III. L'AUTONOMIE FISCALE, UNE COMPOSANTE ESSENTIELLE DE L'AUTONOMIE FINANCIÈRE

A. LA DIFFICILE RÉFORME DE LA FISCALITÉ LOCALE...

Votre commission des finances est parfaitement consciente des difficultés inhérentes aux réformes de la fiscalité locale. Les impôts locaux actuels sont « à bout de souffle », et expliquent pour une large part la substitution croissante de l'Etat aux contribuables locaux dans l'acquittement de la charge fiscale. Or, les réformes envisagées impliquent de tels transferts de charges entre contribuables et de tels transferts de ressources entre collectivités que leur mise en oeuvre présenterait un coût politique souvent considéré comme inacceptable, comme en témoigne l'échec de la révision des bases locatives prévue en 1990 par la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux, qui n'est jamais entrée en application.

Par ailleurs, il n'existe guère d'impôts aux bases localisables et équitablement réparties, que ce soit parmi les impôts d'Etat, ou parmi de nouveaux impôts qui sont parfois évoqués. Dans son avis sur l'avenir de l'autonomie financière des collectivités territoriales, le Conseil économique et social indique ainsi : « Face à la difficulté de réformer les impôts locaux existants et de demander plus aux impôts d'Etat, la tentation est forte d'évoquer de nouveaux impôts. Il ne semble pas que cette piste, encore embryonnaire, puisse apporter des alternatives rapides et substantielles à la fiscalité existante.

« La perspective de création d'impôts nouveaux sur les activités est plus évoquée par certains comme un champ à explorer que comme une référence à des projets précis, à des travaux en cours. Les pistes suggérées concernent les domaines de l'environnement, de l'énergie, des réseaux d'information ou des transactions financières spéculatives à court terme.

« Le contexte économique et social n'est pas favorable à la création de taxes nouvelles, surtout en France où le niveau des prélèvements obligatoires est parmi le plus élevé des pays développés » 3 ( * ) .

B. ....NE REND PAS MOINS NÉCESSAIRE LA GARANTIE DE L'AUTONOMIE FISCALE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES...

Votre commission considère qu'il est essentiel de concilier l'objectif d'une garantie réelle de l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales avec celui de péréquation , affirmé par le dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, et de ne pas poser de contraintes excessives aux futures réformes de la fiscalité locale. C'est dans cet esprit qu'elle a examiné le présent projet de loi organique. Dans ce cadre, elle considère que la capacité des collectivités territoriales de moduler le niveau de leurs ressources, c'est-à-dire de modifier l'assiette, le taux ou le tarif des impositions dont elles bénéficient, est un élément essentiel de leur autonomie financière . En effet, les collectivités territoriales ne disposent que d'une maîtrise limitée de l'évolution de leurs dépenses : la fixation par l'Etat des règles afférentes à la durée de travail et à la rémunération des fonctionnaires détermine, pour une large part, l'évolution de leurs dépenses de fonctionnement, tandis que les normes ainsi que l'encadrement législatif et réglementaire de l'exercice des compétences transférées laisse peu de marges de manoeuvre aux collectivités territoriales pour en maîtriser le coût. C'est plus particulièrement le cas pour les compétences en matière sociale, puisque le revenu minimum d'insertion (RMI) et l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) sont des allocations auxquelles ont droit toutes les personnes qui répondent aux critères fixés par la loi.

Dans ce contexte, si les collectivités territoriales n'étaient pas en mesure d'adapter le niveau de leurs ressources à l'évolution de leurs dépenses, elles seraient contraintes de réduire leurs dépenses d'investissement, qui contribuent de manière essentielle au développement de notre pays. Le système allemand, où les collectivités territoriales sont financées pour l'essentiel par des dotations et des partages d'impôts d'Etat, souvent montré en exemple, témoigne de l'utilité de l'autonomie fiscale : en effet, de nombreuses collectivités territoriales ont dû, compte tenu d'une évolution des dépenses plus dynamique que celle de leurs ressources au cours des dernières années, faire peser les ajustements nécessaires sur les services rendus aux habitants. Le présent projet de loi organique doit précisément garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales de manière à éviter de telles situations.

Enfin, la responsabilité fiscale des élus locaux n'est pas seulement un facteur d'efficacité : c' est un fondement essentiel de la démocratie locale . Elle signifie que chaque collectivité a la possibilité de déterminer le niveau de services et d'équipements qu'elle offre à la population et d'en assumer politiquement le coût, en adaptant en conséquence le niveau de ses ressources tarifaires ou fiscales. L'autonomie fiscale permet donc aux élus locaux de disposer d'une plus grande liberté et les oblige à assumer leurs choix devant les contribuables .

Votre commission des finances vous proposera donc, en accord avec votre commission des lois et son rapporteur Daniel Hoeffel, avec qui existe une large convergence de vue, plusieurs amendements visant à garantir la capacité des collectivités territoriales d'agir sur l'évolution de leurs ressources .

L'autonomie financière des collectivités territoriales est un objectif consensuel. Pourtant, force est de constater que vouloir la définir juridiquement en fait apparaître les limites et les contradictions.

