ETATS-UNIS

La constitution américaine ne garantit pas le droit général au respect de la vie privée. Le quatrième amendement ne protège les droits des citoyens « dans leurs personnes, leurs maisons, leurs papiers et leurs effets » que contre les intrusions du gouvernement.

Dégagé par la doctrine en 1890 (8 ( * )) , le droit à la vie privée ( privacy ) fut reconnu par la Cour suprême en 1965, qui précisa alors que : « la protection du droit général d'une personne au respect de la vie privée -son droit à la solitude- est, comme la protection de sa propriété et de sa vie, laissée pour une large part au droit des différents Etats ». Ce droit, qui n'est pas constitutionnellement garanti, relève donc des législations des différents Etats et de leur application par les tribunaux.

La notion de respect de la vie privée s'est développée grâce au droit de la responsabilité civile extra-contractuelle . En 1960, la doctrine classa en quatre catégories les comportements reconnus par les tribunaux comme portant atteinte à la vie privée :

- la publication de faits appartenant à la vie privée ;

- l'intrusion dans l'intimité ;

- la présentation d'une personne sous un jour défavorable ou trompeur ;

- l'appropriation du nom ou de la ressemblance d'une personne.

Toutefois, la protection de la vie privée est limitée par la liberté de la presse à laquelle les tribunaux donnent une portée très générale puisqu'elle est garantie par le premier amendement à la Constitution : « Le Congrès ne pourra faire aucune loi (...) restreignant la liberté de parole ou de presse (...) ».

Lorsqu'elles ne sont justifiées par aucun intérêt public, les tribunaux sanctionnent les atteintes à la vie privée dont se rendent coupables les médias en accordant des dommages-intérêts aux victimes.

I. LA PROTECTION JURISPRUDENTIELLE DU DROIT A LA VIE PRIVEE

A. LE DROIT DES TORTS

La Common Law ignore le principe général de la faute. Cependant, la théorie des torts permet de reconnaître le caractère fautif de certains actes limitativement énumérés . Les torts peuvent être définis comme des actes dommageables qui ouvrent droit à une action en dommages-intérêts. Ils ont été reconnus par les tribunaux ou par le législateur, la situation variant d'un Etat à l'autre.

Les torts sont recensés et définis dans le restatement of torts, qui comporte notamment les quatre torts susceptibles de porter atteinte à la vie privée :

- la publication de faits appartenant à la vie privée ;

- l'intrusion dans l'intimité ;

- la présentation d'une personne sous un jour défavorable ou trompeur ;

- l'appropriation du nom ou de la ressemblance d'une personne.

Certains Etats reconnaissent chacun de ces quatre torts, d'autres n'en reconnaissent qu'une partie.

1) La publication de faits privés

C'est l'élément principal de la notion de privacy . Il peut être défini comme la publication d'informations personnelles dont la révélation paraît choquante pour une personne raisonnable lorsque l'information ne concerne pas légitimement le public .

Les informations portant sur la sexualité, les revenus, les antécédents criminels, les traitements médicaux sont celles qui sont le plus fréquemment considérées comme des divulgations de la vie privée.

2) L'intrusion dans l'intimité

La personne qui, physiquement ou d'une autre façon (caméras, téléobjectifs, etc.), s'immisce dans la solitude, la retraite, ou les affaires privées d'une autre engage sa responsabilité.

En principe, les journalistes ne peuvent accéder aux lieux où se sont déroulés des événements susceptibles d'être rapportés qu'avec le consentement du propriétaire.

La notion de consentement est interprétée de façon extensive par les tribunaux. En effet, l'absence de consentement de la victime peut être écartée dans deux cas :

- si la présence « paisible » des journalistes sur des lieux n'est pas expressément exclue lorsque ces lieux sont le théâtre d'événements publics ou susceptibles d'être rapportés au public ;

- s'il est démontré qu'il existe une pratique permettant à la presse de se trouver sur les lieux d'un événement. Par exemple, il est possible de démontrer que les pompiers invitent généralement les représentants de la presse à visiter les lieux d'un drame.

La notion de propriété est interprétée restrictivement. Le demandeur doit prouver qu'il est propriétaire ou occupant légitime de l'endroit qui a fait l'objet d'une intrusion. Ainsi, en 1975, le fait de fouiller dans les poubelles d'une personnalité aux fins d'y découvrir des documents, n'a pas été jugé constitutif d'une faute. En effet, comme les poubelles avaient été laissées au bord de la voie publique, les « biens » qui s'y trouvaient ont été considérés comme ayant été abandonnés par leur propriétaire.

