ROYAUME-UNI

Le régime général de la prescription pénale est envisagé par le droit de common law en vigueur au Royaume-Uni dans des termes qui se distinguent nettement des normes applicables dans les pays de tradition romano-germanique évoqués dans la présente étude.

L'analyse de ce régime permet de distinguer :

- un principe général d'imprescriptibilité ;

- des exceptions qui le tempèrent afin d'éviter l'insécurité juridique ;

- et enfin l'existence de quelques règles de procédure pénale permettant au juge de déterminer les délais de prescription de l'action publique à la lumière des circonstances de l'espèce.

1. La règle générale d'imprescriptibilité

Le principe selon lequel temps n'arrête pas la Couronne (nullum tempus occurit regi) prévaut en Common law de sorte que, au moins en théorie, des poursuites pénales peuvent être indéfiniment engagées 29 ( * ) .

Cette règle générale d'imprescriptibilité s'applique notamment aux « infractions » les plus graves (indictable offences) , de sorte qu'« il n'y a pas de délai général, et à moins qu'il s'agisse d'une infraction à laquelle une loi attache un délai spécifique, une poursuite peut être déclenchée, théoriquement n'importe quand après commission de l'infraction » 30 ( * ) .

Le principe qui prévaut est donc l'absence de délai de prescription, lequel supporte quelques exceptions en vertu desquelles un tel délai de prescription est expressément prévu pour certaines infractions douanières se prescrivant par trois ans 31 ( * ) .

2. L'exception : les summary offences

Dans le système de common law britannique, une infraction susceptible d'être punie sur le fondement d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire (summary offence) constitue la moins grave des deux catégories d'infractions criminelles.

Cette infraction est jugée par la Magistrates' Court , régie par le Magistrates' Court act , dont l'article 127 dispose « qu'une Magistrates' Court ne doit pas recevoir (hear) une plainte, à moins que l'accusation n'ait été formulée ou la plainte déposée dans les six mois à compter du moment où l'infraction a été commise, ou l'objet de la plainte est né » 32 ( * ) .

De ce fait, au Royaume-Uni, pour les délits les moins graves, la procédure doit commencer au plus tard six mois après la commission de l'infraction, faute de quoi la prescription s'applique.

Le Magistrates' Cour act n'évoque pas de cas d'interruption de ce délai.

3. L'appréciation par le juge des délais de prescription de l'action publique à la lumière des circonstances de l'espèce

Le droit britannique reconnaît au juge une marge de manoeuvre propre, lui permettant d'apprécier le délai de prescription in concreto sans que celui-ci ne soit enfermé dans des règles écrites.

Pour pallier l'atteinte à la sécurité juridique et le risque qu'une infraction constatée ne soit pas punie, le droit de common law permet la requalification des faits par le juge et reconnaît la validité de la théorie de l' abuse of process .

• La requalification des faits par le juge

Le juge peut requalifier des faits en une autre infraction non soumise à un délai de prescription.

Cette hypothèse a été rappelée dans l'arrêt de la Chambre criminelle de la Court of Appeal rendu en 2003 33 ( * ) . Des commentateurs estiment que « le fait que le Parlement avait institué un délai de prescription en matière de poursuites en vertu de l'article six n'empêchait pas un procureur de considérer que, dans des circonstances particulières, un procès équitable était possible et qu'il était légitime (conducive to justice) d'invoquer un chef d'accusation (bring a charge) différent non soumis à un tel délai de prescription » 34 ( * ) .

• La théorie de l'abus de procédure (abuse of process)

Selon la théorie de l' abuse of process, un tribunal anglais saisi d'une affaire pénale peut et doit faire cesser une poursuite qu'il l'estime abusive.

En 1964, en effet, la Chambre des Lords a retenu l'idée que les tribunaux exercent par nature un pouvoir destiné à prévenir tout abus de procédure : les magistrats ont la faculté de mettre fin à une procédure lorsqu'ils constatent un abus. Lord Morris of Borth-y-Gest notait, à ce titre, dans un arrêt relatif à l' abuse of process : « Il ne fait aucun doute que le tribunal qui est doté d'une compétence particulière dispose de pouvoirs nécessaires pour lui permettre d'agir efficacement à cette fin. Je les considère comme des pouvoirs inhérents à sa compétence » 35 ( * ) .

