III. PLUSIEURS FACTEURS DE PROGRÈS POUR L'AMÉLIORATION, NÉCESSAIRE, DES CONDITIONS DE DÉTENTION

La situation des prisons françaises a donné lieu à une appréciation souvent sévère de M. Alvaro Gil-Robles, ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, dans le cadre du rapport sur le respect effectif des droits de l'homme en France, présenté en février 2006 au terme d'une mission conduite du 5 au 21 septembre 2005. Si votre rapporteur pour avis ne peut que rejoindre le constat dressé sur la surpopulation carcérale et la vétusté de certains établissements pénitentiaires, il estime en revanche que ce bilan ne tient pas suffisamment compte des évolutions engagées au cours des dernières années dans plusieurs domaines pour améliorer les conditions de détention en particulier à travers la modernisation des infrastructures pénitentiaires ou l'amélioration de la prise en charge médicale.

Parallèlement, sous l'égide de notre collègue, M. Robert Badinter, ont été créés, en mars 2006, à l'initiative d'une dizaine d'organisations 11 ( * ) , les états généraux de la condition pénitentiaire afin de favoriser la mise en oeuvre d'une profonde réforme du système carcéral. Sur la base d'une consultation individuelle des détenus organisée avec le soutien du Médiateur de la République et dont le principe a été accepté par le ministère de la justice 12 ( * ) , les états généraux ont adopté le 14 novembre dernier un « manifeste » recommandant en particulier l'adoption d'ici la fin 2008 d'une loi pénitentiaire .

Les principaux enseignements de la consultation des détenus

La consultation s'est faite sur la base d'un questionnaire le plus souvent remis en mains propres aux détenus par les délégués du Médiateur de la République dans 115 établissements. 15.530 questionnaires ont pu être exploités (soit un taux de retour de 25 %).

Parallèlement, les différents acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire ont été consultés en ligne. 5.397 personnes ont participé à cette consultation (le taux de retour pour les personnels de surveillance n'a pas dépassé 1 %) 13 ( * ) .

Les actions prioritaires souhaitées par les détenus visent à 14 ( * ) :

- rapprocher le lieu de détention du domicile ou de la famille (88,1 %) ;

- mettre en place des installations sanitaires préservant l'intimité (86,2 %) ;

- permettre un accès quotidien aux activités, à la formation et au travail (85,5 %) ;

- systématiser les sorties en cas de circonstances familiales graves (85,3 %) ;

- permettre les rencontres avec la famille et les proches dans le respect de l'intimité (85,3 %) ;

- augmenter la fréquence et la durée des parloirs (83,9 %) ;

- faciliter l'obtention des permis de visites pour la famille et les proches (82,5 %).

Selon votre rapporteur pour avis, les aspirations des détenus apparaissent dans l'ensemble mesurées et justifiées . Elles reflètent fidèlement les préoccupations exprimées par les personnes incarcérées avec lesquelles il s'entretient systématiquement à l'occasion des visites effectuées dans les établissements pénitentiaires.

Votre rapporteur pour avis estime en outre que certains aménagements ponctuels dans les cellules, tels que l'installation de réfrigérateurs, contribueraient utilement et pour un coût limité 15 ( * ) , à l'amélioration de la situation des détenus. De même, conviendrait-il de réfléchir sur la possibilité d'étendre à l'ensemble des détenus le bénéfice de la gratuité de la télévision réservé aujourd'hui aux seuls indigents. Enfin, il serait souhaitable d'institutionnaliser une journée annuelle de rencontre entre les différents acteurs intéressés par les prisons (parlementaires, élus locaux, magistrats, avocats, associations...) qui permettrait de dresser régulièrement un état des lieux et de formuler des recommandations.

Votre rapporteur pour avis souhaiterait insister sur trois thèmes intéressant directement les conditions de détention : l'institution d'un contrôle extérieur des prisons, l'effort engagé pour maintenir les liens familiaux, les perspectives ouvertes pour la prise en charge des détenus atteints de troubles psychiatriques.

A. VERS L'INSTITUTION D'UN CONTRÔLE EXTÉRIEUR DES PRISONS

Le Gouvernement a annoncé cette année l'institution d'un contrôle extérieur et indépendant des prisons qui serait confié au Médiateur de la République.

