N° 100

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 novembre 2008

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 2009 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME I

ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT

Par M. Yves DAUGE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Michel Thiollière, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Michel Mercier, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 1127 , 1198 à 1203 et T.A. 204

Sénat : 98 et 99 (annexe n° 1 ) (2008-2009)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les constats angoissants sur la crise du rayonnement culturel français à l'étranger se multiplient. Le phare que pouvait constituer autrefois la culture française à l'étranger semble désormais se réduire à une flamme menue et chétive. C'est en tout cas ce que prétend un article de l'édition européenne du Time Magazine , paru à l'automne 2007, qui allait jusqu'à prononcer l'acte de décès de la culture française 1 ( * ) . Fort heureusement, ce diagnostic consternant est excessif et en partie erroné, comme en témoigne le dynamisme de la demande de culture française dans les pays émergents ; mais il a le mérite d'avoir provoqué les remous nécessaires pour mobiliser une réflexion sur les moyens de redynamiser notre action culturelle extérieure. Le rapport de notre collègue, M. Adrien Gouteyron, intitulé Quelles réponses apporter à une diplomatie culturelle en crise , en est l'illustration la plus récente 2 ( * ) .

Dans sa lettre de mission adressée au ministre des affaires étrangères et européennes, en date du 27 août 2007, le Président de la République déclare accorder « la plus grande importance au développement de notre influence culturelle à l'étranger ». Cette volonté semble traduire une évolution pragmatique de la diplomatie culturelle française dans son principe, dès lors qu'il s'agit de substituer à notre politique de « rayonnement » culturel, prisonnière de son héritage historique, une politique d' « influence » s'appuyant sur une culture française qui ne cherche pas seulement à se diffuser, mais également à s'enrichir au contact des autres cultures en s'adaptant aux réalités locales. Cette diplomatie d'influence a également vocation à appliquer les principes consacrés par la Convention de l'UNESCO d'octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Cette nouvelle vision peut avoir le mérite, en théorie, de ne plus concevoir la France comme un pays de culture figée, passéiste et traditionnelle mais bien comme la source d'une culture ancrée dans le présent, vivante et créative, disposée à s'enrichir au contact de la culture des pays d'accueil.

Deux rapports demandés par le Président de la République ont abondé dans ce sens. Le rapport d'Hubert Védrine sur la France et la mondialisation enjoignait notre pays « à entretenir et à exploiter l'image de culture, de créativité et de qualité, le capital « immatériel » de la France » et « à ne pas brader nos acquis dans les domaines [...] culturels [...] sur l'autel de la modernisation, mais au contraire [à] les valoriser » 3 ( * ) . Notre politique d'influence culturelle est également un enjeu pour la croissance économique de notre pays : le récent rapport de la Commission « Attali » sur la libération de la croissance française recommandait en particulier de « faire une promotion de la marque France et de la culture française orientée vers les pays émergents » 4 ( * ) .

Or, force est de constater qu'une fois encore les actes sont en contradiction avec les discours. L'augmentation globale des crédits affectés au programme n° 185, concernant la diplomatie d'influence exercée auprès des pays développés au sens de l'OCDE, cache une réalité consternante : les crédits précisément consacrés aux projets de coopération culturelle sont les seuls à baisser, à hauteur de - 13 % 5 ( * ) dans le programme n° 185. Ces crédits sont également en baisse, de - 9 % 6 ( * ) , dans le programme n° 209, concernant la coopération avec les pays en développement. Une nouvelle fois se profile le danger que la coopération culturelle (et notamment la gestion de ses personnels) serve de variable d'ajustement dans un contexte budgétaire contraint.

Ce rapport pour avis budgétaire ne se veut pas un réquisitoire visant à sanctionner les efforts de rationalisation de notre réseau culturel français à l'étranger. Bien au contraire, votre rapporteur souhaite apporter une contribution positive à la réflexion qui s'engage sur la réorganisation de ce réseau. C'est en prônant une clarification des rôles et un renforcement des capacités des trois opérateurs uniques de notre politique d'influence intellectuelle à l'étranger (l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger -AEFE-, CulturesFrance et une future agence pour la promotion des formations et des échanges éducatifs et scientifiques), tout en s'appuyant sur le savoir-faire des structures existantes, que la France doit trouver les moyens d'une action culturelle extérieure ambitieuse.

