5. L'encadrement du recours aux traitements de substitution
L'Assemblée nationale a adopté un nouvel article 8 quater , à l'initiative de la commission spéciale, avec avis favorable du gouvernement sous réserve de deux modifications, visant à mettre fin aux dérives liées aux traitements de substitution aux opiacés, et plus généralement traitements susceptibles de faire l'objet d'un usage détourné .
Cet article insère un nouvel article L. 162-4-2-1 dans le code de la sécurité sociale qui dispose que la prise en charge par l'assurance maladie de soins ou traitements susceptibles de faire l'objet d'un usage détourné, dont la liste est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, est soumise aux modalités prévues par l'article L. 324-1, c'est-à-dire celles prévoyant l'instauration d'un protocole de soins pour les patients atteints d'une affection de longue durée (ALD), et est subordonnée à l'obligation faite au patient d'indiquer au médecin traitant, à chaque prescription, le nom du pharmacien qui sera chargé de la délivrance et à l'obligation faite au médecin de mentionner ce nom sur la prescription, qui doit alors être exécutée par le pharmacien concerné pour ouvrir droit à la prise en charge.
Lors de l'examen de cet article à l'Assemblée nationale, notre collègue député Yves Bur, président de la commission spéciale, a rappelé la réalité des dérives liées aux traitements de substitution aux opiacés, notamment au Subutex, onzième médicament le plus prescrit en France et faisant l'objet de prescriptions abusives de l'ordre de 20 millions d'euros aujourd'hui. Il a notamment indiqué que « certains pharmaciens estiment que 28 % de leurs clients sont des clients nomades à la recherche d'un produit de substitution ». En outre, un grand nombre de personnes qui consomment ces produits de substitution ont recours à plusieurs prescripteurs. La grande majorité en ont entre un et quatre ; 7 % d'entre eux en ont plus de cinq.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale a également précisé que la politique de substitution aux opiacés en France, si elle avait permis d'obtenir de réels résultats en matière de réduction des risques, avait eu deux revers : « le premier est l'existence d'un trafic, qui pose un problème de santé publique, puisque le traitement de substitution devient, pour certains jeunes, le point d'entrée dans des pratiques addictives. Le second est le coût de ce trafic pour l'assurance maladie. Il s'élèverait chaque année à environ 30 millions d'euros, sur un total remboursé de 110 millions d'euros pour ces médicaments ».
Votre rapporteur pour avis accueille très favorablement ce dispositif d'encadrement du recours aux traitements de substitution qui permettra, par le biais de l'inscription obligatoire du nom du pharmacien sur les ordonnances et de la généralisation de l'application d'un protocole de soins conclu entre le médecin traitant, le patient et le pharmacien chargé de la délivrance du produit, de mettre fin aux dérives, en termes de trafic et de nomadisme médical, liées à tous les traitements susceptibles de faire l'objet d'un usage détourné .
L'utilisation détournée des produits de substitution aux opiacés
Analyse de la commission d'enquête du Sénat sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites
La commission d'enquête du Sénat sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 12 décembre 2002, présidée par Mme Nelly Olin, a évoqué dans son rapport 69 ( * ) l'existence d'une utilisation détournée des produits de substitution.
A cet égard, le rapport précisait notamment que les chiffres fournis par la direction générale de la santé à la commission d'enquête indiquaient que les dernières estimations établies à partir des ventes de Subutex et de méthadone faisaient état de 96.000 patients sous traitement de substitution, soit 13.400 sous méthadone et 83.000 sous Subutex. Toutefois, au regard de la hausse de la prescription moyenne constatée par les études de l'assurance maladie, les estimations doivent être revues à la baisse et donneraient un total de 75.000 patients sous traitement de substitution en juillet 2002. Le chiffre réel se situe donc entre 75.000 et 96.000 patients bénéficiant de traitements de substitution.
En raison de la relative facilité d'accès au Subutex, un déséquilibre s'est progressivement établi en faveur de ce dernier, qui est utilisé aujourd'hui pour 75 % des traitements de substitution. En effet, la méthadone, moins maniable et présentant un certain risque de surdose létale, ne peut être prescrite la première fois que dans un centre spécialisé de soins pour la toxicomanie (CSST).