Une telle initiative répond à une préoccupation exprimée depuis plusieurs années en particulier par la voie de la commission d'enquête sénatoriale sur les prisons en France en 2000 16 ( * ) .

Celle-ci estimait « indispensable que la France se dote d'un organe de contrôle externe des établissements pénitentiaires ». Sans doute les prisons font-elles déjà l'objet de plusieurs contrôles. La loi fait d'abord obligation aux magistrats du parquet, aux juges de l'application des peines, aux juges d'instruction, aux juges des enfants et aux présidents des chambres de l'instruction de visiter régulièrement les établissements pénitentiaires afin de contrôler les conditions de détention des personnes dont ils ont la charge. En outre, dans chaque établissement, une commission de surveillance placée sous la présidence du préfet du département contrôle le fonctionnement de l'établissement et peut communiquer ses observations au ministre de la justice. Par ailleurs, les prisons sont soumises au contrôle de l'inspection des services pénitentiaires et, plus largement, à celui de l'inspection générale des services judiciaires. De même, depuis la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes, députés et sénateurs sont autorisés à visiter à tout moment les établissements pénitentiaires de leur choix. Ils peuvent aussi saisir, sur la base de la dénonciation d'un fait précis, la commission nationale de déontologie de la sécurité . Celle-ci peut ensuite formuler des recommandations qui font l'objet d'une publication.

Ces modalités de contrôle présentent cependant certaines limites : elles apparaissent en effet soit trop ponctuels (s'agissant par exemple de la saisine de la commission nationale de déontologie de la sécurité), soit, en pratique, dépourvus d'effectivité (dans beaucoup d'établissements, la commission de surveillance s'apparente à un exercice formel) ou des garanties d'indépendance.

Cette situation n'est donc pas entièrement satisfaisante.

Le Gouvernement, soucieux de répondre aux critiques adressées au dispositif français ainsi qu'aux engagements souscrits dans le cadre du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé le 16 septembre 2005, a proposé d'instituer un contrôle extérieur des prisons que le garde des sceaux souhaiterait confier au Médiateur de la République : celui-ci pourra intervenir dans l'ensemble des établissements pénitentiaires et formuler des recommandations au ministère de la justice.

L'exercice d'une mission de contrôle constituerait une attribution inédite pour le Médiateur. Elle s' ajouterait à la mission de médiation qu'assume cette autorité à travers ses délégués dans les prisons.

En effet, depuis mars 2005, le ministre de la justice et le Médiateur de la République ont signé une convention permettant l'expérimentation de l'intervention des délégués du Médiateur dans dix établissements pénitentiaires 17 ( * ) .

En complément des points d'accès aux droits, présents dans de nombreux établissements, le délégué du Médiateur assure une permanence d'une demi-journée par semaine et intervient lorsque les détenus connaissent des difficultés avec l'administration y compris l'administration pénitentiaire. Au cours du premier semestre 2006, les délégués ont reçu 348 saisines dont 223 ont donné lieu à un entretien avec le détenu. Sur 279 affaires recevables, 100 concernaient l'administration pénitentiaire (parmi lesquels 8 seulement ont été transmises au Médiateur de la République -les autres ayant reçu une réponse localement). Ces éléments traduisent une forte progression du recours aux délégués du médiateur par rapport à 2005 (232 saisines).

L'administration pénitentiaire estime le nombre de recours annuels à quelque 700 -chiffre qui peut être rapproché du nombre de saisines du Médiateur de la République avant expérimentation de l'ordre d'une dizaine par an pour l'ensemble de la population pénale. Les réclamations concernent le plus souvent les affectations en établissements pour peines, des pertes d'objets au cours des transferts, des demandes de renseignements sur la procédure disciplinaire ou sur d'autres points du règlement intérieur.

Elles peuvent aussi porter sur des dysfonctionnements de certains services (comptabilité, cantine). De nombreuses saisines résultent de la méconnaissance par les détenus de leurs droits et obligations 18 ( * ) .

L'augmentation des saisines semble, dans l'ensemble, maîtrisée : on ne constate pas de retard dans le traitement des dossiers et les rendez-vous peuvent être honorés d'une semaine à l'autre.

