IV. UN PARC IMMOBILIER EN VOIE DE PROFONDE TRANSFORMATION

La France dispose aujourd'hui de 188 établissements pénitentiaires (115 maisons d'arrêt, 60 établissements pour peines, 13 centres autonomes de semi-liberté). Parmi ces établissements, 111 ont été construits avant 1911 et sont, pour plusieurs d'entre eux, faute d'entretien, dans un grand état de vétusté.

Aussi, au cours des deux dernières décennies, les gouvernements successifs ont-ils engagé trois programmes immobiliers :

- le programme « Chalandon » (1987) de 13.000 places avec la construction de 25 établissements mis en service entre 1910 et 1992 ;

- le programme « Méhaignerie » (1994) de 4.000 places avec la construction de six établissements ;

- le programme « Loi d'orientation et de programmation pour la justice » (2002) de 13.200 places avec la construction d'une quinzaine d'établissements pénitentiaires et de sept établissements pour mineurs.

Dans l'attente des livraisons de ce dernier programme, un dispositif d'accroissement des capacités vise à dégager 3.000 places d'hébergement supplémentaire (dont 500 places en semi-liberté) sur des emprises pénitentiaires existantes.

Parallèlement, le Gouvernement a engagé en 1998 un programme de rénovation des quatre plus grands établissements pénitentiaires de France (les maisons d'arrêt de Fleury-Mérogis, Fresnes et Paris-La Santé, le centre pénitentiaire de Marseille-Baumettes).

Votre rapporteur pour avis a dressé dans le cadre de la présentation du projet de budget pour l'administration pénitentiaire le bilan du volet « construction » de la loi d'orientation et de programmation de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Il évoquera ici, d'une part le programme de rénovation des établissements pénitentiaires, d'autre part, la réalisation du programme 4000 en s'appuyant plus particulièrement sur les éléments d'information recueillis à l'occasion de ses déplacements.

A. LA SITUATION PRÉOCCUPANTE DES GRANDS ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES : L'EXEMPLE DE LA MAISON D'ARRÊT DE LA SANTÉ

Les établissements concernés -qui concentrent à eux seuls un cinquième des capacités totales de détention- ont fait l'objet en 1998 d'un programme spécifique dans la mesure où le coût de leur rénovation ne pouvait être intégré dans l'enveloppe annuelle des crédits de rénovation de l'administration pénitentiaire.

D'abord orienté vers la remise à niveau des bâtiments assortie de quelques aménagements fonctionnels limités, le programme de rénovation a été étendu à une restructuration plus complète comportant, sur le modèle des nouvelles constructions en cours, l'encellulement individuel, la douche en cellule et les espaces communs nécessaires à la mise en oeuvre des actions de réinsertion.

Votre rapporteur pour avis avait fait le point dans ses rapports de 2004 et 2005 sur la rénovation des établissements de Fleury-Mérogis et des Baumettes. La condition des détenus à Fleury Mérogis a suscité récemment l'intérêt de la presse à l'occasion de violences qui auraient été commises sur un prévenu. Le directeur de l'administration pénitentiaire, interrogé par votre rapporteur pour avis sur ces faits, a indiqué qu'il avait diligenté une inspection des services pénitentiaires. Votre rapporteur pour avis avait attiré l'attention dans son rapport sur la loi de finances pour 2005 sur la situation difficile de cet établissement qui compte dans la maison d'arrêt pour hommes près de 2.400 détenus -soit un effectif quatre fois supérieur à celui d'une détention « classique ». Rapporté à la taille de cette structure, le nombre de violences ne dépasse pas la moyenne, malheureusement trop élevée, des incidents constatés dans les autres établissements (en 2005, 33 agressions sexuelles ont été portées à la connaissance des services pénitentiaires de Fleury-Mérogis). Le vieillissement prématuré de la construction ne peut qu'aggraver les conditions de détention.

Cependant, la remise en état des cellules insalubres de Fleury-Mérogis a débuté en mars 2005 les travaux de rénovation proprement dits commencés fin 2005, devraient s'étaler sur 9 ans.

A Marseille, le chantier de rénovation engagé également à la fin de l'an passé doit durer 8 ans. Dans ces deux établissements, les travaux seront réalisés par tranches successives pour permettre le maintien en activité de ces structures.

Votre rapporteur pour avis s'est intéressé plus particulièrement cette année à la situation de la maison d'arrêt de la Santé.

