D. DIVERSIFIER LES PARCOURS POUR FAVORISER LA RÉUSSITE DE CHACUN

1. Le développement des dispositifs en alternance au collège : une rupture courageuse et nécessaire

a) Les limites du « collège unique »

Maillon faible du système éducatif, le collège est le lieu où se concentrent et se révèlent les principales difficultés liées à l'hétérogénéité des élèves et de leurs niveaux. Le collège unique n'est pas parvenu à répondre à la diversité des profils des élèves et à proposer à chacun une voie de réussite adaptée. Aussi se cristallisent les retards scolaires, qui préfigurent la marginalisation progressive des élèves « décrocheurs ». Il est éclairant de remarquer que plus du tiers des collégiens déclarent s'ennuyer en classe.

En effet, si l'idée de la Réforme Haby de 1975, qui a engagé l'unification des formations au sein du collège, réalisée, quoique partiellement, au cours des années 1980, est a priori généreuse, à savoir offrir à tous un socle commun de valeurs et de savoirs, l'obligation faite aux élèves de rester dans un moule unique privilégiant les « matières nobles » de l'enseignement général a eu des résultats dévastateurs.

Beaucoup d'élèves souffrent ainsi d'un déphasage entre leurs goûts, leurs aptitudes et les attentes d'un collège trop uniforme qui ne tire pas suffisamment parti des aptitudes de chacun.

Un sondage FSU-Sofres de novembre 2002 a révélé que 62 % des enseignants ne croient plus au collège unique pour corriger les inégalités.

LE « COLLÈGE UNIQUE » N'EST PAS UNIFORME :
LES DISPOSITIFS ALTERNATIFS EXISTANTS

- Depuis 1991, un dispositif d'aide et de soutien en 4 e et une 3 e d'insertion, permettent une alternance (stages de courte durée en entreprise) ;

- la loi quinquennale de 1993 a créé les « classes d'initiation professionnelle par alternance », implantées essentiellement en CFA ou dans les lycées agricoles ;

- les classes technologiques ont été transformées en options « nouvelles technologies appliquées » en 4 e et en 3 e à option technologie.

b) L'alternance au collège : une réponse à l'hétérogénéité des publics

L'objectif du développement des dispositifs en alternance au collège est de parvenir à un réaménagement des parcours au collège, qui doit rester unique dans ses objectifs mais diversifié dans ces modalités, afin de répondre aux désirs et capacités de publics divers.

Aussi le ministère propose, dans le cadre plus général de la lutte contre l'échec scolaire d'une part, de la valorisation de la voie professionnelle d'autre part, de donner aux collégiens qui le souhaitent la possibilité de découvrir de manière plus précoce le monde de l'entreprise et les métiers qui s'y exercent, tout en leur laissant la possibilité de reprendre ensuite une classe de seconde d'enseignement général.

Sont ainsi proposés des cursus alternant enseignement général et séquences de découverte professionnelle réalisées dans des ateliers situés en collège, en lycée professionnel et/ou en entreprise.

Les objectifs visés sont les suivants :

- aboutir à la diversification des parcours de formation à la sortie du collège, en permettant aux élèves de construire un projet individuel par la découverte de la diversité des métiers et changer l'image de certains métiers et de certaines formations ; il s'agit ainsi d'une forme d'éducation à l'orientation , qui pourrait ainsi s'adresser à tout type d'élève ;

- dans la plupart des cas, il s'agit avant tout de créer une rupture avec le cursus « ordinaire » , pour susciter une appétence nouvelle pour les enseignements fondamentaux. Il s'agit de susciter la remotivation des élèves pour les apprentissages scolaires, par la découverte en entreprise de leur utilité.

Les dispositifs de formation en alternance au collège ont fait l'objet d'un rapport de l'IGEN 9 ( * ) remis en janvier 2003 au ministre de l'éducation nationale et au ministre délégué à l'enseignement scolaire.

La plupart des dispositifs en alternance au collège ont été pilotés, par délégation, par l'inspecteur d'académie. Les modalités de mise en oeuvre sont diverses, qu'elles concernent des classes entières aux effectifs allégés et aux programmes réduits, ou qu'elles privilégient une individualisation forte par l'identification de « parcours singuliers ». En outre, les temps en dehors du collège présentent une grande variabilité : de deux jours par semaine tout au long de l'année à deux ou trois semaines de stages réparties sur l'année. La plupart du temps, l'alternance proposée est souvent organisée en liaison avec un ou plusieurs lycées professionnels à raison d'une demi-journée par semaine. La mobilisation des équipes éducatives et des entreprises pour préparer, organiser, accueillir et suivre les projets est un critère essentiel.