Mais l'on aurait tort de faire porter à nos centres culturels la responsabilité de notre perte relative d'influence. On ne peut bâtir un projet mobilisateur sur une suspicion trop fréquente à l'égard du réseau, qui pâtit manifestement d'un manque de soutien politique. Ces centres ont fait leurs preuves et nous ont permis de bénéficier d'un capital de sympathie exceptionnel en dehors de nos frontières. En témoigne la consécration de l'écrivain afghan, Atiq Rahimi, et de l'écrivain guinéen, Tierno Monénembo, tous deux respectivement couronnés cette année par les Prix Goncourt et Renaudot : ces deux auteurs d'exception ont d'abord assis leur notoriété sur les centres culturels français de leurs pays d'origine. Jean-Marie Gustave Le Clézio, français mais également ancien membre actif du réseau culturel français au Mexique, a obtenu le Prix Nobel de littérature cette même année. Comment, dès lors, douter encore de l'excellence des centres culturels français à l'étranger ?

Votre rapporteur pour avis en est convaincu : il ne s'agit pas de « gérer » le déclin de notre rayonnement culturel à l'étranger ; il s'agit, bien au contraire, de redonner un élan à notre production culturelle en s'appuyant sur le levier d'enrichissement que représente sa diffusion en dehors de nos frontières. Dans un contexte de crise démultiplié (crise financière, crise énergétique, crise alimentaire), la France est attendue au tournant sur la réalité et la sincérité des principes qui forgent sa diplomatie d'influence, au premier rang desquels figurent la diversité culturelle et le multilatéralisme. Le reste du monde compte en particulier sur la France pour défendre le « bien public mondial de la diversité culturelle » dans le cadre de la mise en oeuvre de la Convention de l'UNESCO. Or, c'est en s'appuyant sur son puissant réseau de centres culturels parfaitement intégrés au tissu local qu'elle y parviendra. Voici un axe politique nouveau et fort pour le sursaut que votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux dans la suite du rapport.

Alors que nos partenaires britanniques, allemands et espagnols intensifient considérablement leur présence culturelle à l'extérieur, au travers des British Councils, des Goethe Instituts et des Instituts Cervantès, la France ne peut pas se permettre de négliger son réseau culturel à l'étranger, au risque de voir le capital de sympathie dont elle dispose à l'extérieur se déliter de façon significative et de voir les acteurs de la coopération culturelle se démobiliser fortement.

Votre rapporteur pour avis se propose, dès lors, d'alerter l'ensemble des pouvoirs publics mais aussi l'opinion publique sur la nécessité d'engager une réflexion sérieuse sur notre action culturelle extérieure, qui ne prenne pas simplement en compte les contraintes budgétaires, mais qui s'emploie à définir les principes et les moyens d'une diplomatie culturelle à la hauteur de ses ambitions. En un mot, il faut répondre à l'urgence et à la nécessité d'un grand projet politique mobilisateur dont l'écho devrait être puissant dans le contexte d'une mondialisation en quête de sens.

I. LE RÉSEAU CULTUREL FRANÇAIS À L'ÉTRANGER : LES CONDITIONS D'UN SURSAUT

A. LA NÉCESSITE DE METTRE UN TERME À UNE DÉGRADATION BUDGÉTAIRE PRÉOCCUPANTE, MASQUÉE PAR UNE COMPLEXITÉ BUDGÉTAIRE REDOUTABLE

1. Une tendance baissière qui présente un risque de démobilisation au sein de notre réseau culturel

En 2007, les efforts budgétaires consentis par la France à son rayonnement culturel ont été évalués à plus d'un milliard d'euros 7 ( * ) . Votre rapporteur pour avis l'a déjà rappelé dans son introduction : ce chiffre est trompeur. Il masque la détresse budgétaire de notre politique de coopération culturelle et artistique dont les crédits spécifiques sont les seuls du programme n° 185 à diminuer dans le projet de loi de finances pour 2009.