Votre commission des finances constate toutefois que sa conception de l'autonomie financière des collectivités territoriales est largement partagée. En particulier, la charte européenne de l'autonomie 4 ( * ) , préparée dans le cadre du Conseil de l'Europe et signée par la France 5 ( * ) le 15 octobre 1985, souligne l'importance qu'il y a pour les collectivités de disposer d'une capacité de modulation de leurs ressources pour garantir leur autonomie.

Les éléments constitutifs de l'autonomie locale selon la charte de l'autonomie locale

Article 4 - Portée de l'autonomie locale

Les compétences de base des collectivités locales sont fixées par la Constitution ou par la loi. Toutefois, cette disposition n'empêche pas l'attribution aux collectivités locales de compétences à des fins spécifiques, conformément à la loi.

Les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité.

L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d'efficacité et d'économie.

Les compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières. Elles ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que dans le cadre de la loi.

En cas de délégation des pouvoirs par une autorité centrale ou régionale, les collectivités locales doivent jouir, autant qu'il est possible, de la liberté d'adapter leur exercice aux conditions locales.

Les collectivités locales doivent être consultées, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement . (...)

Article 9 - Les ressources financières des collectivités locales

Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences.

Les ressources financières des collectivités locales doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi.

Une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi.

Les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible dans la pratique, l'évolution réelle des coûts de l'exercice de leurs compétences.

La protection des collectivités locales financièrement plus faibles appelle la mise en place de procédures de péréquation financière ou des mesures équivalentes destinées à corriger les effets de la répartition inégale des sources potentielles de financement ainsi que des charges qui leur incombent. De telles procédures ou mesures ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur propre domaine de responsabilité.

Les collectivités locales doivent être consultées, d'une manière appropriée, sur les modalités de l'attribution à celles-ci des ressources redistribuées.

Dans la mesure du possible, les subventions accordées aux collectivités locales ne doivent pas être destinées au financement de projets spécifiques. L'octroi de subventions ne doit pas porter atteinte à la liberté fondamentale de la politique des collectivités locales dans leur propre domaine de compétence.

Afin de financer leurs dépenses d'investissement, les collectivités locales doivent avoir accès, conformément à la loi, au marché national des capitaux.

Enfin, la position de votre commission des finances est largement convergente avec celle du Conseil économique et social, exprimée dans l'avis précité adopté au cours de sa séance du 13 juin 2001, et dont l'encadré ci-après reproduit un extrait.

L'autonomie financière des collectivités territoriales implique une autonomie fiscale locale forte selon le Conseil économique et social

1. Certains voudraient réduire l'autonomie financière locale à l'autonomie de dépense

En effet, ils mettent en avant certains inconvénients de l'autonomie fiscale : les inégalités qu'elle engendre, son caractère théorique pour les collectivités pauvres, les distorsions économiques possibles, la difficulté d'une régulation globale en matière de finances publiques et d'aménagement du territoire.

Parallèlement, ils font valoir les avantages d'une autonomie de dépense assise sur des dotations : une régulation globale des finances publiques facilitée et des possibilités nouvelles de péréquation financière entre collectivités.

2. En fait l'autonomie fiscale est un élément essentiel de l'autonomie locale

Elle constitue un fondement de la démocratie locale. Le lien fiscal est un facteur de responsabilisation des acteurs du développement local en permettant une confrontation directe entre les besoins et les contraintes de moyens.

C'est aussi un instrument d'autonomie des choix locaux permettant de choisir le niveau souhaité pour les services et les initiatives de développement jugées opportunes.

L'autonomie fiscale comporte dans cette perspective des marges de manoeuvre multiples : non seulement la possibilité de fixer le taux des impôts (à la hausse comme à la baisse) mais aussi le bénéfice de l'évolution spontanée des bases, l'effet de levier sur la capacité d'emprunt et l'effet « retour sur investissement » qui permettent à une collectivité dynamique de retrouver sous forme de bases nouvelles les fruits de ses efforts de développement.

L'autonomie fiscale est en définitive un facteur d'efficacité. Elle constitue une incitation au dynamisme et à la bonne gestion : l'amélioration des ressources fiscales par l'effet « retour sur investissement » facilite l'autofinancement total ou partiel des projets voire dans certains cas autorise une baisse ultérieure de la pression fiscale.

Elle encourage l'analyse de l'impact économique des différents investissements locaux. Elle facilite une meilleure répartition dans le temps de l'effort financier des usagers contribuables en articulant pression fiscale, emprunt, retour sur investissement. Elle permet aussi de choisir, dans certaines limites, la répartition de l'effort entre catégories de contribuables.

Source : « L'avenir de l'autonomie financière des collectivités locales », avis du Conseil économique et social sur le rapport présenté par Jean-Pierre Brunel au nom de la section des finances, séances des 12 et 13 juin 2001, pages I-3 et I-4

* 3 Conseil économique et social, « L'avenir de l'autonomie financière des collectivités locales », rapport présenté en juin 2001 par M. Jean-Pierre Brunel.

* 4 L'encadré ci-après reproduit des extraits de cette charte.

* 5 La France n'a toutefois pas ratifié cette charte.

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