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La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil COM(2025) 101 final tend à remplacer la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans un État membre de l’Union européenne, dite « directive retour », afin de renforcer l’efficacité de ces procédures de retour.
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En pratique, cette proposition tend à la fois à uniformiser les calendriers et modalités des procédures de retour dans les États membres, en particulier par l’instauration d’une « décision de retour européenne » et par l’institution d’un dispositif de reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour entre États membres, à renforcer les droits des étrangers faisant l’objet d’une telle procédure de retour, en particulier par la mise en place d’un mécanisme d’évaluation indépendant, et à faciliter la mise en œuvre des décisions de retour par l’établissement d’une obligation de coopération des ressortissants de pays tiers concernés par une décision de retour avec les autorités compétentes.
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Vu l’article 88-6 de la Constitution,
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Le Sénat émet les observations suivantes :
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L’article 5 du traité sur l’Union européenne prévoit que l’Union européenne ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union » ; ce qui implique d’examiner, non seulement si l’objectif de l’action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais également si l’intensité de l’action entreprise n’excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l’objectif que cette action vise à réaliser ;
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Le Sénat prend acte des fragilités relevées par la Commission européenne dans la mise en œuvre de la directive 2008/115/CE, dite « directive retour », et de sa volonté d’actualiser ce texte afin de l’harmoniser avec les dispositions du pacte sur la migration et l’asile ; il rappelle qu’il est favorable à des procédures de retour efficaces et respectueuses des droits fondamentaux ;
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Néanmoins, et en premier lieu, la Commission européenne aurait dû présenter une analyse d’impact conjointement à la publication de la présente proposition de règlement. En effet, faute de cette présentation conjointe, le Sénat constate qu’il n’a pas été destinataire de l’ensemble des informations utiles pour se prononcer de manière éclairée sur la nécessité du remplacement de l’actuelle directive par un règlement ainsi que sur la conformité de ce dernier aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ; la présentation d’un document de travail par les services de la Commission européenne, le 16 mai 2025, certes intéressante pour recenser les lacunes actuelles du droit européen et pour expliquer les trois scenarii de modifications envisagés par la Commission, ne constitue pas une solution de substitution satisfaisante, à la fois, parce qu’il a été présenté tardivement (le 16 mai 2025), parce que ce document n’a pas la même portée politique qu’une analyse d’impact, et, enfin, parce qu’il ne permet ni d’apprécier réellement la conformité de la proposition au principe de subsidiarité ni de détailler les éléments de justification avancés dans son exposé des motifs ;
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En deuxième lieu, la Commission européenne a choisi, dans le titre de la présente proposition de règlement, d’effacer toute référence aux « États membres » au profit de la seule mention à « l’Union (européenne) » ; or, ce choix est en contradiction avec la répartition actuelle des compétences entre États membres et Union européenne prévue par les traités ; en effet, si l’Union européenne est amenée à développer une politique de l’asile et une politique migratoire au titre des articles 78 et 79 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), dans le cadre de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice, cette politique est mise en œuvre par les autorités compétentes des États membres avec l’appui de structures européennes comme Frontex ou l’agence européenne de l’asile et non l’inverse ; de même, dans la mise en œuvre de ces politiques, le territoire « de l’Union » pris en considération est en fait celui des États membres et des pays associés ; enfin, ces politiques communes ne doivent porter atteinte ni à la responsabilité exclusive des États membres pour assurer la sécurité nationale (articles 4, alinéa 2, du traité sur l’Union européenne (TUE) et 72 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)), ni à la délimitation de leurs frontières (article 77 du TFUE), ni à leur droit de fixer des volumes d’entrée de ressortissants de pays tiers sur leur territoire dans le but d’y rechercher un emploi (article 79 du TFUE, paragraphe 5) ;
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Ce choix de la Commission européenne, qui résulte sans doute d’une volonté de communication politique, est de plus contradictoire avec le contenu même de la présente proposition de règlement, dont les principaux articles, à l’exemple des articles 2 et 6 à 9, relatifs au champ d’application de la réforme et à la mise en œuvre des décisions de retour, ne cessent de rappeler ce rôle premier des États membres ;
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En troisième lieu, le choix de la Commission européenne de remplacer la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier par une proposition de règlement apparaît contestable au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;
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La Commission européenne justifie ce choix en faisant de la diversité des législations nationales des États membres la cause principale des difficultés actuelles de la politique de retour. Sur cette base, la proposition de règlement tend explicitement à « uniformiser » les procédures de retour dans les États membres, d’une part, dans son article 7, en imposant un format unique de décision – intitulé « décision de retour européenne » – et, d’autre part, en prévoyant, dans son article 9, une procédure de reconnaissance mutuelle des décisions de retour entre États membres, d’abord facultative, puis, obligatoire à compter du 1er juillet 2027 ;
