Octobre 2014

NOTE

sur

Les collectivités territoriales
et le financement des lieux de culte

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Allemagne - Espagne - Italie - Royaume-Uni - Turquie

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Cette note a été publiée dans le rapport d'information de M. Hervé MAUREY, Sénateur de l'Eure , « Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte » n° 365 (2014-2015), fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales

et à la décentralisation

Ce rapport est disponible sur internet à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-345-notice.html

AVERTISSEMENT

Les notes de Législation comparée se fondent sur une étude de la version en langue originale des documents de référence cités dans l'annexe.

Elles présentent de façon synthétique l'état du droit dans les pays européens dont la population est de taille comparable à celle de l'Hexagone ainsi que dans ceux où existe un dispositif législatif spécifique. Elles n'ont donc pas de portée statistique.

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs par la division de Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

NOTE DE SYNTHÈSE

Cette note est consacrée au régime du financement des lieux de culte par les collectivités territoriales dans cinq pays : l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la Turquie (en ce qui concerne ce pays, une notice a été réalisée pour le Sénat).

Elle examine, pour chacun de ces Etats :

- les fondements constitutionnels du droit des cultes ;

- et le régime du financement par les collectivités territoriales, tant en ce qui concerne la construction des lieux de culte que leur rénovation.

Elle n'évoque pas :

- le régime général du financement des cultes lui-même ;

- le régime général applicable aux lieux de culte ayant le caractère de monument historique qui peuvent bénéficier d'aides publiques à ce titre ;

- les régimes particuliers applicables à certains types de lieux de culte tels les oratoires (oratori) en Italie non plus que certaines modalités d'organisation de l'administration des lieux de culte (par exemple, les fabriques [ fabbricerie ] en Italie.)

1. Le régime applicable en France
a) Généralités et fondements constitutionnels
(1) Principes constitutionnel et législatif

L'article 1 er de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État garantit le libre exercice des cultes (article 1) tout en posant le principe selon lequel « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, (...) seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes » (article 2).

Il n'est pas possible aux collectivités territoriales, sauf exception, de :

- financer, y compris indirectement, la construction ou l'acquisition de lieux de culte ;

- financer les dépenses de fonctionnement des édifices cultuels ;

- favoriser un culte par la mise à disposition de locaux ;

- ou financer des activités ou des manifestations ayant le caractère de célébration religieuse.

(2) Régime de la reconnaissance des cultes

La loi du 9 décembre 1905 précitée institue le statut d'association cultuelle.

Aux termes de son article 19, « Ces associations devront avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte (...). Elles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques. ».

Une association cultuelle :

- a exclusivement pour objet l'exercice d'un culte ;

- ne peut pas recevoir de subventions publiques autres que celles prévues au titre des réparations, mais peut être destinataire de dons et legs ;

- est enfin soumise à un contrôle financier des autorités publiques.

Une association à objet cultuel peut être régie par les dispositions de la loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat d'association et non par celles de la loi de 1905 précitée si son objet est plus large que l'exercice d'un culte. Dans un tel cas, elle n'est alors pas habilitée à recevoir des dons et legs.

b) Les conditions de l'intervention financière

Au principe de non-subventionnement issu des dispositions de la loi de 1905 précitée existent quelques exceptions limitativement encadrées.

(1) Les exceptions régionales

Deux ensembles territoriaux n'entrent pas dans le champ d'application de la loi de 1905 : l'Alsace-Moselle et certaines collectivités d'outre-mer.

Dans le premier ensemble, le régime concordataire reconnaît quatre cultes (catholique, luthérien, réformé et israélite), dotés d'établissements publics du culte. Le droit local des cultes comporte des dispositions relatives aux agents, à l'entretien des édifices, à l'organisation et au fonctionnement des cultes, et prévoit également l'intervention obligatoire des communes en cas d'insuffisance de ressources des établissements publics des cultes.

Dans le second ensemble, les dispositions de la loi de 1905 précitée s'appliquent en Guadeloupe, à la Martinique, à la Réunion, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy mais ne s'appliquent ni en Guyane, ni dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution (Polynésie française, Wallis et Futuna, Saint-Pierre et Miquelon), ni en Nouvelle Calédonie, ni à Mayotte. Le droit des cultes dans ces collectivités est régi par les décrets-lois du 16 janvier 1939 et du 6 décembre 1939, dits décrets Mandel.

(2) Les précisions apportées à l'interdiction de non-subventionnement

Plusieurs décisions du Conseil d'État du 19 juillet 2011 ont précisé l'interprétation de la loi du 9 décembre 1905 et rappelé que les collectivités publiques peuvent uniquement :

- « financer les dépenses d'entretien et de conservation des édifices servant à l'exercice public d'un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Églises et de l'État ;

- ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d'édifices cultuels.

Il leur est en revanche interdit d'apporter une aide à l'exercice d'un culte. ».

