B. LE FINANCEMENT DES ÉTABLISSEMENTS SOCIAUX ET MÉDICO-SOCIAUX : UN ENJEU DE TAILLE POUR LES FINANCES DÉPARTEMENTALES

1. Une évolution à nouveau dynamique de la masse salariale des établissements sociaux et médico-sociaux

L'augmentation du coût des prestations, soulignée depuis deux ans par l'ODAS, donne une acuité particulière à la question de la maîtrise des dépenses de personnel dans les établissements sociaux et médico-sociaux, car celles-ci représentent les deux tiers de leurs dépenses de fonctionnement.

Les salariés de ces établissements, soit plus de 500.000 personnes, relèvent principalement de deux branches :

- la branche UNIFED qui regroupe 450.000 salariés, est régie par deux conventions collectives principales : la convention du 15 mars 1966 de la Fédération 28 ( * ) des syndicats nationaux d'employeurs des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées à but non lucratif et la convention du 31 octobre 1951 de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privée à but non lucratif (FEHAP) ;

- la branche « aide à domicile », qui compte 140.000 salariés et regroupe quatre conventions collectives.

Les conventions collectives applicables à l'ensemble de ces deux branches relèvent du régime de l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles et sont donc soumises à agrément ministériel.

a) Après plusieurs années de modération forcée, les dépenses de personnel repartent à la hausse

La mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans les établissements sociaux et médico-sociaux s'était, dans un premier temps, traduite, comme dans un grand nombre d'entreprises, par des accords de modération salariale, comme en témoigne le tableau suivant.

Coûts des accords agréés en 2002 dans le secteur social et médico-social

(en millions d'euros)

Type de mesure

Coût total

Coût 2002

Revalorisation de la valeur du point

123,8

48,3

- dont branche UNIFED

123,8

48,3

- dont branche aide à domicile

0

0

Accords exceptionnels

29,1

21,3

- revalorisation des cadres (SOP)

7

7

- rénovation de la grille des cadres (CC 65)

0,6

0

- prime des infirmières (CC 65)

0,04

0,02

- indemnités kilométriques (branche aide à domicile)

21,5

14,3

Total

153,0

69,7

Source : Rapport relatif aux agréments des conventions et accords applicables aux salariés des établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, DGAS, 3 juin 2003.

L'ensemble des accords agréés en 2002 représente un coût équivalent à une augmentation de 0,8 % de la masse salariale sur deux ans, dont 0,4 % en 2002.

Des accords collectifs aux conséquences financières importantes ont, en revanche, été signés et agréés en 2003 :

- l'accord relatif au travail de nuit du 17 avril 2002, d'abord refusé en raison de l'insuffisance du chiffrage fourni et de difficultés d'ordre juridique, a été agréé le 28 mai 2003 : il porte de huit à douze heures, par dérogation à l'article L. 213-3 du code du travail, la durée maximale quotidienne de travail de nuit et, en contrepartie, prévoit un repos équivalent à la durée de ce dépassement. Par ailleurs, il prévoit, pour les travailleurs de nuit définis comme tels ainsi que pour les salariés travaillant occasionnellement la nuit, des contreparties sous forme de repos. Son coût total pour 2003 et 2004 est évalué à 35,1 millions d'euros (15,8 millions pour 2003 et 19,3 millions pour 2004) ;

- la convention collective du 31 octobre 1951 a été totalement rénovée par un avenant du 25 mars 2002, agréé le 11 décembre 2002 : applicable en deux étapes, à compter du 1 er juillet 2003 puis du 1 er juillet 2004, elle refond l'ensemble du dispositif de classification des emplois et met en place un nouveau système de rémunération. Malgré un coût évalué à 103,12 millions d'euros, l'agrément a été rendu possible grâce à une diminution sensible, à terme, du GVT qui devrait conduire à de moindres charges pour les autorités de tutelle ;

- l'accord relatif aux emplois et aux rémunérations dans la branche « aide à domicile », signé le 29 mars 2002 et modifié le 4 décembre 2002 a été agréé le 24 janvier 2003 : il revalorise l'ensemble des carrières de ce secteur, en unifiant les grilles de rémunération des quatre conventions collectives de la branche et en définissant une valeur unique du point. Son coût, étalé sur quatre années (2003-2006) a été estimé pour l'ensemble de la période à 23,76 % de la masse salariale, soit 237 millions d'euros.