Compte rendu de la visite de la maison d'arrêt de la Santé
(7 novembre 2006)

La maison d'arrêt de la Santé est dans un état très préoccupant . En mars 2006, les blocs B et C, situés dans le quartier haut de l'établissement ont dû être fermés en raison des risques d'effondrement des plafonds 28 ( * ) . Pour les mêmes raisons le bloc D devra être fermé avant février 2007. Ce délabrement est lié à la corrosion des poutres métalliques de l'établissement du fait de l'humidité et à la suroccupation de ces espaces pendant de nombreuses années 29 ( * ) . La Santé qui comptait, avant la fermeture des blocs B et C, 1.300 détenus n'en comptent plus aujourd'hui que 750, principalement des prévenus.

Les prévenus sont répartis dans les établissements de la région parisienne selon l'ordre alphabétique. Ainsi, les détenus dont les noms commencent par les lettres O à Z sont affectés à la Santé. Depuis la fermeture du bloc D, l'éventail a été resserré aux lettres S à Z. En outre, l'établissement accueille d'autres catégories de détenus, en particulier un grand nombre de terroristes en raison de la concentration des affaires de terrorisme au TGI de Paris. Plusieurs transfèrements de prisonniers ont dû être organisés dans les autres établissements franciliens, principalement à Fresnes qui connaît pourtant déjà une situation difficile.

Après la fermeture des deux blocs, il restait néanmoins à la Santé quelque 74 nationalités représentées parmi les détenus -47,7 % de la population pénale y étant de nationalité étrangère 30 ( * ) .

La maison d'arrêt comptait quelque 500 personnels pénitentiaires, soit une « relative aisance » par rapport à un établissement comme les Baumettes qui disposent du même effectif pour 1.600 détenus. Elle a cependant perdu 50 emplois après la fermeture des blocs B et C et 40 emplois à la suite de la fermeture du bloc D. En pratique, pour l'essentiel, les postes ne sont plus ouverts au moment des mutations ou des départs à la retraite.

La réduction de 30 % du nombre des détenus en raison de la fermeture des blocs B, C et D ne s'est traduite que par une baise de 10 % de l'activité médicale au sein du SMPR -l'équipe médicale tirant parti de cette situation pour assurer une prise en charge médicale plus complète.

L'intérêt de disposer d'une maison d'arrêt au centre de la capitale à proximité du palais de justice a conduit le Gouvernement à retenir le principe d'une rénovation dont les modalités ont été arrêtées cet automne. Il a été ainsi décidé d'assurer la rénovation dans le cadre d'un partenariat public-privé afin de permettre la réalisation d'une maison d'arrêt de 1.200 places (le quartier haut serait rasé et le quartier bas entièrement réaménagé). Le chantier débuterait à la fin de l'année 2009 et durerait 24 mois. Le coût des travaux est estimé à 138 millions d'euros.

Le garde des Sceaux lors de son audition devant votre commission a indiqué que la phase d'étude de cette rénovation était budgétisée en 2007 à hauteur de 1,5 millions d'euros. Il a également assuré que cette opération ne serait pas financée au détriment des deux autres grandes rénovations déjà en cours (Fleury et les Baumettes).

Pendant le chantier, l'établissement resterait ouvert mais selon une configuration limitée à un centre de semi-liberté pour 60 détenus (auquel s'ajouterait la surveillance de quarante placements sous surveillance électronique). Dans l'intervalle, les établissements franciliens seront encore plus sollicités.

Le programme de rénovation de Fresnes n'est pas, dans l'immédiat du moins, considéré comme prioritaire par rapport à celui des trois autres établissements. Le schéma directeur en avait été réalisé en 2004 mais les études n'ont pas été poursuivies du fait de l'absence de perspective de financement.

B. LA RÉALISATION DU PROGRAMME « 4000 » : UN PROGRÈS MAJEUR DANS LES CONDITIONS DE DÉTENTION

Le programme « 4000 » initié par M. Pierre Méhaignerie est désormais parvenu à son terme. Il a permis la construction de six nouveaux établissements réalisés en deux phases :

- au titre du programme 4000 A (175 millions d'euros), la construction de la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses ouverte le 26 janvier 2003 (615 places), le centre pénitentiaire d'Avignon-Le Pontet ouvert le 23 mai 2003 (625 places) et la maison d'arrêt de Lille-Sequedin ouverte le 5 avril 2005 (655 places) ;

- au titre du programme 4000 B (185 millions d'euros), les centres pénitentiaires de Liancourt ouvert le 17 mai 2004 (632 places), de Toulon-La Farlède ouvert le 28 juin 2004 (607 places), de Meaux-Chauconin ouvert le 9 janvier 2005 (318 places).

