CHAPITRE V

LES ÉVOLUTIONS DU SECTEUR PÉTROLIER

Dans le cadre de la préparation d'avis budgétaires thématiques, votre rapporteur pour avis a décidé d'examiner la question de la hausse des prix du pétrole et ses conséquences économiques. Il a souhaité, à cette occasion, évoquer les débats relatifs aux réserves pétrolières mondiales. Le prix des produits pétroliers connaît, depuis le début de l'année 2004, et en particulier depuis l'été dernier, une véritable envolée, le prix du baril ayant dépassé le « seuil psychologique » des 50 dollars à la fin du mois d'octobre . Cette évolution est due à une conjonction des facteurs : une demande forte de produits pétroliers liée à la reprise de la croissance, notamment dans les pays de l'OCDE, vient rencontrer une offre assez limitée du fait du resserrement des surcapacités de production. A ce déséquilibre sont venus s'ajouter au cours de l'année 2004 de nombreux aléas climatiques et géopolitiques.

I. VERS UN TROISIÈME CHOC PÉTROLIER ?

Le prix du baril de pétrole a connu, depuis le début de l'année 2004, notamment à partir du mois de juin, une envolée dont les conséquences économiques commencent à être préoccupantes, compte tenu d'une part des conséquences inflationnistes de cette hausse et, d'autre part, de l'approche de l'hiver au cours duquel les produits pétroliers sont plus massivement consommés pour la production de chaleur.

A. LES CAUSES DE L'ENVOLÉE ACTUELLE DES PRIX DU PÉTROLE

1. Une évolution préoccupante

Rotterdam constitue l'une des premières places de marché pour les échanges de produits raffinés. Toutefois, le NYMEX (New-York Mercantile Exchange) et l'IPE (International Petroleum Exchange) basé à Londres, sont les deux principaux marchés à terme pétroliers mondiaux 25 ( * ) . Le prix du baril de pétrole 26 ( * ) connaît ainsi deux cours de référence : le baril de brent de la Mer du Nord, coté à l'IPE, et le baril de brut West Texas Intermediate ( WTI ), coté au NYMEX. Le marché pétrolier mondial étant relativement fluide, les cours évoluent de manière parallèle sur ces deux marchés.

Au cours des dix dernières années le cours le plus faible du WTI avait été enregistré le 10 décembre 1998 avec un baril à 10,72 dollars , alors que depuis le début de l'année 2004 le cours le plus faible se situait à 32,48 dollars le 6 février 2004 . En revanche depuis 1994, le cours le plus élevé a été relevé le 22 octobre dernier avec un niveau de 55,17 dollars . S'agissant du cours du brent de la Mer du Nord, le minimum depuis 1994 s'était établi à 9,72 dollars le 10 décembre 1998 et à 28,83 dollars depuis le 1 er janvier 2004. Le maximum depuis 10 ans a, quant a lui, été atteint le 26 octobre dernier à un niveau de 51,56 dollars . Alors que le prix du baril était resté stable depuis 1986 dans une fourchette de 20 à 30 dollars, le prix du baril a ainsi dépassé le seuil des 50 dollars au cours de l'année 2004. Au total, les prix du pétrole ont augmenté de 60 % depuis le début 2004 et de 168 % depuis début 2002 .

Même si la hausse actuelle est considérable, les prix sont néanmoins encore loin d'avoir atteint, en monnaie constante, le niveau auquel ils se situaient dans les années 1970 au moment des deux chocs pétroliers (entre 80 et 100 dollars le baril). En outre, les économies occidentales sont devenues moins dépendantes du pétrole , du fait de la politique de diversification des sources d'approvisionnement énergétique et de maîtrise de la demande de l'énergie. Ainsi, l'intensité énergétique française a été divisée par deux depuis les années 1970, ce qui signifie que l'économie a besoin de deux fois moins de pétrole pour assurer le même niveau de croissance.

