A. LES INCERTITUDES DU PROGRAMME « EMPLOI JEUNES »

Le programme « emplois-jeunes » constitue la principale initiative du Gouvernement en faveur de l'emploi des jeunes depuis 1997. Or, comme l'observe le MEDEF, « le risque est grand pour ces jeunes, au niveau d'éducation élevé, de se retrouver sans perspectives professionnelles » . La CFE-CGC résume la situation de manière plus brutale en qualifiant ces emplois de « faux-fonctionnaires ». La prochaine législature devra apporter une solution professionnelle pour ces milliers de jeunes qui arriveront prochainement au terme de leur contrat.

1. Un demi-échec compte des résultats et de l'objectif de départ

La loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 avait une double finalité : développer des activités nouvelles à valeur ajoutée sociale et offrir à des jeunes une première expérience porteuse d'avenir. Le bilan du programme à l'issue de la législature est pour le moins ambivalent.

a) Des résultats très éloignés de l'objectif de départ

L'objectif de 700.000 emplois (350.000 dans le secteur marchand et 350.000 dans le secteur non marchand) a très vite été abandonné pour un objectif plus modeste de 350.000 emplois dans le secteur marchand. Puis cet objectif lui-même a été révisé à la baisse. Au lieu de parler en « stock » ( un programme le Gouvernement en est venu à évoquer un flux -« porter à 360.000 à la fin 2002 le nombre des jeunes qui auront bénéficié du programme depuis sa création » .

La différence n'est pas mince, car si l'on estime entre 200 et 250.000 le nombre de jeunes dans le programme en moyenne sur les cinq années de la législature, il en résulte un objectif réalisé trois fois moindre que l'objectif de départ (700.000 versus 200 à 250.000).

Toutefois, même à ce niveau, il convient de remarquer que le bilan quantitatif est impressionnant. Ce qui appelle plusieurs remarquent qui tiennent d'une part à la nature des postes créés et d'autre part aux conséquences qu'a pu avoir la priorité donnée à ce programme.

Concernant la nature des postes créés tout d'abord. On observe qu'un bon tiers relève du secteur public strict. Au 30 avril denier, 272.000 emplois avaient été créés 23( * ) dont 180.000 dans le secteur associatif, les collectivités locales et les établissements publics, 70.000 à l'Education nationale, 20.000 dans la Police nationale et 2.000 à la Justice.

Le rapport d'information réalisé par votre commission l'année passée 24( * ) comme le précédent avis budgétaire 25( * ) présenté par votre rapporteur ont déjà été l'occasion de mesurer l'écart qui a pu apparaître entre les objectifs annoncés - activités nouvelles répondant à un besoin non-satisfait - et la réalité - des emplois déjà existant de cantonniers, standardistes, gardiens d'immeubles... -. Cette relative déception de nombreux jeunes explique un taux de départ relativement élevé estimé à 25 %.

Par ailleurs, le retour de la croissance a ralenti au fil des ans le développement du programme, ce qui n'aurait pas du être considéré comme une évolution négative. Pourtant, tout laisse aujourd'hui penser que le Gouvernement a continué à privilégier la réalisation d'un objectif quantitatif en limitant les autres dispositifs en faveur de l'emploi.

De nombreux jeunes qui étaient au chômage sont ainsi entrés dans le programme, ce qui est compréhensible. Mais on observe également que depuis 1998, l'insertion des jeunes dans le secteur marchand à travers un dispositif comme le CIE a marqué le pas comme s'ils étaient orientés de préférence vers le secteur non-marchand 26( * ) . Des constatations similaires peuvent être faites concernant la formation en alternance.

Ce détournement de main-d'oeuvre au profit du secteur public ne peut être considéré comme une saine politique de l'emploi. Alors que ces jeunes sont souvent diplômés (60% ont un niveau bac, 20% un niveau bac +2 et 20% un niveau supérieur à bac +2), ils ont été encouragés à s'investir dans un programme dont l'avenir est des plus incertains, alors même que l'économie connaissait des pénuries de main-d'oeuvre.

Le relatif échec des tentatives pour permettre des embauches de ces jeunes par le secteur marchand (exemple de l'éducation nationale et du secteur hôtelier) augure mal de l'avenir de ces jeunes dans le cadre d'une conjoncture de plus en plus grise.

b) Un financement peu transparent et très coûteux

En 2002, le coût du dispositif emplois-jeunes inscrit au chapitre 44-01 du budget du ministère de l'Emploi est fixé à 3,23 milliards d'euros (plus de 21,2 milliards de francs), en baisse de près de 121 millions d'euros.

Ces crédits se divisent en deux catégories :

- 3,21 milliards d'euros à l'article 10 du chapitre au titre des aides au poste ;

- et 22,87 millions d'euros à l'article 30 pour les mesures d'accompagnement des projets.

Ces crédits doivent permettre de financer l'aide de l'Etat qui s'élève à 15.551 euros par poste au 1 er juillet 2001, soit 102.010 francs auxquels peut s'ajouter une aide à la conception et au suivi de projet.

La baisse des crédits observée en 2002 s'explique par une consommation des crédits sensiblement inférieure au montant ouvert en loi de finances. Dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 2000, la Cour des comptes a ainsi observé que les dépenses nettes avaient été inférieures de plus de 610 millions d'euros (4 milliards de francs) aux crédits ouverts en loi de finances initiale.