Ces établissements sont construits sur un même modèle et visent à améliorer les conditions de détention : nef d'entrée largement éclairée, cellules plus grandes -10,5 m 2 pour une cellule simple, 13,5 m 2 pour une cellule double-, plus lumineuses et dotées d'une douche, espaces communs mieux équipés. Outre les espaces communs à tout l'établissement (centre scolaire, ateliers, bibliothèque centrale, gymnase, terrain de football, etc.), chaque quartier est doté de salles d'activités, d'une antenne bibliothèque, d'une salle de musculation, d'un espace coiffure et d'une laverie.

En outre quelques cellules (19,8 m 2 ) sont aménagées pour les personnes handicapées. Par ailleurs, les prisons de la « nouvelle génération » intègrent toujours des unités de vie familiale.

Après s'être rendu en 2005 à Lille Sequedin et Liancourt, votre rapporteur pour avis a poursuivi cette année ses déplacements dans les nouveaux établissements avec les visites de La Farlède et de Meaux-Chauconin au cours desquelles il a plus particulièrement fait le point sur le bilan de la gestion mixte.

Comptes-rendus des visites des centres pénitentiaires
de Toulon-La Farlède (10 février 2006)
et de Meaux-Chauconin (2 novembre 2006)

Le centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède

Le nouveau centre ouvert le 28 juin 2004 comprend un centre de détention (112 places), une maison d'arrêt (301 places), un quartier mineurs (13 places), un quartier d'accueil (10 places), un quartier d'isolement (10 places), un quartier disciplinaire (10 places) et, enfin, deux unités de vie familiale.

L'effectif de ce personnel pénitentiaire, toutes catégories confondues, s'élève à 250 personnes.

Dans le cadre de la gestion mixte, deux grandes catégories de fonctions sont gérées par un partenaire privé : d'une part, l'intendance et la logistique (le transport, la maintenance et le nettoyage pris en charge par la société Idex et Cie, mandataire ; la restauration, l'hôtellerie, la cantine prises en charge par la société Sodexho, co-traitant) ; d'autre part, la mission de réinsertion (travail pénitentiaire et formation professionnelle des détenus). Au terme de ce déplacement, plusieurs observations peuvent être formulées :

- Dans l'ensemble, le personnel et les détenus sont satisfaits du nouvel établissement qui présente beaucoup plus de fonctionnalités que la maison d'arrêt de Saint-Roch dans le centre de Toulon.

- La structure présente cependant quelques lacunes au regard des exigences de sécurité : l'absence de sas pour l'accès aux cours de promenade qui permettraient de mieux gérer les flux des détenus ; l'absence de vidéosurveillance sur les coursives (la disposition intérieure des anciennes maisons d'arrêt permet généralement aux surveillants de contrôler du regard l'ensemble des déplacements sur les coursives. Tel n'est plus le cas dans ces bâtiments modernes où les agents se trouvent davantage isolés) ; la possibilité de projeter des objets à l'extérieur de l'enceinte pénitentiaire (les abords immédiats de l'établissement sont occupés par des vignobles et le passage du chemin de fer) -une réflexion est donc aujourd'hui engagée sur la mise en place de « glacis » extérieurs destinés à isoler davantage l'établissement.

- Moins de deux ans après son ouverture, l'établissement se trouve déjà en situation de surcharge puisqu'il accueille 780 détenus . L'établissement compte huit travailleurs sociaux qui, en un an et demi, ont dû accueillir et suivre 2.600 détenus. Selon les responsables du SPIP, l'effectif actuel est adapté pour un traitement de masse, mais non pour une gestion individualisée des personnes.

- La gestion mixte donne des résultats encourageants en matière d'emploi. Malgré les difficultés liées à la prédominance du secteur tertiaire dans le bassin d'emploi de la région, l'établissement a pu obtenir un marché (sur-emballage) fourni par un sous-traitant d'Yves Rocher. Par ailleurs, de très nombreuses visites d'entrepreneurs ont été organisées dans le nouveau centre.

Il convient de rappeler que le partenaire privé se voit fixer des objectifs pour chacune des fonctions qui lui sont confiées assortis de pénalités lorsque ces objectifs ne sont pas réalisés, un résultat négatif sur une fonction ne pouvant être compensé par un résultat excédentaire sur une autre.

La contractualisation apparaît donc un aiguillon efficace pour accroître, notamment, les offres d'emploi au sein des prisons.

