partie de la production de Kashagan vers l'Azerbaïdjan, par la Mer Caspienne. Un champ géant d'hydrocarbures vient d'ailleurs d'être découvert en Azerbaïdjan. Il jouera un rôle essentiel dans l'approvisionnement de l'Union Européenne. Une sortie directe avec l'Iran, outre son côté économique, serait une manière de réintégrer l'Iran dans ce grand jeu, tant la politique de rupture absolue avec ce pays n'est pas très productive. Ce réseau donnerait également une place plus importante à la Turquie. L'ensemble de ces réseaux ont une incidence politique très importante. Le gazoduc Nabucco, qui passe par le sud, pourrait être alimenté par ce nouveau champ géant de gaz en Azerbaïdjan. Ce serait également une manière d'acheminer du gaz irakien en Europe.

Tout cela amène à constater que l'Asie Centrale est vraiment le grand jeu du XXIème siècle, entre ses ressources gazières et pétrolières, l'uranium - dont le Kazakhstan est le premier exportateur - et les métaux - que le Kazakhstan possède presque tous.

Le personnel diplomatique français dans la région est de très haut niveau. Cela démontre qu'une prise de conscience s'est enfin opérée. Nous ne pouvons pas regarder cette zone à travers nos seuls standards occidentaux. Cette région de tradition millénaire possède une vraie culture. L'islam est pratiqué de manière différente selon les pays. Arrêtons d'avoir un regard du XIXème siècle. Il faut regarder ces pays comme des pays qui sont exactement au même niveau que nous, avec une élite réelle. Proposons-leur ce qu'il y a de meilleur chez nous.