III. LA SITUATION DE LA PÊCHE FRANÇAISE

A. UNE CRISE CONJONCTURELLE AGGRAVÉE PAR DES FAIBLESSES STRUCTURELLES

1. Une conjoncture difficile pour le monde de la pêche

a) Un infléchissement de la consommation des ménages

La consommation totale des produits de la mer en France s'élève à 2 millions de tonnes, soit une consommation de 31 kilogrammes équivalents entiers par habitant et par an. Les deux tiers environ des achats on lieu en grands magasins et supermarchés, le reste auprès des grossistes et des poissonniers de détail.

Si les dépenses globales des français dans ce secteur se stabilisent à 4 milliards d'euros, cette stabilité résulte en réalité d'une baisse des quantités achetées compensée par une augmentation de leur prix . Cette augmentation des prix de détail confirme la tendance observée sur le marché depuis plusieurs années. En revanche, la baisse des volumes d'achat enregistrée depuis cette année rompt avec la hausse observée depuis le début des années 2000.

Le marché des produits de la pêche et de l'aquaculture transformés (produits traiteurs et saurisserie, produits surgelés, conserves de poisson), plus spécifiquement, subit une évolution comparable. Leur consommation s'infléchit en effet pour se situer en dessous des 300.000 tonnes. Mais grâce à l'augmentation du prix moyen des produits, la valeur totale des achats progresse de 1 % pour atteindre 2,7 milliards d'euros.

b) Une hausse du prix du gazole pesant sur la situation financière des exploitations

La pêche française est marquée par une grande hétérogénéité des conditions d'exploitation des navires tenant, entre autres, aux modes de propriété, aux types de navires et aux lieux de pêche et de débarquement. Après avoir connu une crise brutale en 1992-94 liée à la dévaluation compétitive de nos principaux clients et fournisseurs, le secteur de la pêche a vu sa situation s'améliorer depuis le milieu des années 90 en raison du redressement des cours.

Ce redressement reste toutefois extrêmement fragile, du fait notamment des incertitudes que font peser sur le résultat d'exploitation l'évolution du pétrole. Le volume très important de gazole consommé par les marins-pêcheurs -a fortiori pour la pêche hauturière, qui requiert de puissants chalutiers 4 ( * ) - constitue en effet l'un des postes essentiels de leurs charges financières , puisqu'il figure en deuxième ou troisième position, après le poste des personnels et celui de l'entretien et des réparations. Une étude réalisée voici peu 5 ( * ) montrait ainsi que le ratio carburant/chiffres d'affaires s'étageait de 6 pour les fileyeurs (12 - 24 mètres) en Atlantique à 21 pour les chalutiers de fond (24 - 30 mètres).

Le carburant faisant partie des frais communs, il est retiré des recettes de ventes au retour de la pêche avant de faire le partage entre matelots et armateurs. Les effets de cet alourdissement des charges sont d'autant plus sévères que la structuration du marché des produits de la mer rend très délicate sa répercussion sur les prix des produits vendus. D'autre part, l'augmentation du prix du pétrole s'étend aux matériels de synthèse qui en sont dérivés, tels que les caisses de polystyrène, ce type de fournitures représentant jusqu'à 10 % des frais généraux.

Sont particulièrement touchées par les hausses brutales du prix du gazole les petites exploitations, qui n'ont pas suffisamment de surface financière pour être en mesure de les absorber. Ainsi en est-il, notamment, de la pêche méditerranéenne, qui se caractérise par sa grande atomisation. Elle comporte en effet 3.300 pêcheurs pour 1.700 bateaux, dont une grande part, mesurant moins de 12 mètres, est destinée à la petite pêche côtière.

L'évolution des cours du pétrole ces dernières années est marquée par de nombreux pics, dont les répercussions ont été chaque fois immédiates sur les résultats d'exploitation des pêcheurs français . La forte hausse du prix du carburant au cours de l'année 2000 a ainsi brutalement interrompu le redressement du secteur de la pêche amorcé depuis le milieu des années 90, obligeant même de nombreux armateurs à mettre à quai leurs navires et débarquer leurs équipages, ce qui a entraîné cette même année de vifs mouvements sociaux et le blocage généralisé des ports.

