PROPOSITION DE

RÉSOLUTION

présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne (1), en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de directive relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures (E 2351)

par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; M. Denis Badré, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier, Jean François-Poncet, Lucien Lanier, vice-présidents ; M. Hubert Durand-Chastel, secrétaire ; MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Jacques Bellanger, Jean Bizet, Jacques Blanc, Maurice Blin, Gérard César, Gilbert Chabroux, Robert Del Picchia, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul Émin, Pierre Fauchon, André Ferrand, Philippe François, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour, Jean-Marie Vanlerenberghe, Jean-Pierre Vial, Paul Vergès, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

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Union européenne -



EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Comme annoncé dans son Livre blanc sur la politique européenne des transports, la Commission a présenté le 23 juillet 2003 une proposition de directive sur la tarification des infrastructures routières. Ce texte modifie la directive « Eurovignette » de 1999.

L'intervention de l'Union européenne est d'autant plus urgente que la plupart des États membres envisagent ou ont déjà entrepris de mettre en place des nouveaux systèmes de tarification routière liée à la distance parcourue. C'est notamment le cas de l'Allemagne depuis le 1 er septembre. En ce qui concerne la France, M. Gilles de Robien a annoncé au printemps dernier la mise en place prochaine d'une redevance kilométrique sur les poids lourds. Selon la Commission, ces initiatives isolées conduisent à une mosaïque réglementaire qui aggrave le morcellement déjà existant dans l'Union européenne en matière de taxation et de tarification des transports. Cette situation est à l'origine de distorsions de concurrence.

I - LE CONTEXTE DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

Cette proposition de directive s'inscrit dans le cadre de la politique européenne des transports. Bien que celle-ci ait été prévue dès le traité de Rome de 1957, elle ne démarra que tardivement, après que la carence du Conseil en la matière eut été condamnée par la CJCE en 1986. La politique européenne des transports s'est depuis développée autour du principe de libéralisation.

La structure des transports en Europe est la suivante : chute de la part du fret ferroviaire, dynamisme du transport de voyageurs par chemin de fer, surcharge du ciel européen, importance mais déséquilibre de la voie maritime, accélération du réseau autoroutier.

Le réseau transeuropéen de transports a été défini essentiellement par juxtaposition des réseaux nationaux. Le Conseil européen d'Essen en 1994 a fixé la liste des grands travaux prioritaires. Leur degré de réalisation est actuellement de l'ordre de 50 %. Plus récemment, le rapport de la commission présidée par M. Karel Van Miert a identifié dix-huit nouveaux projets, pour un montant d'investissements de 250 milliards d'euros d'ici à 2020. De manière plus sélective, l'initiative européenne de croissance a retenu vingt-neuf projets parvenus à maturité, pour un montant de 38 milliards d'euros.

II - LES PRINCIPAUX POINTS DU TEXTE

1. Des péages reflétant mieux les coûts des transports


La tarification routière devrait refléter les coûts suivants :

- les coûts de construction, d'exploitation, de maintenance et de développement du réseau. La proposition de directive limite la prise en compte des coûts de construction aux seules infrastructures nouvelles. Les coûts d'entretien structurels sont proportionnels aux dégâts causés par le trafic aux infrastructures. Ces dégâts varient en fonction du poids à l'essieu. Dès lors, la proposition de directive prévoit une classification suivant quatre catégories de véhicules, pour mieux différencier les péages en fonction des dommages qu'ils causent.

- les coûts non couverts des accidents. Les primes d'assurance couvrant déjà une partie des coûts d'accident, les péages doivent prendre en charge le reste.

2. Une tarification mieux différenciée

La proposition de directive ouvre la possibilité aux États membres de faire varier les péages selon différents facteurs : la distance parcourue ; la localisation en zone urbaine ou rurale ; le type d'infrastructure et la vitesse ; les caractéristiques du véhicule ; le moment de la journée et le niveau de la congestion.

D'ici quelques années, la généralisation des systèmes de localisation par satellite permettra aux États membres la mise en place de grilles de tarification suffisamment fines pour différencier les prix des transports dans le temps et dans l'espace.

3. Les réseaux et usagers concernés

Alors que la directive « Eurovignette » actuellement en vigueur est applicable aux véhicules ayant un poids total en charge égal ou supérieur à 12 tonnes, la nouvelle proposition de directive étend le cadre communautaire en matière de tarification des infrastructures aux véhicules de plus de 3,5 tonnes.