Au regard des résultats positifs de cette initiative, le garde des sceaux et le Médiateur de la République ont souhaité généraliser ce dispositif à partir de 2007 -ainsi, dès l'année prochaine, 25 nouvelles permanences de délégués du Médiateur seront créées dans des établissements pénitentiaires de plus de 300 détenus parmi lesquelles figurera le plus important de France, la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (le nombre de détenus bénéficiant d'un accès direct à un délégué du médiateur passerait ainsi de 7.500 à 20.000 d'ici la fin de l'année prochaine). Dans les établissements de taille plus réduite, l'intervention de délégués sur demande des détenus sera expérimentée. Parallèlement, votre rapporteur pour avis souhaite que le nombre de points d'accès aux droits puisse être fortement augmenté .

Le garde des Sceaux a souligné devant votre commission des lois, le 21 novembre dernier, que la mission de contrôle qui pourrait être confiée au Médiateur serait totalement indépendante de l'activité de médiation exercée par les délégués du Médiateur. Il a ajouté que ce contrôle concernerait non seulement les prisons mais l'ensemble des lieux privatifs de liberté (hôpitaux psychiatriques, locaux de garde à vue, centres de rétention...). Il a indiqué que, en tout état de cause, l' intervention du législateur serait nécessaire pour permettre au Médiateur d'assumer cette nouvelle mission.

Un projet de loi serait ainsi déposé par le Gouvernement en 2007, assorti d'une étude d'impact qui évaluerait les moyens supplémentaires dont serait doté le Médiateur.

Le Médiateur de la République, pour sa part, a indiqué à votre rapporteur pour avis que les fonctions de contrôle et de médiation n'étaient pas compatibles mais complémentaires. Il a suggéré que lui soit reconnue la possibilité de désigner directement un contrôleur extérieur, placé sous son autorité, qui exercerait le contrôle des prisons avec le soutien d'une vingtaine de personnes. Il a estimé que le projet de loi devrait définir le périmètre des interventions de ce contrôleur ainsi que les pouvoirs dont il serait doté (droit de visite, droit d'entretien individuel avec les détenus, etc.).

Pour votre rapporteur pour avis, l'institution d'un contrôleur des prisons est devenue indispensable. Elle est souhaitée par l'ensemble des acteurs, y-compris l'administration pénitentiaire. Il considère que le débat sur la forme que prendra ce contrôle doit rester ouvert et l'examen du projet de loi concernant le contrôle extérieur des prisons permettra précisément d'approfondir la réflexion sur ce point.

Le Gouvernement a pris au cours de cette année une autre initiative destinée à mieux garantir les droits des détenus.

En premier lieu, il a adopté une réforme importante de la procédure d'isolement . En effet, deux décrets 19 ( * ) ont permis de consacrer le principe d'une procédure contradictoire . Désormais, la personne détenue peut se faire assister ou représenter par un avocat ou un mandataire agréé et prendre connaissance de son dossier préalablement à toute décision de placement à l'isolement ou de prolongation prise par l'administration pénitentiaire.

Ces textes donnent également une définition du régime de détention en vigueur au quartier d'isolement et garantit au détenu l'exercice de ses droits fondamentaux (accès à l'information, aux parloirs, libre exercice du culte, accès aux activités en commun etc.). Par ailleurs, le placement doit respecter le principe d'une durée raisonnable .

Actuellement, les placements sont décidés par mesure de sécurité ou de protection, soit d'office, soit à la demande du détenu et concernent quelque 500 détenus dont 150 à leur demande.

La réforme de la procédure d'isolement, la mise en place d'un système de contrôle indépendant, autant d'évolutions qui répondent aux « bonnes pratiques » recommandées par le Conseil de l'Europe. Il convient à cet égard que les règles pénitentiaires européennes , révisées en 2006, fassent l'objet d'une diffusion, à l'initiative du ministère de la justice, auprès de tous les personnels de l'administration pénitentiaire.

Comme l'indique la notice du ministère de la justice accompagnant ce manuel « bien que ces recommandations ne présentent aucune valeur contraignante pour les Etats, elles constituent pour le ministère de la justice un outil de référence sur lequel l'administration pénitentiaire entend fonder son action ».

