B. LES LIENS ETROITS ENTRE PROJETS DE LOI DE FINANCES ET DE FINANCEMENT

1. L'articulation formelle des deux textes

La réforme constitutionnelle de 1995 a constitué une avancée démocratique et financière majeure dans la mesure où elle a pour la première fois permis au Parlement d'avoir son mot à dire à la fois sur le niveau de recettes dont bénéficient, en prévision, les organismes de sécurité sociale, mais aussi sur le niveau souhaitable de leurs dépenses. Parallèlement, elle devait aussi être l'occasion de débattre des grandes orientations de santé publique. Cependant, la coexistence entre ces deux grands textes financiers que sont les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale n'apparaît pas, à l'usage, satisfaisante.

Comparaisons et ressemblances

Les comparaisons sont légion entre les deux textes, tant l'influence formelle des lois de finances se fait sentir sur les lois de financement. Cela se lit avec évidence dans la procédure d'examen devant le Parlement, qu'il s'agisse des délais et de la sanction de leur non-respect ou du rôle de chaque assemblée. Cependant, au-delà de ces ressemblances de forme, les différences de fond sont essentielles et expliquent en grande partie les difficultés de coordination entre les deux textes.

La portée normative des deux catégories de textes diffèrent ainsi grandement. La loi de finances est une autorisation limitative, sauf exceptions dûment mentionnées, de dépenser. La loi de financement n'est qu'un objectif de dépenses. La loi de finances est une prévision de recettes assortie d'une autorisation, alors que la loi de financement ne contient pas cette dernière. La loi de finances prévoit un article d'équilibre, alors que la loi de financement n'en comprend pas, et de façon délibérée, l'équilibre dépendant en partie des décisions des partenaires sociaux. De même, la structure des deux textes diffère : les lois de finances contiennent deux parties à la teneur précisément détaillée par l'ordonnance organique ; les lois de financement n'ont aucune obligation de cette nature ; recettes et dépenses de la loi de financement ne recouvrent pas le même champ ; elle vise des organismes très diversifiés, alors que la loi de finances ne concerne que l'Etat.

En réalité, les lois de financement n'ont pas résolu le problème de l'éclatement des finances publiques et de l'absence, dans le débat parlementaire, de leur présentation consolidée, alors même que les exigences européennes en rendaient, mais pas seulement elles, indispensable l'appréhension. De même, elles n'ont pas résolu non plus la question de l'éclatement du produit des impositions de toutes natures, alors même que les citoyens ressentent plus fortement leur concentration et leur alourdissement. Mieux, de ces deux points de vue, l'établissement des lois de financement a mis en lumière deux difficultés du droit financier public français et les a rendues moins supportables pour les parlementaires, légitimement frustrés d'une vision consolidée des finances publiques et des prélèvements votés.

La réforme en cours de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances 6 ( * ) peut ainsi être l'occasion d'une amélioration de cette situation, même si la nature actuelle des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses de la loi de financement empêchent de réellement remédier aux défauts mentionnés précédemment.

Les liens entre le budget de l'Etat et les organismes de sécurité sociale, entre lois de finances et lois de financement sont de plusieurs natures. Il existe un lien technique indispensable par le biais d'un socle commun d'hypothèses macro-économiques : heureusement, les deux textes partagent les mêmes hypothèses de croissance, d'inflation, d'évolution de la masse salariale, etc. Par ailleurs, les liens sont de nature fiscale. La loi de financement retrace la prévision du premier impôt payé par les Français, la CSG, ainsi que d'autres impôts chaque année plus nombreux. Par ailleurs, elle tient compte de l'ensemble des transferts budgétaires existants de l'Etat vers les organismes de sécurité sociale. Employeur, l'Etat verse des cotisations. Redistributeur, l'Etat verse des compensations aux régimes qu'il prive de recettes. Régulateur, l'Etat verse des subventions aux régimes en situation difficile. Lui-même régime de retraite, l'Etat contribue aux mécanismes de compensations entre régimes. Distributeur de prestations sociales, l'Etat utilise les organismes sociaux pour instruire les demandes et verser les prestations. L'ensemble de ces mouvements se traduit par des flux à l'importance budgétaire croissante dont il conviendrait d'avoir une vision claire. Enfin, les projets de loi de financement de la sécurité sociale sont un des éléments de la stratégie française de finances publiques telle que notifiée à nos partenaires de l'Union européenne. Au même titre que les projets de loi de finances, ils s'inscrivent donc dans une stratégie globale qui doit être cohérente.

Votre commission est depuis longtemps attachée à un éclaircissement des liens entre les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale. Il convient de saisir l'opportunité d'une réforme de l'ordonnance organique pour procéder aux ajustements possibles du côté des finances de l'Etat. Il s'agira par exemple de préciser le rôle prééminent des lois de finances en matière d'autorisation unique de perception des impositions de toute nature. Par ailleurs, des progrès sont aussi possibles dans l'information parlementaire, au stade du projet de loi de finances, sur l'intégralité du produit des recettes issues de prélèvements obligatoires dont bénéficient les organismes de sécurité sociale afin que l'examen des stratégies fiscales soit éclairé par une connaissance de la totalité des prélèvements obligatoires. De même, le rapport d'orientation budgétaire qui serait transmis, voire soumis, au Parlement, devrait être un document consolidé retraçant l'ensemble des finances publiques et non pas seulement la situation budgétaire qui ne saurait s'apprécier sans une mise en perspective. Un ou plusieurs programmes clairement identifiés, ou, à défaut, une annexe informative, pourraient récapituler de manière exhaustive l'ensemble des flux financiers entre l'Etat et les organismes de sécurité sociale. Une annexe explicative, solution a minima , répondrait au moins au désir du Conseil constitutionnel quand il remarquait dans sa décision relative à la loi de finances rectificative pour 1998 7 ( * ) que les annexes doivent " mettre le Parlement en mesure de tenir compte, au cours de l'examen du projet de loi de finances, des incidences économiques et fiscales des mesures figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale. " Enfin, l'introduction d'une obligation de sincérité et d'exhaustivité des lois de finances permettrait de limiter au maximum les tentations et possibilités de " jouer " sur l'examen concomitant des deux textes, sur les obligations figurant dans l'un et le renvoi à plus tard de la coordination dans l'autre, etc. Sincères, les lois de finances devront tenir compte des lois de financement, en attendant que l'introduction d'une disposition similaire dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale ne " boucle la boucle ", à moins que le juge constitutionnel ne le fasse progressivement de lui-même.

* 6 Voir le rapport de M. Alain Lambert, président de la commission des finances, sur la réforme de l'ordonnance organique (n° 37, 2000-2001).

* 7 Décision n° 98-406 DC du 29 décembre 1998 ( Journal officiel du 31 décembre 1998).

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