D'un montant total estimé à 92 millions d'euros dans le programme n° 185, consacré au rayonnement culturel dans les pays de l'OCDE, ils accusent une baisse de - 13 % en 2009 8 ( * ) . Sur ces 92 millions d'euros, 39 millions sont consacrés au renforcement des échanges scientifiques, techniques et universitaires, 30 millions à l'animation du réseau culturel et 23 millions à la promotion de la langue et de la culture françaises et de la diversité linguistique et culturelle. Cette dégradation des moyens se poursuivra dans le cadre de la programmation triennale pour atteindre 80 millions d'euros en 2010, et 77 millions d'euros en 2011.

La diminution des crédits spécifiquement consacrés aux projets de coopération culturelle est également visible au sein du programme n° 209, consacré à la coopération en direction des pays en développement : elle serait de - 9 % en 2009 2 .

La dégradation des moyens est d'autant plus préoccupante que l'ensemble de ces baisses fait suite à une série de diminutions antérieures. De plus, votre rapporteur pour avis constate que la diminution des crédits consacrés à la coopération culturelle risque de s'amplifier étant donné l'adoption, en seconde délibération par l'Assemblée nationale, de deux amendements présentés par le Gouvernement qui tendent à minorer davantage les crédits du programme n° 185 de - 2,8 millions d'euros et ceux du programme n° 209 de - 6,87 millions d'euros.

L'augmentation globale du budget du programme n° 185, qui atteint en 2009, hors titre 2, 506,8 millions d'euros (soit + 28,8 %), est, en réalité, le fait essentiellement de la montée en puissance de la dotation affectée à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), elle-même due à la prise en charge des frais de scolarité pour les élèves français, la prise en charge des pensions civiles des personnels détachés et l'augmentation de sa charge immobilière. La subvention à l'AEFE, au titre du programme n° 185 représente désormais 415 millions d'euros et 82 % du programme, hors titre 2.

Le recul des crédits spécifiquement affectés à notre action culturelle extérieure est d'autant mieux dissimulé que la complexité budgétaire dans laquelle s'inscrit notre diplomatie culturelle est redoutable .

Les crédits de notre action culturelle extérieure sont, en effet, éparpillés entre plusieurs missions (« Action extérieure de l'État » et « Aide publique au développement », selon que les pays concernés sont développés ou non au sens de l'OCDE), puis, au sein même de la mission « Action extérieure de l'État », entre plusieurs programmes (« Action de la France en Europe et dans le monde » et « Rayonnement culturel et scientifique »).

* 1 Article du 21 novembre 2007 de M. Don Morrisson.

* 2 Rapport d'information n° 428 (2007-2008) de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la crise de la diplomatie culturelle française.

* 3 VÉDRINE, Hubert, La France et la mondialisation , rapport au Président de la République du 4 septembre 2007, La Documentation française, Paris, 2007.

* 4 300 décisions pour changer la France , rapport au Président de la République de la Commission sur la libération de la croissance française, sous la présidence de Jacques Attali, 2008.

* 5 Sous réserve de l'adoption définitive par le Parlement d'un amendement présenté par le Gouvernement, adopté en seconde délibération par l'Assemblée nationale, tendant à minorer davantage les crédits du programme n° 185.

* 6 Sous réserve de l'adoption définitive par le Parlement d'un amendement présenté par le Gouvernement, adopté en seconde délibération par l'Assemblée nationale, tendant à minorer davantage les crédits du programme n° 209.

* 7 Rapport d'information n° 428 (2007-2008) de M. Adrien Gouteyron, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la crise de la diplomatie culturelle française.

* 8 Sous réserve de l'adoption définitive par le Parlement des amendements présentés par le Gouvernement, adoptés en seconde délibération par l'Assemblée nationale, tendant à minorer davantage les crédits des programmes n° 185 et 209.

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