B. L'EXEMPLE DES RÉFORMES MENÉES À L'ÉTRANGER

La nécessité de mener des réformes du système d'assurance maladie pour faire face à l'augmentation des dépenses de santé n'est pas propre à la France. De nombreux pays de l'Union européenne ont ainsi été conduits à prendre des mesures de régulation des dépenses d'assurance maladie au cours de la décennie écoulée.

Les ministres des finances des 25 Etats membres de l'Union européenne, réunis le 11 mai 2004 à Bruxelles, se sont inquiétés du poids excessif entraîné par les dépenses de santé sur les finances publiques, qui, s'il n'était pas géré de manière appropriée, pourrait affecter négativement l'équilibre des finances publiques. Ainsi, selon les données fournies par Eurostat, la part des dépenses de santé dans le total des dépenses des quinze Etats membres, avant l'élargissement, serait passée de 10,8 % en 1995 à 13,6 % en 2001. Cette problématique est donc commune aux différents Etats membres.

Les différents systèmes d'assurance maladie européens ne sont pas fondés sur la même logique. Plusieurs grands types de systèmes de santé peuvent à cet égard être distingués :

- des systèmes publics nationaux de santé, de type « beveridgien », généralement gérés par l'Etat et financés par l'impôt. C'est le cas des pays comme le Royaume-Uni, la Suède ou la Finlande ;

- des régimes libéraux, caractérisés par une absence de protection sociale publique universelle et obligatoire financée par la solidarité. C'est notamment les cas des systèmes américain et suisse ;

- des modèles d'assurance de type « bismarckien », dont le financement repose sur les cotisations sociales et dont la gestion est confiée à des caisses reflétant différentes appartenances professionnelles ; l'offre de soins est en général mixte, à la fois publique et privée ; ce système se retrouve notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Autriche ou dans la plupart des pays d'Europe centrale ;

- des systèmes mixtes, qui se retrouvent notamment en Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce).

Face à des défis similaires - vieillissement de la population, volonté de maîtrise des dépenses, amélioration de la qualité et de l'accès aux soins - les réponses apportées ne peuvent donc pas être les mêmes. Les pays ayant opté pour un système de type « beveridgien » s'orientent ainsi vers la décentralisation et la mise en concurrence, tandis que les régimes libéraux essaient de mieux réguler l'accès aux soins. Les régimes de type « bismarckien » tendent à donner une place croissante à la responsabilité financière des assurés, à la concurrence et à l'efficacité de la gestion, tandis que les systèmes mixtes sont marqués par une volonté de décentralisation, de responsabilisation et de libéralisation.

Pour autant, l'expérience menée par certains pays étrangers peut alimenter la réflexion relative à la réforme que nous conduisons aujourd'hui. Comme le souligne un récent rapport de l'OCDE 7 ( * ) , il n'existe pas d'approche unique et universelle pour une politique optimale de santé. Celle-ci doit tenir compte des circonstances particulières qui prévalent dans chaque pays mais, dans la mesure où tous partagent des objectifs communs, la confrontation de leurs expériences peut être utile. Deux réformes menées dans des régimes de type bismarckien, sont ainsi présentées dans les développements suivants, à partir des analyses de notre collègue député Edouard Landrain 8 ( * ) : les réformes allemande et néerlandaise.

1. Les Pays-Bas : un système de plus en libéralisé

Le régime d'assurance maladie néerlandais repose sur une combinaison entre les institutions publiques et l'économie de marché. Environ 80 % des dépenses sont prises en charge par la collectivité, dont 75 % par les cotisations sociales et 5 % par le budget de l'Etat. Le reste est assuré par les cotisations volontaires auprès des assurances privées (14 %) et l'application des différents tickets modérateurs (6 %).

Il est confronté à deux défis principaux : un accroissement rapide des dépenses de l'assurance maladie et la difficulté du système à répondre aux besoins médicaux, le rationnement des prestations ayant notamment entraîné l'apparition de files d'attente de plus en plus mal ressenties par l'opinion publique. En outre, le contrôle de la démographie médicale a entraîné une pénurie de professions médicales.