La théorie de l' abuse of process a été réaffirmée par la Chambre des Lords en 1977, avant que ne se développe son application. Lord Salmon rappela à cette occasion tant le caractère exceptionnel du recours à cette théorie que les pouvoirs du juge en la matière : « le juge n'a le pouvoir d'intervenir que si l'accusation aboutit à un abus de procédure de la cour et est oppressive et vexatoire » 36 ( * ) .

Une juridiction peut donc mettre un terme, sur le fondement de l' abuse of process , à une procédure lorsque :

- un procès équitable ne peut être garanti ;

- l'accusation a fait un mauvais usage d'une procédure (misuse of process) 37 ( * ) .

Pour la Court of Appeal britannique l'abuse of process demeure, en matière de délais, exceptionnel 38 ( * ) . En tout état de cause, aucun retard dans la procédure n'est imputable aux autorités chargées des poursuites. La question des délais montre la souplesse dont disposent les juges britanniques : aucun délai n'est en lui-même constitutif d'un abuse of process . Celui-ci ne dépendra que des circonstances de l'espèce.

Permettant de traiter, en l'absence de prescription, les problèmes posés par la longueur des délais entre infraction et procès, l' abuse of process s'applique également aux situations dans lesquelles « une investigation policière ou une poursuite est déclenchée en temps normal mais traîne d'une façon nuisible aux intérêts de la défense 39 ( * ) ». Dans un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Court of Appeal en 2001, Lord Bingham of Cornhill observait à ce titre que « Si le tribunal était convaincu, devant un procès imminent, que l'accusation avait été responsable (guilty) d'un retard important de nature à causer un préjudice grave à l'accusé, au point qu'aucun procès équitable ne pourrait avoir lieu, ou si les autorités étaient réputées avoir agi de manière à rendre tout procès inéquitable pour le défendeur dans ces circonstances, la poursuite de la procédure serait considérée comme abusive » 40 ( * ) .

L'appréciation de la longueur du temps écoulé est spécifique en matière d'infractions sexuelles sur mineurs, domaine où le recours à l' abuse of process s'avère encore plus exceptionnel, les juges précisant dans une affaire que, s'il est important que justice soit rendue à la victime et à l'accusation, il est encore plus important que le défendeur ne subisse pas une injustice de sorte que « si des personnes coupables peuvent demeurer impunies, des innocents ne seront pas condamnées à tort » 41 ( * ) .

Le système britannique conjugue par conséquent la quasi-absence de dispositions légales relatives au délai de prescription et la reconnaissance d'une marge de manoeuvre, limitée, au juge pour déterminer ces délais « au cas par cas ».


* 29 Adrian Mason, « Should there be a « statute of limitations' for criminal offences ? » dans Sollicitors Journal, 21 août 2015.

* 30 J. R Spencer « La célérité de la procédure pénale en Angleterre » dans Revue internationale de droit pénal , 66 (1995), p. 427 .

* 31 A. Mihman, « Juger à temps, le juste temps de la réponse pénale » , Paris, L'Harmattan, 2008, p. 439.

* 32 Magistrates' Court Act, 1980, article 127.

* 33 Cr. App. R. 8, 2003. L'arrêt n'a pu être consulté dans sa version originale, cette référence est tirée de A. Mihman, « Juger à temps, le juste temps de la réponse pénale », op. cit. , p. 440.

* 34 Observations de C. Barsby et J. C. Smith citées par « Juger à temps, le juste temps de la réponse pénale » op. cit. , p. 440.

* 35 House of Lords, april 21, 1964, Connelly v. DPP, (1964) 48 Cr. App. R. 183.

* 36 House of Lords, May 19, 1976, DPP v. Humphrys, (1977) 63 Cr. App. R. 95.

* 37 A. Mihnan, op. cit . p. 443.

* 38 Court of Appeal (Crim Div), February 6, 1996, R v. King, [1997] Crim. LR, 298-299.

* 39 Attorney General's Reference No. 1 of 1990, 1992, QB 630 . L'arrêt n'a pu être consulté dans sa version originale, cette référence est issue de « La célérité de la procédure pénale en Angleterre », art. cit . p. 429.

* 40 Judgments - Attorney General's Reference No 2 of 2001 (On Appeal from the Court of Appeal (Criminal Division)).

* 41 CA (Crim Div), February 11, 2003, Rv. B : L'arrêt n'a pu être obtenu dans sa version originale cette référence est citée par A. Mihman, op. cit ., p. 447.

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