2. L'institution de pénalités financières en cas d'abus ou de fraude des professionnels de santé, des établissements de santé et des assurés

L'article 13 du présent projet de loi prévoit l'institution de pénalités financières en cas d'abus ou de fraude des professionnels, des établissements de santé et des assurés.

Le dispositif actuel de contrôle, essentiellement confié aux organismes d'assurance maladie, est en effet insatisfaisant.

Les limites des contrôles, selon la CNAMTS

L'efficacité des contrôles tant de l'activité des professionnels de santé que des bénéficiaires a pour limites les actions qui peuvent être mises en oeuvre.

Les contrôles des professionnels de santé

Les seules actions efficaces dont dispose l'Assurance Maladie sont les actions pénales et le contentieux ordinal. La saisine des juridictions ordinales peut être faite en cas d'abus, de faute ou de fraude. La procédure est écrite (mémoire) et les sanctions que peut prononcer la juridiction sont l'avertissement, le blâme et l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux. Les juridictions ordinales ne sont donc saisies que pour des faits graves. Ce peut être le recours à des thérapeutiques dangereuses, les abus d'actes et de prescriptions, le recours à des procédés diagnostiques ou thérapeutiques non éprouvés (charlatanisme), des fraudes en matière de tarification, etc.

Un préjudice mineur, exclusivement financier sans intention malveillante ne relève pas d'une saisine ordinale. Il peut s'agir, par exemple, d'un ou deux cas de non respect de la nomenclature générale des actes professionnels, témoin plus d'une méconnaissance de la part du professionnel que d'un acte volontaire.

Il n'existe pas aujourd'hui de possibilité d'actions intermédiaires simples à mettre en oeuvre de type sanctions financières qui pourraient s'appliquer pour des faits plus importants que ceux relevant d'une mise en garde mais ne relevant pas pour autant de sanctions ordinales.

Les comités médicaux régionaux qui ont été créés par l'ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins offraient l'opportunité de sanctions financières. Ils avaient pour mission d'examiner l'appréciation portée par le service du contrôle médical sur l'inobservation de certaines règles légales ou conventionnelles (manquements aux règles d'établissement des feuilles de soins et des ordonnances destinées aux assurés reconnus atteints d'affections de longue durée, règle de signalement d'un médicament remboursable dans des indications limitatives, conditions de prise en charge des frais de transport ou règles d'attribution des indemnités journalières). La mise en place des CMR s'est cependant heurtée à de nombreuses réticences puis au boycottage par les représentants des médecins libéraux. Ils ont finalement été supprimés par la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2003 n° 2002-1487 du 20 décembre 2002.

Les sanctions que pouvaient proposer les Comités Médicaux Paritaires Locaux en cas de méconnaissance des références médicales opposables étaient de véritables sanctions financières. Cependant, les dispositions conventionnelles relatives à la procédure de sanction ont été annulées par le Conseil d'Etat en 1999 pour la convention des médecins généralistes et le règlement conventionnel minimal.

Les contrôles des bénéficiaires

La notion de suspension de prestations concerne les assurés sociaux pour lesquels les traitements présentent un danger ou dont les pratiques sont inacceptables. L'article L.315-2 comporte dans son dernier alinéa la possibilité pour la caisse de suspendre une prestation lorsque le praticien conseil estime qu'elle n'est pas médicalement justifiée.

En pratique, les caisses ont des difficultés de mise en oeuvre de cette disposition du fait des accords conventionnels passés avec les professionnels de santé pratiquant le tiers payant et du fait de la mise en oeuvre de procédures de prise en charge des prestations pour les assurés sociaux ou bénéficiant de la Couverture Maladie Universelle Complémentaire. En effet la majorité des patients concernés par la mise en oeuvre de l'article L 315-2 bénéficient d'un tiers payant.

Il en est de même de l'article L 324-1 qui donne, en théorie, beaucoup de pouvoir à l'Assurance Maladie, mais pour lequel il est rarement possible en pratique de refuser le remboursement d'un médicament en raison de la généralisation du tiers payant (le médicament est délivré au patient qui ne règle plus que le ticket modérateur et est remboursé au pharmacien).

Le pilotage, par la CNAMTS, de ce programme d'amélioration de l'efficacité des contrôles s'est accompagné d'une augmentation sensible du nombre de contentieux auprès d'instances ordinales, ce qui montre qu'il est possible de mieux cibler les professionnels dont les pratiques méritent d'être contrôlées de manière à optimiser la part d'activité consacrée à ces contrôles et à faire aboutir ces contrôles à des contentieux chaque fois qu'il est nécessaire.

En matière de contrôle des bénéficiaires (grands consommants et consommateurs atypiques), les outils mis à disposition des acteurs de terrain (requête de ciblage, méthode de contrôle) dans le cadre de ce plan ont fait la preuve de leur efficacité puisque 62,4 % des bénéficiaires contrôlés avaient un traitement inapproprié à leur état de santé. Les limites de ces contrôles ont été les difficultés rencontrées par les organismes pour appliquer des textes réglementaires qui demandent à être complétés.

Les contrôles ciblés ont été systématisés en 2003/2004 avec les mêmes finalités qui sont de privilégier le contrôle de la qualité des soins et d'améliorer l'efficience des actions réalisées en disposant d'un ciblage performant.

Source : CNAMTS, rapport sur l'exécution de l'ONDAM 2003

Ainsi, à l'exception de la procédure de déconventionnement, qui devrait être réservée aux cas les plus graves, les organismes d'assurance maladie ne disposent pas de moyens adéquats pour répondre rapidement et de façon proportionnée aux violations de règles générales d'exercice ou de remboursement qu'ils constatent.