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Le postulat selon lequel la diversité des législations nationales des États membres, qui constitue la principale justification de l’établissement d’une procédure commune de retour proposé par la Commission européenne, paraît dépourvu de fondement, la Commission n’apportant aucun élément de preuve au soutien de cette allégation ;
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Le recours à un règlement aura trois effets directs : premièrement, même si elle préserve la faculté des États membres d’accorder un titre de séjour pour raisons humanitaires et institue une exception d’ordre public permettant de refuser de reconnaître la décision de retour prise par un autre État membre, la proposition de la Commission restreint notablement les marges d’appréciation actuelles des États membres. Deuxièmement, un règlement étant d’effet direct et d’application immédiate, elle signifie la fin de l’intervention des parlements nationaux, et donc du Sénat, dans la détermination des règles relatives au retour des étrangers en situation irrégulière et de la possibilité d’adapter, à l’avenir, cette procédure aux traditions constitutionnelles nationales, faute de transposition en droit national. Troisièmement, une fois obligatoire, la procédure de reconnaissance mutuelle induira des coûts non maîtrisables pour la France en tant qu’État membre à l’initiative d’une décision de retour exécutée par un autre État membre, l’article 9 de la proposition prévoyant alors une compensation financière pour ce dernier ;
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La création du « système commun en matière de retour » envisagé, notamment par l’instauration d’un format standard de « décision de retour européenne » et par le caractère obligatoire de la reconnaissance mutuelle des décisions de retour des États membres, devrait engendrer une charge de travail supplémentaire pour les administrations concernées, déjà en tension (renseignement systématique des formulaires de décisions de retour ainsi que pour les demandes de réadmission, qui feront double emploi avec les documents nationaux). Cet alourdissement de la charge de travail et l’extension du champ des mesures concernées (qui inclurait les sanctions pénales) risquent de remettre en cause les capacités d’action des États membres. Dans ces conditions, la proposition de la Commission européenne ne paraît pas conforme au principe de subsidiarité ;
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Enfin, le Sénat observe que les principales évolutions du dispositif de retour prévues par la présente réforme (élargissement de la définition du pays de retour ; établissement de décisions prévoyant à la fois la fin du séjour régulier et le retour d’une personne ; obligation de coopération de cette personne avec les autorités compétentes, etc.) pourraient être présentées dans le cadre d’une directive et note que la Commission européenne avait fait un tel choix lors de sa « refonte » avortée de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 précitée, présentée en 2018 ;
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En quatrième lieu, le Sénat déplore que la proposition de règlement contrevienne à plusieurs dispositions du droit national en vigueur. Attaché à l’exercice d’un droit au recours effectif des personnes faisant l’objet d’une décision de retour, il constate en particulier que l’effet suspensif automatique de 14 jours maximal qui serait prévu par la proposition (articles 14, 27 et 28) pourrait induire la modification ou la suppression de mesures du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) autorisant actuellement l’exécution d’office de certaines décisions, telles que les peines d’interdiction du territoire français (ITF) ;
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En cinquième lieu, le Sénat constate que plusieurs mesures de la présente proposition de règlement, telles que la « décision de retour européenne », la procédure de reconnaissance mutuelle d’une décision de retour, et l’approche commune en matière de réadmission, sont présentées sous la forme de dispositifs volontairement inachevés dans la proposition de règlement, leur architecture définitive devant résulter d’actes d’exécution prévus à l’article 291 du TFUE ;
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Ainsi en irait-il pour le format de la décision de retour européenne(1) et du formulaire type à utiliser pour les demandes de réadmission(2). De même, le caractère obligatoire de la procédure de reconnaissance mutuelle serait fixé, au plus tard le 1er juillet 2027, par une « décision d’exécution » après une phase d’évaluation(3). Un acte d’exécution préciserait également le calcul et le montant de la compensation financière qui serait due à un État membre ayant exécuté une décision de retour prononcée par un autre État membre, par ce dernier(4). Or, les projets d’actes d’exécution ne sont pas contrôlés par les parlements nationaux des États membres ;
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Ainsi, outre le fait que de tels renvois massifs à des actes d’exécution sur les dispositions essentielles d’une nouvelle initiative européenne sont, dans leur principe, douteux au regard du principe de sécurité juridique, le législateur européen refusant d’épuiser sa compétence, force est de constater qu’ils empêchent les parlements nationaux des États membres de pouvoir contrôler la conformité de l’ensemble de la réforme prévue au principe de subsidiarité. Il est en fait demandé au Sénat de donner un « blanc-seing » en amont de la présentation intégrale du dispositif, sans qu’il puisse l’évaluer a posteriori.
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Enfin, et en sixième lieu, le Sénat rappelle à la Commission européenne que, dans plusieurs résolutions européennes et dans son récent rapport sur la « dérive normative » de l’Union européenne(5), il lui a demandé solennellement de prévoir une analyse d’impact pour accompagner chacune de ses nouvelles propositions de règlements et de directives, de privilégier les directives par rapport aux règlements et d’éviter le recours abusif aux actes d’exécution et aux actes délégués.
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En conséquence, le Sénat estime que le titre de la proposition de règlement COM(2025) 101 final ainsi que ses articles 7, 9, 14, 27, 28 et 36 ne sont pas conformes à l’article 5 du traité sur l’Union européenne et au protocole n° 2 annexé à ce traité.
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