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Didier MAUS
Professeur à l'université Paul Cézanne Aix-Marseille III, Président émérite de l'Association internationale de droit constitutionnel
L'Asie Centrale : quelles évolutions constitutionnelles ?

Les ambassadeurs de France qui m'ont précédé connaissent parfaitement ces pays dans lesquels ils représentent la République. Pour ma part, je ne me suis rendu qu'à quelques reprises dans deux de ces pays.

Ces États d'Asie Centrale représentent, depuis vingt ans, un véritable champ de recherche, malheureusement méconnu, mais tout à fait exceptionnel pour les constitutionnalistes. Ces cinq pays sont devenus indépendants en même temps. Ils n'ont pas pris la suite de pays qui auraient déjà existé dans la période pré-soviétique, ce qui les différencie, en Europe, des pays baltes ou balkaniques. Il est donc difficile de dire qu'il y pré-existait un modèle ou une pratique constitutionnelle. En quelque sorte, nous avons assisté à une expérience extrêmement originale. Comment créer à partir de zéro une administration fiscale, une diplomatie, une police ou une armée ?

Les cinq systèmes constitutionnels qui en ont résulté sont assez classiques. Les constitutions ont été construites sur une structure très proche du modèle majoritaire que nous connaissons depuis la seconde guerre mondiale. L'on y trouve des déclarations des droits, avec des rédactions globalement très proches des standards internationaux. L'on y trouve également des institutions. Tous ces pays ont un chef d'Etat. Aucun n'a cherché à établir une monarchie. Des parlements ont été créés. Enfin, le système judiciaire est lui aussi relativement classique.

L'accès aux cinq constitutions n'est pas toujours très facile. Ainsi, il est très difficile de trouver la constitution actuelle du Tadjikistan. Dans la plupart des cas, il n'existe pas de version française. C'est dommage.

Les déclarations des droits sont extraordinairement proches de ce qui se faisait à la fin du XXème siècle. Les grands droits sont énoncés et protégés. Les standards internationaux sont repris. Les relations entre le chef de l'Etat et le gouvernement dépendent des pays. Le Kirghizstan est plus parlementaire que les autres pays. En matière de justice, quatre pays ont des juridictions ou des cours suprêmes. Seul le Turkménistan n'a pas créé de juridiction constitutionnelle. Je souhaite qu'il y en ait une le moment venu.

Au final, ces systèmes ne détonnent pas. Pour autant, il existe quelques originalités. Le rôle du Président en est une. Au Kazakhstan, il est le symbole de l'unité nationale. Il est celui qui a en charge le destin du pays. La question du renouvellement des équipes dirigeantes se pose dans certains cas. Parfois, les mêmes équipes sont au pouvoir depuis vingt ans. Il faudra être très attentif à la manière dont se feront ces changements d'équipes, entre ouverture et fermeture.

Enfin, l'évolution démocratique en termes de droits de l'homme devra aussi être suivie. Les bases existent. Les textes sont plutôt bons. Ceci étant, il faut tenir compte de la spécificité de la zone. Très honnêtement, il est impossible de construire un système aussi perfectionné que ceux qui existent en France ou aux Etats-Unis du jour au lendemain, ne serait-ce que parce qu'il faut du temps pour former des juristes. Pour autant, il ne faut pas sans cesse invoquer cette nécessité du temps pour éviter de poser la question. Il est anormal que certaines garanties fondamentales, dans les pays d'Asie Centrale comme ailleurs, ne soient pas encore véritablement assurées.

Pierre CHUVIN
Professeur émérite à l'Université Paris Ouest-Nanterre
L'Asie Centrale à l'épreuve des indépendances : destins divergents et convergences de fond

Vingt ans d'indépendance, c'est vingt années à défaire progressivement les liens qui unissaient les Républiques de l'Union soviétique, tout en préservant une part de cet héritage. Ces pays ont deux héritages : russo-soviétique et turco-iranien.

En 1991, la France a été parmi les premiers Etats à reconnaître les indépendances des pays d'Asie Centrale. L'Institut Français d'Etudes sur l'Asie Centrale était même le seul institut européen régional. Pour que ce courant d'échanges subsiste, la coopération culturelle doit être adaptée. Cette coopération a pris une grande ampleur. Ainsi, dans le domaine des sciences de la terre, le Kazakhstan et la France ont conclu un accord visant à créer un laboratoire sur la recherche et l'étude des terres et des métaux rares.

L'archéologie est un domaine très important de cette coopération. Différents chantiers sont en cours. La coopération est systématiquement collégiale. Elle donne d'excellents résultats. Autant que possible, le matériel est étudié sur place. Des Français participent à cinq missions archéologiques en Asie Centrale qui couvrent des périodes allant du néolithique à l'irruption mongole de 1220. Ces recherches ont révélé un art rupestre particulièrement riche. Elles ont permis des découvertes sensationnelles. Par exemple, à Samarkand, des fragments de grande peinture murale d'un pavillon de plaisance ont révélé un chapitre tout à fait inattendu de l'histoire de la peinture iranienne. Nous pouvons être fiers des Cahiers d'Asie Centrale . Cette revue est maintenant accessible à tous. Elle a permis à des savants de la région de se faire connaître du public occidental. La diffusion du savoir relatif à l'Asie Centrale se fait aussi par des expositions itinérantes.

Le patrimoine de cette région est également immatériel. Ainsi, il existe une extraordinaire tradition musicale, tandis qu'en littérature, de grands auteurs attendent leur traducteur.

Dès 1993, j'ai mis en place à Tachkent une entreprise de création de dictionnaires sans passer par la langue russe. Le dictionnaire franco-ouzbek a été long à bâtir, mais il a finalement vu le jour.

