B. DES FACTEURS RÉCURRENTS ET NOUVEAUX DE PRESSION À LA HAUSSE SUR LA DÉPENSE D'AIDE SOCIALE DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Les années 2000 et 2001 pourraient bien être les deux dernières années du « cycle de répit » des dépenses sociales départementales.

En effet, l'ODAS 12( * ) estime que les dépenses devraient fortement augmenter après 2001 « sous l'influence conjointe des 35 heures et de la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie »

En l'an 2000, l'application de la réduction du temps de travail s'est faite de manière « indolore » pour les conseils généraux en raison du soutien financier transitoire de l'Etat et du caractère progressif des créations de postes supplémentaires dans les établissements. Par ailleurs, la mise en place définitive de l'APA en janvier 2002, assortie de l'ouverture des droits aux personnes âgées moyennement dépendantes (GIR 4), devrait se traduire par une forte augmentation de la dépense d'aide sociale à domicile et en établissement, sans même parler des coûts de gestion particulièrement lourds.

Au total, l'ODAS n'exclut pas que l'on rentre à nouveau, dans un cycle de cinq ans de forte expansion des dépenses d'aide sociale départementale . De tels cycles ont déjà été observés par le passé. L'ODAS avance ainsi comme « réaliste » des taux annuels d'augmentation de dépenses supérieurs à 5 % à partir de 2002.

Votre rapporteur souligne pour sa part qu'aux facteurs déjà connus de nature à alourdir le coût structurel des prestations d'aide sociale viennent se surajouter des éléments nouveaux tendant à aggraver la situation.

1. Les facteurs déjà connus d'alourdissement des coûts

M. Jean Chérioux avait largement commenté, dans ses avis des années précédentes, les conséquences du passage aux 35 heures hebdomadaires de travail, de la remise en cause contentieuse des règles de rémunération des heures de permanences en chambre de veille et de l'avenant relatif à la rémunération des cadres agréé au titre de convention collective de 1966.

a) La mise en place ardue de la réduction du temps de travail

Les salariés des établissements sociaux et médico-sociaux, soit près de 300.000 personnes, relèvent principalement de deux conventions collectives.

- la convention collective du 15 mars 1966 de la Fédération 13( * ) des syndicats nationaux d'employeurs des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées à but non lucratif qui concerne 180.000 salariés ;

- la convention collective du 31 octobre 1951 de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privée à but non lucratif (FEHAP) du 31 octobre 1951 qui concerne dans le champ médico-social environ 80.000 salariés.

Les deux conventions collectives participent à la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (UNIFED) régi par des conventions collectives « agréées » par décision ministérielle.

Le secteur social et médico-social a été expressément inclus par la loi « Aubry I » dans le champ de la réduction du temps de travail.

La difficulté par rapport aux entreprises du secteur marchand est que les gains de productivité qui seraient susceptibles de compenser la baisse du temps de travail et d'atténuer ainsi le surcoût de la mesure, sont faibles, voire inexistants dans le secteur social et médico-social.

Tout d'abord, la durée des soins et de l'assistance requise par une personne handicapée reste la même au cours d'une journée, quels que soient les horaires des travailleurs sociaux. Comme le souligne l'UNIOPSS, le secteur médico-social « fait face à des hommes et non pas à des machines ».

Mais surtout, deux phénomènes sont apparus qui aggravent la situation.

Tout d'abord, le Gouvernement a ouvert la possibilité d'agréer les accords collectifs relatifs aux trente-cinq heures au niveau de chaque association responsable : Or, une même association peut comprendre plusieurs établissements de petite taille. Le passage aux trente-cinq heures s'est effectué rapidement dans les unités de moins de vingt salariés dans le secteur social et médico-social. Or, dans ces petits établissement, la réorganisation du temps de travail est particulièrement complexe compte tenu des seuils d'encadrement des publics accueillis.