Lorsque l'intimité d'une personne est violée par la presse, les tribunaux délimitent le degré de protection auquel elle a droit en examinant les circonstances dans lesquelles elle était placée et ses espérances légitimes compte tenu de sa situation.

Ainsi, une personne publique ne peut s'opposer à la prise d'une photographie lorsqu'elle se trouve dans un lieu public. De même, une personne qui se comporte de manière voyante, sans chercher à protéger son intimité, a peu de chance de se voir reconnaître un droit de s'opposer aux intrusions.

C'est ainsi qu'en avril 1997, la cour du district de Californie a pu rejeter la demande du musicien Tommy Lee et de l'actrice Pamela Anderson qui se plaignaient de l'intrusion dans leur vie privée que représentait pour eux la publication d'un article et de photographies concernant leur vie sexuelle. Elle a souligné que ces deux personnalités ayant dans le passé largement ouvert leurs vies privées aux journalistes ne pouvaient se plaindre ensuite d'intrusions des journalistes.

3) La présentation d'une personne sous un jour défavorable ou trompeur (false light)

Ce tort est constitué par la publication d'informations fausses ou d'informations plaçant la personne sous un jour trompeur à condition que :

- ceci constitue une atteinte à sa vie privée ;

- le journaliste se soit rendu coupable de négligence en ne vérifiant pas la véracité des informations.

Il n'est pas nécessaire que ces informations soient considérées comme dommageables pour ouvrir droit à réparation. Il peut s'agir :

- d'un embellissement si la personne est présentée dans une situation plus favorable que celle dans laquelle elle se trouve effectivement, ou si l'histoire a été enjolivée pour la rendre plus captivante ;

- de la transformation des faits en fiction lorsque les situations ont été réellement vécues mais que l'historien prête aux personnages des comportements ou des sentiments qu'ils n'ont pas eus ;

- d'une distorsion de la réalité quand l'information est diffusée hors de son contexte. Ainsi, l'utilisation de l'image d'un enfant victime d'un accident pour illustrer un reportage sur les mauvais traitements infligés aux enfants constitue une distorsion de la réalité.

La publication de certaines informations fausses est couverte par une interprétation du premier amendement qui cherche à protéger les journalistes d'une menace permanente de poursuites judiciaires. C'est le cas, par exemple, d'erreurs sans grande conséquence. C'est aussi le cas d'erreurs plus graves mettant en cause des personnalités publiques. Ces dernières doivent prouver que le journaliste savait que l'information était fausse, ou tout au moins qu'il a fait preuve d'une négligence coupable, alors qu'une personne privée doit simplement prouver la négligence du journaliste.

Le false light est proche de la notion de diffamation pour laquelle le plaignant doit prouver en plus que l'information porte atteinte à sa réputation. Les deux actions sont souvent possibles simultanément, voire quelquefois assimilées.

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Pour ces trois torts , le plaignant doit prouver qu'une personne raisonnable trouverait ces intrusions dans la vie privée extrêmement blessantes. Les tribunaux interprètent le plus souvent cette notion dans un sens défavorable pour la victime.

4) L'appropriation du nom ou de la ressemblance d'une personne à des fins commerciales

Une personne qui cherche à s'approprier la valeur commerciale ou la renommée attachée à une personne se rend coupable de ce tort .

Il a été appliqué lorsque le nom ou l'image d'une personne avait été utilisé sans son consentement, pour des fins publicitaires ou en relation avec un produit commercial.

Ce droit se rattache plutôt à la notion de propriété intellectuelle d'un individu. Son impact est limité à l'égard de la presse puisque les tribunaux ont jugé que les nouvelles et reportages ne constituaient pas des messages commerciaux et ne pouvaient de ce fait équivaloir à de l'appropriation.

B. LES LIMITES

Le droit au respect de la vie privée se heurte à trois limites importantes dues au grand attachement des tribunaux à la liberté de la presse garantie par le premier amendement à la constitution , et donc mieux protégé constitutionnellement que le droit au respect de la vie privée.

1) L'information se trouvant dans des dossiers publics

Si l'information provient d'un document public (acte de naissance, rapport de police...), les journalistes ne peuvent être poursuivis pour l'avoir rapportée. Il importe peu que les personnes visées aient été embarrassées par la publication de telles informations. Par exemple, en 1989, la Cour suprême a jugé qu'un journal ne pouvait être poursuivi pour avoir révélé le nom de la victime d'un viol obtenu dans un rapport de police, même si, en l'espèce, ce nom apparaissait par erreur dans le document.

