Table ronde : le point de vue des cinq pays
Tchary NIIAZOV
Ambassadeur du
Turkménistan
Je voudrais d'abord vous remercier pour cet évènement. Nous apprécions beaucoup le travail du groupe d'amitié du Sénat. Nous sommes convaincus que le travail peut être intensifié à tout moment sans aucun problème.
L'indépendance des pays d'Asie Centrale n'était pas simple. Les pays occidentaux ont parfois tendance à l'oublier. Par exemple, le Turkménistan a été créé en 1924 en tant que République Socialiste Soviétique. Nous avons publié une déclaration sur la souveraineté économique en août 1990. C'est à l'issue d'un référendum que le Turkménistan a déclaré son indépendance, en 1991. J'étais en France à cette époque. J'ai vu comment les pays de l'Union Européenne ont réagi face à cet évènement inattendu. Ils ont réagi avec prudence. Beaucoup prédisaient une explosion des pays d'Asie Centrale et des guerres entre eux. Heureusement, la France s'est très vite aperçue que ce ne serait pas le cas. La première visite d'un chef d'Etat occidental en Asie Centrale a été celle du Président Mitterrand.
La dynamique actuelle des pays d'Asie Centrale est le fruit de notre travail. Nous avons obtenu certains résultats, en termes de croissance du PIB notamment.
Je voudrais souligner notre relation avec la France. Une cinquantaine de sociétés françaises sont présentes en permanence au Turkménistan. Les Français sont les plus nombreux parmi la population expatriée qui vit dans notre pays. Nous sommes très optimistes s'agissant de nos perspectives de coopération économique, humanitaire ou culturelle. La France est, avec l'Allemagne et l'Italie, le pays le plus actif de l'Union Européenne.
Différents schémas de coopération ont cours entre les Etats de la région. Ainsi, le Kazakhstan a créé une zone de libre-échange avec la Russie. Tous les pays d'Asie Centrale disposent de ressources énormes. Pour les exploiter, ils ont besoin de paix et de stabilité, ce que nous avons, bien que la situation en Afghanistan nous inquiète, surtout pour l'après 2014. Notre Président a formulé des propositions à l'ONU. Le Turkménistan pourrait organiser sur son sol une grande conférence sur l'Afghanistan. Nous avons déjà de l'expérience dans ce domaine.
La question de l'eau a été évoquée. Au début de notre indépendance, nous avions trouvé une très bonne solution avec l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Nous sommes optimistes quant au fait que nous trouverons des solutions avec nos voisins.
Dans le domaine énergétique, les chiffres publiés par des sociétés indépendantes font état d'un gisement récemment découvert de 26 000 milliards de mètres cubes de gaz. C'est gigantesque. Le Tadjikistan et le Kirghizstan ne disposent pas de telles réserves d'énergie. Nous sommes prêts à partager avec eux, mais également avec des pays plus lointains. A partir de 2015, le Turkménistan pourra fournir 40 milliards de mètres cubes de gaz par an via Nabucco. Nous avons également suffisamment de ressources pour fournir 30 milliards de mètres cubes de gaz à la Chine. La difficulté tient à la sécurité du transit énergétique. Notre Président a proposé de prévoir un document qui garantisse cette sécurité.
Rustam SOLIEV
Ambassadeur du
Tadjikistan
Chacun sait de quelle manière s'inscrit, dans l'histoire, l'indépendance que nous avons gagnée il y a vingt ans. Les Etats d'Asie Centrale sont des pays frères. Le Tadjikistan a dû faire face à une guerre civile. Nous avons perdu 150 000 personnes. Ces pertes sont impossibles à rattraper. La guerre civile a duré cinq ans. Elle a été suivie d'une période difficile. En fait, la construction de notre démocratie a débuté en 2000. Notre pays est laïc et démocratique. Nous sommes directs et francs. Nous reconnaissons nos difficultés. Notre gouvernement fait tout son possible pour construire un Etat moderne. Cette tâche est difficile. Elle nécessite du temps.
Pour atteindre nos objectifs, nous avons besoin du soutien et de la compréhension d'une grande nation comme la France, qui a toujours soutenu les réformes démocratiques partout dans le monde. Nous remercions la France d'avoir reconnu notre indépendance dès les premiers jours. Aujourd'hui, nous avons de très bonnes relations politiques, un très bon dialogue au plus haut niveau. Notre diplomatie parlementaire fonctionne. Les sénateurs nous aident dans le développement parlementaire de notre pays.
Nous avons de très bonnes relations avec la France dans le domaine de la défense. Ainsi, Douchanbé héberge un centre de maintenance et de technique militaire de la défense française. Le Tadjikistan apporte son soutien à la France et aux autres pays de la coalition qui interviennent en Afghanistan pour lutter contre le terrorisme et pour la paix. Nous tentons d'apporter notre contribution à la reconnaissance sociale et économique de l'Afghanistan. C'est important pour nous. Notre frontière avec l'Afghanistan s'étend sur 1 400 kilomètres, dont 1 200 kilomètres de montagne. Cette frontière est difficile à garder. Nous ressentons tous les challenges et les dangers qui viennent d'Afghanistan. Nous aimerions recevoir davantage de soutien de la part de la France. Tous les pays européens sont concernés.