Pour faire face à ces défis, le gouvernement a, avec l'accord de la plus grande partie des forces politiques et syndicales du pays, engagé deux grandes séries de réformes : une réforme tendant à maîtriser la dépense ; une réforme tendant à libéraliser le régime.

a) La maîtrise de la dépense

Les mesures de maîtrise de la dépense recouvrent ainsi :

- des actions de responsabilisation des assurés, passant notamment par l'augmentation de certaines franchises afin de sensibiliser les patients au coût des dépenses qu'ils entraînent ;

- le déremboursement d'un certain nombre de prestations ;

- la réduction forfaitaire de 8 % du budget des hôpitaux ;

- l'encourager à la consommation de génériques, qui représenteraient déjà 50 % de la consommation totale des médicaments en volume, en offrant aux pharmaciens des facultés de substitution et en accroissant leurs marges sur la vente de ces produits ;

- la mise en place d'un financement par pathologie pour les hôpitaux et les soins de spécialistes. A cela s'ajoute l'obligation de consulter un médecin référent avant d'avoir recours à un spécialiste pour être remboursé.

Un système intitulé « no claim », consistant à verser à partir de 2005 une somme de 250 euros par an aux assurés qui ne déclareraient pas ou quasiment pas de frais de santé, serait également à l'étude, afin de dissuader les assurés de recourir à une consommation médicale excessive.

b) Une libéralisation du régime

Par ailleurs, le gouvernement néerlandais a entrepris une refonte générale du système d'assurance maladie en vue de le simplifier et de le libéraliser. De manière générale, le gouvernement souhaite accroître la concurrence entre les acteurs du système de santé pour fournir un service au meilleur rapport qualité/coût. L'Etat reste ainsi responsable de la définition des garanties relatives à la qualité des soins, à leur accès et à leur coût, mais il tend à déléguer la gestion des dépenses de santé à des assureurs et des fournisseurs de soins privés.

Les mesures engagées devraient, selon le gouvernement néerlandais, limiter l'augmentation des dépenses de santé à 2,5 % par an, pour la période 2004-2006, au lieu du taux de 6 à 8 % enregistré au cours des dernières années. En outre, le ministère de la santé estime que l'application du dispositif « no claim » devrait permettre d'économiser environ 1,6 milliard d'euros. Enfin, la simplification et la libéralisation du système devraient, selon le gouvernement, également contribuer à maîtriser la dépense tout en améliorant l'accès aux soins, les prestations et les possibilités de choix des patients.

2. L'Allemagne : une augmentation de la contribution des assurés et une rationalisation des dépenses

Le système allemand présente plusieurs caractéristiques générales : un financement reposant principalement sur les cotisations sociales, des prestations en nature, la solidarité, l'autogestion et un régime par répartition.

La plupart de la population relève du régime légal et 10 % d'une assurance privée. Seuls 0,3 % de la population allemande ne disposent d'aucune couverture d'assurance maladie.

Dans un contexte marqué par une forte dérive des dépenses de santé (le déficit de l'assurance maladie s'élevait à 2,9 milliards d'euros en 2003), un haut niveau de charges salariales et de multiples délocalisations vers des pays à faible coût de main-d'oeuvre, les deux principales forces politiques du pays, le SPD et la CDU, ont, dans un accord du 21 juillet 2003, défini ensemble une vaste réforme du système, approuvée définitivement par le Parlement le 17 octobre 2003. Cette réforme comporte trois orientations principales : un accroissement de la part financière des patients, une diminution des prestations et des mesures tendant à améliorer le fonctionnement global du régime.

a) L'augmentation des tickets modérateurs

La responsabilisation financière des patients passe, en premier lieu, par l'augmentation des tickets modérateurs .

S'agissant de la médecine de ville, un ticket modérateur de 10 euros par trimestre, dit aussi « taxe de consultation », a été instauré . Cette taxe doit être versée dès la première consultation et quel qu'en soit le nombre.

S'agissant des séjours hospitaliers , les patients doivent payer, depuis le 1 er janvier 2004, un ticket modérateur de 10 euros par jour , au lieu de 9 euros auparavant. Un plafonnement à 280 euros par an est prévu.

S'agissant des médicaments , le ticket modérateur est fixé à 10 % du coût des produits prescrits, avec une participation minimale de 5 euros et maximale de 10 euros.

Le volume total de ces différents tickets modérateurs ne peut pas dépasser 2 % des revenus nets des assurés (1 % pour les maladies chroniques). Par ailleurs, les enfants sont exonérés de ticket modérateur jusqu'à l'âge de 12 ans.

