Colloque sur les Pays du Golfe


Questions

Benoît COMPTE, Directeur projets internationaux d'ATOS Euronext

Cette région semble se réveiller sur le plan boursier, mais l'on perçoit encore des résistances, à cause notamment des particularismes locaux (opposition à la collaboration entre pays du Golfe, rythme assez lent des privatisations, restrictions fortes sur la détention d'entreprises locales par des étrangers). Quel est votre avis sur le rythme d'évolution de ces pays ?

Jacques de LAJUGIE

Il s'agit de sujets sensibles qui touchent à la propriété de l'actif national, c'est-à-dire, in fine, à la capacité des autorités locales à contrôler la sphère économique et financière. J'ajoute d'ailleurs que de nombreuses banques locales restent contrôlées par des familles.

Concernant les privatisations, je parlerais plutôt de cessions d'actifs publics. En d'autres termes, l'Etat cesse d'être actionnaire de la totalité du capital des entreprises et en cède une partie. Dans la plupart des pays de la zone, nous en restons là. Nous n'en sommes donc pas encore au stade des privatisations - nous avons d'ailleurs procédé de la même manière en France. Cela étant, le mouvement est enclenché et je pense qu'il ira à son terme.

S'agissant des restrictions, Oman et les Emirats Arabes Unis sont les seuls pays à les maintenir (sauf dans les zones franches). Pour autant, des pays aussi fermés que le Koweït, le Qatar ou l'Iran ont modifié leur législation pour permettre à un investisseur étranger de détenir 100 % du capital d'une entreprise locale, ce qui était inenvisageable il y a dix ans. Un virage a donc été pris et je pense que le processus en cours au sein du Conseil de Coopération du Golfe jouera un rôle d'accélérateur.

Fatiha DAZI-HENI, Chargée de mission au Ministère de la Défense

Je souhaiterais que vous nous présentiez le projet de la DIFC aux Emirats Arabes Unis, sachant qu'il est en forte compétition avec la place financière de Bahreïn. Pourtant, Dubaï n'a fait aucun effort en termes de législation financière. Parallèlement, Bahreïn a une réputation ancienne de place financière et la DIFC est présentée comme un projet la mettant en danger. S'agit-il d'un projet concret ?

Jacques de LAJUGIE

Il est évident que la DIFC est l'instrument dont les Emirats Arabes Unis entendent se doter pour disputer à Bahreïn son rôle dominant de place financière. Cela fait partie de la stratégie de diversification menée depuis longtemps par les deux pays. La question est de savoir si la DIFC permettra à Dubaï de contester la position de Bahreïn, et dans quel délai. Bahreïn dispose aujourd'hui de trois avantages : il détient depuis longtemps une position financière reconnue ; son inventivité, son sérieux et sa fiabilité sont eux aussi reconnus ; enfin, il a compris très tôt ce que pouvait être le marché potentiel de la banque islamique, à la fois dans le Golfe et en-dehors.

Quels pourraient être les avantages et les inconvénients de la DIFC ? Une banque qui aurait une clientèle corporate de sociétés travaillant dans les pays du Golfe à partir de Dubaï aurait tout intérêt à choisir la DIFC, car Dubaï est devenu depuis une quinzaine d'années une plate-forme commerciale unique. Les importations des Emirats Arabes Unis ont en effet atteint 46 milliards de dollars en 2003, soit beaucoup plus que celles de l'Arabie Saoudite ou de l'Iran.

Quid de la régulation ? Je doute que les entreprises choisissent Dubaï plutôt que Bahreïn tant qu'elles ne connaîtront pas l'autorité de la régulation. La question est de savoir s'il s'agira d'une autorité interne ou si elle sera assurée par la Banque Centrale des Emirats Arabes Unis. Tant que ce point ne sera pas clarifié, la DIFC aura vraisemblablement du mal à décoller.

Jean-Guy COLLIGNON, Professeur à l'Université de Paris II

Le PIB par habitant des pays du Golfe est très différent selon que l'on prend en compte la population nationale ou la population totale. A quoi tient cette différence ? Certaines forces politiques pourraient-elles utiliser des arguments de ce type pour déstabiliser la région ?

Alain REMY

Dans les années 80, ces pays ont dû faire face à une croissance rapide et ont fait appel à une main-d'oeuvre en provenance de l'Asie du Sud-Est, qui s'est focalisée sur les tâches les moins rémunératrices et dont les revenus restent aujourd'hui très faibles. Une partie de cette main-d'oeuvre est autorisée à rester dans son pays d'adoption ; par ailleurs, les nationaux ne sont pas prêts à assumer les tâches aujourd'hui prises en charge par des immigrés, ce qui pose des problèmes de remplacement, car les flux d'immigration sont plus faibles qu'auparavant. L'évolution démographique des pays du Golfe pays tend au rejet des travailleurs immigrés, mais il est difficile de leur trouver des remplaçants dans la population nationale.

Je pense par ailleurs que la perception d'une éventuelle déstabilisation est, avec les pressions des pays extérieurs, à l'origine de la démarche d'ouverture de ces pays. Le problème est que les populations locales refusent parfois d'y participer, ce qui pourrait poser des problèmes à moyen et long terme.

Jacques de LAJUGIE

Avant d'aborder le sujet suivant, je tiens à souligner l'effort réalisé par notre pays en matière de défense, notamment sur le plan budgétaire. Nous devrions sans doute en parler davantage dans cette région. Il y a là selon moi une lacune du système public.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page