Le rapport souligne toutefois la nécessité de clarifier la réglementation pour les élèves en entreprise. En effet, l'ordonnance n° 2001-174 du 22 février 2001, qui achève la transposition de la directive européenne n° 94/33/CE du 22 juin 1994, précise que, pour les élèves de moins de 16 ans qui suivent un enseignement alterné, les périodes de stages ou de formation en entreprise s'organisent selon des modalités fixées par décret. Or les rapporteurs soulignent que l'absence de publication de ce décret constitue un frein au développement de l'alternance.

c) Un dispositif renforcé

Priorité de la rentrée 2003 pour le collège, les dispositifs en alternance connaissent un développement significatif :

- le nombre de collèges implantant des dispositifs en 4 e devrait passer de 480 à près de 1 400 (soit plus du quart des collèges) et le nombre d'élèves de 2 500 à environ 12 000 ;

- en 3 e les classes préparatoires à la voie professionnelle devraient concerner environ 1 400 établissements et 21 000 élèves, contre 820 établissements et 12 000 élèves en 2002. Ces classes sont appelées à s'inscrire dans le cadre de la nouvelle classe de 3 e qui sera installée à compter de la rentrée 2005.

Au total, 33 000 élèves sont concernés par ces deux dispositifs.

En outre, les académies sont encouragées à développer, en relation avec les inspecteurs pédagogiques régionaux, et sur la base d'expériences positives, des dispositifs plus innovants, adaptés aux réalités locales et fondés sur de véritables contrats de réussite passés entre le collège et les familles.

La parution du décret relatif à l'accueil en milieu professionnel des élèves mineurs de moins de 16 ans devrait permettre de faciliter les possibilités de stages en entreprise, qui sont pour le moment moins fréquent que le recours aux lycées professionnels. Ce texte précise les objectifs et modalités d'organisation des « visites d'information », « séquences d'observation », « stages d'initiation et d'application » et des « périodes de formation », ainsi que les modalités d'encadrement des élèves et les activités pouvant leur être proposées, dans le respect des mesures réglementaires protectrices concernant la prévention des risques et la sécurité des élèves de moins de 16 ans en milieu professionnel, et est entré en vigueur à la rentrée 2003.

d) Les observations de votre commission

Le développement des dispositifs en alternance présente un intérêt certain en vue de gérer l'hétérogénéité croissante des classes et mener chacun sur les voies de la réussite, par le recours à des pratiques pédagogiques diversifiées.

En outre, la mise en place de ce dispositif suppose et suscite un renforcement des liens entre l'Ecole et les entreprises, pour que celles-ci puissent proposer aux élèves des stages et un encadrement de qualité, véritablement formateur. Votre rapporteur rappellera à cet effet l'exemple de l'Allemagne, où les entreprises sont, par tradition, beaucoup plus impliquées dans la formation scolaire initiale, ce qui est de nature à faciliter, in fine, l'insertion professionnelle des jeunes.

Toutefois, il serait également nécessaire d'accompagner ce dispositif d'une réflexion plus approfondie sur la revalorisation de l'image des métiers et de la valeur travail, ainsi que des voies de formation professionnelle. Cela suppose, d'une part, la mise en place de passerelles entre les différents types de formation, et, d'autre part, une amélioration de l'information des élèves sur leur orientation.

En effet, les expériences précédentes des classes pré-professionnelles de niveau (CPPN) et les classes préparatoires à l'apprentissage (CPA) ne doivent pas être oubliées : confirmées par la réforme issues de la loi de 1975, ces classes proposaient une structure sur deux ans avec de larges adaptations de programmes. Vécues par les élèves et leurs familles comme des voies de relégation associées à l'échec, leur fermeture a été généralisée en 1991.

Tout en rappelant que le développement de ces dispositifs ne saurait léser la part réservée aux apprentissages fondamentaux, votre commission se réjouit du souci du ministère d'éviter de recréer tout effet de filière, conduisant à une orientation précoce et prématurée, au risque de voir ces dispositifs se transformer en « sas d'attente » jusqu'à l'âge de 16 ans.

On fera néanmoins remarquer que les collégiens en situation d'échec scolaire et de rejet du collège se sentent de fait « relégués » au sein des classes ordinaires, par leur incapacité à suivre les enseignements qui sont dispensés. Aussi, l'objectif est de leur faire retrouver le goût d'apprendre, par une exposition directe et concrète au milieu professionnel.

Toutefois, pour dissiper tout risque d'irréversibilité, et permettre de concilier la rupture, destinée à éviter l'abandon de l'élève et le retour dans la classe, il est essentiel d'aboutir à la constitution d'un véritable projet avec les jeunes et leur famille, adapté aux attentes et aux besoins des élèves.

