Table ronde : la présence française en Asie Centrale depuis 1991
Jean-Charles
BERTHONNET
Ambassadeur de France au Kazakhstan
Je me réjouis de cette rencontre originale, qui nous permet d'échanger en direct. Très simplement, je vous donnerai quelques éclairages sur le Kazakhstan vingt ans après son indépendance.
Lorsque le Kazakhstan a accédé à l'indépendance, certains lui accordaient une espérance de vie limitée. Ce pays est très grand, avec une composition ethnique très diverse, au contact de la Russie. Le Kazakhstan était à la tête d'un arsenal nucléaire très important, d'où le regard particulier qui lui était porté. Dans un premier temps, ce sont essentiellement des raisons politiques et stratégiques, pas encore des raisons économiques, qui nous ont fait nous intéresser au Kazakhstan. Durant ses premières années d'indépendance, le Kazakhstan a traversé d'énormes difficultés économiques. Ce n'est qu'à partir des années 2000 qu'il a décollé, affichant aujourd'hui un taux de croissance parmi les plus élevés.
Au départ, les entreprises françaises se sont peu intéressées au Kazakhstan. La situation a ensuite changé. Notre présence économique se décline au travers de très grands projets. Ces dernières années, nous avons su tirer notre épingle du jeu. Cela implique une relation politique de qualité au plus haut niveau. A cet égard, la longue éclipse qui a suivi la visite de Monsieur Mitterrand a pesé sur nos performances.
L'attractivité du Kazakhstan n'est pas qu'économique. Elle concerne également sa diplomatie multivectorielle. Le Kazakhstan s'efforce d'avoir de bonnes relations avec tous ses partenaires et voisins. La stabilité politique du pays est très importante pour nos entreprises. Areva possède une concession sur l'uranium qui dure jusqu'en 2039, tandis que le contrat de partage de production de Kashagan ne sera récupéré qu'en 2041. La stabilité politique est parfois sujette à interrogations. Certains se sont demandé si les évolutions récentes dans les pays arabes auraient des répercussions au Kazakhstan. C'est le contraire qui s'est produit, avec le maintien du régime actuel. Ce régime est certes centralisé autour de son Président, mais il présente des traits démocratiques.
Thibaut
FOURRIÈRE
Ambassadeur de France au Kirghizistan
Je suis le premier ambassadeur de France à résider à Bichkek. Toutefois, la France est présente au Kirghizstan depuis l'indépendance, sous une forme culturelle. Je mesure aujourd'hui les évolutions en cours dans la zone, particulièrement au Kirghizstan. Peut-être y assistons-nous, d'ailleurs, à une certaine répétition de l'histoire. Des troubles ethniques se sont produits en 2010, comme avant l'indépendance. De plus, certaines questions d'il y a vingt ans restent pertinentes, notamment celle du désenclavement. Le Kirghizstan est composé de montagnes à 90 %. Ce pays ne dispose que d'une seule voie de chemin de fer. Il possède un potentiel hydroélectrique important qui nécessite des investissements.
Le Kirghizstan semble plus démocratique, mais également plus instable. Le nouveau Président devra trouver le moyen d'attirer les investissements indispensables à son développement. La coopération régionale est également nécessaire. Par exemple, l'électricité produite dans le sud du pays traverse l'Ouzbékistan et le Kazakhstan pour alimenter le nord du pays. Un important travail de coordination et de concertation doit être mené. Il a commencé à l'être avec l'Union Européenne, l'OSCE et les agences des Nations Unies.
Le processus démocratique se poursuit au Kirghizstan. C'est un évènement historique, puisque deux élections se sont tenues en l'espace d'un an. Le rôle de la Présidente Otounbaeva a été déterminant et fondamental dans la mise en avant des valeurs que sont les droits de l'homme et la démocratie. Ces valeurs ont droit de cité dans cette zone du monde.
François
GAUTHIER
Ambassadeur de France en Ouzbékistan
Il y a quelques mois s'est tenu le premier colloque franco-ouzbek de droit constitutionnel. C'est un axe important de notre coopération politique avec l'Ouzbékistan.
Notre présence dans ce pays revêt une triple dimension. Elle est d'abord ancienne : nous sommes le 6 ème pays à avoir reconnu l'indépendance de l'Ouzbékistan. Elle s'est également située à un très haut niveau, avec les visites croisées du Président Ouzbek en France et des Présidents français en Ouzbékistan. Enfin, nous avons une relation économique forte avec l'Ouzbékistan. Ainsi, Schneider Electric vient de racheter une société ouzbeke de production d'équipements électriques. Certes, l'environnement n'est pas toujours facile, mais le dynamisme de nos échanges est bien réel. C'est une bonne chose pour tout le monde.
La présence française en Ouzbékistan revêt un enjeu culturel fort. 300 000 personnes apprennent notre langue dans ce pays. L'institut français fonctionne bien, avec près de 1 000 étudiants. Nous avons même une école française.
Deux phénomènes me rendent très optimiste pour l'avenir. 15 000 touristes français se rendent chaque année en Ouzbékistan. Cette année, leur nombre leur a encore augmenté de 20 %. C'est un enjeu extrêmement important. Par ailleurs, le 23 juin dernier, le gouvernement a autorisé l'Agence française de développement à travailler en Ouzbékistan.
Tout cela me fait penser que nous sommes sur la bonne voie. Je suis très optimiste pour notre relation.
