Violences faites aux femmes en situation de handicap (PPR) - Tableau de montage - Sénat

N° 42

SÉNAT

                  

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

8 janvier 2020

                                                                                                                                             

RÉSOLUTION

pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap







Le Sénat a adopté la résolution dont la teneur suit :

                                                                                                                                             

Voir les numéros :

Sénat : 150 (2019-2020).




Résolution pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), adoptée le 20 novembre 1989,

Vu la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006,

Vu la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l’Europe, dite Convention d’Istanbul, adoptée le 7 avril 2011,

Vu la loi  87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés,

Vu la loi  2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées,

Vu la loi  2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes,

Vu la loi  2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne,



Vu la loi  2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes,



Vu la résolution 2006/2277 (INI) du Parlement européen du 26 avril 2007 sur la situation des femmes handicapées dans l’Union européenne,



Vu la résolution 2018/2685 (RSP) du Parlement européen du 29 novembre 2018 sur la situation des femmes handicapées,



Vu la recommandation CM/Rec(2012)6 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres du 13 juin 2012 sur la protection et la promotion des droits des femmes et des filles handicapées,



Vu les recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme du 30 mars 2012 sur la question de la violence à l’égard des femmes et des filles et du handicap,



Vu la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 19 décembre 2017 sur la situation des femmes et des filles handicapées,



Vu la décision du Défenseur des droits  2017-257 portant recommandations générales destinées à améliorer la connaissance statistique de la situation et des besoins des personnes handicapées,



Considérant que, selon un rapport de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen sur la situation des femmes handicapées dans l’Union européenne publié en 2007, près de 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences, ces femmes étant quatre fois plus exposées au risque de violences sexuelles que les femmes dites valides ;



Considérant que l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a confirmé en mars 2016 la surexposition des femmes en situation de handicap au risque de violences au sein du couple ;



Considérant qu’une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2012 fait état d’un risque quatre fois plus élevé, pour les enfants en situation de handicap, d’être victimes de violences ;



Considérant que si le handicap accroît, pour les femmes, le risque de violences, notamment sexuelles, les violences elles-mêmes sont également à l’origine de handicaps, comme le relève l’Avis sur les violences contre les femmes et les féminicides de la CNCDH du 26 mai 2016, qui souligne les troubles physiques et psychiques très invalidants imputables aux violences ainsi que les handicaps permanents liés aux violences sexuelles ;



Considérant que, selon les acteurs de terrain, les violences menaçant les femmes en situation de handicap sont généralement commises par l’entourage familial ou institutionnel, aucun lieu, pas même leur domicile, ne leur garantissant une parfaite sécurité ;



Considérant que les appels reçus par « Écoute violences femmes handicapées », permanence d’accueil et d’accompagnement dédiée aux violences faites aux femmes en situation de handicap, mettent en évidence le fait que 35 % des violences signalées ont lieu dans le couple et sont commises par le conjoint ;



Considérant l’importance du signalement, par les professionnels, des faits de violence dont ils peuvent avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions pour mieux protéger les victimes, sanctionner les auteurs et prévenir le fléau des violences faites aux personnes vulnérables ;



Considérant que le manque de données statistiques coordonnées au niveau national et régulièrement actualisées empêche de prendre la mesure exacte de la surexposition des femmes et des jeunes filles handicapées aux violences, que celles-ci surviennent dans le cadre familial ou en institutions, et affecte la mise en place d’une politique publique de prévention et de lutte contre ces violences et de protection de ces personnes ;



Considérant que l’une des conditions de la protection des femmes en situation de handicap contre les violences réside dans le renforcement de leur autonomie, ce qui concerne tant leur indépendance économique que leur accès à la santé ;



Considérant que, selon le rapport du Défenseur des droits intitulé « L’emploi des femmes en situation de handicap », publié le 14 novembre 2016 dans le cadre de sa mission de suivi de l’application de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, les femmes en situation de handicap sont davantage touchées par le chômage que la population générale ;