Ensuite, la mise en oeuvre du temps de travail entraîne des « réactions en chaîne » : c'est ainsi que des travailleurs en CAT sont passés aux trente-cinq heures dans le cadre de mesure spécifiques ; dès lors que ces travailleurs handicapés rejoignent plus tôt les foyers d'hébergement, les personnels de ces foyers sont soumis à des sollicitations croissantes, alors qu'ils doivent eux-mêmes tirer les conséquences de la réduction du temps de travail. Il en résulte automatiquement le recours à des embauches compensatrices dans des proportions plus importantes que prévues, dont le coût devra être évalué.

Le succès de la réduction du temps de travail, sans dérapage pour les financeurs départementaux, nécessite une compréhension par les personnels concernés de l'effort de modération.

Dans certains cas, d es ajustements ont dû être opérés sur la durée des services offerts aux personnes accueillies dans les établissements. Le réaménagement du temps de travail conduit alors à une diminution de la qualité du service pour les personnes accueillies.

Ainsi, par exemple, les CHRS ont dû renoncer à maintenir certaines activités d'insertion qui étaient proposées pendant les périodes de congé annuel. Dans les établissements de protection de l'enfance, il a été procédé à des regroupements plus importants d'enfants pour l'exercice des activités socio-éducatives. Dans les établissements pour adultes handicapés, les activités sont également plus réduites qu'auparavant pendant les périodes de congés annuels. Certains instituts médico-éducatifs ont réduit l'amplitude de leurs horaires d'ouverture.

Par ailleurs, les deux lois relatives à la réduction du temps de travail (RTT) ont prévu diverses dispositions à respecter concernant la durée quotidienne et hebdomadaire de travail, les temps de pause, les repos quotidiens et les repos hebdomadaires. Les dispositions relatives au compte épargne-temps (CET) sont également à prendre en compte.

Ces mesures ont des effets assez importants pour les structures qui vis-à-vis des personnes hébergées ont la responsabilité lourde d'une prise en charge permanente , de jour comme de nuit, et tout au long de l'année, y compris les samedi et dimanche.

Une simulation réalisée par l'UNIFED montre ainsi que, pour une structure d'hébergement accueillant entre 15 et 20 personnes handicapées et employant actuellement cinq salariés, l'application rigoureuse de la loi conduit à faire passer les effectifs du personnel de 7 à 12 personnes, dont 2 gardiens de nuit n'ayant pas le statut de travailleur social. Paradoxalement, il serait possible d'appliquer la loi à moindre coût en imposant des contrats de travail à temps réduit aux nouveaux salariés, ce qui ne serait ni réaliste, ni adapté à leur demande.

Le secteur est rentré dans une période d'incertitude partagée entre la préoccupation d'appliquer correctement la loi et la tentation de reporter massivement sur le financeur, et donc sur le contribuable local ou l'usager, le surcoût dû aux nouvelles mesures législatives.

b) La question toujours pendante de la validation des heures de surveillance en chambre de veille

Adapté à l'initiative du Sénat, l'article 29 de la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail à valider les «  versements effectués au tire de la rémunération des périodes de permanence nocturne, comportant des temps d'inaction, effectuées sur le lieu de travail en chambre de veille ».

Cette validation faisait suite à une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 29 juin 1999 qui avait constaté que les régimes d'équivalence pour les heures de travail en chambre de veille n'étaient pas applicables dans la mesure où il s'agissait d'un dispositif dérogatoire qui ne pouvait relever que d'un accord collectif étendu, ce qui n'était pas le cas de la convention de 1966.

Compte tenu des effets rétroactifs, la remise en cause des accord d'équivalence sur les chambres de veille, entraînerait pour les financeurs une charge de 3,7 milliards de francs, répartis pour près de 90 % entre les départements et l'assurance maladie, le solde incombant à l'Etat.

Toutefois, dans un arrêt de la Cour d'Appel de Versailles du 11 mai 2000, puis dans un arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 27 juin 2000, les juges judiciaires ont écarté l'application de l'article 29 précité au motif qu'il contreviendrait à l'article 6, paragraphe I, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Par voie de décision du 24 avril 2001 14( * ) , la Cour de Cassation a suivi la Cour d'Appel de Versailles en se fondant sur l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui « s'oppose, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêts général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice afin d'influer sur le dénouement judiciaires d'un litige ».