Les sites universitaires étudiant les langues et civilisations d'Asie Centrale se sont multipliés. Toutefois, les échanges universitaires restent le talon d'Achille de notre coopération.

Le patrimoine le plus spectaculaire est le patrimoine architectural. L'Asie Centrale est riche de nombreux monuments. Certains attendent une restauration durable. La mise en valeur de ce patrimoine permettra de développer le tourisme. Le tourisme culturel a de magnifiques atouts dans ces pays, y compris les plus montagneux.

Julien DENORMANDIE
Direction générale du Trésor - Chef du bureau CEI à la sous-direction des Relations économiques bilatérales
Situation économique et relations bilatérales avec le pays d'Asie Centrale : état des lieux et perspectives

Les économies d'Asie Centrale ont connu une évolution significative depuis la seconde moitié des années 90. Le PIB a été multiplié par six entre 1995 et 2010. Les pays d'Asie Centrale ont pu se développer significativement. Evidemment, il existe des disparités. Ainsi, le PIB du Kazakhstan est très proche de celui de la Russie. Toutefois, l'ensemble des économies de la région sont en croissance. Aucun de ces pays n'est entré en récession en 2009.

Ces croissances sont essentiellement tirées par des atouts économiques structurels. Le potentiel énergétique est l'un des volets les plus importants. Les réserves pétrolières et gazières sont considérables. La zone est également riche d'uranium et de métaux précieux. Le second atout structurel est l'agriculture, dont la part reste conséquente dans l'économie de ces pays. Le Kazakhstan est aujourd'hui le premier exportateur mondial de farine et de blé. La position géographique de ces pays, en tant que point de relais entre l'Union Européenne et l'Asie, est un autre atout.

Les économies d'Asie Centrale ont su accroître leur attractivité pour les investisseurs étrangers. L'investissement direct étranger a été multiplié par dix depuis 1993, à près de 10 milliards de dollars de flux aujourd'hui.

Il reste des défis dans ces économies. Celles-ci doivent passer d'une économie de fournisseurs de matières premières à une économie de producteur de produits à valeur ajoutée. Par exemple, le Kirghizstan est très dépendant du secteur des métaux précieux et des produits miniers. Ces pays ont effectué leur transition démographique, mais leur population reste jeune. L'enjeu en termes d'emploi est donc essentiel. Cette problématique est déjà prise en compte par les pays d'Asie Centrale. Elle se traduit par des dispositions visant à favoriser les investissements créateurs d'emplois. La France a la capacité d'accompagner les pays d'Asie Centrale dans cette diversification. L'amélioration constante du climat des affaires est un autre défi très important. Le troisième défi est celui du désenclavement, à la fois géographique, économique, financier et bancaire. Un processus de solidification des réseaux bancaires et financiers de ces pays est nécessaire.

Dans ce contexte, la France a développé une vraie stratégie de partenariat industriel. Les échanges ont été multipliés par quatre ces dix dernières années, à près de 4 milliards de dollars en 2010. La marge de progrès est colossale. Ces échanges sont peu diversifiés. La part du Kazakhstan reste très importante. Dans cette région, la part de marché de la France est loin derrière celle de certains concurrents comme la Russie, la Turquie, la Chine et la Corée, mais également de celle de l'Allemagne ou de l'Italie.

Plusieurs pistes se présentent. Il faut d'abord tirer profit de l'excellence des relations politiques et des entreprises déjà installées, dont des PME. Des partenariats industriels sont également possibles dans l'innovation. Sur le plan géographique, nous avons intérêt à unir nos forces.

Bohdan KRAWCHENKO
Directeur Général de l'Université de l'Asie Centrale
Les activités de la Fondation Aga Khan pour le développement de l'Asie Centrale

Le siège social du réseau Aga Khan est basé en France, à proximité de Paris. Il s'agit d'un réseau privé, ce qui pourrait constituer une autre optique du développement en Asie Centrale. Le réseau Aga Khan est assez énorme à l'échelle mondiale. Nous sommes également présents en Asie Centrale. D'ailleurs, notre conception de cette région dépasse les cinq pays de l'ex-Union Soviétique. Nous travaillons dans les régions où les problèmes sont les plus durs.

Le réseau Aga Khan intervient dans pratiquement tous les domaines possibles. Notre intervention en Asie Centrale présente quelques caractéristiques. D'abord, nous sommes très nombreux. Nous couvrons presque tous les aspects de la société. Nos interventions sont de long terme. Nous avons notamment construit plusieurs écoles, dont une à Osh au Kirghizstan. Notre intervention est multi-secteurs car les problèmes eux-mêmes sont multi-secteurs. Nous faisons preuve d'une grande patience. Par exemple, nos programmes de développement rural au Pakistan s'étendent sur trente ans. Malheureusement, beaucoup d'agences de développement ont très peu de patience.

Dans le secteur de l'éducation, nous menons un projet très ambitieux avec l'université d'Asie Centrale, qui devrait ouvrir ses portes en 2016. Nos universités ne sont pas dans les capitales, mais dans des villes secondaires en difficulté économique.

Nous avons un grand programme de santé, notamment un hôpital à Kaboul en partenariat avec un institut français. Nous créons un réseau de santé en Asie Centrale.

Nous intervenons également sur le plan économique. Nous menons des programmes de lutte contre la pauvreté. Pour cela, nous nous rapprochons toujours des organisations villageoises. Au Tadjikistan, nous avons mené de grandes interventions pour encourager le commerce transfrontalier avec l'Afghanistan.

Enfin, nous avons plusieurs programmes culturels. Les possibilités économiques sont assez intéressantes. Le potentiel économique de la culture doit être renforcé. La culture peut créer de l'emploi et améliorer la qualité de vie.