Aux termes des décisions rendues par le Conseil d'État :

- « d'une part, si la loi de 1905 interdit en principe toute aide à l'exercice d'un culte, elle prévoit elle-même expressément des dérogations ou doit être articulée avec d'autres législations qui y dérogent ou y apportent des tempéraments ;

- d'autre part, si les collectivités territoriales peuvent prendre des décisions ou financer des projets en rapport avec des édifices ou des pratiques cultuels, elles ne peuvent le faire qu'à la condition que ces décisions répondent à un intérêt public local, qu'elles respectent le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité et qu'elles excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. ».

(3) Financement direct et indirect

Des aménagements permettent aux collectivités territoriales de financer directement et indirectement des lieux de culte.

Au titre du financement direct, les collectivités territoriales peuvent intervenir pour les besoins de :

- conservation et entretien des édifices dont elles sont propriétaires ;

- sécurité et accessibilité des édifices leur appartenant ;

- réparation des édifices qui sont la propriété des associations cultuelles ;

- vente ou destruction du lieu de culte.

Le financement indirect, quant à lui, peut prendre la forme de :

- garanties d'emprunts « dans les agglomérations en voie de développement, [pour] la construction, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux » (art. L. 2252-4 et L. 3231-5 du code général des collectivités territoriales) ;

- baux emphytéotiques (art. L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales) ;

- mises à disposition de locaux (art. L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales) ;

- dispositions en matière de droit de l'urbanisme permettant aux communes de favoriser l'implantation de lieux de culte ;

- et subventions au titre de la protection des monuments historiques lorsque les édifices sont classés.

Enfin, les collectivités territoriales peuvent subventionner, lorsqu'un intérêt public local existe, des projets, activités, équipements, organismes ... ayant un lien avec un culte mais ne servant pas à l'exercice de celui-ci.

2. Observations sur les législations étudiées

Le régime applicable aux interventions des collectivités territoriales, en général, et au financement des lieux de culte auquel elles peuvent contribuer, en particulier, s'inscrit dans un dispositif plus vaste qui régit les relations des pouvoirs publics et des cultes. Dans les cinq pays étudiés, on observe, à ce titre, à côté de l'affirmation du principe général de liberté religieuse, une modulation des types d'intervention publique dans les questions relatives aux lieux de culte, que l'on rappellera avant d'en venir aux règles spécifiquement applicables aux collectivités territoriales.

a) La combinaison de la liberté religieuse et de la coopération des pouvoirs publics avec les cultes

Le régime applicable au financement des lieux de culte par les collectivités locales s'inscrit dans un cadre normatif dont les traits ont une incidence déterminante sur la possibilité, pour les personnes publiques, de financer les lieux de culte. Ce régime combine, selon des modalités diverses, l'affirmation de la liberté religieuse et la pratique « à géométrie variable » d'une coopération des pouvoirs publics et des cultes.

• Liberté religieuse

Les cinq législations étudiées reposent sur le principe de liberté religieuse affirmé dans des textes fondamentaux, qu'il s'agisse d'une référence explicite à la « laïcité » (Turquie) ou de l'affirmation de la liberté de conscience et de l'absence de religion d'État (Allemagne, Espagne, Italie). Si le Royaume-Uni ne connaît, quant à lui, pas de séparation explicite, la Reine étant le gouverneur suprême de l'Église d'Angleterre, la liberté religieuse y est reconnue par la loi.

• Coopération des pouvoirs publics et des cultes

Explicitement mentionnée dans trois cas sur les cinq étudiés, la coopération des pouvoirs publics avec les cultes procède de mécanismes généraux telle que l'existence de concordats (Allemagne, Espagne, Italie), combinée à :

- la possibilité de conférer le statut de corporation de droit public aux cultes (Allemagne) ;

- l'affirmation d'une « laïcité positive qui interdit tout type de confusion entre les fins religieuses et celles de l'Etat » en Espagne par le Tribunal constitutionnel interprétant les dispositions de la Constitution de 1978, à côté de la conclusion d'un concordat avec l'Eglise catholique ;

- et la reconnaissance « non pas d'une indifférence de l'Etat » mais de la garantie qu'il apporte « pour la sauvegarde de la liberté de religion » selon la Cour constitutionnelle italienne statuant sur la Constitution de 1948.

En vertu du régime existant au Royaume-Uni, le Souverain reste à la tête de l'Eglise d'Angleterre, tandis que les autorités turques sont responsables du financement des mosquées du pays, par l'intermédiaire de la Présidence des Affaires religieuses, entité étatique rattachée au Premier ministre.

b) Les compétences des collectivités locales en matière de lieux de culte

Trois des cinq exemples étudiés se caractérisent par la possibilité ouverte à tout ou partie des collectivités territoriales de conclure des accords avec les cultes, d'une part, et par l'obligation qui leur est faite de prévoir, dans leurs documents d'urbanisme, des espaces pour la construction des lieux de culte.

• Conclusion d'accords

Le champ de compétence des collectivités territoriales est délimité par :

- des contrats conclus entre les Länder et les différents cultes, qu'il s'agisse de concordats avec le Saint-Siège ou d'accords avec les autres religions, aussi bien au titre de l'entretien d'édifices cultuels entrés dans le patrimoine public au début du XIX e siècle, après la sécularisation, que pour les édifices construits ultérieurement ;

- en Espagne, où les communautés autonomes ont conclu des accords avec certains cultes, en particulier l'Eglise catholique ;

- et en Italie, où, à côté des accords conclus entre les cultes et l'Etat, existent des lois régionales comprenant des dispositions relatives au financement des édifices cultuels.