C'est la raison pour laquelle le présent article propose d'instituer un dispositif souple et gradué de sanctions, qui répond aux remarques formulées par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans leur rapport sur les dépenses d'indemnités journalières 23 ( * ) .

Le I de cet article propose ainsi d'insérer un nouvel article L. 162-1-14 dans le code de la sécurité sociale.

Le premier alinéa de ce nouvel article devrait permettre au directeur de la caisse locale d'assurance maladie de prononcer une pénalité financière à l'encontre des professionnels de santé, des établissements et des assurés. L'Assemblée nationale a ajouté, sur proposition de sa commission spéciale, que ce dispositif de pénalité concernerait également les employeurs, certains d'entre eux utilisant les arrêts de travail pour contourner les règles relatives aux préretraites.

Cette pénalité pourra être prononcée dans deux cas :

- dès lors que les personnes ou établissements visés ne respectent pas les règles fixées par le code de la sécurité sociale et que la violation de ces dispositions a conduit à un remboursement ou une prise en charge indus, ou à une demande de remboursement ou de prise en charge de l'assurance maladie ;

- en cas de refus par les professionnels de santé de reporter dans le dossier médical personnel les éléments issus de chaque acte ou consultation. Cette dernière possibilité, ajoutée par l'Assemblée nationale, a le mérite de prévoir un mécanisme de sanction à l'encontre des médecins qui refuseraient de compléter le DMP, qui constitue la clé de voûte de cette réforme.

L'article 13 du présent projet de loi précise que cette pénalité ne peut être prononcée qu'après avoir reçu l'avis d'une commission composée et constituée au sein du conseil de la caisse locale. Il est précisé que, lorsqu'une sanction envisagée concerne un professionnel de santé, un représentant de la même profession doit participer à cette commission. Il a été précisé à votre rapporteur pour avis que, la commission étant composée et constituée au sein du conseil de la caisse locale, elle comprendrait des représentants des assurés et des employeurs.

Le texte prévoit que le montant de la pénalité est déterminé en fonction de la gravité des faits, dans la limite de deux fois le montant du plafond mensuel de la sécurité sociale, soit 4.952 euros. En cas de récidive, le montant de la pénalité est doublé. D'après les informations fournies à votre rapporteur pour avis, le plafond de 4.952 euros s'appliquerait à la première pénalité, mais pas à la pénalité prononcée en cas de récidive.

Afin de garantir les droits de la défense, l'organisme d'assurance maladie est tenu de notifier à la personne concernée le montant de la sanction envisagée ainsi que les faits qui lui sont reprochés, afin de lui permettre de présenter ses observations écrites ou orales dans un délai d'un mois, au terme duquel la sanction peut, le cas échéant, être prononcée par le directeur de la caisse. La mesure prononcée doit être motivée pour les mêmes raisons de garantie des droits de la défense.

L'Assemblée nationale a précisé qu'elle pouvait faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif. Le II de cet article modifie également les dispositions de l'article L. 162-12-16 du code de la sécurité sociale. Alors que celles-ci prévoient actuellement que la décision de pénalité financière prise par la caisse, sur la base des faits litigieux retenus par les comités paritaires locaux, peut être contestée devant les tribunaux des affaires sociales, il est prévu de transférer cette compétence au tribunal administratif.

La décision d'infliger une pénalité financière s'apparentant à une sanction administrative, ce contentieux doit en effet relever de la juridiction administrative, et non de la juridiction spécialisée qu'est le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). Ce dernier sera en revanche compétent en cas de contestation relative au recouvrement.

Les modalités d'action en recouvrement de la pénalité ont été précisées de manière explicite par l'Assemblée nationale. Celle-ci sera ainsi obligatoirement précédée d'une mise en demeure qui ne peut concerner que des faits constatés dans les deux ans précédant son envoi et se prescrit par deux ans à compter de l'envoi de la mise en demeure. Lorsque cette dernière reste sans effet, le directeur de l'organisme peut délivrer une contrainte qui, à défaut d'opposition du débiteur devant le TASS, comporte tous les effets d'un jugement et confère notamment le bénéfice de l'hypothèque judiciaire. Une majoration de 10 % est en outre applicable aux pénalités qui n'ont pas été réglées aux dates d'exigibilité mentionnées sur la mise en demeure.

L'Assemblée nationale a en outre prévu que l'organisme de sécurité sociale ne pourrait concurremment avoir recours au dispositif de pénalité prévu par cette article et aux procédures conventionnelles actuellement prévues dès lors qu'il s'agissait de sanctionner « une même inobservation » des règles prévues par le code de la sécurité sociale. Cette précision paraît légitime, afin d'éviter que deux peines ne soient prononcées pour un même fait.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a également ajouté que le médecin qui ne satisferait pas à l'obligation de participer régulièrement à des actions d'évaluation et d'amélioration de sa pratique professionnelle, posée par l'article 8 du présent projet de loi, serait également passible d'une pénalité prononcée dans les conditions prévues par l'article 13. Toutefois, cette pénalité pourrait être suspendue si le médecin s'engage à participer dans un délai de six mois à une action d'évaluation et d'amélioration de sa pratique professionnelle, dans le cadre du dispositif prévu par l'article L. 162-4-2 du code de la sécurité sociale, institué par l'article 8 du présent projet de loi. Votre rapporteur pour avis approuve cette précision apportée par l'Assemblée nationale, qui renforce l'obligation d'évaluation de la qualité de la pratique professionnelle des médecins. Celle-ci constitue en effet un enjeu important en terme d'amélioration de la qualité de notre système de santé, ainsi qu'on l'a déjà relevé.

Les dispositions prévues par cet article devraient donc être de nature à lutter efficacement contre les abus et les fraudes de l'ensemble des acteurs et à pallier les insuffisances du système actuel.

* 23 Les dépenses d'indemnités journalières, octobre 2003.

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