Selon le gouvernement allemand, ces dispositions devraient accroître les recettes de l'assurance maladie de 3,3 milliards d'euros par an.

En outre, la fiscalité pesant sur le tabac sera augmentée afin d'accroître le prix du paquet de cigarettes d'un euro en trois étapes d'ici le 1 er juin 2005 et la cotisation des retraités sera majorée, passant de 50 % à 100 % du montant normal des cotisations.

b) Des mesures visant à diminuer le coût des prestations

Plusieurs mesures sont prévues pour diminuer le coût des prestations :

- le déremboursement des médicaments non prescrits , considérés comme des produits « de confort ». Des exceptions sont cependant maintenues pour les enfants de moins de 12 ans ou les personnes de moins de 18 ans ayant des problèmes de santé sérieux ;

- la suppression du remboursement de certaines prestations , comme la fourniture de lunettes ou de lentilles de contact, ainsi que des frais de prothèses dentaires à partir de 2005, une assurance spécifique pouvant dans ce dernier cas être souscrite auprès de l'assurance maladie ou d'assureurs privés ;

- l'abandon de la prise en charge des indemnités journalières de maladie par le régime général d'assurance maladie à partir de 2007 . Elles feront alors l'objet d'une assurance particulière contractée par les assurés auprès de leur caisse d'assurance maladie.

c) Des mesures visant à améliorer le fonctionnement du système de santé

La réforme comporte également plusieurs dispositions destinées à améliorer le fonctionnement du système de santé :

- le renforcement de l'autonomie de gestion confiée aux caisses. Alors que celles-ci devaient délivrer jusqu'à présent un même panier de soins, elles disposent désormais de la possibilité de diversifier ces derniers, en passant de nombreux types de contrats avec les médecins, les pharmaciens, les centres de soins ou les malades. Cette mesure permet aux caisses d'offrir une plus grande variété de prestations à un meilleur coût, tandis que les patients bénéficient d'une plus grande liberté de choix ;

- la mise en place d'un institut chargé de mesurer et de contrôler la qualité des soins ;

- une incitation aux soins préventifs , les caisses pouvant accorder un « bonus » aux assurés acceptant de se soumettre à certains types de contrôles ;

- le développement du système du « médecin référent » : les caisses pourront ainsi accorder aux assurés des réductions de cotisations afin de les inciter à faire systématiquement appel à un médecin généraliste avant d'aller consulter un spécialiste ;

- l'accroissement de la lutte contre la fraude ;

- le remplacement de la carte à puce actuelle par la carte de santé électronique , qui contiendra à la fois les données personnelles du patient et les ordonnances du médecin ;

- l' obligation pour les médecins de se soumettre à une formation permanente dans leur domaine de spécialisation ;

- le développement des génériques , en permettant notamment aux pharmaciens de substituer ces produits aux médicaments prescrits et en les y incitant financièrement, par une augmentation de leurs marges.

Par ailleurs, différentes mesures comme la possibilité de s'inscrire à un système de soins intégrés, la création de centres médicaux spécialisés par maladie afin de réaliser des gains de productivité en regroupant les équipements et les personnels médicaux propres à chaque pathologie ou le renforcement de la protection des intérêts et des droits des patients ont également été adoptées.

L'ensemble de ces mesures devrait, selon le gouvernement allemand, rapporter 9,9 milliards d'euros en 2004 et 23,1 milliards d'euros en 2007, ce qui devrait permettre de remédier au déficit de l'assurance maladie, de désendetter les caisses et de diminuer les cotisations, afin notamment de renforcer la compétitivité de l'économie allemande et de lutter contre les délocalisations.

Si les réformes menées dans ces deux pays ne sont pas immédiatement transposables au cas français, certains axes privilégiés aux Pays-Bas et en Allemagne se retrouvent dans le présent projet de loi, en particulier le passage par un médecin référent ou le développement des médicaments génériques.

* 7 OCDE, Vers des systèmes de santé plus performants, mai 2004.

* 8 « Réforme de l'assurance maladie : les remèdes européens », rapport d'information de M. Edouard Landrain au nom de la délégation pour l'Union européenne, (n° 1672, XIIème législature, juin 2004).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page