Considérant que, selon le même rapport, les femmes handicapées se heurtent non seulement à des difficultés d’accès à l’emploi liées à leur handicap, mais aussi aux obstacles auxquels sont trop souvent confrontées toutes les femmes dans leur parcours professionnel, s’agissant plus précisément de l’accès aux responsabilités : 1 % seulement des femmes en situation de handicap en emploi sont cadres contre 10 % pour leurs homologues masculins ;



Considérant que, selon le 11e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, réalisé en 2018 par le Défenseur des droits avec l’Organisation internationale du travail (OIT), 54 % des femmes handicapées déclarent avoir été confrontées à des discriminations durant les cinq années précédant cette enquête, soit plus d’une femme sur deux et une proportion nettement plus élevée que pour la population active âgée de 18 à 65 ans (34 %) ;



Considérant que ces discriminations, conjuguées à un accès imparfait aux études et à la formation ainsi qu’au poids des préjugés, affectent défavorablement le parcours professionnel des femmes en situation de handicap et sont à l’origine d’une dépendance économique qui accroît leur vulnérabilité aux violences, plus particulièrement dans le cadre familial ;



Considérant qu’une étude de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France publiée en mars 2018 montrait que, sur 1 000 femmes handicapées, 58 % seulement affirmaient bénéficier d’un suivi gynécologique régulier et 85,7 % déclaraient ne jamais avoir effectué de mammographie, cette insuffisance étant confirmée en novembre 2018 par un constat du Parlement européen sur une exposition accrue des femmes handicapées au cancer du sein, faute d’équipements de dépistage et de diagnostic adaptés ;



Considérant que l’autonomie des femmes en situation de handicap passe par un accès renforcé aux soins, notamment gynécologiques, et par un accompagnement personnalisé à la maternité ;



Considérant que l’accueil des femmes handicapées victimes de violences est largement inapproprié, qu’il s’agisse de l’accessibilité des locaux de la police et de la gendarmerie ainsi que des hébergements d’urgence ou de la sensibilisation des professionnels et bénévoles à leurs besoins, et qu’entre autres améliorations un effort pourrait être entrepris en matière d’interprétariat en langue des signes dans l’ensemble de la chaîne judiciaire ;



N’accepte pas le risque accru de violences, notamment sexuelles, lié au handicap, et exprime sa vive émotion que des enfants, des adolescentes et des femmes en situation de handicap puissent être menacés tant dans le cadre institutionnel que dans le contexte familial ;



S’alarme du danger auquel semblent plus particulièrement exposées les jeunes filles et les femmes atteintes d’un trouble du spectre autistique et suggère l’intégration d’un dispositif dédié à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles dans la Stratégie nationale pour l’autisme ;



Estime qu’une meilleure protection des adolescentes et des femmes en situation de handicap contre les violences, plus particulièrement sexuelles, passe par un véritable effort en matière d’éducation à la sexualité, susceptible de leur permettre d’identifier d’éventuels prédateurs ;



Souhaite la mise à l’étude de la désignation de référents « Intégrité physique » au sein des personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, dont la mission serait de recueillir le témoignage et d’orienter toute personne accueillie dans un tel établissement qui déclarerait avoir été victime de violence ;



Souligne l’intérêt d’une réflexion sur les responsabilités des professionnels, incluant les soignants, en matière de signalement des violences, notamment sexuelles, dont ils peuvent avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions ;



Appelle à la plus grande vigilance lors du recrutement des professionnels et bénévoles intervenant dans des établissements accueillant des personnes handicapées, a fortiori quand celles-ci sont mineures ;



Exprime sa profonde considération à tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap, rend hommage à la regrettée Maudy Piot, disparue en 2017, inlassable avocate des droits et de la citoyenneté des femmes handicapées et fondatrice de « Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir », association de référence en matière de lutte contre les violences faites aux femmes handicapées, et encourage l’équipe qui lui a succédé à poursuivre son combat ;