2) L'intérêt public

L'intérêt public justifie la diffusion d'informations, même de nature privée. Les tribunaux recherchent donc l'existence d'un lien logique entre le fait privé rapporté et l'intérêt public. L'intérêt public est présumé lorsque l'information divulguée a été obtenue dans des lieux publics. La publication, dans un guide consacré aux plages nudistes, d'une photographie d'un couple nu sur une plage a par exemple été jugée licite car ce livre était d'un intérêt public et que l'image du couple présentait un lien avec le sujet.

3) Le newsworthiness

C'est un moyen traditionnel de défense à une poursuite pour révélation de faits de la vie privée. Le Restatement of torts définit la notion en formulant un critère mettant l'accent sur ce qu'une « personne raisonnable » peut considérer comme étant une information que le public peut légitimement souhaiter connaître.

Différents éléments sont mis en balance pour juger si une information peut être considérée comme susceptible d'être diffusée :

- les coutumes et conventions de la communauté ;

- l'ampleur de l'intrusion dans la vie privée ;

- la valeur sociale de l'information ;

- le fait que la personne victime des divulgations a accédé à la notoriété publique de son propre chef ou en raison de circonstances lui échappant ;

- la divulgation antérieure des faits.

Par exemple, en 1980, un article publié dans le magazine Sports Illustrated et consacré à un champion de surf s'étendait sur divers aspects de sa vie privée, mentionnant notamment qu'il n'avait jamais appris à lire ou qu'il trompait les autorités pour toucher des indemnités de chômage. Le tribunal estima que les faits rapportés étaient peut-être embarrassants pour le demandeur, mais ne constituaient pas du sensationnalisme gratuit ; ils n'étaient qu'une tentative légitime du journaliste pour expliquer le style et les talents du sportif.

C. LES SANCTIONS

1) L'action en dommages-intérêts

L'atteinte à la vie privée est sanctionnée par l'attribution à la victime de dommages-intérêts compensatoires qui constituent la réparation proprement dite (notamment du préjudice moral).

Le droit de réclamer des dommages-intérêts pour non-respect de la vie privée est un droit personnel (sauf pour le tort d'appropriation). Il ne peut donc être exercé que par la personne victime des intrusions des journalistes, et non par sa famille, même proche.

C'est ainsi que la veuve d'un homme filmé lors d'une tentative infructueuse de réanimation par une équipe de secours n'a pas eu le droit d'intenter un procès pour atteinte à la vie privée, après la diffusion du reportage. Seul son époux, s'il avait survécu, aurait pu intenter une telle action.

De manière générale, les journalistes sont rarement condamnés. Toutefois, le montant des dommages-intérêts versés est souvent considérable (plusieurs centaines de milliers de dollars) lorsque le défendeur est une maison d'édition ou une chaîne de télévision importante.

2) Les autres actions
a) La censure préalable

Un individu peut demander à la cour de prendre une mesure de censure préalable pour empêcher la diffusion d'une publication portant atteinte à sa vie privée.

Les tribunaux sont en général réticents à ordonner une telle mesure , considérée comme devant être le dernier recours envisageable si d'autres moyens moins contraignants pour parvenir au même but n'ont pu être utilisés.

Ainsi, en 1994, la cour du district de New York a débouté Paula Jones, qui avait accusé le président Clinton de harcèlement sexuel, de sa demande tendant à empêcher un magazine de publier des photos érotiques la représentant. En effet, le juge a déclaré que le journal avait déjà été envoyé aux abonnés et aux kiosques à journaux. Il a estimé, de plus, que ces photos étaient d'intérêt public et avaient une relation avec l'éditorial mettant en cause sa crédibilité.

La saisie avant publication n'est donc autorisée que dans des circonstances exceptionnelles en raison de la limite que pose la garantie constitutionnelle de la liberté de la presse. C'est pour cette raison que les injonctions tendant à faire interdire la diffusion d'informations ne sont émises qu'après un débat de fond et non pas suivant une procédure d'urgence à titre conservatoire.

b) L'absence de droit de réponse

Une loi de 1974 imposant l'obligation de publier la réponse d'une personne attaquée a été déclarée inconstitutionnelle. Plus généralement, le premier amendement s'oppose à la publication forcée de rectifications ou de réponses.

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Certains experts auraient souhaité qu'une loi créée une zone « physique » d'intimité autour des personnalités publiques, en interdisant aux journalistes de s'approcher à moins de 7 ou 10 pieds d'une personne sans sa permission (par analogie avec la zone interdite aux manifestants « pro-vie » autour des cliniques qui pratiquent des avortements).


* (8) Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis : « The right to privacy », Harvard Law Review, 1890.

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