B. L'EXTENSION DES UNITÉS DE VIE FAMILIALE

Le maintien des liens familiaux pendant la période de détention représente un moyen de favoriser l'insertion du condamné après sa libération. Cependant, l'absence de permissions de sortie ou d'aménagements de peine pour les condamnés à de longues peines conjugués à l'affectation dans des établissements pénitentiaires éloignés du foyer familial conduit souvent au relâchement des liens avec les proches.

Ce constat a justifié l'ouverture à titre expérimental d'unités de visite familiale (UVF) dans trois sites pilotes : le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes (septembre 2003) 20 ( * ) , les maisons centrales pour hommes de Saint-Martin-de-Ré (avril 2004) et de Poissy (décembre 2005).

Les UVF permettent aux personnes condamnées à de longues peines ne bénéficiant ni de permissions de sortie ni d'autres mesures d' aménagement , de recevoir les membres de leurs familles 21 ( * ) de 6 à 48 heures une fois par trimestre (72 heures une fois par an) dans des conditions matérielles, de durée et d'intimité satisfaisantes.

En pratique, ces unités sont des appartements de type F3 entièrement meublés, situés dans l'enceinte du centre pénitentiaire mais en dehors de la détention proprement dite 22 ( * ) .

Les rencontres s'effectuent sans surveillance directe ni caméra. Cependant un règlement intérieur fixe certaines règles et limite, en particulier, à quatre le nombre de personnes pouvant être accueillies. Chaque appartement est en outre équipé d'un interphone et d'une alarme pour qu'une intervention rapide des personnels puisse être déclenchée en cas de problème. Les mineurs ne peuvent rester seuls avec le détenu et doivent toujours être accompagnés d'un autre adulte -le cas échéant, d'un travailleur social. Des rondes extérieures sont effectuées par les personnels pénitentiaires qui peuvent aussi effectuer des contrôles dans les unités après en avoir prévenu les occupants.

L'accueil des visiteurs est entièrement à la charge du détenu (qui doit notamment commander à l'établissement les produits destinés à la confection des repas -les personnes extérieures ne pouvant apporter des denrées alimentaires en prison).

Ces visites supposent une préparation tant du détenu que du visiteur. L'un comme l'autre doit donc s'entretenir au préalable avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation.

Par ailleurs, les agents chargés de la surveillance des UVF, tous volontaires , reçoivent une formation orientée en particulier sur l'approche psychologique et sociologique du détenu et des liens parentaux.


Les observations de votre rapporteur pour avis

Lors de la visite qu'il a effectuée au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes le 26 octobre dernier, votre rapporteur pour avis a pu recueillir les éléments d'information concernant un premier bilan des UVF dans cet établissement, le premier à avoir expérimenté un tel dispositif.

- L'UVF ne bénéficie en pratique qu'à la moitié des femmes remplissant les conditions réglementaires pour recevoir ces visites (soit une cinquantaine de détenues sur 105 femmes parmi 220 femmes condamnées pour de longues peines). En 2005, 120 visites ont eu lieu (contre 86 en 2004) pour 57 détenues (contre 45 en 2005) 23 ( * ) .

L'autre moitié des femmes susceptibles de recevoir des visites ne demande pas à bénéficier du dispositif car les liens familiaux ont souvent déjà été rompus à l'occasion de l'infraction commise. En effet, les condamnations concernant la population pénale féminine ont souvent pour origine les faits perpétrés au sein de la famille.

- Cette caractéristique de la population pénale féminine explique aussi l'attention accordée à la préparation des visites notamment celle des enfants de la détenue et l'intervention d'un psychologue.

Les visites ont concerné pour plus de la moitié d'entre elles des enfants accompagnés de l'autre parent, d'un membre de la famille ou d'un travailleur social.

Les travailleurs sociaux de l'établissement prennent systématiquement contact avec les personnes extérieures qui sollicitent une visite pour la première fois. L'entretien a lieu soit par téléphone, soit lors d'un parloir.

- 91 % des demandes sont satisfaites. Selon le directeur de l'établissement, les refus sont opposés lorsque les dossiers ne sont pas mûris ou complets. En tout état de cause, la décision est prise par le directeur de l'établissement après avis d'une commission pluridisciplinaire associant notamment les travailleurs sociaux, l'aumônière et les psychologues. La décision administrative fait grief et peut donner lieu à un recours.