De la même façon, la reprise du marché enregistrée depuis 2001 se trouve compromise par la très forte augmentation du prix du gazole, amorcée au premier semestre 2003 et s'amplifiant cette année. Liée à la flambée du prix du baril de pétrole (+50 % depuis le début de l'année 2004, +168 % depuis le début de l'année 2002), cette hausse historique pèse lourdement sur les comptes d'exploitation des entreprises du secteur et pourrait avoir des conséquences irrémédiables si elle se poursuivait.

c) Une évolution des revenus inquiétante

Le niveau de revenu des professionnels de la pêche est directement lié à la rentabilité des entreprises, laquelle dépend des deux facteurs précédemment évoqués : le volume des ventes et le niveau des charges d'exploitation.

Or, l'évolution du premier de ces deux paramètres - le chiffre d'affaires - est marquée par une forte augmentation -de l'ordre de 38 % pour la pêche fraîche et de 31 % pour la pêche congelée- entre 1995 et 2003. Cette hausse a été suivie d'une baisse -de respectivement 1,9 % et 6,3 %- au cours de l'exercice 2003, baisse qui devrait se trouver confirmée au cours de l'année 2004.

Quant au second paramètre - les charges d'exploitation -, il a évolué de façon procyclique ces dernières années, au rythme de la hausse des cours du baril précédemment évoquée. Ces charges se sont en effet accrues une première fois au cours de l'année 2000, aboutissant à la mise en place par le Gouvernement d'un plan global pour la pêche. Les mesures qu'il comportait avaient permis d'atténuer les surcoûts des entreprises pour les années 2001 et 2002, durant lesquelles le cours du pétrole s'était stabilisé. Or, la nouvelle et importante hausse du prix du carburant depuis le début de l'année 2003 est venue peser à nouveau sur les comptes d'exploitation.

L'évolution du revenu des pêcheurs , conjonction de ces deux paramètres, a logiquement suivi leur évolution croisée : après la violente crise de la pêche du début des années 90, qui avait causé la baisse spectaculaire des revenus des pêcheurs, ceux-ci se sont progressivement redressés depuis le milieu des années 90 jusqu'à l'année 2003 où ils ont recommencé à s'infléchir, cette baisse devant se confirmer pour l'année 2004.

Dans cette optique, la situation à court terme du secteur -très fragilisé- dépendra largement de l'évolution à venir des cours du carburant. Si ces derniers continuaient à augmenter, cela aurait sans doute des implications très diverses en termes de revenus selon les types de pêche pratiquées, les arts traînants (chaluts, dragues) étant naturellement beaucoup plus sensibles à la variable carburant que les arts dormants (filets, casiers, lignes).

2. Des problèmes structurels persistants

a) Une flotte vieillissante en constante diminution

? Au 1 er janvier 2004 , la flotte de pêche française métropolitaine comptait 5.695 navires totalisant une puissance de 891.249 kilowatts , parmi lesquels 1.149 de pêche industrielle et semi-industrielle (plus de 25 mètres), 2.469 de pêche artisanale et hauturière (de 12 à 25 mètres) et 2.077 de petite pêche côtière (moins de 12 mètres).

Ces chiffres sont en légère diminution par rapport à ceux du 1 er janvier 2003 (5.712 navires, soit une baisse de 0,3 %), et surtout, à plus longue échelle, par rapport à ceux du 1 er janvier 1984 (11.660 navires, soit une baisse de 51 %). Cette baisse tendancielle a été accentuée par la politique européenne d'encouragement à la sortie de flotte.

S'agissant de la répartition géographique, la Bretagne concentre près de 40 % de la puissance totale des navires , tandis que la façade méditerranéenne en rassemble 19 %, chacune des autres régions de la façade Manche-Atlantique n'en totalisant que 5 % (Haute-Normandie, Poitou-Charentes, Aquitaine) à 10 % (Nord Pas-de-Calais, Picardie, Basse-Normandie, Pays de la Loire).

? Parallèlement à sa réduction quantitative, la flotte de pêche française rencontre des problèmes liés à son évolution qualitative. Est ici en cause le vieillissement relatif de la flotte découlant notamment des contraintes communautaires imposées par le programme d'orientation pluriannuel (POP), mais aussi du coût élevé des investissements en matériel dans un secteur où la majorité des exploitations est constituée de microentreprises.