La prescription excessive du Subutex est à l'origine d'un trafic de ce produit et du détournement de son usage.
On rappellera que la CNAMTS publie chaque année les résultats de l'exploitation nationale des données issues du codage des médicaments (MEDIC'AM) : les données fournies depuis 1999 révèlent une évolution importante des quantités remboursées (nombre de boîtes) de Subutex (+ 15,4 % entre 1999 et 2000 et + 6,9 % entre 2000 et 2001), sans que ces chiffres se justifient par une augmentation du nombre des toxicomanes.
Le rapport TREND 2002 (non encore publié) fournit des indications sur l'accessibilité au Subutex et à sa disponibilité. Force est de constater que le Subutex est un produit très accessible car on peut l'acquérir aussi bien sur prescription médicale que dans la rue. La vitalité de son marché parallèle peut s'expliquer par une demande soutenue émanant, d'une part d'une population très marginalisée, notamment en situation irrégulière au regard du séjour, qui n'a pas ou ne souhaite pas avoir accès au système de soins ; d'autre part, de personnes insatisfaites du dosage de leur traitement qui s'approvisionnent dans la rue pour le compléter.
Ce marché parallèle est également soutenu par l'offre : une part non négligeable de la population impécunieuse en traitement a tendance à revendre une partie du produit prescrit afin de se procurer d'autres substances ou « d'améliorer l'ordinaire » ; enfin, la facilité pour obtenir une prescription de Subutex auprès de certains médecins tend à favoriser le développement d'un véritable « nomadisme médical ».
Du fait de cette disponibilité croissante, le prix moyen du comprimé de Subutex de 8 mg tend à diminuer sur le marché parallèle : il était de 3,81 euros en 2001 et de 3,28 euros en 2002. Ce prix au marché noir oscille entre 1,5 euro à Paris et en Seine-Saint-Denis et 10 euros à Dijon.
L'importance de ce trafic clandestin, alimenté par les multi-prescriptions, est cependant difficile à évaluer : selon les résultats de la 14 e enquête OPPIDUM réalisée en octobre 2002, le « deal » comme moyen d'obtention du Subutex varie de 1 % pour les patients sous protocole Subutex à 61 % pour les toxicomanes hors protocole. D'autres études ont tenté d'évaluer la proportion de comprimés de Subutex vendus au marché noir : celle de l'INSERM réalisée en 2000 estime que le tiers des comprimés est obtenu sur le marché parallèle.
Les enquêtes OSIAP (ordonnances suspectes indicateurs d'abus possible) menées de 2000 à 2002 indiquent en revanche peu de signalements d'ordonnances falsifiées concernant le Subutex : les prescriptions de Subutex peuvent en effet être obtenues aisément sans falsification des ordonnances (recours à plusieurs prescriptions ou « nomadisme médical », augmentation des posologies prescrites).
On notera par ailleurs que, depuis 1999, les services répressifs signalent les interpellations pour usage et usage-revente de médicaments de substitution. Ces services ont relevé, en 2000, 151 interpellations pour usage ou usage-revente de buprémorphine et 28 interpellations pour la méthadone.
On ajoutera que les formes de « mésugage » et leur fréquence peuvent varier selon les modalités d'utilisation du Subutex :
- usage dans le cadre d'une prescription médicale et d'un protocole de prise en charge ;
- usage en dehors d'une prescription médicale avec acquisition en dehors des pharmacies ;
- usage mixte avec acquisition sur prescription médicale et par achat dans la rue.
Outre ce trafic, le Subutex est fréquemment détourné de ses finalités thérapeutiques.
Cette question avait été évoquée par le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques 70 ( * ) : « l'utilisation massive du Subutex et de la méthadone pose de nouveaux problèmes lorsqu'elle est prescrite sans être accompagnée d'un projet thérapeutique. Il semblerait que des toxicomanes débutent avec ces produits, cette crainte est réelle mais difficile à quantifier. »
Source : commission d'enquête du Sénat sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites, rapport d'information n° 321 (2002-2003).
* 69 Rapport d'information n° 321(2002-2003) - Drogues : l'autre cancer.
* 70 L'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs. Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Rapport n° 259 (2001-2002).