- Les visites se déroulent dans des conditions très satisfaisantes, aucun incident n'ayant jusqu'à présent été constaté. Par ailleurs, les détenues, entièrement responsables de la logistique, veillent scrupuleusement à laisser les locaux dans un parfait état.

- Les visites ont de manière générale un impact très favorable sur les relations familiales : la configuration des locaux et la durée de la rencontre permettent incontestablement de renforcer les relations conjugales ou filiales.

Le dispositif présente en outre une incontestable souplesse : il arrive ainsi que le visiteur soit le conjoint, lui aussi détenu et qui effectue sa permission dans le cadre de l'UVF.

En septembre dernier, il a été décidé d'ouvrir les UVF construites dans quatre établissements du programme 4000 places -Avignon, Le Pontet, Liancourt, Meaux-Chauconin et Toulon-La Farlède.

Votre rapporteur pour avis a pu constater lors de son déplacement dans l'établissement de Meaux-Chauconin que les premières visites faites dans le cadre des UVF permettaient de vérifier les appréciations positives faites à Rennes même s'il demeure encore, semble-t-il, chez les détenus une appréhension, injustifiée, sur la surveillance qui serait exercée à leur insu au sein de ces structures.

Sans doute ces craintes se dissiperont-elles progressivement à la faveur des témoignages des premiers bénéficiaires des visites 24 ( * ) .

C. LA PRISE EN CHARGE DES DÉTENUS ATTEINTS DE TROUBLES MENTAUX : LES PERSPECTIVES OUVERTES PAR LES UNITÉS HOSPITALIÈRES SPÉCIALEMENT AMÉNAGÉES

Actuellement, la prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux se fait selon des modalités distinctes tenant compte, d'une part, de la gravité des pathologies et, d'autre part, du consentement ou non de la personne aux soins.

En premier lieu, le service public hospitalier assure dans tous les établissements pénitentiaires des soins ambulatoires en matière psychiatrique.

Ensuite, s'agissant des troubles plus sérieux et sous réserve de l' accord de l'intéressé , des soins ambulatoires renforcés voire une hospitalisation peuvent être assurés dans l'un des vingt-six services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans les maisons d'arrêt les plus importantes et totalisant 375 lits.

Enfin, les hospitalisations sous contrainte sont assurées dans les établissements de santé habilités et les quatre unités pour malades difficiles 25 ( * ) .

Votre commission a conduit au cours de cette année une mission d'information sur les délinquants dangereux atteints de troubles mentaux 26 ( * ) .

Cette réflexion faisait suite aux conclusions de la commission Santé-Justice, présidée par M. Jean-François Burgelin, procureur général honoraire près la cour de cassation qui avait notamment préconisé en 2005, la mise en place de centres fermés de protection sociale pour accueillir, après l'exécution de leur peine, des personnes considérées comme toujours dangereuses.

Depuis la publication du rapport de votre commission en juin dernier, plusieurs éléments sont venus enrichir le débat sur la prise en charge des délinquants atteints de troubles mentaux.

D'abord, les principaux résultats de l' étude épidémiologique engagée par les ministères de la santé et de la justice afin d'estimer les prévalences des principaux troubles dans les établissements pénitentiaires français sont désormais connus. L'enquête porte sur un échantillon de 800 personnes détenues tirées au sort tenant compte des différents types d'établissements.

S'agissant des antécédents sociaux , judiciaires et médicaux , elle a permis d'établir que :

- avant l'âge de 18 ans, plus du quart (28 %) de la population étudiée a été suivi par un juge pour enfants et 22 % a fait l'objet d'une mesure de placement ;

- le quart des détenus déclare avoir subi des maltraitances de nature physique, psychologique ou sexuelle ;

- 16 % des détenus ont été hospitalisés pour raisons psychiatriques avant leur incarcération.

