Question de M. MARIE Didier (Seine-Maritime - SOCR) publiée le 03/10/2019

Question posée en séance publique le 02/10/2019

M. Didier Marie. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, permettez-moi d'associer à mon intervention Nelly Tocqueville, sénatrice de Seine-Maritime, et mes collègues des Hauts-de-France.

Il y a six jours, l'agglomération de Rouen a vécu la plus importante catastrophe industrielle connue depuis le drame d'AZF en 2001. L'incendie de l'usine Lubrizol a généré un gigantesque nuage de fumée noire épaisse et nauséabonde, dont les particules ont tapissé jardins, cours d'école, habitations et récoltes, constituant une véritable marée noire terrestre. Le pire a été évité grâce au courage de 240 sapeurs-pompiers et au personnel de l'usine, dont je salue le dévouement.

Mais, monsieur le Premier ministre, la gestion de cette crise n'a pas été satisfaisante. Les maires ont été livrés à eux-mêmes : sirènes d'alerte actionnées tardivement, absence d'information dans certaines communes pourtant très proches du sinistre, consignes de confinement confuses, cacophonie totale quant à l'ouverture ou la fermeture des établissements scolaires. Les communications distillées au fil des heures se voulaient rassurantes : elles ont produit l'effet inverse, et la colère a empli le vide d'informations.

Comment croire qu'il n'y a pas de danger quand le préfet annonce qu'il n'y a pas de risque de toxicité aiguë, reconnaissant implicitement que les fumées sont bien toxiques ? Comment accepter qu'il n'y ait aucun risque lorsque l'État publie tardivement la liste des produits partis en fumée, et que l'on n'en connaît ni la quantité, ni la résistance à la chaleur, ni la dangerosité ? Comment se sentir en sécurité quand il reste 165 fûts endommagés qui peuvent dégager du sulfure d'hydrogène hautement toxique ? Comment être rassuré lorsque les agriculteurs de 206 communes ne sont toujours pas autorisés à procéder aux récoltes ni à vendre leur lait et leurs produits agricoles ?

Monsieur le Premier ministre, pour apaiser la colère et les angoisses, nous vous demandons d'accéder aux demandes suivantes : la transparence – vous y êtes engagé, nous vous en remercions ; la nomination d'un comité d'experts indépendants chargé d'analyser et d'interpréter les résultats des études ; la mise en place d'un suivi médical à court et long terme ; la reconnaissance de l'état de catastrophe technologique, qui permettrait d'ouvrir droit à indemnisation, même si les biens n'ont pas été détruits ; la réparation rapide des dommages, en ordonnant au préfet d'exercer ses prérogatives de police administrative et d'appliquer le principe du pollueur-payeur, sans attendre l'issue des procédures judiciaires qui prendront des années.

Il faut rétablir la confiance et la sérénité en faisant preuve de sérieux et de responsabilité. Ces propositions formulées en association avec une centaine d'élus peuvent y contribuer. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)


Réponse du Premier ministre publiée le 03/10/2019

Réponse apportée en séance publique le 02/10/2019

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur Marie, j'ai indiqué, à l'occasion de la réponse que je formulais à Mme Morin-Desailly, les engagements de transparence totale pris par le Gouvernement.

J'ai dit que nous communiquions les éléments au fur et à mesure que nous les avons et vous comprendrez bien – je ne veux pas prendre le sujet à la légère – que je ne peux pas produire le résultat des analyses avant que celles-ci aient été réalisées.

Les tests de prélèvements visant à vérifier la présence éventuelle de dioxine prennent du temps. Ce n'est pas moi qui le dis – je ne suis pas chimiste –, ce sont les spécialistes qui font ces analyses, et qui les font bien, parce qu'ils doivent donner une information sérieuse et précise : je pense que nous pouvons nous accorder sur ce point. Nous vous communiquons les résultats dès que nous les avons.

J'ai parfaitement conscience qu'au fur et à mesure que nous diffusons des informations de nouvelles questions se posent. C'est bien naturel, et nous ne nous arrêterons pas à cela, au contraire : toutes les informations qui seront connues seront rendues publiques ; elles susciteront de nouvelles interrogations, parfois peut-être de nouvelles angoisses, et nous y répondrons. J'ai parfaitement conscience que la parole et parfois l'expertise publiques sont contestées, qu'elles ne sont pas crédibles aux yeux de certains. Je le mesure et le déplore.

Mais je ne vais pas commencer à raconter n'importe quoi ou arrêter de donner les informations pour autant. Nous allons faire exactement ce que je me suis engagé à faire : communiquer au fur et à mesure qu'elles sont disponibles absolument toutes les informations.

Pour répondre aux demandes que vous avez formulées, monsieur le sénateur, je le redis : oui à la transparence totale, oui au suivi épidémiologique et au bilan de santé à court et à long terme, oui à la discussion scientifique des éléments qui seront fournis par les analyses.

Permettez-moi toutefois d'indiquer qu'il revient d'abord à l'Anses, à l'Ineris et aux hôpitaux de donner les éléments et de répondre aux questions. Mais ces informations étant par définition publiques, elles seront discutées, peut-être contestées par d'autres scientifiques ou d'autres médecins. Cette discussion ne me fait pas peur : elle est nécessaire, elle aura lieu, et nous nous expliquerons.

Vous m'interrogez sur la reconnaissance de l'état de catastrophe technologique. Je comprends bien l'intérêt qu'il pourrait y avoir à reconnaître officiellement qu'une catastrophe a eu lieu. À l'évidence, une catastrophe a eu lieu, mais l'instrument juridique tel qu'il a été conçu par le Parlement en 2003 ne répond manifestement ni aux caractéristiques de l'accident qui est survenu sur le site de l'usine Lubrizol ni aux questions que celui-ci pose.

En la matière, je ne veux pas me payer de mots – je pense que vous en serez d'accord. Je veux dire les choses telles qu'elles sont, et mettre en place les dispositifs tels qu'ils existent.

Mais surtout, monsieur le sénateur, je veux dire et redire que la responsabilité, les dommages relèvent de l'industriel : il n'échappera pas à la mise en jeu de cette responsabilité. Et c'est tout le sens de la législation que vous avez produite sur les installations classées.

Nous allons donc appliquer toute la loi en la matière, avec la rigueur et avec la totale transparence qui est due à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

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