Question de M. LEFÈVRE Antoine (Aisne - Les Républicains) publiée le 31/10/2019

Question posée en séance publique le 30/10/2019

M. Antoine Lefèvre. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. À la suite de M. Jean-Pierre Sueur, je veux, madame la garde des sceaux, vous parler de votre boussole…

Voilà une semaine que des révélations concernant un e-mail adressé par votre ministère au cabinet du Premier ministre plongent le monde judiciaire et les élus dans le désarroi et la consternation. Ce document, destiné à élaborer une stratégie à adopter pour la suppression de certains cabinets d'instruction, tend à fixer des cibles et à opérer un tri en fonction des scores obtenus par le parti présidentiel et de la couleur politique des élus des municipalités concernées.

Les villes potentiellement visées par ladite réforme se transforment en effet en véritables cibles électorales. Ce procédé est profondément choquant. Comment voulez-vous justifier, dans l'organisation territoriale de notre justice, une sanction envers les territoires qui ne voteraient pas comme il faut ?

L'intrusion de considérations politiciennes dans l'ordre judiciaire est un manquement grave à la stricte séparation des pouvoirs et aux fondements de la démocratie. Tous les services de l'État doivent naturellement agir dans l'impartialité, mais, s'il y en a bien un qui doit être le plus irréprochable de tous, c'est évidemment la justice.

Aussi, madame la garde des sceaux, je n'ai qu'une question à vous poser, et non pas cinq, et elle est simple ; j'espère donc obtenir de vous une réponse. Pouvez-vous nous assurer de la mise en place d'une procédure parfaitement transparente, avec des critères réellement objectifs, pour le regroupement territorial des pôles de l'instruction ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)


Réponse du Ministère de la justice publiée le 31/10/2019

Réponse apportée en séance publique le 30/10/2019

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Lefèvre, la réponse est très claire : c'est oui ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.)

Oui, je puis vous assurer qu'il s'agit d'une procédure parfaitement rigoureuse, reposant sur des critères clairs, objectifs et partagés.

Cette procédure est construite sur le fondement de la loi adoptée par le Parlement. Les critères sont simples. Pour les juges d'instruction, il s'agit du nombre de dossiers traités sur cinq ans, ce qui nous donne une moyenne. Ces critères clairs et objectifs sont pondérés par la prise en compte d'une réalité géographique – les distances entre territoires –, d'une réalité socio-économique et d'une réalité territoriale. (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.)

M. Roland Courteau. Ce n'est pas la question !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cela aussi est écrit dans la loi : je vous rappelle qu'il y est expressément prévu que les conseils de juridiction, composés de magistrats, d'avocats et d'élus, seront systématiquement consultés. C'est écrit dans le texte de la loi !

Aujourd'hui, nous en sommes à des études préliminaires. Il est évident que ce processus est en cours.

Quant au document auquel vous faites allusion, j'ai déjà eu l'occasion de dire que l'écriture de cet e-mail de cabinet à cabinet était maladroite et inadaptée. (Rires ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.) En effet, elle ne correspond en aucune manière aux principes éthiques qui doivent guider l'élaboration de la décision publique.

M. Jean-Marc Todeschini. C'est le moins que l'on puisse dire !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En matière d'organisation des juridictions, il va de soi que seuls comptent l'intérêt général et la réalité des territoires.

M. Michel Savin. Ah, l'intérêt général !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Des principes et une procédure claire : voilà ce qui écrit dans la loi ; voilà ce que nous faisons. Et nous serons comptables devant vous des résultats qui seront obtenus. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.

M. Antoine Lefèvre. Madame la garde des sceaux, même si vous tentez de minimiser la portée réelle de cette affaire, vos éléments de réponse n'apaisent en rien le profond malaise qui secoue la magistrature et les territoires.

En effet, vos critères, madame la garde des sceaux, sont bien des critères politiciens, notamment quand cette note évoque la couleur politique des élus.

M. Jean-Marc Todeschini. Très bien !

M. Antoine Lefèvre. Il y a un an, sur ma proposition en tant que rapporteur spécial pour la mission « Justice » de la loi de finances, le Sénat avait décidé de valider les crédits de votre ministère.

Vous avez témoigné ce midi, au cours de votre audition par notre commission des lois, de votre reconnaissance envers le Sénat pour l'augmentation de ces crédits. Conscient de l'impératif de modernisation de votre ministère, le Sénat vous a soutenu, car nous vous faisions confiance pour agir dans l'intérêt du justiciable. En agissant de façon partisane, vous avez trahi cette confiance.

M. Simon Sutour. Démission !

M. Antoine Lefèvre. C'est aussi pour cette raison que notre commission des finances, lors de sa réunion d'hier, a décidé de ne pas approuver ces crédits pour 2020.

M. le président. Il faut conclure !

M. Antoine Lefèvre. Aujourd'hui, c'est avec une certaine amertume que nous constatons que ce lien de confiance est rompu par une politisation déplacée et indigne de la justice du XXIe siècle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

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