Au total, les engagements conventionnels pour la période 2003-2006 s'élèvent à 375,2 millions d'euros, soit 2,19 % de la masse salariale des deux branches, et ce avant même toute négociation sur la valeur du point.

Ces mesures salariales, qui devraient se traduire par une augmentation encore soutenue du coût des prestations en établissement, engagent donc les prochains budgets, qu'il s'agisse du budget de l'État ou de ceux de la sécurité sociale et des départements.

b) Des incertitudes demeurent sur l'application de certains accords

• Le refus d'agrément de l'accord du 14 mai 2002 sur les astreintes

Cet accord qui définit les conditions de recours aux astreintes et les contreparties correspondantes pour les salariés cadres et non-cadres a été refusé à l'agrément en raison de l'insuffisance de son chiffrage. En l'état actuel des évaluations, son coût serait de 66,8 millions d'euros, soit 0,41 % de la masse salariale, ce qui en tout état de cause n'est pas compatible avec les financements ouverts en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale, tant en 2003 qu'en 2004.

Il reste que l'UNIFED a déposé un recours gracieux contre ce refus d'agrément et que celui-ci pourrait, sous réserve d'un avenant prévoyant une modération salariale, être finalement agréé en cours d'année.

Votre rapporteur tient à souligner la fréquence des avis négatifs donnés par la commission nationale d'agrément, le plus souvent faute de pouvoir évaluer précisément l'impact financier des accords qui lui sont soumis. Il paraît nécessaire d'améliorer l'information des partenaires sociaux sur la marge de manoeuvre dont ils disposent dans la négociation collective, notamment en termes d'évolutions salariales.

C'est la raison pour laquelle la loi du 2 janvier 2002 avait fait obligation aux ministres en charge de la sécurité sociale et de l'action sociale d'établir, pour le 1 er mars de chaque année, un rapport annuel au Parlement qui dresse le bilan de l'activité de la commission d'agrément et fixe les perspectives pour l'année en cours.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 prévoit que ce rapport fixera désormais « les paramètres d'évolution de la masse salariale pour l'année en cours, liés notamment à la diversité des financeurs et aux modalités de prise en charge des personnes, qui sont opposables aux parties ».

Votre rapporteur ne peut que se féliciter de ce qu'une meilleure visibilité soit donnée, tant aux partenaires sociaux qu'aux financeurs, et notamment aux départements, en matière d'évolution des dépenses salariales dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

• La fragilisation, au niveau communautaire, des régimes d'équivalence

Suite à l'échec des négociations au niveau de la branche et conformément aux dispositions de l'article 29 de la loi du 19 janvier 2000, un décret du 31 décembre 2001 a établi un nouveau régime de rémunération des heures de veille qui prévoit que le temps de présence, lors des périodes de surveillance nocturne, sera décompté comme trois heures de travail effectif pour neuf heures.

Si dans un premier temps, la Cour de cassation, par un arrêt du 24 avril 2001, avait refusé d'appliquer ce nouveau régime aux contentieux formés avant le 1 er février 2000, date d'entrée en vigueur de la loi, un nouvel arrêt du 24 janvier 2003 est revenu sur cette interprétation, estimant que la validation à laquelle procédait la loi obéissait à d'impérieux motifs d'intérêt général.

Enfin, le 18 mars 2003, elle a confirmé que le nouveau régime était applicable, tant pour la période antérieure au 1 er février 2000 que pour la période comprise entre cette date et celle de l'entrée en vigueur du décret du 31 décembre 2001.

Or, un arrêt du 9 septembre 2003 de la Cour de justice des Communautés européennes 29 ( * ) pourrait remettre en cause l'équilibre fragile auquel était parvenu le législateur français, après trois ans d'incertitudes jurisprudentielles.

A l'occasion d'une question préjudicielle posée par une juridiction du travail allemande, la Cour a en effet estimé qu'un médecin de garde à l'hôpital, et donc contraint d'être physiquement présent dans un lieu déterminé par l'employeur et de s'y tenir à disposition pour pouvoir immédiatement fournir ses services en cas de besoin, ne pouvait être considéré comme étant au repos, même lorsqu'il n'exerçait pas effectivement son activité professionnelle. Elle a donc conclu qu'une réglementation nationale, telle que le droit allemand, qui qualifie ledit service de garde de temps de repos, sauf pour la période pendant laquelle le travailleur a effectivement exercé ses tâches professionnelles, et qui ne prévoit une compensation que pour les périodes d'activité effective, est contraire au droit communautaire.