Le centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin

Ouvert le 9 janvier 2005, le centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin comprend un centre de détention (192 places en cellules individuelles), une maison d'arrêt (352 places), un quartier mineurs (20 places), un quartier d'accueil (14 places), un quartier d'isolement (10 places) et un quartier disciplinaire (10 places).

L'effectif du personnel pénitentiaire s'élève à 255 personnes.

La visite de l'établissement appelle les observations suivantes :

- L'établissement avait déjà dépassé ses capacités d'accueil (578 places) au 31 décembre 2005 puisqu'il accueillait 592 personnes. En revanche, le quartier mineurs n'a jamais été ouvert. C'est là, selon votre rapporteur pour avis, une grave anomalie qui semble trouver son origine, d'une part, dans des dysfonctionnements en matière d'affectation des jeunes détenus (puisque les mineurs originaires de la région de Melun continuent d'être affectés à Fleury-Mérogis) et, d'autre part, dans des capacités de détention pour mineurs qui apparaissent, au moins pour la région francilienne, excédentaires (à titre d'exemple, l'établissement pénitentiaire de Villepinte compte déjà un quartier mineur de quarante places). La livraison en mai 2005 d'un établissement pénitentiaire pour mineurs à Chauconin, à proximité immédiate de l'actuel centre pénitentiaire, ne laisse pas, dans ces conditions, de susciter la perplexité.

Lors de son audition par votre commission, le 21 novembre dernier, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a cependant apporté les explications suivantes : les 420 places en EPM livrées en 2007 ne devraient créer aucune surcapacité puisque parallèlement 420 places de quartiers mineurs seront reconvertis en places pour détenus majeurs (le quartier mineurs de Meaux-Chauconin devant, quant à lui, être transformé en quartier de semi-liberté).

- Certains problèmes de conception ont été signalés à votre rapporteur pour avis. Ainsi, la disposition de cellules en épi sur certains côtés des bâtiments de la maison d'arrêt -destinée à empêcher l'échange d'objets, par les fenêtres, d'une cellule à l'autre- interdit de la mise en place de lits superposés. Une fois ces derniers en place, en effet, il est impossible d'ouvrir les fenêtres.

En conséquence des matelas ont dû être posés à même le sol pour héberger dans ces cellules un deuxième détenu -situation évidemment paradoxale pour une prison moderne.

Par ailleurs, la qualité même de certains aspects de la construction a été mise en cause à l'occasion de plusieurs incidents : le dysfonctionnement du réseau de chaleur constaté dès l'ouverture qui a conduit à installer dans chaque cellule des convecteurs en renfort ; la rupture d'une canalisation en mars 2005 entraînant une inondation des sous-sols ; le descellement de la porte d'entrée le 24 octobre dernier à la suite d'un fort coup de vent dans la région parisienne. Si ce type de problèmes n'apparaît pas exceptionnel lors de la mise en état de fonctionnement d'un établissement neuf, il semble en revanche anormal que le service après livraison du constructeur ne soit pas réactif, comme plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur pour avis l'ont souligné.

Cette situation apparaît difficile à gérer d'abord pour le partenaire privé chargé d'assurer la maintenance d'une infrastructure à la conception de laquelle il n'a pas été associé. Mais elle l'est plus encore pour la directrice de l'établissement qui, faute du concours d'un directeur des services techniques -puisque cet emploi n'existe plus dans les établissements en gestion mixte- et d'un appui suffisant des services compétents du ministère de la justice, doit traiter souvent seule avec un constructeur très enclin à dégager toute responsabilité dans les problèmes rencontrés.

- Par ailleurs, l'établissement a dû ouvrir avec plus de 95 % de personnel stagiaire . Depuis, du fait de la rotation rapide des personnels, le personnel demeure, dans sa large majorité, inexpérimenté.

* 28 La consolidation des plafonds des blocs B et C aurait représenté un coût de 4 à 5 millions d'euros.

* 29 A la fin des années 90, l'établissement accueillait jusqu'à 2.200 détenus pour 1.200 places. A la différence des cellules du quartier haut accueillant en moyenne, chacune, quatre détenus, les cellules du quartier bas, du fait de leur surface limitée (7 m 2 ) -car conçues dès la construction de l'établissement pour un encellulement individuel- n'ont pas subi un processus de dégradation aussi avancé.

* 30 Les maisons d'arrêt de Fresnes et de la Santé ont une compétence exclusive d'écrou pour les procédures d'infraction à la législation sur les étrangers.

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