Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOCR) publiée le 19/12/2019

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la nécessité de créer un fonds d'indemnisation des victimes des préjudices liés aux médicaments. Il reste en effet aujourd'hui très complexe pour nombre de ces victimes d'obtenir la reconnaissance et la réparation de leur préjudice. Elles doivent remplir de nombreuses conditions, à leurs frais, pour engager une procédure contentieuse devant les tribunaux qui ait quelque chance de succès : agir avant que leur action ne soit plus recevable, démontrer qu'un lien de causalité entre une prise de médicament et la survenue de l'effet indésirable est à l'origine du dommage et parvenir à établir les responsabilités. S'agissant notamment du Distilbène, les victimes (femmes exposées in utero à ce médicament ainsi que leurs enfants) se heurtent très régulièrement à ces difficultés, au point que moins d'un pour cent d'entre elles se sont adressées à la justice. Le dispositif d'action de groupe en santé voté en 2016 n'apporte pas de réelle solution, transférant seulement à des associations la charge de l'action, sans leur accorder les moyens financiers pour la mener. Le droit pénal français n'est quant à lui pas adapté à ces contentieux. Les victimes peuvent, certes, se tourner vers l'office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) qui pourra être amené à les indemniser. Cependant, cette voie dite amiable est souvent une impasse pour les victimes de médicaments autres que le benfluorex et le valproate de sodium, notamment du fait du degré de gravité requis pour solliciter une indemnisation et du niveau de preuve scientifique requis, qui ne prend pas en compte la notion de « faisceau d'indices graves, précis et concordants » largement admise dans la voie judiciaire. De plus, seules les victimes ayant eu recours au médicament en cause après 2001 peuvent être éligibles à une réparation au titre de l'ONIAM. C'est pourquoi de nombreuses associations de victimes souhaitent la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de médicaments. Il lui demande si elle compte instituer un tel fonds.

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Transmise au Ministère des solidarités et de la santé


Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé publiée le 04/03/2020

Réponse apportée en séance publique le 03/03/2020

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1056, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, j'appelle votre attention sur la nécessité de créer un fonds d'indemnisation des victimes des préjudices liés aux médicaments. Il reste en effet aujourd'hui très complexe, pour nombre de ces victimes, d'obtenir la reconnaissance et la réparation de leur préjudice. Celles-ci doivent remplir de nombreuses conditions, à leurs frais, pour engager une procédure contentieuse devant les tribunaux qui ait quelque chance de succès : il faut agir avant que l'action ne soit plus recevable, démontrer qu'un lien de causalité entre une prise de médicament et la survenue de l'effet indésirable est à l'origine du dommage et parvenir à établir les responsabilités.

Pour suivre depuis très longtemps l'Association des victimes du Distilbène, je peux vous dire que ces femmes ont mené un combat héroïque pour faire condamner de très grandes firmes pharmaceutiques. Néanmoins, pour la plupart d'entre elles, c'est impossible : on peut considérer que seulement 1 % des personnes concernées ont pu agir devant la justice.

Les victimes peuvent, certes, se tourner vers l'Oniam, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux. Cependant, cette voie dite « amiable » est souvent une impasse pour les victimes de médicaments autres que le Benfluorex et le Valproate de sodium, notamment du fait du degré de gravité requis pour solliciter une indemnisation.

Beaucoup de victimes sont démunies. C'est pourquoi il apparaît souhaitable, comme le demandent nombre d'associations, notamment l'Association de défense des femmes victimes du Distilbène, car c'est un mal qui touche plusieurs générations, de créer un fonds d'indemnisation à l'instar de ce qui existe dans plusieurs pays d'Europe.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Sueur, les victimes d'accidents liés à des médicaments font l'objet d'une attention particulière de la part du Gouvernement, comme des gouvernements précédents d'ailleurs.

Vous le soulignez, la réponse judiciaire aux drames sanitaires collectifs générés par certains médicaments n'est pas toujours apparue comme adaptée aux yeux des victimes les plus fragiles – je saisis cette occasion pour saluer ces personnes et les associations qui les accompagnent.

Au fil des ans, de nombreux mécanismes ont été mis en place, qui me conduiront peut-être à une conclusion différente de la vôtre. Permettez-moi de revenir sur ces dispositifs.

L'instauration d'une procédure d'action de groupe en 2016 est un premier élément de réponse, dont il conviendra, je vous le concède, d'évaluer la pertinence sur le long terme.

Les pouvoirs publics ont ouvert la possibilité pour les victimes de demander leur indemnisation par l'exploitant du produit dans le cadre du dispositif de règlement amiable institué par la loi du 4 mars 2002, via l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, l'Oniam – vous l'avez rappelé. Les victimes peuvent ainsi saisir les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation, les CCI, et bénéficier, dans ce cadre, d'une expertise médicale et juridique dans des délais raisonnables. Le cas échéant, l'Oniam assure une indemnisation sur fonds publics, au titre de la solidarité nationale, si l'exploitant du produit refuse d'assumer ses responsabilités.

Si ce dispositif constitue un niveau de réponse adapté face aux accidents médicamenteux individuels ou de faible ampleur, les pouvoirs publics n'ont pas manqué de l'adapter dans les hypothèses d'accidents sériels de plus grande ampleur, tels que ceux que vous avez évoqués. Ainsi, pour les accidents liés aux médicaments commercialisés sous les noms de Mediator ou de Dépakine, l'État a pris l'initiative de mettre en place, en 2011, puis en 2016, des dispositifs spécifiques d'indemnisation au sein de l'Oniam.

On peut également noter que, s'agissant du médicament commercialisé sous le nom d'Androcur, les commissions de conciliation et d'indemnisation saisies dans le cadre du dispositif de droit commun de l'Oniam ont adopté une méthodologie commune, qui permettra d'apporter une réponse homogène et équitable sur l'ensemble du territoire.

Dans ces conditions, la mise en place d'un fonds d'indemnisation des accidents médicamenteux, qui, en tout état de cause, ne pourrait indemniser les effets indésirables des produits en dehors de toute recherche de responsabilité en matière de produits défectueux, ne nous apparaît pas nécessaire. On le voit en effet, le dispositif CCI-Oniam, ainsi que les dispositifs spécifiques mis en place en son sein, constitue un outil adapté et pertinent, qui peut être ajusté au besoin, comme cela a été le cas par le passé.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d'État, je connais cette doctrine. Je ne suis donc pas étonné par votre réponse.

Vous avez cité trois substances, à juste titre. Or, pour le Distilbène, substance qui fut, vous le savez, prescrite en France trois ans après son interdiction aux États-Unis, le mal touche les femmes, leurs enfants et leurs petits-enfants. Il faudrait donc prévoir les mêmes procédures que pour les trois autres substances.

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