Quant aux troubles identifiés, deux constats particulièrement préoccupants ont été dressés :

- 3,8% des détenus souffrent d'une schizophrénie nécessitant un traitement, soit environ quatre fois plus que le taux pour la population dans son ensemble ;

- 18 % présentent un état dépressif majeur, soit 4 à 5 fois plus que le taux observé pour la population dans son ensemble. Ces dernières données doivent être interprétées avec précaution car ces troubles peuvent être à l'origine du fait générateur de la détention mais peuvent aussi résulter de la privation de liberté.

Par ailleurs, M. Jean-Paul Garraud, député, a présenté en octobre dernier les conclusions de la mission dont le Gouvernement l'avait chargé sur l'évaluation de la dangerosité des auteurs d'infractions pénales atteints de troubles mentaux.

Parmi les 21 propositions formulées, il a plus particulièrement préconisé, à l'instar du « rapport Burgelin », une mesure de « suivi de protection sociale » des auteurs d'infraction ayant purgé leur peine et « présentant une dangerosité criminologique persistante » (cette mesure serait prononcée par le juge des libertés et de la détention au vu d'une expertise de la dangerosité établie par une « commission pluridisciplinaire d'évaluation »). Comportant des obligations et des interdictions comparables à celles prévues dans le cadre du suivi socio-judiciaire, cette mesure ne serait pas, contrairement à celui-ci, limitée dans le temps -mais pourrait être renouvelée tous les deux ans. En outre, M. Jean-Paul Garraud reprend la proposition d'instituer « un centre fermé de protection sociale pour les criminels les plus dangereux ne bénéficiant d'aucune mesure de suivi en milieu ouvert ». Décidé par la juridiction de jugement ou par le tribunal de l'application des peines, le placement dans ce centre ferait l'objet d'une révision annuelle. Le nombre de personnes concernées par un tel placement est estimé à 200.

Votre commission des lois n'avait pas, pour sa part, dans le cadre de son rapport précité jugé souhaitable la mise en place de tels centres de protection sociale. Elle avait suggéré que les personnes condamnées atteintes de troubles mentaux graves soient accueillies pendant la durée de leur peine et au-delà, si leur état le nécessite, dans des structures hospitalières qui seraient « adossées » aux unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) prévues par la loi d'orientation et de programmation pour la justice et dont les premières devraient voir le jour en 2008.

La prise en charge serait donc sous responsabilité médicale, l'administration pénitentiaire assurant la surveillance périphérique des locaux. Dans l'hypothèse où l'état de santé de la personne s'améliorerait, celle-ci serait réaffectée dans son établissement pénitentiaire d'origine. Si en revanche, l'état de dangerosité devait persister après l'expiration de la peine, l'autorité judiciaire pourrait, après avis convergent de deux experts extérieurs, décider de maintenir l'intéressé dans cette structure pour une durée de deux ans éventuellement renouvelable.

Ce dispositif ne concernerait que les personnes ayant commis les infractions les plus graves. Selon votre commission, il permettrait d'éviter toute rupture dans le dispositif de soins.

Dans le prolongement de la réflexion engagée par votre commission, votre rapporteur pour avis a recueilli auprès des responsables du projet « UHSA » des précisions complémentaires sur la mise en oeuvre de ces structures.

Le point sur la mise en place des UHSA

La mise en place des UHSA permettra l'hospitalisation au sein de ces unités de toute personne détenue atteinte de troubles mentaux avec ou sans consentement.

Les UHSA constitueront des structures séparées implantées au sein de centres hospitaliers. Les soins seront assurés par le personnel hospitalier alors que la garde des personnes détenues et la protection du site incomberont à l'administration pénitentiaire.

Le programme d'implantation des UHSA prévoit une capacité de 705 lits et comportera deux tranches -la première de 2008 à 2010 (460 lits), la seconde à partir de 2010 (245 lits).

Direction régionale des services pénitentiaires

Ville

Capacité

DRSP Paris

Villejuif ou EPSNF

60

DRSP Marseille

Marseille

60

DRSP Lille

Lille

60

DRSP Paris

Orléans

60

DRSP Dijon/Lyon

Lyon

60

DRSP Toulouse

Toulouse ou Thuir

40

DRSP Strasbourg

Metz ou Nancy

40

DRSP Bordeaux

Bordeaux

40

DRSP Rennes

Rennes

40

Capacité totale de la 1 ère tranche

460 places

La deuxième tranche sera réalisée à partir de 2010/2011.