Nous avons une très bonne relation avec les établissements d'enseignement supérieur français. La France a également un rôle à jouer dans le développement économique de notre région et du Tadjikistan. L'agriculture et l'aluminium sont des secteurs d'investissement. Nous avons d'autres ressources naturelles. Ainsi, nous possédons beaucoup de produits chimiques. Or nous ne sommes pas capables d'exploiter ces richesses sans votre soutien. Notre gouvernement a créé les conditions nécessaires pour attirer les investissements étrangers. Le commerce pourrait être davantage développé. Nous possédons 70 % des réserves d'eau d'Asie Centrale. Nous avons un énorme potentiel d'hydroénergie.
Dans ce contexte, les sociétés françaises devraient apprécier notre situation dans son ensemble. Nos objectifs consistent à assurer la sécurité alimentaire, à assurer l'indépendance énergétique et à sortir de l'isolement. Pour assurer notre sécurité, nous avons besoin d'énergie. L'hydroénergie est une solution extraordinaire pour nous. Nous collaborons déjà avec la Russie et l'Iran. Plus globalement, le sujet de l'énergie se pose dans toute la région. Nous entendons créer un marché énergétique commun.
Nous avons un grand potentiel. Les investissements français sont assez présents, par exemple dans la reconstruction de l'aéroport de Douchanbé, aussi nous devons continuer.
Bahromjon ALOEV
Ambassadeur
d'Ouzbékistan
Vingt ans, c'est un moment très court dans l'histoire de l'humanité. Pourtant, nous avons su accomplir de nombreux progrès, notamment dans le domaine économique.
La France a été l'un des premiers pays à reconnaître l'indépendance de l'Ouzbékistan. En 2012, nous célèbrerons le vingtième anniversaire de l'établissement de nos relations diplomatiques. Monsieur Mitterrand a été le premier Président européen à se rendre dans notre pays. La coopération entre nos deux pays a des racines très anciennes. L'Ouzbékistan et la France entretiennent un dialogue régulier à travers le Ministère des Affaires étrangères. Les relations interparlementaires se développent également avec un grand succès. Dans les deux chambres du Parlement ouzbek, nous avons créé des groupes d'amitié qui travaillent avec les groupes homologues français.
Dans le domaine économique et commercial, la coopération est essentielle. La France est parmi les six plus importants partenaires européens de notre pays. Néanmoins, le niveau actuel de nos échanges ne correspond pas à notre potentiel. Je voudrais donc faire quelques propositions.
Il est temps d'élargir la plate-forme d'investissement de la coopération économique avec la France. Ainsi, la création d'une production commune dans l'industrie agro-alimentaire est nécessaire. Il en va de même dans les télécommunications. Nous invitons nos partenaires français à développer leur coopération dans le domaine textile. Un autre secteur très important est celui du pétrole et du gaz, mais également des énergies renouvelables. Nous souhaitons que les Français soient actifs dans ces domaines. L'agriculture est une autre sphère. Chaque année, nous produisons 7 millions de tonnes de légumes et de fruits. Ces produits sont uniques par leur goût. Nous avons déjà établi une coopération très efficace avec l'INRA. Nous voulons la poursuivre.
Le tourisme est un secteur prometteur pour le développement de nos relations. Nous possédons plus de 4 000 monuments historiques et architecturaux. Le nombre de Français qui visitent l'Ouzbékistan augmente, mais ce n'est pas encore suffisant. Nous voulons inviter les compagnies françaises à participer à des projets communs.
Le secteur humanitaire est très important. Trois villes d'Ouzbékistan sont jumelées avec des villes françaises. La coopération inter-universitaire est primordiale. La coopération est bonne entre l'académie des sciences ouzbeke et le CNRS. La langue française est très enseignée en Ouzbékistan. Nous aimerions que le gouvernement français augmente la quantité de bourses accordées aux étudiants ouzbek pour qu'ils poursuivent leurs études en France.
Sur le sujet de l'eau, nous sommes prêts à trouver une approche régionale. Cette solution régionale devra tenir compte des intérêts de tous les pays. Elle devra se baser sur les normes internationales, surtout les conventions de l'ONU de 1992 et de 1997. Les barrages que nos voisins souhaitent construire se trouveraient en zone sismique. N'oublions pas que les rivières sont transfrontalières. Aux grands équipements, nous préférons les petits et moyens barrages.
S'agissant maintenant de l'Afghanistan, nous apprécions la contribution de la France. Nous avons une très bonne expérience avec nos partenaires de l'OTAN.
Enfin, nous n'avons aucun problème avec l'IFEAC. Quelques questions sont en cours de résolution avec nos amis français, mais ce sujet est bien à l'ordre du jour.
