Question de Mme MORIN-DESAILLY Catherine (Seine-Maritime - UC) publiée le 20/02/2019

Question posée en séance publique le 19/02/2019

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes très chers collègues, ce qui fait l'actualité, hélas, ce sont des actes d'une ignominie telle qu'ils remettent en cause la nature même de notre pacte républicain. Ce sont le lâche assassinat de Mireille Knoll, la mémoire d'Ilan Halimi et de Simone Veil outrageusement bafouée, l'agression d'Alain Finkielkraut, la profanation d'un cimetière juif aujourd'hui même en Alsace, que nous découvrons avec horreur.

Parfois, sous couvert d'antisionisme, les comportements les plus abjects sont permis. Mais gardons-nous, monsieur le Premier ministre, de la tentation d'un nouveau texte de loi élaboré dans l'émotion. Notre arsenal législatif ne nous permet-il pas, déjà, de répondre avec la plus grande des fermetés ?

Toutefois, l'augmentation de 74 % en un an du nombre des actes antisémites doit nous faire réagir. Ceux-ci engagent notre responsabilité collective à analyser les maux dont souffre notre société de plus en plus fragmentée, de plus en plus vulnérable à la manipulation de l'information et des faits historiques ainsi qu'à la propagation d'idéologies haineuses, à l'opposé de nos valeurs républicaines.

Il est, à cet égard, nécessaire de réguler internet et les plateformes, qui permettent tous les débordements. Le Sénat a formulé des propositions très fortes à cet égard. Mais aussi et surtout, il convient de ne pas laisser s'installer l'idée que l'antisémitisme serait une opinion comme une autre. Cela passe d'abord, monsieur le Premier ministre, par des précisions, qui doivent être apportées à la lettre adressée par M. le ministre de l'éducation nationale, le 31 août 2018, aux enseignants, où il est question du respect d'autrui, de la transmission de savoirs fondamentaux et de l'éducation aux valeurs de la République.

Le Sénat examinera prochainement le projet de loi pour une école de la confiance. C'est un véhicule idéal pour permettre aussi de rappeler l'importance et la réalité des faits historiques ainsi que l'importance d'une éducation aux médias et au numérique, encore largement insuffisante aujourd'hui.

Tout nous oblige à un véritable sursaut républicain, mes chers collègues. À l'appel des formations politiques, le grand rassemblement de ce soir à Paris et dans la France entière est très important. Mais, au-delà, monsieur le Premier ministre, quelles mesures vont être prises pour reconstruire ensemble, de toute urgence, le pacte républicain auquel nous sommes profondément attachés ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

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Réponse du Premier ministre publiée le 20/02/2019

Réponse apportée en séance publique le 19/02/2019

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Morin-Desailly, vous avez commencé votre question en rappelant une série de faits, d'actes ou de propos antisémites. Ces faits, nous les connaissons, certains ont été rendus visibles parce qu'ils étaient filmés, alors que d'autres sont malheureusement quotidiens et invisibles, mais ils n'en sont pas moins répugnants, graves, en ce qu'ils sont très profondément dirigés contre ce que nous sommes, la République, la France.

Vous avez indiqué que nous devions dénoncer ces faits et vous avez rappelé la marche ou, plus exactement, le rassemblement qui sera organisé ce soir à Paris et dans de très nombreuses villes françaises. Ces rassemblements sont nécessaires ; ils sont utiles pour que nous puissions tous ensemble, sans exclusive, dire que ces faits sont inacceptables. Mais ils ne sont pas suffisants, et nous en avons parfaitement conscience.

Face à ces atteintes répétées et croissantes, madame la sénatrice, vous le savez,…

Mme Catherine Morin-Desailly. Je l'ai dit !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … le nombre d'actes et d'agressions antisémites ayant très fortement progressé au cours de l'année dernière, nous ne devons pas nous contenter d'une dénonciation morale : nous devons la faire, mais nous ne devons pas nous en contenter.

Évidemment, le champ de l'action est considérable. Je pense d'abord et avant tout à l'éducation et au soutien aux enseignants quand ils transmettent l'histoire, les faits, qu'ils sont confrontés à des propos ou à des actes antisémites ; je pense également à la formation des policiers, des gendarmes, des magistrats, qui concourent à réprimer ou à prévenir ces atteintes. Il s'agit aussi de renforcer le droit lorsque c'est nécessaire.

À cet égard, vous avez affirmé, madame la sénatrice, qu'il ne fallait pas légiférer sous l'empire de l'émotion. Je vous rejoins volontiers sur ce sujet, mais il ne faut pas non plus renoncer à légiférer lorsque cela est nécessaire. Or il y a au moins un champ – il en existe peut-être d'autres – où cela est parfaitement nécessaire, c'est celui des réseaux sociaux et d'internet (Mme Catherine Morin-Desailly opine.), sur lesquels une forme d'impunité a pu donner le sentiment de se développer.

Derrière une forme d'anonymat, des femmes et des hommes écrivent, promeuvent des propos parfaitement antisémites et parfaitement inacceptables. Cette impunité ne peut pas prévaloir. Nous savons que le droit national – c'est également vrai d'ailleurs, à bien des égards, pour le droit communautaire – n'est pas à ce jour adapté à la sévérité de la réponse que nous sommes en droit d'attendre.

C'est la raison pour laquelle, à la suite d'un rapport qui a été préparé notamment par Mme la députée Avia, nous voulons compléter notre droit national et militer pour compléter le droit communautaire en modifiant le statut de ceux qui gèrent des réseaux sociaux, en vue d'invoquer leurs responsabilités s'ils ne font pas ce qui est nécessaire pour retirer les publications sur ces réseaux sociaux, voire s'ils ne préviennent pas de façon efficace la commission de tels actes, qui sont, je le rappelle, des délits. Il nous faudra modifier le droit national et obtenir de nos partenaires européens qu'ils complètent le droit communautaire – cela en vaut la peine. Je crois profondément, madame la sénatrice, que nous devons légiférer : il ne serait pas acceptable qu'en matière d'antisémitisme nous donnions le sentiment que l'impunité pourrait prévaloir.

Il en est de même pour ce qui concerne la sévérité des sanctions qui sont prises : des sanctions administratives lorsque c'est le cas ou judiciaires. J'incite – je ne peux pas employer ce terme, excusez-moi… Je souhaite que, systématiquement, les affaires d'antisémitisme donnent lieu à des poursuites et je souhaite également que, systématiquement, elles donnent lieu à des sanctions sévères.

Nous devons en la matière, mesdames, messieurs les sénateurs – je le dis, je le sais, à des femmes et à des hommes qui en sont convaincus –, faire l'union sacrée, sans exclusive, sans hypocrisie, sans incohérence, pour dénoncer ces faits inacceptables. (Applaudissements.)

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