En l'espèce, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a estimé que l'article 29 précité « dont il n'est pas établi qu'un motif impérieux d'intérêt général le justifiait, remettait en cause une jurisprudence favorable au salarié en matière d'heures d'équivalence » et qu'il convenait donc d'en écarter l'application.

Les positions prises par les juges judiciaires remettent en cause la portée des validations législatives.

De surcroît, sur quelle légitimité peut s'appuyer le juge nommé pour se faire l'interprète du caractère d'intérêt général d'une disposition appréciée comme telle, à la fois par les parlementaires démocratiquement élus et par le Gouvernement lui-même nommé par le Président de la République élu au suffrage universel ?

Quelle que soit l'indifférence portée par le pouvoir judiciaire aux conséquences « générale » des décisions qu'il prend, il n'en demeure pas moins que la régularisation rétroactive du paiement des heures de permanence entraînerait un surcoût de 3,7 milliards de francs pour l'ensemble des employeurs de la branche. Faute de prise en charge des dépenses, ce sont de nombreuses associations qui seront demain en cessation de paiement et devront interrompre leur activité.

Enfin, la loi du 19 janvier 2000 prévoit pour l'avenir que le régime dérogatoire des équivalences doit être mis en place par décret en Conseil d'Etat, ou par décret simple pris après conclusion d'une convention ou d'un accord de branche étendu.

Il apparaît aujourd'hui que les négociations en ce sens ayant échoué au niveau de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif, seul un décret en Conseil d'Etat permettrait d'instituer un régime d'équivalence dans notre secteur. Il ne semble pas que le Gouvernement montre de l'empressement à clarifier la situation.

Au demeurant, il est regrettable que le manque d'attention du Gouvernement sur le caractère exceptionnel et dangereux de la situation juridique ainsi créé n'aboutisse à des procédures « ubuesques ».

Sur le terrain, les situations se compliquent : il est frappant de constater que le 19 septembre 2001 un directeur d'établissement, qui continuait de rémunérer les heures passées en chambre de veille sur la base des horaires d'équivalence, s'est vu dresser un procès-verbal par l'inspection du travail pour infraction à la durée du travail. Alors que le Gouvernement tarde à publier le décret sur les équivalences qui permettrait de donner une base stable pour l'avenir, les directions du travail continuent, elles, à alimenter les contentieux.

Par ailleurs, votre rapporteur a été informé d'un récent arrêt d'un tribunal d'instance, qui, à la suite du dépôt d'une plainte, a condamné un directeur d'établissement à 700.000 francs d'amende et trois mois de prison avec sursis pour n'avoir pas respecté les règles de rémunération intégrale des heures de permanence en chambre de veille : la « pénalisation » du droit du travail conduit à des excès regrettables dans un domaine où les associations gestionnaires n'assurent pas par elles-mêmes la maîtrise de leur financement.

c) L'avenant « cadre » à la convention collective du 15 mars 1966

Le 26 avril 1999, a été signé un avenant n° 265 revalorisant le statut du personnel d'encadrement dans le cadre de la convention collective de 1966, qui a finalement, après diverses péripéties, été agrée par le Gouvernement par une décision du 6 septembre 2000.

Cet avenant prévoit une revalorisation du régime indemnitaire des cadres ainsi qu'une nouvelle classification en fonction de leur niveau de qualification afin de résorber l'écart qui était apparu avec les personnels équivalents relevant de la convention FEHAP du 31 octobre 1951.

Cet avenant répond à un besoin de rattrapage qui avait été, semble-t-il, trop longtemps différé ; il n'en reste pas moins qu'il devrait avoir un coût au cours des prochaines années pour les établissements sociaux et médico-sociaux qui accueillent des personnes handicapées. Ce coût est évalué à 1,75 % de la masse salariale.