Cela suppose que les enseignants et équipes éducatives disposent en parallèle d'une formation adaptée , leur permettant de s'ouvrir à la dimension professionnelle, aux métiers, et aux cursus de formation proposés dans l'enseignement technologique et professionnel, afin qu'ils remplissent pleinement leur mission d'éducation à l'orientation.

De plus, le suivi et l'évaluation des périodes en entreprise doivent être valorisés et exploités dans une perspective d'acquisition de compétences et de découverte. Comme le souligne le rapport précité : « Il faut, même en situation de stage d'observation, maintenir le lien entre l'élève et l'acte d'apprentissage ainsi que l'effort qu'il nécessite » ; « Les entreprises et les lycées professionnels ne sauraient constituer un dernier recours ».

On rappellera enfin les observations du Conseil économique et social dans un rapport de septembre 2002, « Favoriser la réussite scolaire » : « C'est sûrement une des faiblesses de notre système que de ne pas avoir su s'adapter à la diversité » des élèves en difficulté ; toutefois, « ce qui est à redouter, ce n'est pas l'enseignement professionnel précoce, tous les élèves devraient en faire l'expérience, mais l'installation définitive de manière précoce dans l'enseignement professionnel à un âge où les choix peuvent difficilement être faits ».

e) Un dispositif qui s'inscrit dans le cadre de la réforme du collège

La mise en place cette année de la nouvelle 4e, prévue selon les modalités définies en 2001, sera assouplie en tant que de besoin de façon à permettre le développement des dispositifs en alternance.

En outre, les classes en alternance sont appelées à s'inscrire dans le cadre de la nouvelle classe de 3 e , qui sera installée à compter de la rentrée 2005. Le projet soumis actuellement à concertation retient le principe de la 3 e unique, qui remplacerait les formules existant à l'heure actuelle (3 e d'insertion, 3 e technologique...), avec possibilité de mettre en place des dispositifs dérogatoires répondant à des besoins locaux. Elle comprendrait 24 heures d'enseignements obligatoires communs et 4 h 30 d'enseignements obligatoires au choix : parmi ceux là, 1 h 30 de technologie (soit en sciences de l'ingénieur, soit en sciences appliquées, soit en technologies tertiaires) et, au choix, 3 heures de langue vivante 2 ou de « découverte professionnelle » (aussi proposé en enseignement facultatif).

Il est à regretter toutefois que, pour les élèves qui auront choisi l'enseignement « Découverte professionnelle », l'étude d'une deuxième langue vivante ne sera que facultatif. Cela est paradoxal dans la mesure où l'objectif suivi en ce domaine consiste à amener chaque élève à la maîtrise de deux langues étrangères ou régionales en plus de sa langue maternelle. En outre, l'accès à certaines filières supérieures de l'enseignement professionnel requiert l'apprentissage de deux langues, qui est aussi un atout sur le plan de l'insertion professionnelle.

La rénovation du diplôme national du brevet (qui comprendrait trois modules dont deux évaluables en contrôle continu et un examen terminal), viendra compléter et consolider ces évolutions.

Il s'agit ainsi, autour du noyau des enseignements communs à tous les élèves, de leur permettre de mieux se représenter les différentes voies de formation qui s'offrent à eux et de mettre en valeur tous les talents.

Les nouveaux programmes de technologie, désormais intégrés dans l'enseignement commun, ont en outre été rénovés. Cette discipline doit accompagner plus efficacement le développement des dispositifs en alternance et, dans ce cadre, «coller» à la découverte des métiers vécue par les élèves, afin de mieux contribuer aux choix d'orientation et donner un aperçu des différentes formations technologiques et professionnelles offertes.

Ainsi l'enseignement de la technologie acquerra-t-il un rôle pivot , et non plus marginal, et son sens apparaîtra mieux aux familles et aux élèves.

2. Améliorer les performances du système éducatif : les enjeux du grand débat national sur l'Ecole

a) Des performances qui marquent le pas

La loi d'orientation du 10 juillet 1989 dispose, dans son article 3, deux objectifs quantitatifs importants dont il convient aujourd'hui d'observer le degré de réalisation : « conduire d'ici dix ans l'ensemble d'une classe d'âge au minimum au niveau du certificat d'aptitude professionnelle ou du brevet d'études professionnelles, et 80 % au niveau du baccalauréat. »

La première phase du grand débat national sur l'Ecole a d'ores et déjà abouti, en octobre 2003, à l'élaboration d'un premier diagnostic sur le système scolaire, au regard notamment des objectifs fixés par la loi de 1989. A partir d'un rapport établi par quatre experts du système éducatif 10 ( * ) , le Haut conseil pour l'évaluation de l'Ecole a rendu un avis, présentant des « Eléments de diagnostic sur le système scolaire français ». Cet avis dresse un constat inquiétant : alors que la collectivité nationale consacre des moyens croissants à l'éducation nationale, les performances du système éducatif semblent aujourd'hui marquer le pas.