Cette évolution est-elle appelée à se poursuivre et le niveau du baril a-t-il vocation désormais à rester à ce niveau ? Il est difficile de répondre de manière tranchée à cette question, d'une part en raison des conclusions résultant de l'analyse des paramètres influant sur l'offre et la demande -qui sera réalisée ci-dessous- et d'autre part si l'on se réfère à la descente progressive des cours depuis la fin octobre, le brent s'établissant à 44,9 dollars le 19 novembre 2004 et le WTI à 48,9 dollars à la même date. Cependant, selon certains analystes, comme M. Moncef Kaabi, directeur de recherche chez CDC Ixis, « rien ne peut aujourd'hui enrayer la hausse du prix du pétrole, sauf un arrêt de la croissance mondiale ».

2. Un déséquilibre structurel offre/demande...

La poussée des prix du pétrole tient tout d'abord à un déséquilibre entre l'offre et la demande.

Le pétrole représente 35 % de l'énergie consommée dans le monde et le secteur des transports représente, quant à lui, une part considérable des besoins énergétiques (25 % des besoins énergétiques mondiaux). La consommation mondiale de pétrole s'établit à un niveau élevé puisque, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), ce sont près de 82,4 millions de barils de pétrole par jour (Mb/j) qui seront consommés en moyenne en 2004 (25,06 Mb/j en Amérique du Nord, 16,43 en Europe et 6,32 en Chine pour les principaux consommateurs), soit une hausse de 2,6 Mb/j par rapport à 2003 (à comparer à une croissance annuelle moyenne de 1,3 Mb/j entre 1989 et 2002). Pour 2005 , les prévisions de l'AIEA prévoient une poursuite de cette croissance, avec une consommation s'établissant, en moyenne, à 83,9 Mb/j .

Ce dynamisme de la consommation constitue l'un des premiers facteurs poussant les prix à la hausse. Comme le note l'Institut français du pétrole (IFP), toutes les régions du monde, qu'il s'agisse des grands pays en développement (Chine, Brésil, Russie) ou des pays de l'OCDE, ont présenté simultanément en 2004 une croissance de la demande pétrolière très supérieure à la tendance historique depuis 1986. La zone Asie et les Etats-Unis sont les principaux contributeurs à cette envolée de la demande car ils représentent 67 % de la croissance de la consommation depuis 2002. La conjoncture économique mondiale est donc la première responsable de cette croissance de la demande pétrolière .

Au sein de ces différentes zones, il convient d'examiner plus particulièrement la situation de l'économie chinoise, qui croît à un rythme annuel moyen de 7 à 8 % et qui poursuit son industrialisation à vitesse rapide, la Chine étant devenue le deuxième importateur mondial de brut . En outre dans les régions chinoises les plus avancées, on note une diffusion rapide des modes de consommation de masse, calqués sur le modèle occidental : le parc automobile a ainsi cru de 50 % depuis 2000. Selon l'AIE, d'ici à 2025 les besoins pétroliers chinois passeront de 5,5 millions à 11 millions Mb/j , sa part dans la consommation mondiale passant alors de 7 à 9,2 %. Votre rapporteur pour avis tient, à cette occasion, à mettre en exergue la politique des grands groupes pétroliers chinois qui, pour répondre à cette croissance de la demande, se sont lancés dans des acquisitions de groupes en difficulté (acquisitions qui ont atteint 585 millions de dollars en 2002). Ainsi la compagnie CNOOC a acquis les actifs indonésiens de la compagnie espagnole Repsol-YPF en 2002 et PetroChina a racheté, la même année, six gisements indonésiens à l'américain Devon pour un montant de 216 millions de dollars.