Les itinéraires concernés sont ceux du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), qui représente environ 60.000 kilomètres d'autoroutes de routes ordinaires de haute qualité. Toutefois, des phénomènes de diversion du trafic sur des routes nationales parallèles ou d'autres axes à forte densité urbaine pourraient se produire, avec des conséquences importantes en termes de congestion. Il est donc proposé que les États membres puissent élargir le champ d'application du cadre communautaire à ces itinéraires parallèles.

4. L'utilisation des recettes des redevances

La proposition de directive est fondée sur un principe général suivant lequel les recettes provenant des péages et des droits d'usage doivent être utilisées au profit de la maintenance de l'infrastructure routière ainsi qu'au profit du secteur des transports dans son ensemble.

La question de l'utilisation correcte des recettes est d'autant plus importante que la proposition de directive prévoit la possibilité pour les États membres d'appliquer des majorations aux péages dans les zones particulièrement sensibles, notamment les régions montagneuses. Le texte prévoit pour ces infrastructures la possibilité d'inclure une majoration, à la condition bien précise que les recettes soient affectées à l'amélioration des transports existants et au développement de modes alternatifs de transport sur le même corridor ou la même zone.

III - LES BÉNÉFICES ATTENDUS DE LA TARIFICATION

1. Un meilleur fonctionnement du marché


La proposition de directive, selon la Commission, contribuera de façon essentielle à améliorer l'efficacité et la productivité du secteur des transports routiers. Un encadrement communautaire en matière de tarification routière contribuera à la mise en place des conditions d'une concurrence loyale entre opérateurs dans l'Union européenne.

2. Un gain pour l'économie européenne

Selon la Commission, la tarification générera des économies de l'ordre de plusieurs dizaines de milliards d'euros par an, du fait d'une diminution du temps perdu dans la congestion et du nombre d'accidents, ainsi que par une amélioration de l'environnement. En effet, la tarification constitue une incitation au remplacement des véhicules polluants par des technologies plus propres.

3. Un soutien au financement de nouvelles infrastructures

Le coût de réalisation des infrastructures manquantes du réseau transeuropéen de transport est aujourd'hui estimé à 600 milliards d'euros. A ce jour, aucune solution n'existe pour faire face à ces besoins qui sont largement hors de portée des budgets nationaux et du budget communautaire.

Une tarification différenciée des infrastructures permettra de dégager un surplus de recettes, qui pourra financer de nouveaux investissements en matière de transports. On estime que la tarification produira, sur la base de dix centimes du kilomètre, 14 milliards d'euros de recettes par an pour l'ensemble du RTE-T. Il ne s'agit donc que d'un appoint. La tarification ne suffira pas à financer des projets d'envergure comme le Lyon-Turin.

IV - LES MOYENS DE MISE EN oeUVRE

1. La compensation de la taxe annuelle sur les véhicules


Afin de compenser la charge liée à l'introduction d'un système de redevances d'infrastructures, la proposition de directive permet aux États membres de réduire la taxe annuelle sur les véhicules, taxe de circulation harmonisée par la directive 1999/62/CE. La tarification des infrastructures peut remplacer, partiellement ou totalement, cette taxe par la mise en place de redevances reflétant plus justement les coûts liés à l'utilisation de l'infrastructure.

2. Les systèmes techniques de tarification des infrastructures

Les systèmes de prélèvement des péages les plus répandus exigent l'arrêt du véhicule aux gares de péages, ce qui occasionne des délais d'attente importants. La proposition de directive indique à cet égard que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin que la collecte des charges soit faite d'une façon qui cause le minimum d'obstacle à la libre circulation du trafic.

Les nouvelles technologies permettent déjà la mise en place de systèmes qui automatisent les transactions financières, enregistrent les kilométrages, les caractéristiques techniques des véhicules, et la localisation d'un parcours. Les systèmes de radionavigation par satellite ne sont toutefois pas parvenus à maturité, si l'on en croit l'expérience allemande, et il importe de maintenir dans l'immédiat les systèmes traditionnels par micro ondes.