• Affectation d'espaces aux lieux de culte dans les documents d'urbanisme

Dans quatre pays étudiés, les collectivités territoriales doivent, lors de l'établissement des documents d'urbanisme, prendre en considération les besoins en matière de construction d'édifices cultuels.

Le code fédéral de la construction allemand prévoit que les besoins des Églises et sociétés religieuses sont pris en compte pour l'établissement de l'équivalent des plans locaux d'urbanisme. En Espagne, les communes peuvent dédier des zones aux lieux de culte dans leurs documents de planification urbaine, 8 autonomies ayant également prévu que des réserves foncières publiques peuvent être affectées à une telle utilisation.

Les communes italiennes, quant à elles, doivent destiner des espaces à la construction d'édifices cultuels. Les équivalents des plans locaux d'urbanisme précisent les zones susceptibles de recevoir des équipements religieux compte tenu des besoins de la population exprimés par les cultes qui en formulent la demande.

Enfin, au Royaume-Uni, le document-cadre sur la politique nationale de planification précise que les politiques d'urbanisme doivent prévoir la fourniture et l'utilisation d'installations communautaires telles que les lieux de culte.

c) L'aide à la construction des édifices des cultes

Au moins quatre des cinq législations étudiées permettent le financement de la construction des lieux de culte, de façon directe et de façon indirecte.

• Les aides directes par l'octroi de subventions

Une collectivité territoriale peut subventionner directement la construction d'un édifice cultuel en Allemagne, en Italie et en Turquie.

En Italie, la loi nationale et plusieurs lois régionales dont celle de Lombardie prévoient le versement, par les communes, d'une fraction du produit des taxes sur les autorisations de construire et des amendes sur les constructions illicite pour le financement des édifices religieux entendus au sens large (édifices cultuels, habitation des ministres du culte et du personnel, « édifices destinés aux activités éducatives, cuturelles sociales et récréatives », notamment). Les édifices construits par ce moyen ne peuvent changer de destination avant un délai de 20 ans, faute de quoi on procède au remboursement de ces subventions.

• Les aides indirectes

Parmi les modes indirects de financement repérés des lieux de culte, on note :

- la vente de terrains à titre préférentiel ;

- la mise à disposition de terrains ;

- la garantie d'emprunt ;

- et enfin l'échange.

Vente de terrains

En Espagne, la loi prévoit expressément que la cession à titre gratuit d'un terrain est possible au profit d'entités exerçant une activité au bénéfice des habitants du territoire municipal, et, par conséquent, des cultes.

Au Royaume-Uni, les communautés religieuses peuvent, au même titre que les organismes de bienfaisance, bénéficier d'une disposition leur permettant de racheter aux communes, de façon prioritaire, des biens dont elles ont l'usage.

Mise à disposition de terrains

La mise à disposition de terrains est possible en Allemagne et en Espagne (par le biais d'une concession pour les biens appartenant au domaine public ou d'une location pour les biens appartenant au domaine privé des collectivités territoriales espagnoles), ainsi qu'au Royaume-Uni et en Turquie.

Garanties d'emprunts

La législation italienne permet aux communes de contracter des emprunts auprès de l'équivalent de la Caisse des Dépôts et consignations pour le financement d'ouvrages d'intérêt public, dont les églises et autres édifices destinés au service religieux.

Echanges

La législation espagnole permet de réaliser des échanges de biens afin d'installer des édifices cultuels, sous des conditions strictes, tenant notamment au respect du principe d'égalité et de la nécessité de recourir à cette formule à défaut d'autres procédures.

d) L'aide à la rénovation des édifices des cultes

Outre les aides consenties par l'Etat au titre de l'entretien de l'équivalent des monuments historiques, la rénovation des lieux de culte peut également être financée par les collectivités territoriales dans chacune des législations étudiées.

En Allemagne, la rénovation des édifices sécularisés au XIX e siècle revêt du reste le caractère de dépense obligatoire pour les collectivités publiques, qui peuvent toutefois les renégocier avec les cultes concernés.

Les modalités de gestion de cette aide sont caractérisées par une forme de concertation dans trois cas :

- en Allemagne, où certaines lois adoptées par les Länder l'ont prévue avec les cultes au sujet de la conservation des monuments historiques ;

- en Espagne, où l'Etat et les collectivités autonomes ont signé des accords avec l'Eglise catholique afin de déterminer la nature des travaux et la répartition des financements pour la protection et la conservation du patrimoine doté de caractéristiques cultuelles, étant observé que certaines collectivités contribuent de surcroît au financement d'édifices dépourvus du caractère de monument historique ;

- et en Italie, où le versement d'une aide communale est précédé de l'examen des demandes formulées par les différents cultes en matière de restauration (loi de Lombardie).

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