Souligne l’importance cruciale des moyens dont doivent pouvoir disposer les associations, indispensables à la lutte contre les violences, plus particulièrement celles que subissent les femmes en situation de handicap, pour leur permettre de remplir leurs missions, et insiste sur la nécessaire prévisibilité des subventions susceptibles d’être attribuées aux acteurs du monde associatif ;



Demande l’établissement de statistiques précises afin d’améliorer la connaissance des violences et des discriminations faites aux femmes handicapées, et appelle à intégrer le handicap aux enquêtes nationales sur les violences faites aux femmes telles que l’étude « Violences et rapports de genre » (Virage), y compris dans sa déclinaison ultramarine ;



Souhaite que le questionnement du lien entre une violence dénoncée et un éventuel handicap psychique ou physique soit systématique lors de l’accueil des personnes contactant un numéro d’urgence ou une plateforme d’écoute ;



Considère l’autonomie des femmes en situation de handicap comme un prérequis pour les protéger des violences, notamment conjugales, et à ce titre :



– préconise la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l’emploi et le renforcement des mesures destinées à l’accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations, afin de dynamiser l’insertion professionnelle des femmes en situation de handicap ;



– suggère de mieux identifier les freins à l’emploi des femmes en situation de handicap par la réalisation d’études et de statistiques sur l’accès à l’éducation et à l’emploi des personnes handicapées croisant les variables de l’âge, du sexe, du type du handicap et de la catégorie socioprofessionnelle ;



– appelle à une réflexion sur l’allocation aux adultes handicapés (AAH) qui prenne en compte l’importance de celle-ci, dans le contexte de violences au sein du couple, pour l’autonomie de la victime par rapport à un conjoint violent ;



Juge indispensable que les femmes et les adolescentes en situation de handicap, qu’elles résident ou non dans des institutions, aient accès à un suivi gynécologique régulier, a fortiori dans le cadre d’un traitement contraceptif, et à un accompagnement personnalisé à la maternité, ce qui suppose entre autres efforts une meilleure accessibilité des structures médicales concernées ;



Demande que le matériel médical destiné au suivi gynécologique et obstétrical des patientes handicapées ainsi qu’au dépistage du cancer du sein soit adapté à leurs besoins sur tout le territoire, y compris dans les outre-mer ;



Est convaincu que l’amélioration de l’accueil des femmes handicapées victimes de violences par tous les acteurs de la chaîne judiciaire suppose un changement de regard sur ces personnes, afin qu’elles ne soient pas considérées comme des mineures et que leur parole et leur crédibilité ne soient pas mises en doute lorsqu’elles font état des violences qu’elles subissent ;



Affirme l’importance cruciale de l’accessibilité des lieux destinés à l’accueil des victimes de violences, qu’il s’agisse des locaux de la police et de la gendarmerie, des tribunaux ou des hébergements d’urgence, et du développement d’outils et de procédures permettant aux personnes handicapées de porter plainte dans des conditions adaptées à leur situation ;



Appelle à un effort accru de formation et de sensibilisation aux risques spécifiques de violences menaçant les femmes en situation de handicap, à destination de tous les acteurs de la chaîne judiciaire ainsi que des soignants et des personnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ;



Salue le travail accompli par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) pour développer des supports de formation sur les violences faites aux femmes dans des formats divers, accessibles aux personnes handicapées et recommande la systématisation de cette démarche inclusive ;



Forme des vœux pour que la dynamique encouragée à l’égard des femmes en situation de handicap par les quatrième et cinquième plans de lutte contre les violences faites aux femmes soit amplifiée dans les plans à venir, y compris dans les territoires ultramarins ;



Appelle à l’intégration systématique de la dimension de l’égalité entre femmes et hommes dans les politiques du handicap et, inversement, à un renforcement de l’intégration du handicap dans toutes les politiques d’égalité entre femmes et hommes.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 8 janvier 2020.

Le Président,

Signé : Gérard LARCHER

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