D'après les informations transmises à votre rapporteur, le mécanisme d'équivalence retenu par le droit français permettrait, à l'inverse du droit allemand, de conserver le caractère de temps de travail effectif à l'ensemble des temps de présence du salarié en chambre de veille, mais qu'il s'agit alors d'un temps de travail effectif soumis à un mode de décompte particulier.

Il n'en demeure pas moins que le régime d'équivalence instauré par la loi du 19 janvier 2000 pourrait, une fois de plus, être fragilisé par un nouveau contentieux : plusieurs organisations syndicales françaises ont en effet introduit un recours contre le décret du 31 décembre 2001 devant la juridiction communautaire.

c) Les établissements subissent encore les avatars de la réduction du temps de travail

Si l'article 8 de la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi a permis de mettre fin au contentieux concernant le maintien des rémunérations pendant la période transitoire d'entrée en vigueur des accords de réduction du temps de travail, les difficultés de financement liées aux 35 heures n'en sont pas pour autant terminées.

En témoigne la question de la suppression des aides forfaitaires au poste prévues par la loi Aubry II et de sa combinaison avec les aides instituées par la loi du 17 janvier 2003 précitée.

Dans un souci de simplification des dispositifs d'allégement de charges sociales, cette dernière a en effet substitué, à compter du 1 er juillet 2003, aux aides forfaitaires au poste et aux ristournes sur les bas salaires prévues par la loi du 19 janvier 2000, un nouveau régime unifié d'allégement des charges.

Cette modification du régime d'allégement des charges pourrait avoir des conséquences financières importantes pour les établissements médico-sociaux, dans la mesure où elle remet en cause l'équilibre financier qui a prévalu à l'établissement de leurs budgets : ainsi, le SNAPEI 30 ( * ) évalue le besoin supplémentaire de financement lié à l'extinction des aides Aubry II, à 261 millions d'euros en année pleine.

Les difficultés soulevées par ce changement du droit applicable illustrent bien la situation paradoxale dans laquelle se trouvent les établissements médico-sociaux, soumis au droit du travail mais financés entièrement sur fonds publics. Votre rapporteur invite le Gouvernement à suivre avec vigilance ce dossier, afin d'éviter une nouvelle fragilisation d'un secteur qui demeure essentiel et qui assure, au plein sens du terme, un service public.

2. Une clarification attendue des conditions de financement des établissements

a) La campagne budgétaire 2004 se déroulera dans un cadre budgétaire et comptable rénové

Dans le cadre de la rénovation de l'action sociale et médico-sociale, la loi du 2 janvier 2002 avait posé un certain nombre de principes nouveaux en matière de financement des établissements, parmi lesquels il convient notamment de mentionner le principe d'une fixation contradictoire des budgets des établissements (article L. 314-7 du code de l'action sociale et des familles) ou encore celui d'un financement par dotation globale opposable (articles L. 314-3 à L. 314-5).

Jusqu'ici, seuls les établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) disposaient du cadre réglementaire rénové nécessaire à un fonctionnement satisfaisant en dotation globale, le décret n° 2001-388 du 4 mai 2001 ayant fixé les critères d'opposabilité des enveloppes, tant pour l'État que pour l'assurance maladie.

Attendu depuis deux ans, le décret n° 2003-1010 du 22 octobre 2003 relatif à la gestion budgétaire, comptable et financière, et aux modalités de financement et de tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux refond l'ensemble de la réglementation jusque-là en vigueur dans un texte unique, abrogeant huit anciens décrets spécifiques.

L'objectif principal de ce décret est de renforcer la responsabilité des gestionnaires. A cet effet, il prévoit :

- un allégement des contrôles a priori : les budgets seront désormais approuvés en trois groupes fonctionnels de recettes et de dépenses et non plus compte par compte ;

- une procédure contradictoire pour l'approbation des budgets et la fixation des tarifs : celle-ci offre non seulement la possibilité aux autorités de tutelle de réduire les dépenses abusives et excessives, les dépenses manifestement hors de proportion et les dépenses incompatibles avec le montant des crédits des enveloppes régionales limitatives mais aussi aux établissements celle de justifier ces dépenses, notamment au regard de l'application des conventions collectives ou des dispositions du projet d'établissement ;

- une comparaison du coût des prestations entre établissements et services analogues : des indicateurs médico-économiques et socio-économiques élaborés par la DGAS en partenariat avec les représentants des associations gestionnaires d'établissement permettront d'améliorer l'allocation des ressources.