M.
TURGANVAEV
Ministre-conseiller de l'ambassade du Kirghizistan
(représentant de M. AZYLOV, ambassadeur)
La révolution d'avril 2010 a révélé tous les conflits qui existaient dans notre société. De vieilles rancunes s'étaient accumulées. Il s'est avéré très difficile de transmettre une image objective de ces évènements. Finalement, le monde entier s'est rendu compte que ces évènements n'étaient pas un génocide. Grâce aux Etats amis, nous avons pu éviter une catastrophe humanitaire. Nous avons organisé un référendum pour la nouvelle constitution. Nous avons engagé des réformes dans pratiquement tous les domaines de la vie de notre société, qui doit faire face à de nouveaux challenges. Notre système parlementaire a renforcé la transparence du fonctionnement du pouvoir. Le 30 octobre, les élections présidentielles ont légitimé le système existant. Nous espérons maintenant que le pouvoir pourra donner une bonne base pour un développement futur de notre pays.
Au cours de ces cinq dernières années, la France a été très présente en Asie Centrale. Le 1 er décembre 2011, notre nouveau Président prendra officiellement ses fonctions. Nous espérons que cela pourra stimuler le développement d'une nouvelle société kirghize, notamment sur le plan économique. La France pourra participer à ce processus.
La France possède une immense expérience dans le domaine énergétique. Elle devrait donc participer au développement énergétique de notre pays. Notre Président en a parlé lors de sa visite en France au mois de mars. La France a manifesté une grande compréhension. Nous pourrons travailler étape par étape. Nous espérons que l'amitié entre nos deux pays en sortira renforcée.
Nourlan DANENOV
Ambassadeur du
Kazakhstan
Ces deux décennies ont été marquées par des bouleversements globaux. Le Kazakhstan a su s'affirmer et gagner le respect de la communauté internationale. Notre pays se présente aujourd'hui comme un partenaire stratégique solide.
Dès ses premiers jours d'indépendance, le Kazakhstan a développé son propre modèle de construction étatique. Notre économie a progressé de manière spectaculaire en vingt ans. Ainsi, le PIB par habitant a été multiplié par 12, à plus de 9 000 dollars. Notre quatre clés essentiels sont la modernisation, le bien-être du peuple, l'innovation et l'intégration.
Le développement socio-économique se poursuit. En 2011, le PIB devrait croître de 7 %, l'inflation sera maintenue entre 6 et 8 % et le chômage restera à 5 %. Ernst & Young a cité le Kazakhstan parmi les trois pays à la croissance la plus dynamique. Selon la Banque Mondiale, le Kazakhstan fait partie des cinquante économies les plus florissantes. Nous pouvons donc affirmer que toutes les décisions et toutes les réformes ont été justes. Elles ont servi l'intérêt de la nation.
Cette stabilité et cette prospérité ont permis au Kazakhstan d'occuper une place sur la scène internationale. Astana symbolise cette modernisation. Notre capitale est devenue un lieu important pour les rencontres internationales. Nous espérons maintenant qu'Astana sera choisie pour l'exposition universelle de 2017. Tout cela est devenu possible grâce au programme triennal d'Etat, qui a largement prouvé son efficacité.
Le Kazakhstan joue un rôle de pont entre l'occident et le monde musulman. Nous poursuivons nos efforts pour promouvoir le dialogue entre les organisations internationales influentes. L'an dernier, le secrétaire général de l'ONU a salué l'exemple du Kazakhstan dans le désarmement nucléaire. De plus, la communauté internationale apprécie notre rôle de pays donateur. Ainsi, le Kazakhstan continue d'envoyer son aide humanitaire en Afghanistan. Plus de 1 000 étudiants afghans étudient gratuitement dans les universités kazakhes.
La France a été le premier pays de l'Union Européenne à signer un traité de coopération stratégique avec le Kazakhstan, en 2008. Ces quatre dernières années, nos Présidents se sont rencontrés à cinq reprises sous une forme bilatérale. Un grand nombre de documents ont été signés. Nous avons également développé les relations entre les parlementaires et les consultations politiques. Depuis 2008, les échanges commerciaux entre nos deux pays ont atteint 14 milliards d'euros. Le Kazakhstan et la France ont signé des contrats pour un montant total de plus de 13 milliards d'euros. Les investissements français au Kazakhstan ont presque doublé, et nous avons de grands projets d'innovation. Récemment, des accords ont été signés en matière d'énergie et de terre rare. Notre coopération bilatérale se développe également dans le domaine des transports et dans le domaine spatial.
Enfin, nous espérons vivement l'établissement très prochainement de liaisons aériennes directes entre la France et Astana, ce qui ne pourra qu'aider au développement de nos relations. Je forme vraiment le voeu que nous pourrons poursuivre notre chemin avec notre partenaire français. Notre partenariat stratégique doit rester dynamique. Cela passe par de nouveaux projets.