André DULAIT
Ce développement du tourisme en Ouzbékistan ne pourra avoir que des conséquences positives dans tous les pays de la région.
Henry ZIPPER de FABIANI
Ambassadeur de France au
Tadjikistan
Mon exposé sera moins optimiste et plus provocateur. Il commencera par une question : ne nous intéressons-nous qu'aux pays riches, à ceux qui ont un sous-sol prometteur ? Nous pouvons légitimement nous interroger. La fin de la transition en Afghanistan s'accompagnera-t-elle d'une vision encore plus minimaliste de notre engagement au Tadjikistan ?
Pendant les premières années de l'indépendance tadjike, la France était présente au Tadjikistan à travers des ONG. Nos ambassadeurs n'étaient pas résidents. Ils ne pouvaient assurer qu'un suivi épisodique. A partir de 2001, nous avons eu des relations plus suivies, essentiellement axées autour de notre présence en Afghanistan. Nos militaires ont contribué à moderniser l'aéroport de Douchanbé. Il faut maintenant espérer que le chantier de l'aérogare avancera.
Nous avons souvent tendance à nos cacher derrière la présence globale de l'Union Européenne. Pourtant, nous avons des raisons d'avoir une relation bilatérale plus soutenue. La problématique de l'eau, de l'énergie, du réchauffement climatique et de l'environnement est majeure. La contribution du Tadjikistan au Forum mondial de l'eau à Marseille devra être conforme à ce qu'est la position de ce pays. Les entreprises françaises sont présentes et actives dans ce domaine.
Notre souci de stabilité dans la région va au-delà de la dimension militaire et opérationnelle. Le désenclavement du Tadjikistan est un enjeu majeur. Malheureusement, l'agence française de développement ne considère pas que les plus pauvres ont droit à la même assistance que les plus riches.
Le sujet de la laïcité est important. Sur le plan diplomatique, notre ambassadeur devra continuer à jouer un rôle majeur après le départ des troupes militaires. Notre engagement culturel devra rester significatif. L'enjeu de la francophonie est important. Notre coopération archéologique reprend. Dans le domaine culturel, l'Institut français d'Asie centrale (IFEAC) doit reconnaître la particularité du Tadjikistan, seul pays persanophone de la région. Sur le plan agricole, le programme TAFF permet à des entreprises et à des coopératives françaises de jouer un rôle plus important. Je mentionnerai également la santé et le tourisme parmi les sujets qui nous lient.
En conclusion, le Tadjikistan est un concentré de certaines problématiques mondiales. C'est le seul pays persanophone de la région. Lorsque l'Iran s'éveillera, tous ceux qui s'intéressent au monde perse auront un rôle à jouer. Je me félicite du rôle de la diplomatie parlementaire au Tadjikistan, mais nous avons besoin d'un discours politique beaucoup plus substantiel.
Pierre LEBOVICS
Ambassadeur de
France au Turkménistan
Nous avons, en France, une qualité de regard sur l'autre qui fait que nous nous intéressons aux cultures. Nous, Français, sommes fondamentalement curieux. C'est une grande qualité qui fait qu'il existe un courant entre nous et tous les peuples du monde, y compris les peuples d'Asie Centrale. N'oublions pas que nous avons assisté à un extraordinaire retournement de l'histoire. Tous ces peuples d'Asie Centrale ont vu arriver l'opportunité d'être maîtres de leur destin. C'est quelque chose d'extraordinaire pour qui a connu le système soviétique. Cette chance était également un défi.
En combien de temps se construisent un Etat, une nation, des institutions, une démocratie ? Si nous nous inscrivons dans cette problématique, notre regard sur la région peut changer. Pensons à notre propre histoire, aux luttes et aux bouleversements qui ont construit la France. Soudain, nous voudrions que ces pays qui naissent soient absolument impeccables. Non, ce n'est pas possible. Donnons-leur un peu de temps.
Le Turkménistan est mal connu. Je suis absolument étonné par l'extraordinaire distance qu'il y a entre ce que je lis dans la presse française et le pays dans lequel je vis, les évolutions que j'y vois. Nous nous sommes arrêtés sur une image caricaturale du Turkménistan. Le Turkménistan, ce n'est pas qu'une statue qui tourne au rythme du soleil. C'est un pays qui évolue. Depuis cinq ans, il est gouverné par un Président qui a entamé une politique radicalement nouvelle, ouvrant le pays aux relations internationales tout en le transformant en interne. Evidemment, il reste beaucoup de choses à faire, mais n'ayons pas une attitude arrogante, ne nous érigeons pas en donneur de leçons.
La France prend une position solide. Au Turkménistan, il est important de nouer une relation de confiance. Une fois cette relation établie, le travail commence. Ce pays est assis sur un trésor gazier qui n'est pas encore valorisé car il faut le sortir. Néanmoins, ces ressources sont mises à la disposition d'une politique qui vise à la modernisation du pays. L'excellence mondiale française est à l'oeuvre au Turkménistan, dans le BTP, mais également dans les satellites ou les équipements électriques. Soyons ouverts sans être complaisants. Il y a des enjeux. Il faut s'investir activement.
Prenons l'exemple de la distribution et du traitement de l'eau. Au Turkménistan, les infrastructures sont totalement obsolètes. Les Français possèdent une grande expérience dans ce domaine. J'essaie d'attirer les entreprises françaises depuis plusieurs mois, mais je ne vois toujours rien venir.