Cette pratique est confirmée en 2001 par le montant important des annulations de crédits prévues par le projet de loi de finances rectificative pour 2001. Un arrêté du 21 mai a déjà annulé 490 millions de francs sur le chapitre 44-01, tandis qu'un arrêté plus récent du 14 novembre dernier annulait à nouveau 367 millions de francs de crédits sur le même chapitre.

Crédits relatifs aux emplois-jeunes

Rémunération des emplois (aides aux postes) à partir de l'art. 10 ch.44-01

1997

1998

1999

2000

2001

MF

MF

MF

MF

MF

M€

Transferts au MEN

600,00

3.563,00

5.038,00

5.948,58

5.200,00

792,73

Transferts au ministère de l'intérieur

17,81

380,00

857,30

1.150,00

1.400,00

213,43

Transferts au ministère de la justice

-

-

-

44,00

90,00

13,72

Total transferts (a)

617,81

3.943,00

5.895,30

7.142,58

6.690,00

1.019,88

Versements au CNASEA (source ACTT°) (b)

165,00

2.773,24

7.968,22

10.800,00

7.988,39

1.217,82

Total aides aux postes (a) + (b)

782,81

6.716,24

13.863,52

17.942,58

13.678,39

2.237,70

Aides aux projets accompagnement

26,46

89,98

114,63

95,39

9,47*

1,44*

(art. 30 ch. 44-01 (source ACCT°)

 
 
 
 

(71,70)**

(10,93)**

Total général (a) + (b) + (c)

809,27

6.806,22

13.978,15

18.037,97

13.687,86

2.239,14

Il s'agit des sommes engagées au 1 er semestre 2001

.* La LFI 2001 correspondait à 71,70 MF (10,93 M€)


Lorsque l'on considère les crédits consacrés à ce programme par l'ensemble du budget général, on atteint le montant de 3,67 milliards d'euros (24,05 milliards de francs).

Ce dispositif apparaît comme très coûteux puisque le coût cumulé depuis octobre 1997 s'élève à 13 milliards d'euros, soit 86 milliards de francs. Pour donner une idée, cela correspond à un coût unitaire de plus de 260.000 francs par jeune embauché (328.000 en juin) mais sans doute de plus de 350.000 francs si l'on ne tient compte que des jeunes affectivement dans le dispositif en moyenne sur les quatre ans (250.000 au grand maximum).

2. L'impossible solvabilisation des emplois créés dans le secteur non-marchand

a) Un plan de consolidation qui traduit l'échec de la démarche poursuivie

Le Gouvernement a présenté le 6 juin dernier un plan de consolidation des emplois jeunes qui se donne trois objectifs :

- ne laisser sortir aucun jeune du programme sans formation ;

- assurer le maintien des activités qui ne sont pas encore autofinancées ;

- et encourager l'émergence des nouveaux services en 2001 et 2002.

L'engagement supplémentaire qu'aura ainsi à assumer le prochain Gouvernement est estimé à 40 milliards de francs sur cinq ans (2002-2006). Cette somme s'ajoutera au coût du dispositif initial qui est estimé à 135 milliards de francs sur la période 1997-2006.

Les activités associatives pourront ainsi bénéficier d'une aide supplémentaire de 100.000 francs allouée sur trois ans de manière dégressive. Les activités prolongeant un service public bénéficieront d'une aide d'environ 70.000 francs par an à travers une convention triennale. Enfin, les communes à faibles ressources pourront prétendre à une aide triennale de 50.000 francs par an.

Par ailleurs, les jeunes pourront accéder à la fonction publique territoriale sans concours sur des emplois de catégorie C et un troisième concours sera ouvert aux candidats disposant d'une expérience dans les principaux cadres d'emplois concernés. Les emplois dans l'Education et la Police nationale seront maintenus, les adjoints de sécurité continueront à pouvoir passer les concours internes et les aides éducateurs bénéficieront d'une troisième voie.

b) Des perspectives à préciser après 2002

Le plan de consolidation présenté par le Gouvernement ne saurait lié le prochain Gouvernement. Il constitue plus une indication de ce qu'envisage le Gouvernement actuel pour l'avenir des emplois jeunes qu'un véritable programme qui serait destiné à être appliqué tel quel.

En l'état actuel, il est toutefois fort instructif puisqu'il prend acte, d'une certaine manière, de l'échec de la démarche poursuivie. Il s'agissait en effet, à l'origine, de développer de nouvelles activités dans le secteur non marchand qui devraient petit à petit trouver leur propre équilibre financier. Or, d'une part, les emplois dans le secteur strictement public ont progressivement pris le pas sur les emplois dans le secteur non-marchand et, d'autre part, ces derniers emplois n'ont jamais pu, pour l'essentiel, trouver de financement autonome, ce qui amène aujourd'hui le Gouvernement à reconduire les aides publiques.

Votre commission ne peut que rappeler ses propres propositions -constantes depuis 1997- qui tendent à accroître la formation et l'encadrement de ces jeunes, à favoriser la migration des activités vers les secteur marchand à travers une aide spécifique et à engager la régionalisation du dispositif afin de mieux prendre en compte les besoins rencontrés sur le terrain.

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