Toutefois, il est essentiel que ces systèmes soient interopérables à l'échelle de l'Europe. A cette fin, la Commission a adopté le 23 avril 2003 une proposition de directive visant à créer un service européen de télépéage afin de garantir l'interopérabilité des systèmes de paiement dans le marché intérieur.

3. Une autorité indépendante de supervision des infrastructures

La tarification des infrastructures routières devrait aller de pair avec la création dans chaque État membre d'une autorité indépendante de supervision des infrastructures dont les missions seraient :

- contrôler le fonctionnement des systèmes nationaux de tarification de façon à garantir la transparence et la non-discrimination entre les opérateurs ;

- vérifier que les ressources financières provenant des péages seront réinvesties dans les réseaux de transport ;

- promouvoir les synergies entre les différentes sources de fonds destinés aux infrastructures de transport.

V - PRINCIPALES OBSERVATIONS

La proposition de directive doit reposer sur un compromis entre les États de la périphérie, attachés à la liberté de circulation pour leurs transporteurs routiers, et les États de transit, soucieux d'obtenir compensation pour les nuisances de la circulation traversant leur territoire. Les pays de la périphérie se montrent jusqu'à présent plutôt réticents au principe des péages majorés dans les zones sensibles.

Le texte proposé demeure en retrait par rapport au Livre blanc, qui annonçait une prise en compte de l'ensemble des coûts du transport routier, notamment une intégration des coûts environnementaux.

Pour l'instant, la plupart des États membres ont fait savoir que le principe de l'affectation des recettes aux infrastructures de transport leur posait problème. C'est notamment le cas du gouvernement français. Il s'agit pourtant d'un principe à préserver, essentiel pour faire mieux accepter la tarification aux usagers.

La proposition de directive comporte une méthode détaillée de calcul des péages. Cela risque de perturber l'équilibre du système français de concessions autoroutières, qui relève d'une logique de prix administrés. Il serait préférable de s'en tenir seulement aux principes généraux et de supprimer l'annexe III de la proposition de directive, dont le degré de précision est incompatible avec le respect du principe de subsidiarité.

L'application de la tarification au réseau des routes ordinaires lorsque celui-ci double celui des autoroutes est problématique. Elle serait en effet contraire au principe de la gratuité de l'accès à la voirie, auquel il n'est possible de déroger que lorsqu'est rendu un service spécial. Bien que la proposition de directive en fasse une simple faculté, celle-ci paraît à proscrire.

La proposition de directive propose de créer dans chaque État membre une autorité nationale de supervision des infrastructures. Il paraît opportun d'aller au-delà, et de créer un Observatoire européen des péages. Celui-ci ne serait pas nécessairement une structure autonome, mais pourrait être conçu comme une unité au sein de la Direction générale de l'énergie et des transports.

De même, afin de bien marquer la solidarité des États membres dans la construction d'un réseau transeuropéen de transports unifié, il paraît opportun d'instaurer un fonds européen de péréquation alimenté par une fraction des recettes de tous les péages perçus sur les transports. Il importera que ce fonds soit affecté aux seules infrastructures de transit.

La délégation a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures (E 2351),

Approuve les grandes lignes de la proposition de directive sus-visée, qui apparaît toutefois en retrait par rapport aux ambitions affichées par le Livre blanc sur la politique européenne des transports de septembre 2001 ;

Regrette en outre que ne soient pas pris en compte les coûts totaux du transport routier, et notamment les coûts de congestion et les coûts environnementaux ;

Juge indispensable que soit mis en oeuvre le principe de l'affectation effective et contrôlée des recettes de la tarification au développement des infrastructures de transport ;

Estime préférable de limiter la méthode de calcul des péages aux grands principes, sans descendre dans les détails et sans remettre en question les contrats de concession en vigueur en France et dans les autres États membres, ce qui implique la suppression de l'annexe III de la proposition de directive dont le degré de précision n'est pas compatible avec le respect du principe de subsidiarité ;

Considère comme devant être proscrit le principe de l'application de la tarification au réseau des routes ordinaires ;

Estime opportun de créer un Observatoire européen des péages et d'instaurer dans chaque Etat membre une autorité nationale de supervision voire de financement des infrastructures de transport ;

Estime opportun de créer un Fonds européen de financement et de péréquation alimenté par une fraction des recettes de tous les péages perçus sur les transports et affecté aux infrastructures de transit transeuropéen.

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