EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Parmi les droits fondamentaux, celui d'occuper un logement légitimement acquis, sous quelque forme que ce soit (achat, location, prêt, usufruit...), est assurément primordial, si bien qu'il ne viendrait à l'esprit d'aucune personne sensée de le contester. À plus forte raison, ni la loi, ni la justice ni l'administration ne devraient, par leurs lacunes, leur laxisme ou leurs atermoiements, tolérer, et encore moins faciliter, l'occupation frauduleuse d'un logement par des squatteurs.

Et pourtant... Au début des années 2010, l'affaire Maryvonne Thamin a eu un vaste retentissement compte tenu de son contexte. Cette octogénaire de Rennes à faibles ressources avait en effet été privée de son domicile par des squatteurs qui avaient profité de son absence pour s'y installer. Autre exemple : en août 2018, un squatteur était allé jusqu'à changer les serrures d'un appartement puis avait engagé des poursuites judiciaires contre le propriétaire qui avait voulu récupérer son logement. Et, tout récemment, un couple de retraités, totalement démuni face à une famille qui squattait leur résidence à Théoule-sur-mer, s'est trouvé obligé de loger un temps à l'hôtel... De telles situations sont inacceptables et il est plus que temps de s'attaquer enfin aux angles morts de notre législation qui en sont la cause.

Le premier de ces angles morts porte sur une définition manifestement trop restrictive du squat frauduleux. L'article 226-4 du code pénal n'incrimine en effet l'occupation du logement d'autrui que si deux conditions au moins sont remplies : d'une part, que le logement concerné soit le domicile de la victime, ce qui revient à tolérer, voire à encourager, le squat des résidences secondaires ou occasionnelles ; d'autre part, que les squatteurs aient pénétré dans les lieux par voie de fait (ou manoeuvres ou contrainte), ce qui revient à tolérer le squat d'un logement, fût-ce le domicile de la victime, lorsque, par exemple, les contrevenants -ou du moins ceux qui devraient être considérés comme tels- prétendent avoir disposé trouvé la porte ouverte... car, la preuve de la voie de fait doit être apportée par la victime.

Le deuxième angle mort concerne les conditions dans lesquelles la victime d'un squat peut demander l'expulsion des squatteurs au préfet (simplement demander, car il ne s'agit même pas encore pour elle, à ce stade, d'obtenir gain de cause, ce qui devrait pourtant aller de soi). Parmi ces conditions, deux paraissent totalement ubuesques car ici aussi, la charge de la preuve incombe à la victime : d'une part, comme en matière pénale, celle-ci doit établir que les squatteurs se sont introduits dans les lieux par voie de fait ce qui, on l'a vu, est souvent pratiquement impossible ; d'autre part, comme en matière pénale, la victime ne peut demander l'expulsion que si le logement squatté est son domicile. C'est ainsi qu'une famille qui arriverait dans sa résidence secondaire pour les vacances serait contrainte, si elle trouvait par malheur les locaux squattés, de devoir dormir à l'hôtel ou dans sa voiture.

Le troisième angle mort concerne les suites données à une demande d'expulsion présentée au préfet lorsque la victime a franchi ces obstacles mis au seul dépôt de sa demande : bien qu'elle ait alors établi que son domicile est occupé frauduleusement et que, les squatteurs s'y sont introduits par voie de fait, le préfet demeure libre de donner ou non suite à sa demande en mettant en demeure les contrevenants de quitter les lieux.

Pour couronner le tout, le législateur n'a rien trouvé de mieux que de sanctionner trois fois plus lourdement que l'occupant frauduleux, le légitime occupant d'un lieu d'habitation (concept plus large que celui de domicile...) qui souhaiterait récupérer son bien en employant les mêmes moyens : si l'introduction par voie de fait dans le domicile d'autrui est passible d'un an de prison et 15 000 € d'amende (article 226-4, premier alinéa, du code pénal), le fait de forcer l'occupant illicite à quitter les lieux sans le concours de l'État obtenu conformément aux règles du code des procédures civiles d'exécution est, lui, passible de trois ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende !

La présente proposition de loi vise à corriger ces anomalies, voire ces aberrations :

- elle porte de un à trois ans d'emprisonnement et de 15 000 € à 30 000 € d'amende les peines encourues en cas d'introduction par voie de fait dans un logement et en cas de maintien illicite dans un logement afin que, ce qui semble la moindre des choses, les squatteurs encourent des sanctions au moins égales à celles que pourraient encourir les occupants légitimes floués dans leur droit (article 1 er ) ;

- elle étend l'incrimination du squat à toute occupation du logement d'autrui contre la volonté de son légitime occupant (bien entendu hors les cas où la loi le permet), sans exiger ni que ce logement soit nécessairement le domicile de la victime, ni que celle-ci établisse que les squatteurs s'y sont introduits par voie de fait (article 1 er ) ;

- elle permet de demander au préfet l'expulsion des squatteurs d'un logement, sans que la victime ait à prouver que ce logement est son domicile ni que les squatteurs s'y sont introduits et s'y maintiennent par voie de fait (article 2) ;

- elle oblige le préfet à y donner une suite positive en mettant en demeure les squatteurs, dans les vingt-quatre heures suivant la réception de la demande présentée par la victime, de quitter les lieux (étant rappelé que, si cette mise en demeure n'est pas suivie d'effet dans le délai imparti par le préfet, celui-ci devra, comme il le doit déjà actuellement, faire procéder à l'évacuation forcée) (article 2).

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