En contrepartie, les capacités de contrôle a posteriori des autorités de tarification sont améliorées : celles-ci pourront notamment demander aux établissements des études sur leurs conditions de gestion et diligenter des missions d'enquête en cas de difficultés de fonctionnement ou de gestion dans un établissement.

Votre rapporteur tient également à souligner la possibilité pour les établissements d'obtenir, par convention avec les autorités de tutelle, des perspectives budgétaires pluriannuelles. Cet assouplissement devrait notamment faciliter les programmes d'investissement des établissements, tout comme d'ailleurs, la possibilité ouverte par le décret d'affecter, avec l'accord de l'autorité administrative, les produits de trésorerie non pas à la réduction des tarifs mais à des opérations d'investissement.

b) Les incertitudes sur le financement de l'amendement Creton persistent

Votre rapporteur regrette que l'adoption du nouveau décret budgétaire et comptable n'ait pas été l'occasion d'une clarification des conditions de financement de l'accueil des jeunes adultes maintenus dans des établissements d'éducation spéciale au titre de l'amendement Creton.

Il convient de rappeler que les deux circulaires du 17 mai 1989 et du 27 janvier 1995 qui tentaient de préciser les compétences respectives des différents financeurs en la matière ont été successivement annulées par le Conseil d'État.

Celui-ci avait pourtant estimé, en 1993, que « les frais d'hébergement, d'une part, et les frais de soins, d'autre part, à l'exclusion de tous autres frais effectivement occasionnés par le maintien d'une personne handicapée dans un établissement d'éducation spéciale doivent être supportés par la ou les personnes morales qui auraient été normalement compétentes pour prendre en charge les frais de même nature entraînés par le placement de cette personne dans la catégorie d'établissements vers laquelle elle a été orientée par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel », confirmant ainsi la position du ministère sur le partage des frais selon la nature de la prestation. Dans un arrêt du 28 mai 2003, il a, par ailleurs, précisé que le dispositif législatif ne nécessitait pas de décret d'application pour entrer en vigueur.

Mais si la position de la juridiction administrative est désormais claire, elle reste en contradiction avec celle de la Cour de Cassation qui, en 1996, a jugé qu'il ne pouvait pas y avoir de partage des frais entre différents financeurs.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur estime qu' il aurait été raisonnable de donner une base juridique à ce partage dans le nouveau décret budgétaire. Or, si celui-ci fait référence aux jeunes adultes accueillis dans les établissements d'éducation spéciale, il ne fixe pas pour autant de règles particulières pour le financement de ce maintien. Il est à craindre que cette ambiguïté ne vienne relancer les contentieux sur le financement de l'amendement Creton.

L'imprécision de la rédaction du décret en la matière pourrait, en effet, conduire à mettre à la seule charge de l'assurance maladie, qui finance les établissements d'éducation spéciale, le maintien des jeunes bénéficiaires de l'amendement Creton. Votre rapporteur tient à faire part de son opposition à une telle interprétation car il estime qu'elle dédouanerait l'État et les départements, responsables de l'accueil des adultes, de leur obligation.

Quatorze ans après l'adoption de ce dispositif, il serait temps de parvenir à un système de financement équilibré.

*

* *

Au prix parfois de choix difficiles, le projet de budget pour 2004 relève au total un défi qu'on aurait pu croire impossible : garantir le financement effectif de chantiers prioritaires, malgré des ressources en dégradation sensible, du fait de la situation économique et budgétaire.

C'est la raison pour laquelle votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la solidarité pour 2004.

* 28 La fédération rassemble : le syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif (SOP), le syndicat national des associations pour la sauvegarde de l'enfant et de l'adulte (SNASEA) et le syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (SNAPEI).

* 29 Cour de justice des Communautés européennes, « Landeshauptstadt Kiel contre Norbert Jeager », 9 septembre 2003.

* 30 Syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales

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