Côté offre , l'IFP note que le marché pétrolier a été caractérisé depuis 1990 par des capacités excédentaires détenues par l'OPEP représentant 5 à 7 % en moyenne du total des capacités mondiales, assurant à cette organisation une faculté de régulation et de stabilisation des prix du pétrole. Or, depuis 2002 les pays de l'OPEP présentent des capacités excédentaires plus faibles , estimées entre 2 et 3 % en moyenne, et parfois proches de 1 %. Dans un contexte de saturation généralisée des capacités de production inutilisées, l'OPEP a perdu son pouvoir régulateur et sa capacité à enrayer la hausse des prix. Cette faiblesse ne pourra que perdurer tant que les capacités excédentaires n'atteindront pas 4 % du total des capacités mondiales . Outre l'étroitesse des capacités de production inutilisées, on dénote une grande insuffisance des outils de raffinage 27 ( * ) , notamment aux Etats-Unis, et un vieillissement prononcé des infrastructures de production, qui nécessiterait des investissements massifs pour remettre l'appareil de production à niveau, notamment dans les pays de l'OPEP. Enfin, s'ajoute à ces facteurs ayant trait à l'offre et à la demande, une faiblesse historique des stocks stratégiques pétroliers aux Etats-Unis et en Europe et à un manque de produits de chauffage avant l'hiver.

Au total, la conjonction de ces facteurs rend le marché pétrolier plus sensible à toute déstabilisation liée à d'autres segments de l'offre, notamment en raison de facteurs géopolitiques. Or, les aléas exceptionnels géopolitiques ont été nombreux en 2004.

3. ...aggravé par une conjoncture défavorable

Au déséquilibre de l'offre et de la demande s'additionnent des facteurs conjoncturels, qui pèsent essentiellement sur l'offre pétrolière. Les troubles et conflits sociaux au Nigéria 28 ( * ) (premier producteur de pétrole brut d'Afrique avec 2,5 Mb/j et sixième exportateur mondial) ont obéré le potentiel d'exportation de ce pays, tout comme les grèves en Norvège dans le secteur pétrolier 29 ( * ) . Certaines opérations de maintenance en mer du Nord ont également diminué les capacités de certains forages de cette région.

Au Moyen-Orient, la production irakienne n'a pas encore retrouvé son rythme de croisière, en raison de sabotages sur des installations de transport et de production et du climat de désordre qui règne dans le pays. En outre, le contexte géopolitique troublé de la région laisse peser des menaces d'attentats en Arabie Saoudite , ce qui fait naître des anticipations négatives à la hausse de la part des marchés.

S'agissant de la production en Amérique latine, le passage du cyclone Ivan en septembre 2004 a sensiblement endommagé les infrastructures de la région du Golfe du Mexique . Selon certaines estimations, malgré les efforts réalisés depuis pour réparer les dégâts causés par cette tempête, la capacité de production habituelle de cette région a été réduite de 30 %, ce qui représente 475.000 barils par jour en moins.

Enfin, les « déboires » actuels du groupe pétrolier russe Youkos , empêtré dans des difficultés judiciaires et fiscales avec l'Etat russe, pèse également lourdement sur les anticipations. Or, ce groupe exporte près de 75 % de sa production totale, c'est à dire 1,7 Mb/j. Toute baisse de la production venant de Russie, qui est le second producteur de pétrole derrière l'Arabie Saoudite, pourrait peser lourdement sur le marché mondial du pétrole et pourrait affecter certaines régions en particulier, comme la Chine, le groupe Youkos couvrant 3 % des approvisionnements chinois.

4. La question des stocks stratégiques

Le caractère stratégique des produits pétroliers est reconnu au niveau mondial et a conduit à la définition de normes nationales et internationales de réserves de stockages . La France a ainsi imposé, dès 1925, aux opérateurs la détention de stocks de réserves, pour répondre initialement aux besoins en carburants des armées et plus généralement pour parer aux conséquences d'une pénurie d'une source d'énergie indispensable à l'économie. Ces normes ont ensuite été adoptées dans un cadre international depuis 1968 au sein de la CEE et depuis 1974 pour les pays membres de l'AIE. Ainsi, les Etats ayant adhéré à l'AIE sont astreints à la constitution de stocks de pétrole brut et/ou de produits finis représentant 90 jours d'importation nette. Les Etats membres de l'Union européenne sont astreints à la constitution de stocks de pétrole brut et/ou de produits finis représentant 90 jours de la consommation intérieure moyenne, calculée sur les valeurs de l'année calendaire précédente. Les pays membres de l'Union ayant adhéré à l'AIE sont astreints à respecter ces deux dispositions.