2. Les nouveaux risques de dérapages incontrôlés

a) La question de maintien du niveau des rémunérations pendant la période transitoire d'entrée en vigueur des accords agréés

Divers contentieux ont été introduits sur la maintien du niveau de rémunération appliqué par des établissements dans l'attente de la validation définitive des accords de réduction du temps de travail qu'ils avaient conclus avec leurs salariés.

Compte tenu des délais d'examen de ces accords, -délais imputables à la lourdeur de la procédure-, les accords n'ont pu être effectivement appliqués qu'en février ou mars 2000 alors que la loi s'appliquait, elle, au 1 er janvier de l'année.

Plusieurs salariés ont alors intenté des recours pour obtenir que les heures supplémentaires, -qui pouvaient atteindre jusqu'à un tiers de la durée prévue dans le contrat de travail-, fassent l'objet de la majoration de salaire à hauteur de 25 % prévue par la loi à compter de l'entrée en vigueur de la RTT au 1 er janvier 2000. Le coût de ces contentieux pourrait porter sur 2,54 % de la masse salariale globale versée par les associations concernées.

b) L'augmentation de l'indemnité de précarité

L'article 35 B du projet de loi de modernisation sociale, actuellement en cours d'examen devant le Parlement, a été introduit à l'initiative de l'Assemblée Nationale en première lecture.

Cet article a pour objet d'aligner le taux de l'indemnité de précarité dont bénéficie un salarié à l'issue de son contrat de travail à durée déterminée (CDD) sur celui appliqué en faveur des travailleurs intérimaires. Le taux de 6 % de la rémunération brute actuellement appliqué aux salariés sous CDD doit donc passer à 10 %.

La majoration du taux à laquelle le Sénat était opposé, aura une incidence importante dans le secteur social et médico-social, car de nombreux salariés sont actuellement dans le cadre de CDD.

Le surcoût peut être évalué à 0,64 % de la masse salariale pour l'ensemble du secteur.

c) Le risque d'une remise en question des accords de modération salariale conclus en 2000

La réussite de la réduction du temps de travail repose très largement sur le respect des accords de modération salariale passés avec les personnels couverts par les conventions collectives.

Par exemple, l'accord SNAPEI du 12 mars 1999 a prévu un gel de la valeur du point et des mesures catégorielles en 1999 et 2000 ainsi qu'une suspension à durée indéterminée de la majoration familiale de traitement : la mesure de gel des salaires a porté au minimum sur 2,58 % de la masse salariale.

Les accords, compte tenu des aides budgétaires versées par l'Etat, de la diversité des durées hebdomadaires de travail selon les établissements et du moindre niveau des salaires des personnes nouvellement embauchées, ont permis de financer le passage aux trente-cinq heures et en, particulier, de compenser le seuil de 11,4 % d'embauches supplémentaires que nécessite logiquement le dispositif.

Il reste que le succès de la réduction du temps de travail, sans dérapage pour les financeurs départementaux, nécessite une compréhension par les personnels concernés de l'effort de modération salariale qui leur est demandé et par la possibilité d'une réorganisation des astreintes et des périodes de permanence.

On regrettera de surcroît que la politique suivie par le Gouvernement dans le secteur hospitalier aboutisse un peu plus à brouiller les cartes et à amplifier le risque d'une explosion des dépenses.

Traditionnellement, les salariés du secteur médico-social se placent dans la perspectives d'une parité avec la fonction publique hospitalière.

Au demeurant, cette parité est souvent imposée dans les faits, car les employeurs souhaitent pouvoir recruter du personnel à compétence égale sur des missions dont la nature est proche de celles effectuées dans le secteur hospitalier.

Dès lors que le Gouvernement choisit d'opérer le passage aux 35 heures dans la fonction publique hospitalière « sans retenue ni modération salariale », il ne faut pas s'étonner si les salariés du secteur médico-social réclament à leur tour un rattrapage rétro-actif sur les 2,58 % de salaire auxquels ils avaient renoncé en 2000 au nom de la bonne application de la RTT.

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Compte tenu des analyses et observations exposées ci-dessus, et parce que ce budget est en fait lourd de menaces pour l'avenir, votre commission a décidé d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de solidarité pour 2002.

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