Par ailleurs, le vieillissement général des populations maritimes et les difficultés de recrutement parmi les jeunes ne sont pas sans poser de problèmes en termes de productivité.

b) Un secteur difficile en termes d'emploi

En 2003 , la pêche maritime comptait 25.897 marins 6 ( * ) (métropole et DOM). Depuis 1997, le secteur a été marqué par la perte de 1.054 emplois, soit une baisse de 3,9 % sur l'ensemble de la période. Ce recul doit certes être relativisé dans la mesure où l'emploi maritime a moins diminué durant ces 6 années qu'au cours de chacune des années de 1990 à 1995.

S'agissant de la répartition entre les différents types de navigation, la petite pêche , traditionnellement dominante, reste le principal secteur employeur de main d'oeuvre maritime (43,3 % des effectifs). La pêche au large, la conchyliculture petite pêche et la pêche côtière ont des poids sensiblement équivalents (16 à 19 %), la grande pêche restant minoritaire.

S'agissant de la répartition géographique, la Bretagne concentre un peu moins d'un tiers des effectifs totaux (28,8 %), suivie par les façades Nord-Normandie (18,4 %) et de Poitou-Charentes-Aquitaine (17,7 %), de la Méditerranée (13,4 %), des DOM (12,5 %) et de la région Pays de la Loire (8,9 %).

Plus généralement, le secteur de la pêche se caractérise par une pénurie de main-d'oeuvre . Cette carence, illustrée par le recours à de la main d'oeuvre étrangère, est particulièrement marquée sur certains segments de flottille, tel que celui de la pêche semi-industrielle.

En outre, constitue une spécificité du secteur de la pêche en matière d'emploi un taux limité d'inscription des chômeurs à l'ANPE, du entre autres à la non affiliation de ce secteur à l'assurance chômage des ASSEDIC et au faible recours des entreprises artisanales au réseau de l'ANPE.

c) Une dégradation des ventes en France et à l'export

? S'agissant de la commercialisation sur le territoire national, le chiffre d'affaires des ventes des pêches maritimes métropolitaines avoisine, en 2003, 1,15 milliard d'euros , confirmant la progression continue initiée en 2000. Ce chiffre cache toutefois d'inquiétantes tendances.

Tout d'abord, les quantités mises en vente dans les criées baissent pour la deuxième année consécutive de 2 %. La stabilité de la valeur des ventes en criée n'est due qu'à l'augmentation du prix moyen des produits, qui a été de 2 % en 2003 après 4 % en 2002. D'autre part, les premiers chiffres connus pour l'année 2004 font état d'un recul des quantités vendues de 12 %. En dépit de la hausse de 11 % du prix moyen, la valeur des ventes affiche une baisse de 2 %.

? Au point de vue du commerce extérieur, l'année 2003 a connu une baisse en valeur des importations ainsi qu'un recul , moins marqué, des exportations . Toujours très fortement négatif, le solde a légèrement diminué à 2,15 milliards d'euros.

Si les ventes à l'étranger de poisson entier congelé, de préparations et conserves de poisson ainsi que, dans une moindre mesure, de crustacés et de mollusques ont augmenté cette même année, on constate en revanche une forte baisse des ventes de poisson entier frais réfrigéré, de chairs et filets et de poissons séchés, salés et fumés.

L'Espagne et l'Italie restent de loin nos meilleurs clients (44,3 % de nos exportations à eux deux), devant la Belgique et l'Allemagne. S'agissant de nos fournisseurs, le Royaume-Uni est largement en tête, devant la Norvège et l'Espagne.

* 4 Un chalutier prenant la mer deux semaines consomme entre 24.000 et 32.000 litres de gazole.

* 5 Etude réalisée par le Laboratoire d'économie de Nantes (LEN) et le Centre d'observation et de recherche sur les ressources aquatiques et les industries du littoral (CORAIL) sur un échantillon de navires français en 2001 et 2002.

* 6 Français ou originaires de l'Union européenne, ayant navigué au moins un jour à la pêche au cours de l'année 2003.

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