Chaque Etat détermine les modalités de réalisation de ces stocks. On distingue trois grands systèmes, parfois complémentaires dans un même pays :

- stocks privés : les opérateurs s'acquittent individuellement de leur obligation, en propre ou par mise à disposition d'un autre opérateur ;

- stocks d'Etat (Etats-Unis, Japon, Finlande, Allemagne jusqu'à 1998) ;

- stocks d'agence : l'obligation est assurée par une agence, organisme de droit public ou privé, les opérateurs versant à l'agence une redevance proportionnelle pour lui permettre d'assumer ses charges.

En France, le législateur a reconduit en 1992 30 ( * ) le choix de faire porter l'obligation de stockage stratégique sur chaque opérateur agréé . Cette obligation est égale à 27 % du volume mis à la consommation au cours de l'année civile. Elle est assurée pour partie (56 % ou 90 % au choix de l'opérateur) par le Comité professionnel des stocks stratégiques pétroliers (CPSSP), moyennant le versement d'une redevance. Le coût de constitution doit être répercuté sur le consommateur, le cas échéant par l'intermédiaire de taxes instituées à cet effet. Afin de lui permettre d'assurer une couverture adaptée du territoire, l'objectif fixé au CPSSP est ainsi de disposer de 10 jours de supercarburants et de 15 jours en gazole et fioul domestique par région administrative, même si cet objectif est difficile à atteindre dans certaines régions.

La réserve stratégique américaine a, quant à elle, été créée en 1975 . Son objectif n'est pas de servir de tampon pour influer sur les prix mais de protéger les Etats-unis des effets à court terme d'une éventuelle interruption des importations de pétrole. La réserve est censée dissuader les embargos. Dans des anciennes mines de sel aménagées se trouvent ainsi stockés 670 millions de barils , soit l'équivalent de 53 jours d'importation et 33 jours de consommation. Une quantité au moins égale se trouve dans les réserves des compagnies pétrolières (valeur de réserve estimée à 21 milliards de dollars). Votre rapporteur pour avis note à ce sujet que le gouvernement américain, face à la montée des prix du pétrole, a décidé d'un prêt de 4,2 millions de barils à quatre raffineurs. Le niveau des stocks américains est, de l'avis des observateurs internationaux, actuellement assez faible.

* 25 A titre d'illustration, il convient de noter que près de 68 millions de barils « papiers » de Brent ont été échangés quotidiennement sur l'IPE en 2000 et les transactions sur le WTI ont dépassé les 100 millions de barils. Ces deux places de marché présentent donc un volume d'activité très supérieur à la production pétrolière mondiale de 77 Mb/j en 2001, ce qui illustre leur importance.

* 26 Un baril contient 159 litres de pétrole et 1 tonne de pétrole 7 barils.

* 27 Même s'il convient de noter que ces insuffisances ne concernent pas la France, la quantité totale de pétrole brut traité dans les raffineries françaises ayant augmenté, en 2003, de 5,6 % par rapport à l'année précédente.

* 28 Selon le Monde du 15 octobre 2004, les syndicats avaient suspendu la grève engagée pour protester contre la hausse des prix des carburants. Toutefois, la grève générale a repris le 16 novembre 2004, pour une durée illimitée.

* 29 Les syndicats norvégiens ont mis un terme à la grève suite à la proposition de « médiation forcée » du Gouvernement, présentée le 24 octobre 2004. Il convient de noter que ce conflit social, entamé le 2 juillet 2004, a amputé la production norvégienne de 55.000 barils par jour.

* 30 Loi n° 92-1443 du 31 décembre 1992 portant réforme du régime pétrolier.

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