Les lieux d'implantation pressentis sont les suivants :

DRSP concernée

Ville

Capacité

DRSP Dijon

Dijon ?

40

DRSP Lille

Rouen ?

40

DRSP Paris

Établissement de santé à définir

40

DRSP Bordeaux

Bordeaux ou Poitiers ?

40

DRSP Marseille

Nice ?

40

Outre-mer

Guadeloupe, Martinique, Réunion

(UHSA de 15 places chacune)

45

Capacité totale de la 2 ème tranche

245 places

En premier lieu, la construction sera caractérisée par une sécurité renforcée : les façades en limite de périmètre seront infranchissables et répondront aux exigences de sûreté (protection contre les évasions, les intrusions et les actes de vandalisme) et fonctionnelles telles que l'impossibilité de communiquer avec l'extérieur par des moyens visuels (absence de vue) ou sonores. Le fonctionnement d'une UHSA devrait s'articuler autour de trois zones distinctes :

- une zone de soins constituée de deux ou trois unités de soins qui ne dépasseront pas une vingtaine de lits chacune ;

- une zone mixte , pénitentiaire et hospitalière, regroupant, d'une part, la « zone d'entrée et de contrôle » et d'autre part, la « zone commune » constituée de locaux spécifiques pénitentiaires (parloirs, greffe...) ainsi que de locaux communs réservés aux personnels médicaux et pénitentiaires (vestiaires, locaux de détente...) ;

- un périmètre de sécurité extérieur au bâtiment principal d'une largeur suffisante destiné à prévenir toute évasion, intrusion, communication ou projection depuis l'extérieur. Il fait partie de la zone d'implantation de l'UHSA et peut prendre la forme d'un grillage par exemple.

Le choix du lieu d'implantation d'une UHSA résulte du croisement de plusieurs critères : l'accessibilité par les transports, la réserve foncière de l'établissement hospitalier, la proximité d'un SMPR, et/ou d'une UHSI, la motivation de l'équipe médicale ainsi que les perspectives de la démographie médicale.

Pour une UHSA de 60 lits, l'effectif de personnel pénitentiaire devrait s'élever à 46. Ces personnels assureront en particulier le contrôle des entrées et des sorties, celui des visiteurs, la fouille des locaux. Ils pourront intervenir exceptionnellement dans la zone de soins à la demande du personnel médical ou en cas d'urgence. L'administration pénitentiaire sera en outre responsable des escortes selon des principes qui devraient être fixés par un décret en Conseil d'Etat au premier semestre 2007. Le concours des forces de l'ordre sera toujours possible pour les personnes considérées comme dangereuses.

Comme pour les UHSI, le personnel pénitentiaire sera spécifiquement affecté à chaque UHSA et un guide de bonne conduite sera élaboré avant l'ouverture de chacune des unités.

L' équipe médicale sera quant à elle rattachée au SMPR -le SMPR restant l'unité de consultation au sein de l'établissement pénitentiaire, l'UHSA devenant l'unité d'hospitalisation dans le centre hospitalier. Son effectif sera défini de manière déconcentrée par chaque établissement hospitalier.

Le coût (hors fonctionnement) pour une UHSA de 40 lits est actuellement évalué à un montant compris entre 9 et 13 millions d'euros.

Les observations de votre rapporteur pour avis :

- selon les informations communiquées par l'administration pénitentiaire, la mise en place des UHSA ne devrait pas conduire à remettre en cause -moyennant une modification législative proposée par le ministère de la Santé- l'hospitalisation d'office des détenus les plus dangereux au sein des unités pour malades difficiles (UMD -416 lits) 27 ( * ) qui présentent les garanties nécessaires au regard de la sécurité (les évasions sont exceptionnelles au sein des UMD -une en 2005). Pour votre rapporteur pour avis, cependant, la sécurisation des UHSA -comme le cahier des charges établi par les ministères de la santé et de la justice le laisse entendre- doit répondre aux mêmes critères de sécurité que ceux retenus pour les UMD.

- un élément de souplesse demeure nécessaire pour les mineurs afin de permettre leur hospitalisation dans un service de psychiatrie infanto-juvénile doté de spécialistes dont pourraient être dépourvues les UHSA.