Si des avancées ont été réalisées ces dernières décennies, le système éducatif est entré, depuis le milieu des années 1990, dans un état de stagnation, voire parfois même de repli.

Alors que les sorties de formation initiale sans qualification (c'est-à-dire avant la dernière année de CAP ou de BEP) représentaient 13 % des effectifs en 1990 (soit 82 000 jeunes), elles concernent depuis le milieu des années 1990 environ 8 % d'une génération, soit 60 000 jeunes par an. En outre, 94 000 jeunes par an quittent le système éducatif sans diplôme . Même s'ils étaient deux fois plus nombreux en 1980, ce nombre est en tout état de cause trop élevé : près de 40 % de ces jeunes sont au chômage de 1 à 4 ans après avoir quitté l'école (pour une moyenne de 18 %).

Au total, ce sont près de 150 000 jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail dans une situation précaire.

Quant à l'objectif de mener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat (niveau IV de formation), il est loin d'avoir été atteint. Plus préoccupant est néanmoins la stagnation observée depuis le milieu des années 1990, après la progression très forte à partir de 1985, du fait notamment de la création du baccalauréat professionnel : ce taux est passé de 34 % en 1980 à 71 % en 1994-1995 (63,2 % de cette même classe d'âge obtenant le baccalauréat) ; les années suivantes, il s'est légèrement tassé, puis s'est stabilisé autour de 69 % (75 % pour les filles et de 63 % pour les garçons).

TAUX D'ACCÈS AU NIVEAU IV DE FORMATION

1980-81

1990-91

1994-95

1995-96

2001-02

2002-03

Bac général

22,1

33,4

37,4

36,5

33,9

33,9

Bac technologique

11,9

17,6

17,7

20,9

21,1

21,1

Bac professionnel

0,0

5,0

8,1

11,1

14,2

14,0

Ensemble

34,0

56,0

71,2

68,5

69,2

69,1

TOTAL BACHELIER

25,9

43,5

63,2

61,4

61,8

61,9

b) Une logique de moyens à remettre en cause

Comme le souligne le Hcéé dans son diagnostic sur le système éducatif, « le système s'est installé depuis les années 1997-1998 dans une apparente stagnation ».

Dans le même temps, pourtant, la logique de moyens croissants a prévalu, conduisant à une augmentation forte et constante de l'effort national en faveur du système éducatif : le rapport 2003 sur l'état de l'école précise ainsi que la dépense d'éducation s'est accrue depuis 1974 au rythme annuel de 2,5 %, supérieur à celui du PIB (2,2 %).

Dépense d'éducation (*)

1975

1985

1995

2000

2001

2002

Dépense globale d'éducation en milliards d'euros courants

15,3

50,9

89,3

102,6

105,1

108,1

Dépense Intérieure d'Education :

- aux prix courants (en milliards d'euros)

14,6

48,7

85,4

98,2

100,7

103,6

- aux prix 2002 (en milliards d'euros)

53,4

69,9

92,9

101,8

102,6

103,6

DIE/PIB en %

6,5

6,8

7,3

7,0

6,9

6,9

DIE/habitant aux prix 2002 (en euros)

1 010

1 270

1 600

1 710

1 720

1 730

Dépense moyenne par élève :

- aux prix courants (en euros)

950

3 110

5 150

6 100

6 260

6 470

- aux prix 2002 (en euros)

3 480

4 470

5 610

6 320

6 380

6 470

En 2000, la France était au 4 e rang mondial pour les dépenses d'éducation par rapport au PIB, avec 6,1 %, soit un niveau beaucoup plus élevé que la moyenne des pays de l'OCDE (5,5 %) ou de ses partenaires européens (5,3 % pour l'Allemagne et le Royaume-Uni). Or les élèves se classent à un rang médian dans les évaluations internationales.

La question budgétaire ne saurait être éludée du grand débat . Une gestion plus rigoureuse des moyens et la diffusion d'une culture de l'évaluation doivent conduire à une approche plus qualitative axée sur l'amélioration des performances de notre système scolaire et de formation, dans l'objectif de proposer à chaque élève la voie de la réussite qui correspond tant à ses attentes qu'à ses capacités.

* 9 René Cahuzas, Jean-Paul Delahaye et Brigitte Doriath

* 10 « Eléments pour un diagnostic de l'école », Rapport remis le 17 octobre 2003 au Haut conseil pour l'évaluation de l'école par Jean-Claude Hardouin, professeur des universités, André Hussenet et Georges Septours, Inspecteurs généraux de l'éducation nationale, et Norberto Bottani, Directeur de la recherche en éducation à Genève. ,

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page