- l'hospitalisation en UHSA est actuellement programmée pour des séjours de deux à trois mois. Les différents éléments recueillis par votre rapporteur pour avis sur la conception de ces structures et leur organisation ne peuvent que conforter, dans son esprit, le bien fondé de la proposition de la commission des lois tendant à la création d'UHSA de long séjour ou renforcée pour les personnes atteintes des troubles les plus graves. Il lui paraît nécessaire que le principe de l' installation d'une ou de deux chambres particulièrement sécurisées puisse être intégré dans les projets de réalisation des UHSA .

* 11 CGT pénitentiaire, le Conseil national des barreaux, Emmaüs France, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, la Ligue des droits de l'homme, l'Observatoire international des prisons, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire et l'Union syndicale des magistrats.

* 12 Il faut souligner que l'administration pénitentiaire a parfaitement « joué le jeu » afin de permettre le bon déroulement de cette consultation ce qui dément les images trop souvent caricaturales véhiculées à propos de cette institution.

* 13 Selon M. Patrick Marest, délégué national de l'Observatoire international des prisons, entendu par votre rapporteur pour avis, la faiblesse de la participation des personnels de surveillance s'explique notamment par les positions de défiance prises par deux des trois syndicats majoritaires au sein de cette catégorie ainsi que par les difficultés d'accessibilité à Internet pour une partie des personnels concernés.

* 14 Source : BVA-Etats généraux de la condition pénitentiaire.

* 15 Il semble que plusieurs associations soient prêtes à coopérer à la fourniture d'appareils réfrigérants.

* 16 Prisons : une humiliation pour la République ; commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France. MM. Jean-Jacques Hyest, président, Guy-Pierre Cabanel, rapporteur. Rapport n° 449, 1999-2000.

* 17 Fresnes, Marseille, Aix en Provence-Luyne, Saint-Etienne, Melun, Bapaume, Nanterre, Poissy, Epinal, Toulon la Farlède.

* 18 Les réclamations à l'égard des autres administrations apparaissent très proches de celles que les délégués du médiateur traitent habituellement à l'extérieur (problèmes fiscaux, reconnaissance d'enfants, délivrance de papiers d'identité, constitution de dossiers de retraite...).

* 19 Décret n° 2006-337 du 21 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale (deuxième partie : décrets en Conseil d'Etat) et relatif aux décisions prises par l'administration pénitentiaire ; décret n° 2006-338 du 21 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale (troisième partie : décrets) et relatif à l'isolement des détenus. Ces deux décrets sont rentrés en vigueur le 1 er juin 2006.

* 20 Cette expérimentation a été conduite sur la base d'une circulaire du 18 mars 2003.

* 21 Il s'agit des membres de la famille proche ou élargie justifiant d'un lien de parenté juridiquement établi ainsi que des personnes pour lesquelles un faisceau d'indices sérieux permet d'attester un lien affectif avec la personne incarcérée dans le cadre d'un projet familial. Tous les visiteurs doivent être titulaires d'un droit de visite délivré par le chef d'établissement.

* 22 L'unité est composée d'un séjour avec un coin cuisine, de deux chambres, l'une avec lit double, l'autre comportant deux lits simples -d'une salle de bain, de toilettes séparées et d'un patio.

* 23 51 détenues pour une durée de six heures ; 30 détenues pour une durée de 24 heures ; 30 détenues pour une durée de 48 heures ; 9 détenues pour une durée de 72 heures.

* 24 L'administration pénitentiaire a également prévu l'installation de parloirs familiaux -locaux plus petits que les UVF mais dont l'inspiration reste comparable- dans les maisons centrales existantes où la configuration des lieux ne permet pas de créer des UVF.

* 25 En 2005, 1.537 personnes détenues ont fait l'objet d'une hospitalisation d'office dans un centre hospitalier spécialisé et 129 dans une UMD.

* 26 Les délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques : comment concilier la protection de la société et une meilleure prise en charge médicale ? MM. Philippe Goujon et Charles Gautier, co-rapporteurs, rapport du Sénat n° 420, 2005-2006.

* 27 Une cinquième unité pour malades difficiles pourrait être réalisée à Plouguernével en Bretagne.

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